Charlie Hebdo : en prison pour avoir dit : « Ils ont eu raison de faire ça »

La loi contre les propos cautionnant le terrorisme condamne les auteurs de remarques irréfléchies à des peines de prison.

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Dieudonné (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

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Charlie Hebdo : en prison pour avoir dit : « Ils ont eu raison de faire ça »

Publié le 25 janvier 2015
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Par Jacob Sullum, depuis les États-Unis.

Dieudonné (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)The New York Times indique que les autorités françaises mènent une enquête concernant « près de 100 personnes » (y compris le comédien Dieudonné M’bala M’bala, arrêté mercredi dernier) pour avoir « posté ou fait des commentaires appuyant ou cherchant à justifier le terrorisme ».

Oui, en France, c’est un délit de « tolérer publiquement le terrorisme» et peut mener à cinq ans de prison et 75000 euros d’amende.

Si ces propos sont tenus en ligne, la peine maximum s’élève à sept ans de prison et 100 000 euros d’amende. Les discours pro-terrorisme ont été criminalisés en novembre, mais la loi n’a été mise en application qu’après les attaques contre Charlie Hebdo et le magasin kasher à Paris il y a deux semaines.

Excuser le terrorisme est différent d’inciter au terrorisme, qui implique d’encourager directement des personnes à commettre des actes de violence.

Tout ceci est nécessaire pour être jugé coupable de ce nouveau délit consistant à parler du terrorisme sur un ton approbateur.

Dieudonné par exemple a écrit sur son profil Facebook après les attaques : « Je me sens Charlie Coulibaly ». Il devra passer devant la cour le mois prochain, et on peut supposer que la seule question posée sera de savoir s’il approuvait les actes terroristes lorsqu’il a combiné le titre du journal attaqué avec celui de l’homme qui a tué quatre personnes dans le magasin.

Les autres cas sont moins ambigus. Le Times relate qu’un homme de 28 ans d’origine franco-tunisienne aurait été condamné à six mois de prison pour avoir crié alors qu’il passait devant un poste de police à Bourgouin-Jallieu :

« Ils ont tué Charlie et moi j’ai bien ri. Avant ils ont tué Ben Laden, Saddam Hussein, Mohamed Merah et d’autres frères. Si je n’avais pas mes parents, j’irais m’entraîner en Syrie. »

Le Times note également :

« Un homme âgé de 34 ans, ivre et ayant percuté une voiture samedi dernier, blessé un autre conducteur et fait l’éloge des actions des tireurs lorsqu’il était en détention, aurait été condamné à 4 ans de prison. »

Selon Le Monde, le conducteur ivre aurait déclaré :

« Il devrait y en avoir plus des Kouachi. J’espère que vous serez les prochains […] Vous êtes du pain bénit pour les terroristes. »

Il n’est pas précisé combien d’années d’incarcération sont infligées aux auteurs de ces propos tenus par opposition à la conduite en état d’ivresse.

Le journal indique également :

« L’apologie du terrorisme n’était toutefois qu’une circonstance aggravante : il avait refusé de se soumettre à l’alcootest, était en récidive, et l’accident a causé des blessures involontaires. »

L’article, qui recensait près de 69 enquêtes criminelles impliquant des propos cautionnant le terrorisme depuis mercredi, relève également un cas où un homme aurait été condamné à une peine d’un an de prison pour avoir lancé :

« Je suis fier d’être musulman, je n’aime pas Charlie, ils ont eu raison de faire ça. »

Un homme de 21 ans aurait écopé de 10 mois pour avoir déclaré dans une gare ferroviaire :

« Les frères Kouachi ne sont que le début. Je devrais me joindre à eux pour en tuer plus. »

Le fait que plusieurs personnes aient déjà été condamnées pour leurs déclarations tenues la semaine dernière démontre la détermination des autorités françaises à écraser les propos de soutien au terrorisme en frappant un grand coup.

Le Times remarque :

« Le système judiciaire a particulièrement accéléré ses procédures, passant des accusations au jugement, au jugement à l’emprisonnement en moins de trois jours. »

Mercredi, le ministère de la Justice poussait les procureurs à traiter les « mots et actes à caractère haineux avec la plus grande vigueur. »

 

Les poursuites judiciaires de ce type ne passeraient jamais l’assemblée constitutionnelle aux États-Unis.

Lors de l’affaire Brandenberg contre Ohio en 1969, qui impliquait un des membres leader du Ku Klux Klan faisant l’apologie du terrorisme, la Cour suprême a déclaré que de tels discours pouvaient être punissables uniquement dans le cadre « d’incitations directes à des actions allant à l’encontre de la loi » et pouvant être considérées comme telles. « Ils ont eu raison de faire ça » et « Je suis Charlie Coulibaly » n’entrent clairement pas dans cette catégorie.

L’interdiction de cautionner le terrorisme n’est qu’une seule parmi les nombreuses restrictions d’expression en France qui n’auraient pu être possible aux États-Unis.

Par exemple, c’est également un délit en France :

  • d’insulter ou diffamer des personnes sur la base de la race, la religion, l’ethnicité, l’origine nationale, le genre, l’orientation sexuelle, ou le handicap
  • d’inciter à la haine, la discrimination, ou encore la violence sur ces mêmes critères
  • de nier l’Holocauste, ou prendre la défense de crimes de guerre
  • d’insulter les chefs d’État

 

Comme l’expliquait Le Monde :

« La liberté d’expression est un principe absolu en France mais qui peut être encadré par la loi. »

Et la loi inclue l’éventualité d’une incarcération.

Et donc, lorsque le gouvernement français déclare, comme il l’a fait après le massacre de Charlie Hebdo que « la liberté artistique et la liberté d’expression demeurent solidement ancrées au cœur de nos valeurs européennes communes », cela ne signifie pas que l’on ne sera pas envoyé en prison si l’on dit quelque chose considéré comme offensant.

Les nombreuses exceptions à la liberté d’expression en France donnent du poids aux critiques contre l’État, prompt à arrêter les musulmans soupçonnés de cautionner le terrorisme (ou qui feraient des blagues antisémites) alors qu’il donne son blanc-seing pour les caricatures de Mahomet de Charlie Hebdo qui offensent les musulmans.

Alexander Stille tente d’expliquer ce deux poids deux mesures apparent dans un article paru dernièrement dans le New Yorker :

« On peut ridiculiser le prophète, mais on ne peut inciter à la haine envers ses fidèles. »

C’est pour cette raison que les tentatives légales contre les caricatures de Mahomet ont toujours été rejetées, indique Stille, alors que Brigitte Bardot a été condamnée pour avoir déclaré, en faisant référence aux musulmans français,

« On en a assez d’être menés par le bout du nez par cette population qui détruit notre pays. »

Stille suggère également que cette distinction faite entre attaquer des idées et attaquer une population explique pourquoi le romancier Michel Houellebecq n’a pas été puni pour avoir qualifié l’Islam de « religion la plus stupide ».

Cette explication n’est pas très convaincante, puisqu’en France, c’est un délit, non seulement d’inciter à la haine, mais également d’insulter des individus ou des groupes sur la base de leur religion, ce qui peut être considéré comme une insulte est purement subjectif.

Les avis divergent parmi les juges, comme en témoigne l’exemple des caricatures du Jyllands-Posten, afin de savoir si cette image illustrant Mahomet portant un turban en forme de bombe devait être considérée comme une attaque envers les musulmans en général, ou uniquement envers les musulmans extrémistes. Le flou artistique s’éclaircit au fur et à mesure que l’on s’enfonce dans les profondeurs du raisonnement basé derrière ces décisions.

Stille estime :

« Ces types d’exceptions, restrictions sélectives, et autres ambiguïtés faisant partie des lois françaises sur la liberté d’expression ont laissé le pays vulnérable aux poids des favoritismes politiques […] La France devrait, soit élargir sa conception de la liberté d’expression – réfléchir à l’idée que la réponse à un discours négatif se trouve dans l’augmentation des échanges et discussions – soit mieux définir et clarifier ce qui est autorisé, et pourquoi. »

Cette dernière option semble superflue, parce qu’opérer une distinction entre offenses tolérables et intolérables est fondamentalement subjectif. Non content de violer la liberté d’expression, ces restrictions ébranlent l’État de droit car il devient extrêmement difficile de prévoir quels mots feront de vous un criminel.


Traduction par Virginie Ngô pour Contrepoints de « In France You Go to Jail for Saying ‘They Were Right to Do That’ », publié le 16.01.2015 par Reason.

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  • « Non content de violer la liberté d’expression, ces restrictions ébranlent l’État de droit car il devient extrêmement difficile de prévoir quels mots feront de vous un criminel. »
    Avec pour conséquence la désaffectation pour cette république d’une partie de la population, et la radicalisation d’une autre.

    • +1, c’est exactement ce que je pensais, avec ce genre de condamnations, on va droit dans le mur, et je trouve qu’en plus c’est très malsain de commencer à emprisonner des gens pour des propos qu’ils auraient tenus, pas que je cautionne ce qui pourrait être dit, mais voir des gens manifester soit disant pour la liberté d’expression d’un côté, et de l’autre des gens se faire condamner pour des propos tenus, ou même se faire arrêter pour de supposés propos (Dieudonné en tête), ça me donne envie de vomir, et petit à petit, on sent bien que notre « belle » démocratie tourne au vinaigre, et que la liberté d’expression ne seras plus.

      Petit à petit, l’échiquier de la pensée unique se met en place…

  • Allons, il n’est pas difficile de deviner quels mots feront de vous un criminel. Il faut reprocher à l’état de criminaliser ces mots, mais si vous n’êtes pas assez malins pour vous en méfier, comment pouvez-vous espérer ne pas être aussi trop bêtes pour vaincre un jour l’état ?

  •  » la putain de ta race  » ; c’est l’insulte que j’ai reçu de la part d’un magrhébin ;mais moi , je ferme ma gueule car j’ai l’impréssion que not gouvernement prend la défense des étrangers au détriment des français ;

    • De fait, la liberté d’expression n’existe plus en France et l’État – empêtré dans des problèmes qu’il est désormais totalement inapte à résoudre – en rajoute une couche à chaque mesure qu’il prend.

      • Une expression raciste très commune jadis quand j’étais à l’école… mais que veut-elle dire? Il faut distinguer propos publiques et privés. Pour du public, quelle sanction?

    • non, de « sa race »….

    • Qui vous dit que ce Maghrébin, n’était pas Français? il vous a montré sa carte d’identité ? Et vous, qu’est ce qui me prouve que, vous êtes une Française métropolitaine de souche ? Hors sujet, votre commentaire n’enlève pas le débat.

      • Il me semble que le maghrebin a prononcé le mot race, dixit Marie, à moins d’une erreur de ma part la nationalité francaise n’a rien à voir avec une notion de race. Donc il semblerait que la personne faisait référence à la race reelle ou supposée de Marie en opposition avec le sienne. De plus avez vous effectué ces tests tres amusants auprès de la population maghrebine, tel que leur demanderleur natinationalité, s’il devait choisir entre religion et carte d identite française ou defense du territoire français? Veuillez pardonner le debut factuel de mon propos, mais lus je lis vos posts et plus je suis sûr que le dieu des neurones ne s’ est pas penché sur votre berceau. La prochaine fois peut-etre?

        • « La putain de ta race »;( c’est l’insulte que j’ai reçu de la part d’un magrhébin; mais moi ,je ferme ma gueule car j’ai l’impression que not gouvernement prend la défense des étrangers au détriment des Français;)
          je vous laisse méditer de la pertinence de votre remarque, par rapport au commentaire de Marie.

  • « il devient extrêmement difficile de prévoir quels mots feront de vous un criminel »

    Il doit y avoir une matrice à 3 dimensions quelque part.

  • « Non content de violer la liberté d’expression, ces restrictions ébranlent l’État de droit car il devient extrêmement difficile de prévoir quels mots feront de vous un criminel. »

    Je viens de voir une avocate de la ligue des droits de l’homme expliquer que les gentil juges dans leur ame et conscience décide si un propos est condamnable selon :
    « le contexte, l’esprit des gens qui disent les propos et celui de ceux qui les reçoivent »
    En gros selon l’arbitraire. Depuis quand notre justice est elle devenue scelerate ?

    • « le contexte, l’esprit des gens qui disent les propos et celui de ceux qui les reçoivent »

      Hé bien voila, les 3 axes de ma matrice à 3 dimensions ! Il ne reste plus qu’à remplir les cases.

      • Le gars qui va en tôle pour « apologie du terrorisme » a les plus grandes chances de devenir un terroriste agissant quant il sortira de tôle!

    • Toi fais gaffe ! 😀

      Article 434-25
      Modifié par Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000 – art. 3 (V) JORF 22 septembre 2000 en vigueur le 1er janvier 2002
      Le fait de chercher à jeter le discrédit, publiquement par actes, paroles, écrits ou images de toute nature, sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance est puni de six mois d’emprisonnement et de 7 500 euros d’amende.

  • 10 mois pour ceci « Les frères Kouachi ne sont que le début. Je devrais me joindre à eux pour en tuer plus.  »

    Le mot « devrais » est un peu ambigu. Mais c’est une invitation claire au meurtre. Une amende et l’interdiction de prise de parole publique sur ce thème auraient suffit.

    Avant de mettre les gens en prison, ils faudrait déjà qu’on en construise… (au lieu d’engager des militaires à monter la garde devant les discothèques de province)

  • On ne peut par contre rien faire pour lutter efficacement contre le terrorisme. C’et tout du moins le sens de ce que vient de déclarer le Premier ministre, ancien ministre de l’Intérieur.
    On peut se demander quelle est l’utilité de ces deux fonctions.
    Il est, par contre, facile de mettre en prison un honnête citoyen pour les propos irréfléchis qu’il a tenus sous le coup de l’indignation ou de la colère. Est-ce le rôle dévolu maintenant à la police et à la justice ?
    Bientôt, un bulletin de vote pour un candidat déplaisant au pouvoir en place pourra être assimilé à une offense.
    À quand une nouvelle loi – une lettre de cachet – permettant l’application de ce nouveau délit en France, le pays des libertés ?

  • bankster, agriculteurs empoisonneurs, les écologistes et les révolutionnaires de gauches tiennent toujours des commentaires haineux…

  • Les commentaires sont fermés.

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