Accord sur le commerce des services (TISA) : décryptage du mandat de négociation

Ce nouvel accord, qui vise à une libéralisation poussée du commerce des services, cherche à sortir de l’impasse des négociations de Doha.

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Siège de la Commission Européenne (Crédits : Amio Cajander, licence CC-BY-SA 2.0), via Flickr.

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Accord sur le commerce des services (TISA) : décryptage du mandat de négociation

Publié le 27 mars 2015
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Par Magali Pernin.

Siège de la Commission Européenne
Siège de la Commission Européenne (Crédits : Amio Cajander Creative Commons)

Il y a près d’un an, nos lecteurs apprenaient l’existence des négociations sur l’Accord sur le commerce des services (TISA).

Ce nouvel accord, qui vise à une libéralisation poussée du commerce des services, cherche à sortir de l’impasse des négociations de Doha. De fait, en 2012, les États-Unis et l’Australie ont pris l’initiative de lancer ces nouvelles négociations entre les seuls membres de l’OMC qui le souhaitaient.

Les dispositions du futur accord ont vocation à, par la suite, être réintégrées dans le cadre de l’OMC, une fois qu’un nombre significatif d’États y auront pris part.

Côté Union européenne, la Commission européenne a publié ses directives de négociation le 15 février 2013. Celles-ci ont été approuvées le 18 mars 2013 par le Conseil de l’Union européenne, réuni en session « Agriculture et Pêche ».

Depuis mars, onze cycles de négociations ont eu lieu et ont commencé à soulever de sérieuses inquiétudes de la part des ONG, soucieuses de la préservation des services publics européens.

Le 10 mars dernier, afin de contrer les accusations, ainsi que les critiques sur le manque de transparence, les gouvernements européens, réunis en session « Affaires économiques et financières », ont donné leur accord à la publication du mandat de négociation.

Malheureusement, le mandat reste peu fourni et très inaccessible pour les non-initiés au droit du commerce international.

Décryptage du mandat de négociation

Aller plus loin que l’Accord Général sur le Commerce des Services (AGCS)

Le mandat rappelle les grands principes promus par l’Union européenne, à savoir dépasser les difficultés connus dans le cadre de l’OMC tout en garantissant l’intégration future du TISA dans l’Accord général sur le commerce des services (AGCS).

Il reconnait la méthode consacré par l’OMC pour permettre l’avancée de la libéralisation. Il s’agit des « mesures de libéralisation autonome » , c’est à dire les mesures de libéralisation prises unilatéralement par les membres de l’OMC dans le cadre de leurs propres processus nationaux ou dans le cadre des programmes d’ajustement structurel de la Banque mondiale et du FMI.

S’agissant d’un accord qui ne se négocie pas avec l’ensemble des membres de l’OMC, l’Union européenne souhaite se protéger de l’application de la clause de la nation la plus favorisée.

En effet, cette clause prévoit que si vous accordez à un État une faveur spéciale (en abaissant, par exemple, le droit de douane perçu sur un de ses produits), vous devez le faire pour tous les autres membres de l’OMC. Elle est donc contradictoire avec la mise en place d’un accord entre un membre restreint de pays.
C’est l’article V de l’AGCS qui prévoit cette possibilité de déroger à la clause de la Nation la plus favorisée. Pour cela, il convient de mettre en place un « Accord d’intégration économique ».

Le TISA vise à aller plus loin que l’AGCS dans les domaines suivants : la transparence, la réglementation intérieure, les entreprises d’État, les services de télécommunications, les services informatiques, le commerce électronique, les transferts de données transfrontaliers, les services financiers, les services postaux et de courrier, les services de transport maritime international, les marchés publics de services et les subventions.

Il s’agit de mettre en place des disciplines réglementaires dans les domaines cités afin de promouvoir la libéralisation des services.

Concernant les rapports non discriminatoires entre les Parties à l’accord (dit « Traitement national »), il est prévu de suivre la méthode de la discipline horizontale.
Ainsi, au lieu de traiter les mesures relatives à la fourniture de services au cas par cas, en fonction des secteurs d’activités, ces disciplines « horizontales » ne seront pas spécifiques à un secteur, mais s’appliqueront à toutes les mesures affectant le commerce des services qui relèvent du TISA.

Autrement dit, les disciplines réglementaires précitées seront vraisemblablement des principes de libéralisation applicables à l’ensemble des services concernés par l’Accord.

Concernant le règlement des différends, il faut savoir qu’un organe spécifique existe à l’OMC afin de résoudre les litiges entre les Etats.
Dans le cadre du TISA, l’Union européenne souhaite mettre en place un mécanisme spécifique sur le modèle de celui existant au sein de l’OMC. A ce titre, le mandat suit la volonté des parlementaires européens exprimé dans un avis du 4 juillet 2013.

Les domaines exclus de l’Accord

Enfin, le mandat indique que l’Accord ne devra pas porter sur le domaine de l’audiovisuel.
Il devra respecter « le droit de l’UE et de ses États membres de réglementer la fourniture de services sur leur territoire et d’introduire de nouvelles règles en la matière, en vue d’atteindre des objectifs de politique publique ».

La notion d’objectifs de politique publique devra être interprétée au sens de l’OMC. Ainsi, un objectif de politique publique (protection de la santé, de la sécurité et du bien-être des consommateurs) devra être mis en œuvre par les gouvernements dans le cadre de mesures proportionnelles. Elles ne devront pas constituer une entrave non nécessaire au commerce.

Concernant les services publics, le mandat rappelle deux éléments :

– « l’accord ne couvrira pas les services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental »
Il s’agit d’un service qui n’est “fourni ni sur une base commerciale, ni en concurrence avec un ou plusieurs fournisseurs de services”. On pense notamment à la police, la protection contre l’incendie, l’émission de la monnaie, la sécurité sociale obligatoire et la collecte de l’impôt.

– « la grande qualité des services publics de l’UE devrait être préservée conformément au TFUE »

La gestion des services publics ne devraient pas être bouleversée par le TISA. Il faut rappeler que le droit européen exclut du principe de libre concurrence les services d’intérêt général (dont la définition se rapproche des services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental). Les services d’intérêt économique général sont quant à eux soumis à la libre concurrence sous réserve de dérogations :

« Les entreprises chargées de la gestion de service d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal sont soumises aux règles du présent traité, notamment aux règles de concurrence, dans les limites où l’application de ces règles ne fait pas échec à l’accomplissement en droit ou en fait de la mission particulière qui leur a été impartie. » (article 106 du TFUE)

Ainsi certains services de transport, de santé, d’énergie, peuvent continuer d’être fournis en régie (sans mise en concurrence) ou disposer de subventions publiques.

Il y a cependant une chose nouvelle qui serait introduite dans le cadre du TISA : les clauses de statu quo et/ou à effet de cliquet.

Comme indiqué plus haut, l’accord vise à mettre en place des principes de libéralisation applicables à l’ensemble des services concernés par l’Accord. A ce titre, le TISA prévoit, non pas de lister les accords concernés, mais, à l’inverse, de lister les accords non concernés. On parle de « liste négative » .
Tous les services et modes de services pour lesquels l’UE souhaite maintenir des pratiques discriminatoires envers ses partenaires devront être explicitement listés.
Ce travail sera d’autant plus essentiel que le mandat prévoit la mise en place d’une clause de statu quo et/ou à effet de cliquet. Ainsi :

1°) il ne serait plus possible d’ajouter un service exempté une fois le traité entré en vigueur (statu quo)

2°) dans le cadre de l’exécution du traité, si l’UE décide de libéraliser un nouveau service, il ne serait plus possible de revenir sur cette décision (effet de cliquet).

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Voir les commentaires (7)

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  • Je n’ai pas bien compris ce que cela va impliquer pourtant cela semble important.

    • Comme vous Mathilde, je ne comprends pas grand chose.
      Je retiens cependant deux points:
      1. les « clauses de statu quo et/ou à effet de cliquet » sont une espèce particulièrement dangereuse, en particulier quand il s’agit de traités internationaux dont personne ne peut sortir. Il me semble avoir remarqué que nos collectivistes et étatistes sont souvent ceux qui prônent comme impératif des solutions « démocratiques » sur lesquelles il est impossible de revenir. D’où mon extrême inconfort à lire ces lignes, en particulier s’agissant de mesures « libérales »… Si on couple ça avec la possibilité pour les entreprises d’attaquer les états qui prendraient des mesures contraires à leurs intérêts, on voit poindre une forme de jeu à deux (multinationales/états) institutionnalisé aux dépens des contribuables. Il me semble que cela portait un nom il y a peu.
      2. Quant à la notion de service public, le même flou est de mise. Quelle est donc cette différence spécieuse entre « les services fournis dans l’exercice du pouvoir gouvernemental », les « services d’intérêt général » et les « service d’intérêt économique général ou présentant le caractère d’un monopole fiscal »… Quid par exemple des quasi monopoles ou oligopoles de fait, comme dans la gestion des infrastructures publiques, ou partagées, ou encore celles soumises à autorisation? Quid de la généralisation des économies de rentes et l’élaboration permanente de barrières réglementaires etc.?

      Sur le fond, tous ces traités sont des spoliation irréversibles de nos droits fondamentaux à disposer de nous-mêmes. Sous prétexte que les états abusent de leur pouvoir, en quoi partager cette capacité de nuisance avec un nombre restreint de nouveaux acteurs hors du champ démocratique pourrait-il améliorer cet état de fait?

      • Ah oui, je comprends mieux. Euh, je ne sais pas, à vouloir faire trop grand, voir trop grand, on oublie l’essentiel, je pense et la vie devient difficile pour tout le monde ( sauf pour ceux qui voient grands, eux sont ds leur truc), non? C’est comme ça que j’analyse la relation etat/Europe.

      • Assez d’accord avec vous (et autre « simple citoyen » non initié!).

        Il est, me semble-t-il toujours délicat de s’engager dans un traité qui parait très coercitif et « définitif », principalement en ce qui concerne l’avenir à plus ou moins long terme qui nous est, par définition, inconnu: qui peut dire ce que, demain, nous aimerions harmoniser de façon nationale ou mieux, européenne, de façon homogène, sans devoir ouvrir la porte à des « produits » similaires mais pas identiques venus de l’extérieur de l’U.E.?

        En parlant de la poste,par exemple: il n’est pas nécessaire que ce soit un monopole d’état (ce n’est d’ailleurs plus le cas); pourtant que cela reste un service public, vu ses missions particulières, c’est actuellement utile.

        (Mission de service public, à mon sens, s’oppose à « commercial », c’est à dire « sans déficit mais sans bénéfice »: on ne sait que trop que les autorités (ce que que j’appelle « le bloc administrativo-politique ») ont tendance à se croire propriétaire et patron, imposant des obligations, par-ci (courrier franco de port des politiciens), des faveurs, subsides ou exonérations par-là, nommant le PDG, déterminant son salaire et siégeant au C.A. : il est rare que ça ne se termine pas par des dettes, fruits de promesses non tenues. Là où je suis né, on parlait de « Régies » ou de Sociétés « parastatale », qui auraient dû rester autonomes!

        Si ces groupes « à mission de service public », déjà endettés, se retrouvent face à des sociétés commerciales très concurrentielles qui choisiront les taches rentables sans les charges de service public, on devine les conséquences avec le mauvais souvenir de la privatisation des chemins de fer britanniques, par exemple. On risque alors de continuer à payer les dettes des « parastataux », par les impôts, et, peut-être en plus, les conséquences du concurrent commercial « privé » qui « décide » de se mettre en faillite.

        Et si c’est « irréversible », ça risque donc de faire très mal! 1ière raison pour ne pas signer!

        Vous pouvez alors me répondre qu’en système libéral, le marché rétablirait l’équilibre.

        D’accord (quoique!).

        Mais nous habitons tous, peu ou prou, des pays « à économie mixte », qui sont la situation de départ dont on ne peut faire table rase.
        Et nos partis « de droite » sont moins libéraux que les « Démocrates » U.S., « parti de gauche », et gardent le respect du résultat « des acquis sociaux », même en les adaptant à la conjoncture. 2ième raison.

        Or on sent bien d’où vient le vent!

        Je ne suis pas sûr que les cosignataires du TISA, et, de façon générale, l’O.M.C. soient très préoccupés de ce passé historique qui a modelé notre mode de vie actuel.
        Si c’était le cas, on pourrait au moins discuter des termes et spécialement des 2 « verrous »: la « discipline horizontale » et le « cliquet » plus un 3ième: la disparition de « la clause de la nation la plus favorisée » qui donne, pour toute l’Union Européenne, les mêmes droits (MAIS PAS LES DEVOIRS!) à tous les autres pays signataires et sur le même pied qu’aux pays partenaires européens!

        Il est quand même difficile de ne pas voir là une tentative de « détricotage » de l’Union Européenne et du système de la très jeune encore zone €! 3ième raison de ne pas signer!

        D’autant plus 1° qu’il est prévu qu’un conflit entre une société et un état se règlera sous les auspices de l’organisation ad hoc de l’O.M.C. et non devant une cour de justice!

        Et 2° qu’il est déjà clairement prévu que la notion de « service public » ne devra pas être une entrave au commerce.

        Alors ça vous tente vous de replonger dans le royaume féérique du « TOUT POGNON » (et tout pour le pognon), dérive ultra-libérale mais aussi EXTRA-libérale (extra = en-dehors), avec le Royaume-Uni comme partenaire européen?.

        Le libéralisme, c’est d’abord la liberté de choisir et de décider, pas l’obligation de ne vivre et travailler que pour le fric!
        J’ai sûrement dû rêver, un jour, de gagner au loto, mais jamais d’être à la tête de Goldman Sachs!

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