Innovation : La démocratisation des outils, le vrai facteur de rupture

La vraie rupture, c’est le développement d’outils toujours plus puissants, toujours plus simples et toujours moins chers, qui démultiplient les possibilités et, surtout, la productivité.

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Innovation : La démocratisation des outils, le vrai facteur de rupture

Publié le 31 mars 2015
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Par Philippe Silberzahn.

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Chaque fois que je présente les MOOC sur lesquels je travaille (le MOOC Effectuation et le MOOC IDEA), la question suivante vient toujours : « Combien ça coûte ? ». Aujourd’hui il existe un consensus pour évaluer le coût de production d’un MOOC à environ 50K€ (entre 20K et 100K selon les estimations et les moyens mis en œuvre). Clairement, cela réserve les MOOC à une petite élite. Pourtant, cette estimation est trompeuse car elle repose sur une erreur trop souvent commise, celle de juger le nouveau avec les critères de l’ancien. Examinons cela plus avant.

Dans un article précédent, j’ai montré comment, face à une rupture, les organisations en place sont souvent tentées par ce que j’ai appelé le bourrage organisationnel (traduit de l’anglais cramming proposé par Clayton Christensen). Le bourrage, c’est lorsqu’on adapte l’innovation à l’organisation au lieu du contraire. Dans le cas des MOOC c’est caractéristique. J’assistais il y a quelques semaines à la présentation du premier MOOC d’une grande école de commerce et il n’y manquait rien : une équipe de cameramen, un studio digne d’Hollywood, un directeur artistique, une caméra montée sur un pied télescopique, une cabine de montage, et des acteurs pour jouer les étudiants. Ne manquaient que les effets spéciaux mais c’était sûrement parce que George Lucas n’était pas disponible. Résultat ? Un coût astronomique (au moins 200K d’après mon estimation rapide) qui rendra l’opération non rentable. L’organisation plaque ainsi ses coûts de structure, par atavisme, sur une activité émergente et la condamne à l’asphyxie.

Cette inflation des coûts s’explique par une réaction en retard de ces organisations. Prises par surprise par l’explosion des MOOC, elles en ont d’abord nié l’intérêt avant de se rendre à l’évidence et de réagir en panique. Vite, un MOOC pour nous aussi ! Cette implication institutionnelle a entraîné l’inflation des coûts, les pionniers bricoleurs des premiers MOOC étant renvoyés chez eux avec leurs morceaux de scotch et leurs ciseaux. Place aux pros !

Mais cette inflation a également une conséquence plus perverse ; elle rend pratiquement impossible la rentabilité future des MOOC. Une fois la case cochée « Nous aussi on a fait un MOOC », l’organisation restera traumatisée par l’expérience et la taille de la facture totale, et elle en restera là.

Or ce qui est intéressant à observer actuellement ce n’est pas tant le développement des MOOC (qui se poursuit massivement contrairement à ce que beaucoup avaient annoncé) que celui des outils pour faire des MOOC. Des outils comme Screen-o-matic et Versal, pour n’en citer que deux, sont caractéristiques. Comme toujours en matière d’innovation, c’est beaucoup plus le développement des outils qui est révolutionnaire car ceux-ci mettent les possibilités de création à la disposition du plus grand nombre, en démultipliant ainsi l’effet des innovations techniques. L’impact des outils se fait sur deux dimensions, très liées l’une à l’autre.

  • Les outils simplifient la conception : ce qui nécessitait des spécialistes dotés d’équipement complexes peut maintenant être fait par un amateur avec un PC et une Webcam. La production devient plus simple, et donc plus accessible au plus grand nombre. On a vu ce phénomène de simplification des outils à l’œuvre dans le domaine de la musique bien-sûr, et il se développe autour de l’impression 3D, des drones ou de la biologie synthétique. C’est ce que remarquait Chris Anderson : « Le véritable changement révolutionnaire se produit lorsqu’une industrie se démocratise, lorsqu’elle est libérée de l’emprise des entreprises, gouvernement et institutions et rendue aux gens normaux. » Et cette démocratisation, cette révolution silencieuse, se fait principalement par les outils. Dans le domaine de la médecine, citons le HealthKit d’Apple qui va permettre le développement simplifié d’applications médicales.
  • Les outils abaissent les coûts de conception : corollaire de la simplification, la révolution des outils abaisse aussi considérablement le coût de conception directement et indirectement. Directement car ces outils sont de moins en moins chers (un PC pour faire de la musique) et indirectement par leur simplicité (un artiste seul contre une équipe de musiciens et de techniciens en studio). Par exemple, un test sanguin qui nécessitait du matériel de l’ordre de 34.000 dollars peut maintenant être fait par un amateur muni d’un petit kit de 34 dollars connecté à son téléphone portable. L’effondrement des coûts est un facteur crucial dans la rupture et pourtant très souvent passé sous silence, car un des mythes qui caractérisent l’innovation est que l’abaissement des coûts, ce n’est pas de l’innovation.

En résumé, la vraie rupture, c’est le développement d’outils toujours plus puissants, toujours plus simples et toujours moins chers, qui démultiplient les possibilités et, surtout, la productivité. Sur ces bases, on peut assez facilement imaginer qu’une grande partie des MOOC du futur seront produits par des amateurs. Ils le feront à des coûts ridiculement faibles, comme beaucoup d’amateurs aujourd’hui produisent des films, de la musique ou des blogs influents à un coût ridicule et avec une très grande simplicité. Cela permettra une explosion du nombre de MOOC. Certes, ceux-ci seront de qualité variable, mais comme pour les blogs et la musique, un tri sera progressivement fait et à côté des géants comme EdX ou Coursera existeront une multitude d’amateurs produisant des MOOC de qualité sur des sujets parfois hyper-spécialisés, qui attireront parfois des micro-audiences, mais qui y trouveront exactement ce qu’elles cherchent. Par exemple, un photo amateur passionné produira un petit MOOC sur la façon de photographier des oiseaux. On verra une extension de la grande richesse d’auto-formation que l’on trouve déjà sur Youtube.

On le voit, « Combien ça coûte ? » et « Combien ça rapporte ? » sont de mauvaises questions dans un contexte disruptif car on risque d’y répondre avec les critères de l’ancien monde. En faisant cela, les acteurs en place méconnaissent les principes de l’innovation de rupture -simplification et abaissement des coûts de production, ce qui les amène à sous-estimer la capacité de rupture des MOOC. Cette sous-estimation se fait à leur péril.


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  • Quand une idée est bonne, c’est à dire qu’elle satisfait un besoin réel, la création d’outils se fait « automatiquement ». Les professionnels du domaine mettent en avant – avec raison – la baisse de qualité par rapport à ce qui se faisait avant, mais ils se leurrent sur l’avenir de cette idée : s’il y a satisfaction d’un besoin réel, les coûts baisseront et la qualité augmentera.

    En revanche, quand il n’y a pas de besoin réel ou qu’une idée est détournée pour être adaptée pour raison idéologique, commerciale ou par conservatisme ça ne fonctionne évidemment pas. Normal : un besoin ne se décrète pas et ne peut pas être changé pour satisfaire des lubies. C’est ainsi que dès que les politiciens (d’état ou d’entreprise) s’en mêlent toute innovation est un cul-de-sac et un gouffre financier. Et quand il s’agit d’une idée détournée, l’idée originale continue à faire son chemin et finit par ridiculiser ce que les politiciens en ont fait.

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