Pétrole au Kenya : bénédiction ou malédiction ?

Ces mannes « tombées du ciel » au Kenya, en Ouganda, en Tanzanie, au Ghana ou au Mozambique sont-elles une bénédiction ou une malédiction ?

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kenya credits Retlaw Snellac Photography (licence creative commons)

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Pétrole au Kenya : bénédiction ou malédiction ?

Publié le 31 décembre 2014
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Par Okwaro Oscar Platon.

kenya credits Retlaw Snellac Photography (licence creative commons)

Récemment, la compagnie « Tullow Oil » a fait deux nouvelles découvertes pétrolières dans le Nord du Kenya, renforçant ainsi les perspectives de transformer ce pays en un grand exportateur potentiel de pétrole en 2016. Ces découvertes parmi plusieurs d’autres, comme dans l’Ouest de l’Ouganda, la Tanzanie, le Ghana et le Mozambique, soulèvent des questions : ces mannes « tombées du ciel » sont-elles une bénédiction ou une malédiction ?

Les pays riches en pétrole, en moyenne, ont enregistré de mauvaises performances comparativement à ceux qui en sont privés, affichant ainsi de fortes inégalités contrairement aux attentes des populations. Il existe une importante littérature en économie et en sciences politiques qui expliquent la « malédiction des ressources ». Trois facteurs économiques bien connus expliquent cette malédiction dans les pays riches en ressources naturelles.

D’abord, ces pays ont tendance à avoir des monnaies fortes, qui pénalisent la compétitivité des autres exportations, sans parler du caractère intensif en capital de l’industrie extractive qui crée souvent peu d’emplois. Ensuite, la volatilité des prix des ressources naturelles provoque celle des revenus et in fine l’instabilité de la croissance économique. Cette instabilité est amplifiée par les banques internationales qui se précipitent pour offrir leurs services lorsque les prix des matières premières sont élevés et se désengagent lors des périodes de chute entretenant ainsi l’adage selon lequel les banquiers ne prêtent qu’à ceux qui n’ont pas besoin de leur argent. Enfin, les pays riches en ressources poursuivent rarement des stratégies de croissance durable. Ils ne parviennent même pas à prendre conscience que, s’ils n’affectent pas leurs mannes à des investissements productifs au-delà de l’industrie extractive, ils seront effectivement de plus en plus pauvres. Les dysfonctionnements politiques exacerbent le problème, puisque les conflits autour de l’accès aux rentes des ressources naturelles donnent lieu à des gouvernements corrompus et non démocratiques.

Il existe des antidotes connus à tous ces problèmes : un faible taux de change, un fonds de stabilisation, des investissement prudents des revenus issus des ressources, une interdiction des emprunts et la transparence. Mais il y a un consensus croissant sur le fait que ces mesures, bien que nécessaires, sont insuffisantes. Les pays nouvellement enrichis doivent prendre plusieurs mesures pour transformer la malédiction en bénédiction Ils doivent faire en sorte que les citoyens reçoivent la pleine valeur des ressources naturelles car il y a un conflit d’intérêts inévitable entre les sociétés exploitant ces ressources naturelles, dont la majorité sont généralement étrangères, et les pays d’accueil. Les premiers veulent réduire au minimum ce qu’ils paient tandis que les seconds doivent maximiser les revenus. Des appels d’offre, transparents, concurrentiels et bien conçus peuvent générer beaucoup plus de recettes que les contrats « de complaisance ». Les contrats devraient également être transparents, mais ils doivent veiller à ce que si les prix s’envolent comme ils l’ont fait à plusieurs reprises, le gain ne profite pas seulement à la compagnie.

Malheureusement, de nombreux pays ont signé de mauvais contrats qui donnent une part disproportionnée de la valeur des ressources à des compagnies privées étrangères. Mais il est toujours possible de renégocier et si cela s’avère improductif, se tourner vers la taxation du profit. Les pays ont fait cela partout. Bien sûr, les entreprises pétrolières refuseront en soulignant l’inviolabilité des contrats avec des menaces de quitter. Mais le résultat est généralement le contraire. Une renégociation équitable peut former une meilleure base pour une relation à long terme. Des contrats renégociés au Botswana ont permis une forte croissance lors des quatre dernières décennies. Par ailleurs, ce ne sont pas seulement les pays en voie de développement, tels que la Bolivie et le Venezuela, qui renégocient ; des pays développés comme Israël et l’Australie ont fait de même. Même les États-Unis ont imposé une taxe exceptionnelle sur les profits.

Un autre point important est que l’argent gagné provenant des ressources naturelles doit être utilisé pour promouvoir le développement. Les anciennes puissances coloniales voient l’Afrique comme un simple gisement d’extraction des ressources et certains des nouveaux qui arrivent sur le continent restent dans un état d’esprit similaire. L’infrastructure a été construite avec un seul objectif en tête : acheminer les ressources hors du continent noir avec les prix les plus bas possibles, mais sans aucun programme pour traiter ou transformer les ressources dans le pays, abandonné à lui-même pour développer des industries locales.

La véritable croissance exige d’explorer toutes les pistes possibles comme la formation des habitants locaux, le développement des petites et moyennes entreprises pour fournir des intrants à l’exploitation minière, la transformation locale, et l’intégration des ressources naturelles dans la structure économique du pays. Bien sûr, aujourd’hui, ces États peuvent ne pas avoir un avantage comparatif dans plusieurs de ces activités, et certains diront que les pays devraient s’en tenir à leurs avantages classiques. Dans cette perspective, l’avantage comparatif de ces pays est d’avoir d’autres pays pour exploiter leurs ressources. Ceci est fallacieux ! L’avantage comparatif dynamique qui peut être façonné et construit, est ce qui compte à long terme. Il y a quarante-cinq ans, la Corée du Sud avait un avantage comparatif dans la culture du riz. Si elle était restée concentrée sur cet avantage, elle ne serait jamais devenu le tigre industriel qu’elle est aujourd’hui. Elle serait peut-être le plus gros producteur de riz mais elle serait restée pauvre.

Les compagnies pétrolières vont demander au Kenya d’agir rapidement, mais il y a une bonne raison de bouger lentement. Ces ressources sont infinies, et les prix des produits de base ont augmenté. En attendant, mettons en place des institutions et des politiques fiables afin de garantir que la richesse générée puisse profiter aux membres les plus vulnérables de la société et au grand public. Mais jusqu’à ce que cela devienne une réalité l’or noir de l’Afrique restera une malédiction.


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  • c’est une bénédiction pour les dirigeants de ces pays mais qui se transforme en malédiction pour les populations les plus pauvres qui ne profittent jamais de cette manne ; corruption , avidité , sont les principaux freins à un partage équitable de ces richesses ;

    • La bénédiction n’arrose que les uns, mais la malédiction ne s’abat pas sur les autres pour autant, du moins tant que la richesse ne pousse pas à des conflits armés. Les occasions de gagner de l’argent honnête sont peut-être moins augmentées que celles d’en gagner du malhonnête, mais elles sont plus nombreuses qu’avant quand même. Le pire est que certains imaginent que la rente peut se substituer durablement aux efforts, ça n’est pas en négociant de meilleurs taux de royalties avec les compagnies exploitantes qu’on l’évite, mais développant, avec ou sans elles, l’éducation et les infrastructures, comme il est dit dans l’article, pour qu’elles puissent servir à autre chose. C’est aussi en restant sourd aux mesures de développement à la Piketty fondées sur des ratios d’inégalités et en ne se préoccupant que de développer une classe moyenne et de sortir les plus pauvres de la misère, et tant pis si quelques uns s’enrichissent « indécemment ».

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