Le couteau dans la poche

Dans la France paysanne et rurale, tous les hommes avaient leur couteau. L’objet marquait, pour les enfants, le passage à l’âge adulte.

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Couteau Opinel (Crédits : The Marmot, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

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Le couteau dans la poche

Publié le 18 mai 2015
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Par Jean-Baptiste Noé.

Coûteau Opinel (Crédits : The Marmot, licence CC-BY 2.0), via Flickr.
Couteau Opinel (Crédits : The Marmot, licence CC-BY 2.0), via Flickr.

Dans la France paysanne et rurale, tous les hommes avaient leur couteau. L’objet marquait, pour les enfants, le passage à l’âge adulte. Le couteau sert à tout. À table, bien sûr. On l’ouvre, et on le dispose à côté de l’assiette. Sur la table, seuls sont présents les autres couverts : fourchette et cuillère. On a le couteau dans la poche. Un couteau que l’on prend soin de bien aiguiser. Sur la pierre d’affûtage, avec un peu d’huile, en passant à plusieurs reprises le fil pour le rendre bien profilé et bien droit. Le couteau doit trancher de façon nette. Aujourd’hui on hésite à le sortir quand on est invité. Cela risquerait de mal passer, alors même qu’un Laguiole en corne, ou un Thiers en bois de buis sont particulièrement élégants. Au restaurant, le couteau est presque obligatoire. La plupart des bistrots et des restaurants ont en effet la tendance fâcheuse à servir des couteaux à lames dentées pour la viande. Ces couteaux ne conviennent absolument pas. Ils ne coupent pas la viande, ils la déchirent. C’est maltraiter une pièce de grande qualité et de grande valeur. Alors, même quand on est faubourg Saint-Honoré, il ne faut pas hésiter à sortir son couteau. Le manche est façonné par la main de son propriétaire. Avec le temps on voit qu’il prend des formes différentes. Le couteau, ustensile indispensable du paysan pourrait devenir l’apanage des urbains chics.

Mais les avanies sécuritaires jouent contre lui. Quand on prend l’avion, on ne peut plus le garder en cabine. Voilà l’homme qui doit laisser au seuil du portique un élément essentiel de ses attributions. Dans les musées, parfois même dans les magasins, les portiques de protection sonnent à la moindre présence du fer. Là aussi, le couteau n’a plus le droit de cité. Les couteliers de Thiers mesurent-ils à quel point ces dispositifs sont discriminants à leur égard ? Certes, on peut tuer avec un couteau corse, ils sont même fabriqués pour cela, mais les fameux vendetta ne servent plus qu’à honorer les imaginaires ; cela fait bien longtemps que les bandits ont abandonné leur couteau et opté pour les armes à feu. L’abandon du couteau nous coupe de nos racines terrestres, et nous laisse croire, à tort, que nous vivons dans un monde pacifique et pacifié.

Le couteau coupe tout : viandes, légumes, desserts. Tout, sauf le pain, qui se rompt. L’origine de cette coutume remonte peut-être à la Cène, quand l’Évangile nous dit que le Christ prend le pain et le rompt pour l’offrir à ses disciples. On peut supposer que si lui-même a rompu le pain, c’est que cette tradition se trouvait déjà dans la liturgie juive. On coupera éventuellement la baguette pour faire des morceaux pour le petit-déjeuner, mais jamais le pain posé sur la table.

couteau hollande rené le honzecLe couteau que nous connaissons aujourd’hui date essentiellement du XIXe siècle. Il est le fruit d’un double phénomène : l’amélioration de la qualité de l’acier, grâce aux progrès de la sidérurgie ; l’approfondissement de la culture régionale, sous l’effet du décloisonnement du territoire. C’est comme cela qu’est né le couteau Laguiole, fabriqué essentiellement à Thiers, dans le Puy de Dôme. Thiers a aussi son modèle de couteau, plus massif et plus trapu, bien qu’élancé. Mais on trouve aussi des modèles de couteau en Alsace, dans le Berry, dans le Rouergue, en Corse (le vendetta), dans le Jura. Si la forme du manche et de la lame diffèrent, la taille est toujours à peu près similaire. C’est le couteau de poche, que l’on plie et déplie au moment des repas, et que l’on porte toujours sur soi. Le couteau n’est pas immuable. En Aveyron, à Laguiole, on a ajouté un poinçon pour permettre de percer la panse des vaches quand celles-ci sont sujettes à la météorisation. Vers les années 1900, le couteau s’est muni d’un tire-bouchon, afin de s’adapter au travail des bougnats. Leur venue à Paris a permis de propager le port du couteau au sein de la capitale. Si le couteau de poche a quelque peu disparu, les beaux couteaux de table sont toujours présents. Ils sont une belle alternative aux couteaux en argent, plus onéreux.

À côté de ces couteaux qui sont de beaux objets, il y a le tout terrain et omniprésent Opinel. Fondé par Joseph Opinel en 1890, il est désormais muni d’une bague de sécurité et d’une lame en acier inoxydable. La fameuse main couronnée est celle de la maison de Savoie, rappelant les origines de la marque. L’Opinel ne coûte pas cher, ce qui permet de l’offrir aux enfants sans grande crainte qu’ils le perdent. C’est le couteau à mettre dans son sac pour les pique-niques et les colonies de vacances, le couteau des scouts et des gens distraits qui ont peur de le perdre. C’est une belle réussite française que cette marque Opinel, qui parvient à se moderniser et à étoffer sa gamme, et à conquérir des marchés étrangers. Le couteau demeure indispensable, en cuisine, sur la table, dans la poche.

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  • Et aujourd’hui, les survivalistes hi-tech tendance ont un multitool Leatherman dans la poche. Le mini Squirt en porte-clés pour les bobos citadins, le gros Wave pour les paranoïaques en camo. LOL.

  • Petite correction. Le pain se tranche avec un couteau. Essayez de rompre une tourte de 3 ou 4 Kg. Il faut simplement faire une croix symbolique avec la pointe de la lame avant de l’enfoncer dans « le corps du Christ ». Quand mon grand père tonnelier à Uzerche en Corrèze rentrait de la pêche à la truite vers 9:00 du matin pour le casse croute, il sortait son Laguiole pour se couper une tranche de la belle tourte livrée une fois par semaine par le boulanger en fourgon 2CV. Mon Papy faisit chabro, avec le picrate infâme qu’il stockait dans l’une de ses barriques en châtaigner. Je récupérais un vieux Laguiole, et l’utilisais pour me faire un arc avec une belle branche de noisetier. Les flêches, c’était des baleines de vieux parapluie. Très chasseur cueilleur. Toujours avec un morceua de noisetier et mon Laguiole, je fabriquais des lance-pierres. Je prenais un bel embranchement. Ensuite j’y attachais un élastique de section carrée de 5mm et un vieux morceau de cuir. Je fendais chaque sommet du Y et y coinçais l’élastique. Je serrais l’ensemble avec une section de chambre à air de vélo. Mon couteau, c’était ma vie. J’ai toujours un très beau Laguiole Rossignol Hors Concours en acier au carbonne, pas d’inox chez moi, c’est impossible à affuter. Le manche est en ébène et les clous en bronze. Pas de poinçon ni tire bouchon. Pure. Je l’ai depuis bientôt quarante ans, il est toujours affûté comme un razoir. La lame, à force d’affûtages répétés à changé de forme. Un homme, sa bite et son couteau.

    • Pour les gros pains, bâtards et autres tourte, le couteau est en effet indispensable. C’est plutôt la baguette, la flûte et les pains élancés qui peuvent se dispenser d’être coupés.

      D’accord avec vous : les meilleures lames sont en carbone. Elles noircissent un peu mais le tranchant est nettement supérieur à l’inox.

    • Lame carbone, absolument!

    • oui…c’est aussi ce que j’ai relevé dans l’article…

  • J’en ai deux dans mon sac à main.
    Il faut bien ça, des fois que je croise un saucisson sur ma route 😉

  • Un couteau ? Pour des enfants ? Dans le métro ? Au bureau ? Mais c’est l’horreur absolue, l’ensauvagement, le manque de respect des autres, le développement du bellicisme, le refus du vivre-ensemble …. J’en oublie ? Sans doute. Personne ne peut synthétiser tous les couinements des bien-pensants.

    Dans une première phase, ils croient que les armes tuent. Faux, ce sont les gens qui les utilisent, éventuellement.

    Puis, on liste les armes : les armes à feu depuis la grosse Berta jusqu’au missile nord-coréen en passant par la carabine du Chasseur Français, mais aussi les couteaux, quels qu’ils soient , les battes de baseball, les oreillers, les lacets, les pavés, les voitures, ….etc.

    Par principe de précaution, nous devrons bientôt vivre dans un environnement totalement mou, murs compris, et sans étages … Et nous nourrir de bouillies ne nécessitant ni couteaux ni fourchettes !

  • Juste pour information : on peut porter dans un avion un couteau ayant une lame de moins de 6cm de long et 1cm de large.

    • Certes c’est ce que dit la réglementation mais mes coupe-ongles partent régulièrement à la poubelle : principe de précaution certainement. Mais à coté de cela un couteau full céramique de 12cm passe sans problème.

    • La réglementation ne dit rien de tel, il s’agit d’une légende urbaine. Les couteaux font partie des armes de catégorie D, leur port est rigoureusement interdit sans motif valable (chasse, randonnée, motif professionnel :art L315-1 du code de la sécurité intérieure).

      Le fait de se balader avec un tournevis (arme par destination) à la mauvaise heure, au mauvais moment peut vous valoir des poursuites….

      • Le fait est que deux fois, je me suis fait confisquer un opinel que j’avais malencontreusement gardé sur moi au lieu de le mettre en soute.

        Résultat : comme le dit joliment Jean-Baptise Noé, je me prive dorénavant d’un « élément essentiel de mes attributions ».

  • bonjour ,du moins à la campagne ; élément essentiel & indispensable chez l’homme adulte actif : Couteau dit de poche comportant un minimum de 2 lames et surtout un tire-bouchon ! Le tout relié par une chainette fixée au passant de ceinture du pantalon . Ainsi en est-il de mon fidèle couteau Suisse que je porte depuis me semble-t-il toujours .
    Notez : Je ne le prête pas à n’importe qui !

    • Prêter son couteau ?! Quelle idée surréaliste. Mon grand-père ne se séparait jamais du sien ni ne se servait d’aucun autre. D’ailleurs on avait fini par appeler l’objet son « moncouteau ».

      J’en possède plusieurs et je confirme volontiers le tranchant inégalé des lames carbone.

      • Ah oui…
        C’est comme prêter sa brosse à dent, son stylo plume ou sa femme… Ca ne se fait pas.
        Par contre, avantage par rapport à la femme, ce n’est pas du tout mal vu d’avoir plein de couteaux, plein de stylos plume ou plein de bosses à dent (même si l’intérêt est moins clair pour ce dernier objet) !

  • Ahhh…
    Je ne sors jamais sans couteau et quand je dois prendre l’avion (et donc le mettre dans la valise en soute je me sens nu).

    Par contre je ne suis pas un traditionaliste de la lame en « qui rouille » et du manche en bois ou corne (quoi que j’ai quelques modèles de ce genre). C’est finalement bien moins pratique que le « couteau moderne » avec une lame en acier inox évolué (issu de la métallurgie des poudres) avec manche en titane. Le Sebenza de Chris Reeve est une bonne base, ou pour moins cher le Sage 2 de Spyderco.

    Avec de la technique et du bon matériel, non seulement ça s’affute pas trop difficilement mais surtout le tranchant dure, dure, dure…. et ne nécessite qu’un petit coup pour reprendre un coté « rasoir » quand après de longs et durs travaux il commence à perdre du mordant.

    Par contre c’est sûr que le « qui rouille » s’affute plus facilement… Une pierre un peu lisse, un goulot de bouteille et ça fait l’affaire pour remettre le tranchant en marche.

  • Le Laguiole en corne chez moi, que je prends pour aller chez les beaux-parents, où chacun a le sien.
    Sinon, au quotidien, c’est le couteau-suisse dans le sac à main.

  • Quelques erreurs dans ce bel article… La Vendetta n’a rien de Corse, c’est une production thiernoise destinée aux touristes, le Laguiole n’est pas né à Thiers, Auvergne, mais à Laguiole, Aveyron et enfin le poinçon sert à percer les lanières de cuir, sûrement pas à percer la panse des vaches qui en mourraient…

    Mais sinon, une très belle ode à mon compagnon quotidien… Un chouette pliant artisanal de Frederic Maschio dans la poche et un joli fixe de Pierre-Henri Monnet, de Frederic Charrière, de Christophe Million ou de Jean Paul Sire pour la rando, la pêche ou la chasse!

  • A noter que les couteaux, objets de cet article, ne se lavent pas, mais s’essuient.

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Par Jean-Baptiste Noé.

[caption id="attachment_210419" align="aligncenter" width="640"] deejo 37 folder credits txinkman via Flickr ( (CC BY-NC 2.0) [/caption]

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