Le paradoxe du don

Souvent, nous n’agissons de façon généreuse que dans le seul but de ne pas avoir honte de nous.

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Le paradoxe du don

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 7 février 2015
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Par Alain Goetzmann

Solidarité - Main dans la main - Public Domain
Solidarité – Main dans la main – Public Domain

 

 

Seth Godin, gourou américain du marketing digital a récemment relevé dans son blog une question que pose à ses étudiants Peter Singer, philosophe australien contemporain : « Imaginez que votre chemin vers l’université passe par un étang peu profond. Un matin, vous découvrez qu’un enfant y est tombé et vous semble en train se noyer. Il est assez facile d’aller le récupérer mais cela signifie que vous vous mouillerez et maculerez de boue tous vos habits. De surcroît, le temps que vous le sortiez, que vous rentriez vous changer et que vous reveniez, vous aurez raté le premier cours du matin ».

À la question : avez-vous une quelconque obligation de sauver cet enfant, la réponse : oui, à l’unanimité. L’importance de sauver l’enfant dépasse, de très loin, l’inconvénient d’avoir des vêtements sales et d’avoir raté un cours. Aux yeux des étudiants, cela ne pourrait, en aucun cas, constituer une excuse valable pour ne pas l’avoir secouru.

Question subsidiaire : cela ferait-il une différence si, autour de cet étang, il y avait d’autres personnes, elles aussi susceptibles de secourir l’enfant en train de se noyer mais qui resteraient toutes indifférentes ?

La réponse des étudiants est : en aucun cas. Ce n’est pas parce que d’autres ne font pas leur devoir qu’ils devraient y renoncer eux aussi.

Le paradoxe, du point de vue du professeur Singer, vient du fait que, si sauver un enfant au prix de la destruction d’une paire de chaussures de 20 $ apparait comme un impératif moral, nous vivons, en réalité, cet impératif tous les jours car, avec 20 $ envoyés par Paypal n’importe où dans le monde, on peut sauver un enfant.

Quelle est la différence ? Dans ce dernier cas, c’est un enfant et, sans les 20 $, il mourra, mais il est loin et on ne le voit pas.

Le marketing nous permet de comprendre la différence. Elle repose sur deux ressentis :

1. Ici et maintenant

Le premier enfant est en train de mourir en face de moi, maintenant. La honte que je ressentirais à passer mon chemin est donc palpable. Souvent, nous n’agissons de façon généreuse ou héroïque que dans le seul but de ne pas avoir honte de nous. Ce phénomène se produit régulièrement. Notre réaction face à une interpellation publique, par exemple, est toujours contrôlée car c’est ici et maintenant.

2. La reconnaissance

Même si on ne sort pas quelqu’un d’un étang avec, à l’esprit, l’espoir d’en être remercié, il n’en reste pas moins qu’on attend, ensuite, ces remerciements : de l’enfant sauvé, de sa famille et de sa communauté alentour. Imaginez qu’une fois l’enfant sauvé, il s’en aille sans exprimer sa gratitude. Quelle serait votre frustration ?

Voilà donc ce dont souffre toute grande cause qui n’est pas directement sur votre chemin. Elle tente de résoudre des problèmes lointains. Elle fait quelque chose qui n’est ni ici ni maintenant. Et la plupart du temps, sans exprimer de gratitude et sans faire de vous un héros.

On peut regretter qu’il en soit ainsi mais il faut prendre ces observations comme des faits. Les grands sentiments, comme les moins grands, ont souvent sous-jacente l’idée qu’on se fait de soi-même et la gratitude dont on pourra bénéficier.


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  • L’auteur prend son cas pour une généralité pour ce qui est de la compréhension du comportement.

  • on devrait interdire aux philosophes de philosopher , ce monsieur oublie l’instinct , la plus part des actes dit de bravoure sont fait inconsciemment et sans y réfléchir une seconde ..et c’est a cela qu’on les reconnait , tous les autres ne sont que calculs et intérêts !

    • Mon professeur d’économie politique en 1ère année à Assas, Henri Guitton (frère de Jean), commençait son cours par ces mots, à jamais gravés dans ma mémoire: « Hormis l’acte divin, il n’y a pas d’acte gratuit ».
      Il faisait du libéralisme comme Monsieur Jourdain faisait de la prose.

  • Il n’y a pas de paradoxe. Ou le paradoxe est apparent car on oublie la prise en compte dans la décision de l’individu du cadre social. N’oublions pas qu’il existe une loi qui impose l’assistance directe à personne en danger mais pas pour l’aide à distance.

    Mais si l’auteur avait parlé de loi plutôt que de honte, son article deviendrait bien peu libéral…

  • Quand un étudiant répond à une question, il n’agit pas, il se contente de donner une image de lui-même. Même avec les meilleures prédispositions du monde, nul ne peut dire avec certitude ce qu’il ferait dans une situation réelle, où les choses sont loin d’être aussi simples et idéalisées que dans les questions du professeur. En revanche, si vous allez sur des sites comme kiva.org, vous verrez les portraits de millions de gens discrets, dont beaucoup d’ailleurs ne mettent qu’un dessin ou la photo de leur chat pour les identifier, et qui tous les jours sauvent pour 25 E des enfants dans le monde, donnent à leur parents les moyens de développer une boutique, à leur directrice d’école ceux de construire des toilettes fermées si bien que les filles continueront à venir à la puberté, etc. Vous vous êtes laissé prendre à votre propre piège : il y a énormément de donneurs qui ne le font que pour être en accord avec leurs idées et leur volonté, mais, et c’est bien normal, vous n’entendez parler que des autres !

  • J’ai simplement envie de répondre à Alain : « et alors » ?

    Où est le problème si je sauve cet enfant pour ne pas avoir honte de ne pas l’avoir fait ? Ces questions ont déjà été longuement traitées notamment à partir de l’exemple des Justes (ceux qui ont sauvé des Juifs pendant la guerre). L’explication à leurs gestes est le plus souvent qu’il n’y en a pas, qu’ils ont agi ainsi parce que faire autrement n’était pas envisageable, que toute leur culture, toute leur éducation leur disait de le faire. Certains ont dit en effet que c’était pour pouvoir se regarder en face dans la glace ensuite. Leur générosité en était-elle moins grande ? Je ne pense pas que cette question est un sens.

    Non, ce que nous explique Alain, c’est les ressorts des campagnes de marketing pour nous faire donner pour des actions caritatives qui ne s’exercent pas ici et maintenant. Mais dans quelle mesure la répétition ad nauseam de ces techniques ne produit elle pas l’effet inverse à celui recherché ?

  • Beau sujet…extrêmement vaste et il est un peu réducteur.
    Cette analyse est assez réductrice et ne se base que sur des éléments psychologiques qui sont, par ailleurs et d’une manière générale exacts pour une partie des gens qui ne se basent que sur leurs affects et leur inconscient.
    Il y a bien d’autres facteurs à prendre en considération. On part ici d’une situation d’urgence dans l’instant face à une seule personne et encore, un enfant plutôt démuni devant le danger et les minutes qui passent sont de la plus grande importance pour sa survie . Pour ensuite passer à une aide qui n’a pas le même degré d’urgence, qui s’adresse à des enfants ou des adultes (les destinataires sont aussi multiples) et ensuite et l’aide à distance de plusieurs milliers de kilomètres s’octroie en argent! En argent! L’aide en argent va-t-elle directement profiter à l’enfant ou aux organismes intermédiaires? Et si c’est un adulte, pareil, mais l’adulte n’a-t-il pas ses propres capacités à résoudre son problème?
    ………..On pourrait développer tout cela à souhait et en faire un bon bouquin très intéressant et complet…….
    Pas étonnant que les commentaires soient réactifs!

  • Tout ça est un vrai, qu’il s’agisse d’attitude engrammée par la civilisation ou d’acte d’instinct retenu par la sélection naturelle, tant que l’espèce humaine représentée par l’enfant est en danger. Or, avec 10 milliards et + d’humains la civilisation développera le sentiment de n’être plus en danger, comme ESPÈCE.

  • Je vais témoigner:

    Aujourd’hui j’étais dans les champs avec mon vélo (TT), alors que j’attaquais une petite route en terre, un vieux gisait au sol (vivant encore). Là, je le regarde (heureusement je montais…).

    Je me demande alors: est-ce que le laisse là, je n’ai rien vu….style !

    Il avait l’air grand, gros et lourd comme un mort. (Surement un paysan usé par les ans)

    Je vois sa femme qui court au loin en recherche d’aide.

    Bon, ni une ni deux, je saute de mon vélo et je demande (l’air con…)
    Vous avez besoin d’aide ?

    (Bah, non, je nage ??)

    Bref, je relève avec peine ce vieux qui me remercie et retombe aussi sec (le con…)

    Là, la mamie affolée revient et m’aide cette fois pour assoir son vieux sur une chaise.

    Ouf ! J’ai finalement raccompagné le papy avec l’aide de sa femme jusqu’à leur porte de maison.

    Et si….je n’avais pas été libéral. J’aurais certainement essayé de négocier l’aide d’un autre, pour finir tranquillou mon tour de vélo sans me péter le dos pour un vieux lourd comme un mort.

    Bref ! J’étais heureux de moi, même si, bien entendu, un petit billet aurait été un plus 🙂
    Non, je déconne.

  • Je ne suis pas totalement d’accord car 20$ ne permet pas de « sauver la vie d’un enfant ». Il permet au mieux de le nourrir pendant 2 semaines (dans un pays pauvre) et moins d’une semaine dans un pays riche. Alors que l’enfant qui se noie est sauvé pour de bon.

  • La morale chrétienne enjoint à aimer son prochain comme soi-même.
    Le prochain est celui avec qui nous pouvons éprouver de l’empathie, parce que nous en sommes suffisamment proche.
    Quelle que soit la compréhension qu’on a du phénomène de l’empathie, il consiste à partager les sentiments de l’autre personne, par exemple le plaisir de recevoir.
    Pourquoi chercher midi à 14h ?

  • Les commentaires sont fermés.

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