« Pensées en chemin » d’Axel Kahn

Un voyage dans la France d’aujourd’hui.

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« Pensées en chemin » d’Axel Kahn

Publié le 23 janvier 2015
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Par Francis Richard.

kahnLe terme de barbare a été utilisé au cours de l’histoire dans plusieurs acceptions : pour les Grecs, barbaros était celui dont le langage non-grec était incompréhensible ; pour les Romains, les peuples barbares étaient ceux qui vivaient en dehors des limites de l’Empire ; à l’époque moderne, le barbare est l’opposé du civilisé. Et de nos jours, par extension, un barbare est quelqu’un d’inhumain.
Comme la barbarie, dans le sens d’inhumanité, est de retour, si elle s’est jamais absentée, il est urgent, pour ne pas devenir barbare à son tour, de se retremper dans l’humanisme. Au-delà des divergences (qui ne se manifesteraient pas sans liberté de pensée et d’expression), la lecture du dernier livre d’Axel Kahn, Pensées en chemin – Ma France des Ardennes au Pays Basque, est susceptible d’y contribuer, tout en étant roborative.

En 2013, le généticien, le médecin, l’homme politique Axel Kahn, à soixante-huit ans, a déjà eu une vie bien remplie, mais il va pour la parachever accomplir, sans que ce soit le dernier, un projet vieux de vingt-cinq ans. À la fin des années 80, il lit un livre de Jacques Lacarrière paru en 1977, Chemin faisant, qui raconte le périple de l’auteur, de Saverne dans les Vosges jusqu’aux Corbières :

« Aussitôt lu le récit de Jacques Lacarrière, je fis le projet de traverser la France sur ses traces, en une grande diagonale que j’imaginai d’emblée nord-est/sud-ouest mais plus ample que la sienne. »

Quelles sont ses motivations ? Principalement la recherche de la beauté et le partage.

La beauté ?

« La qualité du beau n’a de signification qu’en référence à une espèce capable de l’éprouver, c’est-à-dire en première analyse, aux êtres humains. Est belle toute perception ou sensation susceptible de provoquer une émotion agréable sans lien direct avec une quelconque fonction d’utilité et sans qu’il soit nécessaire d’en fonder l’origine en raison. »

Le partage ? Résolu à marcher seul, il n’en veut pas moins partager son expérience, en différé en publiant un livre à l’issue du périple, mais également pendant celui-ci :

« Aussi avais-je pris la décision de susciter des rencontres au-delà de celles liées au hasard, de donner des conférences à certaines étapes et de permettre aux habitants intéressés à me rencontrer d’être informés de ma venue. »

Il va également utiliser les réseaux sociaux et nourrir son blog de textes – via une tablette – et de photos prises avec un smartphone de dernière génération.

Et le 8 mai 2013, c’est le grand départ, après s’être sérieusement préparé physiquement. Car il va parcourir au total deux mille kilomètres, à raison de trente kilomètres par jour, parfois bien davantage, de Givet dans les Ardennes à Saint Jean-de-Luz au Pays Basque (où il arrivera le 1er août 2013). Il part en dépit d’une fracture au poignet qu’il s’est faite l’avant-veille, renversé qu’il a été par un cycliste à Paris…

Ce livre n’est pas un récit de voyages comme un autre. Axel Kahn fait part au lecteur de « l’émotion et tout ce qui peut la susciter », notamment la beauté : « Cette dilatation de l’âme que l’on éprouve seul se partage pourtant, elle est don et quête qui requièrent un autre, ici ou ailleurs, prêt à recevoir ou à donner. »

Le marcheur solitaire n’est pas un pur esprit : « Il y a lui, « je », ses perceptions et ses souvenirs, ses pensées par conséquent et, en plus de tout ça, son corps, un incorrigible bavard ! ».

Il traverse des régions sinistrées, d’autres qui le sont moins, et se demande comment il est possible de considérer la mondialisation comme « heureuse » : « Pour un petit nombre de bénéficiaires en France, peut-être, mais pour la masse de citoyens ? »

Il sent bien que la mondialisation est inéluctable. Mais, si elle cause autant de dégâts en France, n’est-ce pas parce qu’on a refusé de la considérer comme une réalité depuis trop longtemps, et parce qu’on n’a pas cherché à s’adapter en fonction d’elle, comme dans bien d’autres pays? C’est une question qu’Axel Kahn ne se pose pas.

De même quand il se pose cette question : « Il faut travailler pour récolter, mais qui sera en mesure d’assurer que, dans ce cas, on pourra en effet moissonner, et que, peut-être, la moisson sera belle ? », il n’évoque à aucun moment la confiscation par l’État-providence d’une grande part des fruits de ceux qui travaillent. Cela n’est pas surprenant de la part de quelqu’un qui reconnaît que John Maynard Keynes est son « libéral préféré »…

Cela dit, il n’est pas loin de comprendre ce qui ne fonctionne pas, quand il parle, pour s’en sortir, de « possibilités dans l’innovation », quand il évoque « des mots-clés de valeur sans doute générale », telles que « diversification » ou « niveau de formation ». Mais tout cela n’est possible que si la liberté d’entreprendre n’est pas bridée comme elle l’est en France.

De constater que la situation est plus favorable dans les régions « qui n’ont jamais été massivement industrialisées » apporte un argument supplémentaire : les régions massivement industrialisées sont celles où l’État est intervenu en faveur d’industries devenues non rentables, avec l’argent de celles qui l’étaient encore, et n’a fait que retarder et accentuer par là-même le désastre, en masquant la nécessité de se reconvertir plus tôt.

Axel Kahn parle davantage au lecteur, me semble-t-il, avec des considérations intemporelles telles que celle-ci : « Ma grande angoisse ne touche pas tant à la vitesse qu’à l’utilisation qui en est faite pour soumettre les esprits à un flux continu de sollicitations, d’informations, d’alertes auxquelles il est important de réagir dans l’instant, de sorte qu’il n’y a plus de temps nécessaire au déploiement de la pensée. »

Mazarin ne disait-il pas : « Le temps défait toujours ce qui se fait sans lui » ?

De même le lecteur peut-il communier avec Axel Kahn lorsqu’il définit le patriotisme comme la reconnaissance consciente de chacun, quelle que soit sa patrie, du tribut qu’il lui doit pour avoir été « édifié au sein d’une culture inscrite dans une histoire » : « De plus, du fait de mon profond humanisme, il m’apparaît essentiel que chacun puisse offrir aux autres le témoignage des richesses multiples de la société qui l’a accueilli et dans laquelle il s’est construit. »

Comment ne pas être ému non plus par l’émotion que cet agnostique, qui n’est pas un « combattant de l’athéisme », ressent à Vézelay ? « Il émane de Vézelay un faisceau de signes, de symboles dont les sens, celui qu’ont voulu donner les bâtisseurs de la basilique et ceux qui naissent continuellement de la rencontre entre l’œuvre et l’esprit des visiteurs, ne peuvent qu’être perçus, non connus. »

Enfin, Axel Kahn, en observateur averti des êtres et des choses, sait les décrire avec beaucoup de sensibilité, de finesse et de style, ce qui est un véritable ravissement pour l’esprit. Il n’a donc pas trompé le lecteur quand il lui affirmait d’emblée que le sens profond de son périple était d’« inscrire dans le chemin d’une existence ce trajet particulier qui veut être une phrase poétique, c’est-à-dire un énoncé dont le but principal est de faire ressortir tout ce qui dans le monde peut engendrer une émotion esthétique ».


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  •  » Enfin, Axel Kahn, en observateur averti des êtres et des choses, sait les décrire avec beaucoup de sensibilité, de finesse et de style, ce qui est un véritable ravissement pour l’esprit.  »

    Sans doute, si vous le dites…
    Pour ma part, je me souviens de M.Axel Kahn en 2012 décrivant son effroi devant la manifestation de soutien au candidat N.Sarkozy place de la Concorde qui lui rappelait les rassemblements de Nüremberg.
    Comme quoi un observateur averti des êtres et des choses peut perdre le sens commun par sarkophobie ( la phobie est très tendance en ce moment )

  • Les commentaires sont fermés.

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