L’économie numérique : première victime de la loi renseignement

Mettre Internet sous surveillance n’est-ce pas sacrifier l’avenir numérique de la France, ses emplois et sa contribution à l’économie française ?

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Internet Surveillance - Credits Mike Licht (CC BY 2.0)

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L’économie numérique : première victime de la loi renseignement

Publié le 14 mai 2015
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Par Farid Gueham
Un article de Trop Libre

Internet Surveillance - Credits Mike Licht (CC BY 2.0)

Hébergeurs, startups et associations de défense des libertés. Les critiques s’accumulent contre la loi sur le renseignement du 19 mars 2015. D’abord plébiscité au lendemain des attentats de Paris, le projet suscitait déjà des inquiétudes. À l’assemblée nationale, on évoquait le caractère potentiellement « liberticide » du texte. Et la riposte du Premier ministre ne se fait pas attendre « aucune « surveillance de masse » n’aura lieu en France ». Au-delà de l’émoi politique, ce qui préoccupe davantage les acteurs du numérique, ce sont les retombées économiques de la loi. Les hébergeurs français menacent de délocaliser leurs activités à l’étranger si certaines dispositions sont adoptées. Le signal d’alarme est tiré mais le gouvernement ne transige pas.

À l’origine, la loi pose le cadre nécessaire et urgent

Adopté en première lecture, le projet de loi sur le renseignement précise les missions des services et le régime d’autorisation, pour l’utilisation des techniques d’espionnage. Écoutes, poses de caméras, logiciel-espion, accès aux données de connexion, le gouvernement autorisera d’autres services comme le renseignement pénitentiaire. Point de discorde important au sein des débats, le déploiement d’outils d’analyse automatique, d’algorithmes, sur les réseaux des opérateurs afin de détecter par une « succession suspecte de données de connexion » une « menace terroriste ». Le dispositif est souvent qualifié de « boîte noire » par les commentateurs qui y voient un prolongement des pratiques de surveillance généralisée de la NSA américaine.

Au débat idéologique succède rapidement l’inquiétude économique : quid des retombées de la loi sur le numérique français ?

La plupart des hébergeurs estiment que leur attractivité internationale sera amputée. La French Tech n’en sortira pas indemne. Les hébergeurs dénoncent l’action schizophrène du gouvernement qui sacrifie un secteur dynamique pourtant présenté comme l’avenir industriel de la France. Avec les suspicions de surveillance, la ressource « data » va se faire de plus en plus rare. La data, ce sont ces informations conservées par les hébergeurs : données médicales, fichiers clients, dossiers voyageurs, secrets industriels, photos de vacances, e-mails, etc. Les centres de données concentrent la ressource indispensable à de nombreux secteurs d’activités de l’Internet.

Les firmes tirent le signal d’alarme. « Nous, acteurs du numérique, sommes contre la surveillance généralisée d’Internet »

Les pigeons refusent le flicage. Dans une pétition en ligne, ils interpellent les pouvoirs publics. Leur message est clair : si les clients partent, ils devront les suivre et déménager leurs infrastructures, leurs investissements et leurs salariés. En un mot, aller travailler là où leurs clients le souhaitent. Un risque pour l’emploi, d’autant plus que le secteur est en pleine expansion. OVH, un des plus grands hébergeurs français, compte plus de 700 salariés. Pour Isabelle Falque-Pierrotin présidente de la CNIL, la loi sur le renseignement porte dans son sillage des soupçons de violation de la vie privée et elle aura fatalement un impact sur l’économie française.

Un constat partagé par Benjamin André, co-fondateur du groupe Cozy Cloud et signataire de la pétition « ni pigeons, ni espions ». « Nous, acteurs du numérique français, sommes contre la surveillance généralisée d’Internet qui est inefficace et dangereuse : inefficace, car les personnes motivées utiliseront facilement des outils de chiffrement pour y échapper et dangereuse pour la croissance : nos clients internationaux perdront confiance dans nos entreprises numériques. Les hébergeurs français, qui connaissent une croissance de 30% par an, se verront obligés de délocaliser leurs data-centers et leurs emplois à l’étranger pour que leurs clients internationaux continuent à leur confier leurs précieuses informations ». En clair, la loi permettra le contrôle forcé par les services de renseignement, de l’ensemble du flux de données du web, ou métadonnées.

Pour Isabelle Falque-Pierrotin, si tout n’est pas parfait, le tableau n’est pas si noir, « le projet de loi est aussi un progrès, car il apporte un nouveau cadre légal. Mais il autorise de nouveaux modes de collecte qui sont très intrusifs et qui permettent via des boites noires ou des sondes, des accès directs aux opérateurs pour permettre d’améliorer la surveillance via des « IMSI-catcher », ces valises qui espionnent les téléphones portables. Si on veut que ce dispositif réponde au principe de proportionnalité, il nous faut des garanties. À la suite de l’avis de la CNIL, le gouvernement a répondu, en affinant le maillage des usages autorisés, mais à ce jour, on considère que les garanties ne sont pas suffisantes. Le contrôle en aval des fichiers collectés par ce genre de méthode n’est pas encadré. »

Des mesures de sureté inefficaces et facilement contournables

Et l’expertise des acteurs du net doit être prise au sérieux. Benjamin André rappelle que les acteurs du numériques sont légitimes à double titre. D’OVH à Gandi, en passant par Blablacar, la quasi-totalité du « Syntec Numérique », premier syndicat professionnel de l’écosystème numérique français va dans le même sens : les acteurs du numérique assument leur double casquette de « savants » et de « créateurs » de l’industrie numérique. « Aujourd’hui, nous pouvons chiffrer les écoutes. Lorsque des gens chercheront à passer inaperçus, ils passeront inaperçus. Masquer des informations si on prépare un attentat, c’est facile, on trouvera des dispositifs qui masqueront les points d’entrée et de sortie. Et ce n’est pas Keith Alexander, le patron de la NSA qui dira le contraire. Pourquoi a-t-on mis autant de temps à trouver Ben Laden ? », remarque Benjamin André. Techniquement, les dispositifs prévus par la loi n’atteignent pas leurs objectifs. Et ce sont pour l’essentiel les usagers « grand public » qui seront réellement sous surveillance.

Pour la présidente de la Cnil, il faut être réaliste, « depuis l’affaire Snowden, les opérateurs de cloud et autres data-centers ont perdu du marché. Au-delà de la loi renseignement, le vrai problème, c’est celui de la valeur marchande des données passagers, des informations bancaires, leur dimension économique et industrielle en somme. » Le tout-sécuritaire après les attentats de Paris ? Difficile d’être contre. Mais à quel prix ? Plus qu’une action de lobbying corporatistes, les hébergeurs pétitionnaires ont anticipé les retombées de la loi sur un pan majeur de la croissance nationale. Sur le site internet des pigeons, la conclusion est sans appel « mettre Internet sous surveillance, c’est sacrifier l’avenir numérique de la France, ses emplois et sa contribution à l’économie française ».

Pour aller plus loin :


Sur le web.

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  • l’économie numérique…. êtes vous bien certain que cela existe , moi pas . le numérique n’est qu’un outil pour la VRAIE économie . bon je vous l’accorde , la machine outil peut rapporter gros mais ce n’est rien par rapport a ceux qui l’utilisent !

    • « le numérique n’est qu’un outil pour la VRAIE économie »

      Conception absurde. Tous les échanges économiques, même ceux purement liés au numérique ou à la finance sont de la vraie économie. Il n’y a pas d’échange économique qui soit plus « vrai » comme si d’autres étaient « faux ».

      Regarde. Je peux même te renverse la perspective:
      quand tu vas chez ton coiffeur, tu ressort sans aucune marchandise. Rien n’a changé dans tes biens, tu a juste moins de cheveux sur le crâne. Est-ce que je peux dire que ce n’est pas de la vraie économie par opposition à une transaction financière où lorsque j’achète un titre, puisque là, je dispose du titre ou d’un droit nouveau à faire valoir auprès de mon banquier?

      Est-ce que au final le titre financier c’est pas plus de la « vraie » économique que lorsque je vais chez le coiffeur?

      C’est absurde de raisonner en faisant des catégories d’activités comme si certaines étaient de la vraie économie et d’autres pas.

      Un autre exemple: le magasin qui te vend un bien, c’est juste un intermédiaire qui pousse des cartons entre le fabriquant et toi. Il te vend entre autres un acte de mise à disposition du bien près de chez toi, mais il n’a rien fait à part déplacer ou fait déplacer le bien par un tiers et le stocker. Est-ce que dès lors je peux dire que le magasin dans ta rue c’est pas plus de la vraie économie que l’économie numérique?

      D’ailleurs, c’est quoi la vraie économie? Peux-tu donner une définition qui fasse sens?

      Tous les échanges ont une fonction: ils servent à augmenter l’utilité de ceux qui échangent. Que les échanges soient chez le coiffeur ou chez le banquier, sur place dans la succursale/magasin ou même sur le net, ça ne change rien au fait qu’il s’agit d’échanges économiques qui remplissent tous cette fonction.

      Une distinction entre vraie et fausse économie, c’est une vue de l’esprit, généralement adoptée par les socialo-communistes, qui en réalité distinguent entre « bonne » et « mauvaise » économie, entendu que les activités financières et bancaires (en fait tout ce qu’ils peuvent rapprocher du mot « marché » conçu comme un abstraction démoniaco-libérale), tomberaient dans la seconde parce qu’elles ne cadrent pas avec leur idéologie et que de ce fait ils ne comprennent pas qu’elles puissent aussi apporter de l’utilité.

  • Rien n’est encore joué, la loi doit encore passer le Sénat.
    L’IDL a mis en place un outil très sympa pour envoyer en UN CLIC une lettre à un sénateur et protester contre cette loi : http://www.institutdeslibertes.org/loirenseignement

    Il faut les inonder sous les courriers !

  • « Et ce sont pour l’essentiel les usagers « grand public » qui seront réellement sous surveillance »

    C’est peut-être en fait, l’objectif véritable du gouvernement. Traquer le petit fraudeur fiscal a sans doute plus d’intérêt pour nos socialistes que la lutte contre le terrorisme.

    • C’est même l’intérêt prépondérant : fliquer le particulier et l’entreprise.

      Utilisez Thor + VPN.

    • @Max : ok avec votre point de vue, c’est ce qui, semble t-il, échappe à la plupart.
      Internet n’est qu’un support, un véhicule, un facilitateur, une industrie comme une autre qui a connu une croissance phénoménale en quelques petites années, qui a débordé les états.
      Nous assistons à un rattrapage, les états s’organisent et se radicalisent, et ce malgré les cris d’orfraies des différents opérateurs qui dénoncent (à juste titre) des lois liberticides, tous se plieront (se plient déjà) aux directives fiscales et coercitives, ils n’ont aucune alternative.
      Certains oublient un peu vite que tous les acteurs d’internet sont des entités morales ou physiques rattachées fiscalement à des états, peu importe les différences de taxation.
      In fine, ce sont, comme vous le dites, les contribuables qui sont visés (et du reste, qui d’autre ?), la manne est bien trop importante pour que les états laissent s’échapper encore longtemps ce qu’ils estiment être leurs recettes fiscales.
      État(s) au pluriel car le mouvement est planétaire, seuls les taux de taxation diffèrent.

  • Quel angélisme !
    Les service secrets Américains, vendent les secrets sur les contrats en cours des entreprises Françaises ou Européennes avec leurs clients (armement, céréales, sucre, aviation…) aux groupes Américains..
    Les Start-up françaises qui voient leur projet déjà réalisé en Californie et breveté, avant même qu’elles n’aient pu lever un centime…
    Les entreprises qui voient leur contrats de 300 000Euros et plus captés et vendus par des personnels des services secrets à leurs seuls profits, à des petites Sociétés Américaines de Trading et leur pendant Coréen ou Taïwanais offrant 30% moins cher…

    Un pays naïf, ou l’on croit ce qui est écrit.
    Cette même loi prévoyait d’exempter les prisonniers de toute surveillance informatique, téléphonique..
    Des sentinelles l’on vu, le projet a été retiré.
    Il a été représenté en douce pendant les dernières vacances, défendu par la ministre elle-même, et l’amendement n’a pu passer.
    Aujourd’hui on prévoit de l’appliquer sans qu’il n’ait été voté.
    On nous avait dit que c’était là qu’ils se rencontraient, pour tout préparer, alors on va surveiller partout et les non délinquants, sauf les délinquants…
    C’est plus fort que fort, l’inversion des valeurs est en route à 600KM/h

  • ce qui fait peur à terme c’est l’attribution par l’état totalitaire français d’autorisation administrative de sites avec taxes et censure à la clef.

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