Expertise journalistique et paradoxe du singe savant

Si l’internaute dispose de toutes les plateformes possibles pour promouvoir ses écrits, l’expertise devient une denrée aussi rare qu’appréciée.

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Expertise journalistique et paradoxe du singe savant

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 14 mars 2015
- A +

Par Daniel Girard.

monkeys dont write Shakespeare credits Tim (CC BY-NC-ND 2.0)
monkeys dont write Shakespeare credits Tim (CC BY-NC-ND 2.0)

 

En 1913, le mathématicien français Émile Borel concevait le théorème du singe savant. Émile Borel croyait qu’il suffisait d’obliger un million de singes à taper au hasard sur une machine à écrire dix heures par jour pendant un an pour obtenir un chef-d’œuvre littéraire. Comment ? En vertu des probabilités générées par la production d’un nombre astronomique de séances aléatoires.

Ce n’était pas vrai en 1913. C’est encore moins vrai cent ans plus tard. La différence, c’est qu’à l’époque, l’idée de doter un million de singes de machines à écrire paraissait saugrenue. En 2015 on compte les bipèdes dotés de clavier par centaines de millions. Le drame, c’est que la probabilité d’obtenir un chef-d’œuvre était meilleure en 1913 avec les singes dactylographes. En 2015, l’internaute est un fournisseur de contenu. Il dispose de toutes les plateformes pour faire mousser ses écrits, diffuser ses vidéos et réseauter. Mais la qualité se fait rare et le narcissisme abonde.

Séparer le bon grain de l’ivraie

Cela oblige ceux qui veulent satisfaire leur appétit de rigueur et d’expertise à plus de vigilance. Le citoyen doit séparer la graine de l’ivraie. Dans The Cult of the Amateur Andrew Keen avait prédit que la démocratisation des contenus allait se faire au détriment de l’expertise, de l’expérience et du talent. Cela se voit dans la multiplication des commentateurs peu informés qui jouent du coude avec les chroniqueurs aguerris ou prennent la place de journalistes de métier faisant de l’analyse sur le terrain.

Une tendance qui désole Alex S. Jones, directeur du Shorenstein Center de Harvard. Faire du commentaire coûte moins cher que le journalisme de terrain. C’est une question de coût. Et quand il y a moins de journalistes sur le terrain, on y perd en qualité d’information. Un journalisme de terrain solide donne aux chroniqueurs de la matière première pour peaufiner leur analyse.

Les as chroniqueurs survivent malgré l’ébullition du web

Malgré le déluge d’informations, les lecteurs continuent de récompenser de leur assiduité les chroniqueurs qui se démarquent par la robustesse de leur analyse. En Amérique, Maureen Dowd du New York Times et Peggy Noonan du Wall Street Journal continuent d’épater leurs lecteurs. En France, on aimera probablement lire, entre autres, Guy Sorman dans Contrepoints et Ivan Rioufol dans Le Figaro. Au Québec, le sociologue Mathieu Bock-Côté manie la plume et les concepts avec élégance.

On appréciera aussi, qu’un chroniqueur déploie parfois tout son arsenal analytique pour remettre à sa place un politicien qui a déraillé. C’est ce qu’a fait, en janvier, François Kersaudy, du Point, quand il a rabroué Manuel Valls pour avoir utilisé le mot apartheid pour décrire la situation des immigrés dans les banlieues françaises. François Kersaudy se souvenait très bien d’avoir croisé Manuel Valls en cours d’histoire à l’université de Paris-I où il était question de l’apartheid sud-africain. Le chroniqueur disait douter que Manuel Valls ignorait que l’apartheid était un système de ségrégation raciale très hermétique qui n’avait rien à voir avec les banlieues françaises où règne la liberté de circulation. Il était clair, pour François Kersaudy, que Manuel Valls avait choisi, par son allusion, de faire primer la communication politique sur la réalité historique.

Pour l’instant donc, même si des millions d’experts en herbe continuent de s’agiter sur leur clavier, il reste encore bien des chroniqueurs et des analystes chevronnés à l’affût pour prendre en défaut les politiciens qui tentent de flouer leur population.

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  • « on aimera probablement lire, entre autres, Guy Sorman dans Contrepoints » perso ,j’aurais plutôt dit H16 (qui est tjs très drôle) que Guy Sorman car sans vouloir être méchant, les articles de Guy Sorman sont loin d’être les meilleurs. certes, il a écrit des bons articles mais il a aussi écrit bcp de mauvais articles. de plus, si vous lisez ces articles, vous pouvez constater qu’il n’est pas rare que la grande majorité des commentateurs s’opposent à Sorman. alors que la plupart des gens ont l’air de bcp appriécier les articles de h16.

  • Pour chaque clavier, il y a un écran. Et même s’il reste un lectorat doté de discernement, il est de plus en plus noyé parmi les millions de macaques uniquement préoccupés de se faire caresser dans le sens du poil. Certes, il est réconfortant de voir que les bons journalistes gardent un lectorat. Mais il est bien déprimant de voir que ce lectorat est de plus en plus marginalisé dans la société. Quel effet Kersaudy a-t-il eu sur la cote de popularité de Valls ?

  • Valls deant une machine à écrire, je demande à voir !

  • Quand vous êtes vraiment expert dans votre domaine, vous ne perdez pas votre temps à expliquer aux autres, vous faites…. sauf quand un blaireau de politicien viens mettre ses gros doigts dans vos affaires, là vous essayez d’expliquer et au bout d’un moment vous partez…
    A la fin de mes études, il y avait ceux qui ont fait prof pour aider les autres (ne pouvant s’aider eux même) et ceux qui ont compris comment ça marchais et qui ont quitter le pays pour faire leur vie… Et ça n’est pas un jugement de valeur, j’apprécie beaucoup d’avoir un manager qui blablate bien ça m’évite d’avoir à gérer les clients pénibles qui ne comprennent rien car penser par eux même leur fait peur, mais ont besoins de recette pour donner l’impression (à eux même) qu’ils maîtrisent le sujet… Ces clients ont par ailleurs d’autres qualités, sinon ils ne serai pas à leur poste, on est juste trop différents pour travailler directement ensemble et j’utilise des « manager » pour faire tampon…. Tous l’art est de tirer partis au mieux des qualités de chacun pour avoir la meilleur équipe, d’où le principe de base, tous égaux, face à la loi car c’est le seul moyen de pouvoir mettre en évidence nos différences et en tirer partis… Tous ça pour dire que quand vous chercher les experte, vous n’avez rien compris, il n’y a pas un expert, mais tout un ensemble d’expertises et c’est la capacité à partager librement l’expertise de chacun qui nous permet de comprendre et de nous enrichir.. Votre expert, c’est le mythe du sauveur à droite, tout comme à gauche il y a le mythe de la pensée collective… la réalité est plus subtile…

    • Oui, c’est une réalité dont il faut avoir conscience : les vrais experts ne sont pas ceux qui font des synthèses ou qui communiquent. On a besoin de personnes pour faire l’interface, mais il faut se méfier de leur prétendue expertise. En particulier quand il n’y a aucun aspect contractuel dans la fourniture d’information, car ceux qui savent vraiment n’ont aucun pouvoir et aucun intérêt à corriger les à-peu-près ou les erreurs. (Dans une relation commerciale, c’est – un peu – différent car quelqu’un doit toujours payer les pots cassés au final)

  • C’est une question qui m’ traversé l’esprit de savoir si des journalistes de terrain ne sont pas démotivés la qualité n’étant pas forcément récompensée dans ce métier
    Ici des commentateurs sont une espèce de reporters de terrain ou de bureau apportant leurs savoirs , leurs vécus , leur déraillement par exemple lorsque je lis une critique totalement négative de l’ hopital publique j’ y oppose un démenti parce que mon expérience récente d’ opéré est totalement contraire

  • Borel avait raison à l’époque, et il a encore raison (il l’aura toujours, d’ailleurs).

    Vos prolégomènes sont la réfutation de votre propre argumentaire : l’incompétent muni d’un clavier raconte des bêtises, même et surtout s’il est « oint du seigneur » et journaliste (M. Sorman est loin d’être le meilleur intervenant ici). Ne comprenant rien aux mathématiques (ou n’importe quel autre domaine, internet, économie, etc.) il s’exprime quand même, non parce qu’il a un clavier mais parce qu’il est « journaliste ».

    Heureusement d’autres ont aussi des claviers, de Perelman à Villani, de Connes à Fama ou Engle ou d’autres encore, de plus en plus nombreux.

    Bref, heureusement qu’il y a internet, et hélas cet internet est encore parfois souillé par des « journalistes » qui se croient supérieurs mais ne font qu’inonder d’erreurs ceux qui savent encore moins qu’eux.

  • Si calculer la probabilité de pondre telle oeuvre au hasard est presque triviale…
    calculer le nombre de chef d’oeuvre ou plus simplement le nombre de textes faisant sens avec un nombre donné de caractère doit être coton.
    ceci étant dit tout article mettant en scène des singes a , par principe, mon entière approbation.
    J’approuve donc cet article. Je ne suis pas certain que ça ait un sens d’approuver un article, ça veut dire quoi?
    j’approuve le contenu de l’article? le fait qu’il ait été écrit?
    On manque de singes en général en France métropolitaine.
    Je suis un expert en commentaire à la noix.
    1 million de singes…1 singe et je suis déjà content alors un million…

  • Justement le problème c’est que des vrais journalistes c’est rare dans les médias de masse. La plupart sont narcissique et mélangent opinion avec mensonge par omission (parce que demi-vérité c’est ça).

    Souvent il faut 15 minutes de recherche pour détruire un article de journaliste, lorsque c’est le cas il est clair qu’on n’a pas une qualité supérieure à ce qu’on trouve chez les amateurs.

    On ne parlera même pas du fait qu’ils soient souvent liés à la politique ou qu’ils sortent n’importe quoi sans vérifier juste pour profiter des hypes du moment.

  • Les commentaires sont fermés.

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