Affaire Sheldon Silver : la mine d’or des avocats plaidants américains

L’affaire Silver rappelle que si l’Amérique n’a pas encore souffert de bureaucratie galopante, elle a cependant son propre virus.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Affaire Sheldon Silver : la mine d’or des avocats plaidants américains

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 16 février 2015
- A +

Par Bernard Zimmern

Sheldon Silver - Credit Azi Paybarah  (CC BY-NC-ND 2.0)
Sheldon Silver – Credit Azi Paybarah (CC BY-NC-ND 2.0)

 

Une affaire vient de secouer les milieux politiques de l’État de New-York, l’inculpation d’un avocat connu, Shelly Silver, par ailleurs « speaker » à la Chambre basse de cet État et un pilier du parti démocrate. Il est accusé par l’avocat général de l’État d’avoir pendant plus de dix ans utilisé les fonds de l’État pour financer un centre médical qui, en retour, lui envoyait des noms de patients atteints d’une maladie des poumons, le mésothéliome, que le cabinet Weitz et Luxemberg utilisait ensuite pour des actions de groupe. Les montants cités par la plainte pénale ne sont pas insignifiants puisque les sommes versées par cette firme à M. Silver, en dehors de son salaire, seraient de plusieurs millions de dollars. Et la firme d’avocats, très connue pour ses procès amiante, dont elle tirerait 60% de ses revenus, aurait gagné, dans les quatre dernières années, 273 des 313 millions de dollars de pénalités infligées aux entreprises dans ces procès, dans le seul État de New-York.

Plus de cinquante ans après la découverte de cette mine d’or par les avocats américains (par avocat, nous entendrons ci-après essentiellement les avocats plaidant à la barre, les « tort lawyers »), il semble donc que la mine d’or ne soit pas épuisée. Elle avait débuté au début des années 1980 avec le dépôt de bilan d’une grande firme de matériaux de construction, Johns-Manville, qui figura longtemps dans l’indice industriel Dow.

On retrouve ici une des plaies des États-Unis, qui a été dénoncée avec quelques succès, notamment par un think tank de New-York, le Manhattan Institute. Dans un rapport de 2008, il expliquait que si le nombre de cas de mésothéliome restait à peu près constant, autour de 4.000 par an, le nombre de nouveaux plaignants avait atteint annuellement 100.000. Si au départ, il s’agissait bien de dommages accordés à des victimes de l’amiante, c’était devenu un énorme business pour les avocats, avec un marketing sophistiqué pour trouver des plaignants, monter des procès de groupe, multiplier les rapports médicaux sans grands fondements et submerger les cours et les accusés pour les acculer à des accords qui enrichissaient surtout les avocats. Le Manhattan indiquait ainsi que, déjà en 2008, les versements effectués par les accusés depuis le début de ces actions dans les années 1980, dépassaient les 70 milliards de dollars dont 40 rentraient dans la poche des cabinets d’avocats. Ces procès avaient abouti à la mise en faillite d’environ 80 sociétés dont Johns-Manville était le premier prototype.

C’est l’un des paradoxes des États-Unis que les avocats aient pu produire l’une des constitutions considérée comme modèle, la Constitution des États-Unis, votée en 1787 à Philadelphie par un parlement qui regroupait 57 représentants des 12 États existant à l’époque, représentants dont plus de la moitié étaient juristes. Mais c’est aussi l’une des misères de ce pays, car les mines d’or ne se sont pas limitées à l’amiante, mais se sont étendues aux cigarettes, à l’eau (souvenez-vous de l’affaire Erin Brockovich, popularisée par un film avec Julia Roberts) au point qu’à une certaine époque, presque toutes les entreprises fabriquant des pièces pour l’aviation avaient quitté le pays, notamment pour aller au Canada.

Le système juridique américain favorise en effet les avocats, d‘abord en permettant la publicité, ensuite par des procédures qui ne seraient pas admissibles dans la plupart des juridictions européennes. Ce n’est pas tant la procédure dite de « discovery » où les parties sont obligées, au début d’une action judiciaire, de délivrer toutes les pièces existantes, même les plus compromettantes pour elles, sous peine d’être condamnées si le procès révèle qu’elles ont caché des éléments importants. Cette « discovery » se révèle généralement féconde pour la découverte de la vérité. Mais elle est polluée par une autre pratique obligeant le juge à prendre en compte toutes les pièces produites, y compris des pièces créées après le début du procès, mais a priori inadmissibles pour un œil européen, comme la déposition d’une femme en faveur de son époux, ou de salariés en faveur de la firme qui les emploie. La démonstration que ces témoignages sont biaisés, voire souvent des faux, représente à elle seule plus de 90% des frais d’un procès à l’américaine.

L’affaire Silver rappelle ainsi que si l’Amérique n’a pas encore souffert de bureaucratie galopante comme la France, elle a cependant son propre virus, et que celui-ci est très vivace.


Sur le web.

Voir les commentaires (4)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (4)
  • Le système judiciaire américain favorise en outre le caractère prédateur des grosses société étasuniennes, comme le montrent les affaires de la BNP et d’Alstom/ GE… et ce n’est pas fini !

  • Le système judiciare américain est une monstruosité …Corruption , démagogie et abus en tous genres…Je parles meme pas de la justice criminelle qui est une honte…Les pères fondateurs doivent se retourner dans leur tombes…

  • J’étais tombé sur une étude de al Duke University qui affirmait que le système légale américain coutait au pays en moyenne 1,8% du PIB chaque année … Voilà la taille de la fraude. Il faut comprendre qu’en France les technocrates sont les fonctionnaires, ils tiennent l’état et l’assemblée ils font les lois et pillent le pays. AUx Etats Unis, ce sont les avocats. Ils possèdent l’état, le parlement et le système judiciaire. Ils votent donc les lois pour leur enrichissement personnel. Là ou en France le pillage passe par l’état (ce sont des fonctionnaires), aux Etats Unis, cela passe par le privé et le vote systématiques de lois qui permettent aux avocats de se saisir de tout. Par bien des aspects le système légal américain est une poubelle. Par exemple il n’existe aucun système de responsabilité. Par exemple, vous attaquez n’importe qui pour n’importe quoi et même si vous perdez, il n’y a pas de dommages et intérêts sauf si dans un deuxième temps on vous attaque pour cela. C’est assez pratique pour permettre aux avocats de développer leur business en toute impunité.
    Nous vivons une époque ou les technocrates irresponsables se sont saisis des leviers de l’état t partout ils utilisent la loi pour piller les pays à leurs intérêts exclusifs. Les Etats Unis sont un système qui est je pense à bien des égards n’a rien à envier au pillage des énarques français.
    La loi et son usage est au coeur du problème partout.

  • Les États-Unis ont probablement le pire système de santé qui soit parmi les pays développés. le budget de santé total est à 17% du PIB pour les USA . l’État américain a dépensé en 2009 en moyenne 3700$ par habitant. ce système de santé en plus ce système coute très cher et c’est en grande partie à cause des avocats. faire un procès pour pomper de l’argent à son médecin est un sport national. cette petite étude de 96 dont les résultats sont là http://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed/8678157 explique le problème. SUr trois ans d’étude sur un seul campus medical du Michigan de 92 à 94, entre 28% et 35% du Chiffre d’affaire a été payé en dommages et intérêts. Pour comprendre le pillage des avocats, seul 12% de ces sommes là ont été versés aux plaignants …
    Ces chiffres sont vieux et aujourd’hui encore le pillage organisé par les Avocats sur la médecine mais aussi et surtout toute l’économie US s’est encore accéléré. EN ce qui concerne la médecine. A ce surcout énorme, il y a une pratique qui s’est développée qui s’appelle la « defensive medecine ». C’est à dire que pour limiter la ruine que les avocats font peser sur la tête des médecins, ceux ci multiplient les actes inutiles et donc fait exploser le coût pour le client final. Ce que Bastiat dans la vitre cassée disait « ce qui ne se voit pas ».
    Pour faire simple. EN france vous allez voir le médecin car vous avez mal à la tête. Il va vous renvoyer chez vous avec de l’aspirine et si ça ne passe pas, on fera des études supplémentaires … Dans 99% des cas, ça s’arrête la. Aux Etats Unis, si par malheur vous faites partie du 1% des cas, le médecin sera ruiné. DOnc il va vous prescrire pour 5000 dollars d’études diverses et variées à titre préventif. Bien entendu, c’est aussi son intérêt puisqu’au final il aura gagné plus d’argent sur votre dos dans 99% des cas !!!

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

Ce vendredi 2 février, les États membres ont unanimement approuvé le AI Act ou Loi sur l’IA, après une procédure longue et mouvementée. En tant que tout premier cadre législatif international et contraignant sur l’IA, le texte fait beaucoup parler de lui.

La commercialisation de l’IA générative a apporté son lot d’inquiétudes, notamment en matière d’atteintes aux droits fondamentaux.

Ainsi, une course à la règlementation de l’IA, dont l’issue pourrait réajuster certains rapports de force, fait rage. Parfois critiquée pour son ap... Poursuivre la lecture

Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

La campagne de Joe Biden ne se déroule pas bien. Bien qu’il semble se diriger vers la nomination de son parti, sa cote de popularité ne cesse de chuter, laissant croire que Donald Trump le vaincra s'il obtient la nomination. Son bilan économique mitigé ne sera pas la seule raison pour laquelle plusieurs de ses électeurs en 2020 s’abstiendront ou changeront de camp.

En effet, le récent rapport d’un procureur spécial affirme que Biden a bel et bien été négligent avec des documents confidentiels qu’il a conservés secrètement. Et à l’insta... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles