Les droits de la défense en matière de terrorisme : un régime dérogatoire

La législation dérogatoire concernant le terrorisme en France et au Royaume Uni est-elle conforme à la convention européenne des droits de l’homme ?

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grenade terrorisme credits Israel defense forces (licence creative commons)

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Les droits de la défense en matière de terrorisme : un régime dérogatoire

Publié le 20 décembre 2014
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Par Roseline Letteron.

grenade terrorisme credits Israel defense forces (licence creative commons)

L’arrêt Ibrahim et autres c. Royaume-Uni, rendu le 16 décembre 2014, offre à la Cour européenne des droits de l’homme l’occasion de déclarer conformes à la Convention européenne les procédures dérogatoires au droit commun de la garde à vue, lorsque les faits incriminés relèvent du terrorisme.
Les trois premiers requérants ont déposé, le 21 juillet 2005, quatre bombes dans les transports publics londoniens. Heureusement, elles n’ont pas explosé, les expertises ayant montré que la concentration de peroxyde d’hydrogène était trop faible. Identifiés rapidement grâce à la vidéosurveillance installée dans le métro, ils ont été arrêtés à la fin du mois de juillet et condamnés en juillet 2007 à une peine de quarante ans de prison. Le quatrième, d’abord entendu comme témoin et arrêté ensuite, a été condamné à une peine de dix ans d’emprisonnement pour complicité. Il avait aidé l’un des trois premiers à se procurer un passeport après la tentative d’attentat, dans le but de quitter le pays.

Tous les quatre contestent la procédure de garde à vue qui leur a été appliquée. Trouvant son fondement juridique dans le Terrorism Act de 2000, elle prévoit, après l’arrestation de personnes soupçonnées de terrorisme, un premier « interrogatoire de sécurité » auquel aucun avocat ne peut assister. Aux yeux du législateur britannique, une telle procédure est justifiée par l’urgence, c’est-à-dire concrètement par l’éventuelle nécessité d’empêcher de nouveaux actes terroristes imminents.
Aux yeux des requérants en revanche, une telle procédure constitue une atteinte aux articles 6 §1 et 3 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme. L’atteinte au droit à l’assistance d’un avocat a pour conséquence, selon eux, que les éléments de preuve obtenus durant cet interrogatoire de sécurité ne peuvent constituer le fondement juridique d’une condamnation.

Les suites de l’arrêt Salduz

Depuis l’arrêt du 24 novembre 1993 Imbriosca c. Suisse, il est acquis que le droit au procès équitable s’étend aux « phases qui se déroulent avant la procédure de jugement », à commencer par la garde à vue. L’arrêt Salduz c. Turquie du 27 novembre 2008 impose ensuite la présence de l’avocat dès le début de la garde à vue. On sait que cette décision est directement à l’origine de la condamnation de la France par la décision Brusco c. France du 14 octobre 2010, condamnation qui a suscité une évolution radicale du droit de la garde à vue.

L’arrêt Salduz offre néanmoins à l’État une soupape de sûreté. Il est en effet possible de déroger au principe imposant l’assistance de l’avocat dès le début de la garde à vue si deux conditions sont réunies. D’une part, l’État doit démontrer qu’il a des « raisons impérieuses » de restreindre ce droit. D’autre part, l’admission comme preuves des déclarations faites dans ces conditions à la police ne doit pas avoir porté une atteinte effective au droit au procès équitable.

Les « raisons impérieuses » d’écarter l’avocat de la garde à vue

La Cour affirme clairement la spécificité de l’affaire Ibrahim et autres par rapport aux arrêts Salduz et Brusco. En Turquie comme en France était contesté un droit positif qui refusait le principe même qu’un avocat puisse être présent dès le début la garde à vue. En droit britannique, celui auquel sont soumis les requérants, le principe est la présence de l’avocat et l’exception son absence. Seules les personnes soupçonnées de terrorisme sont soumises, en effet, à une telle restriction aux droits de la défense.

En l’espèce, la Cour s’intéresse au contexte de l’enquête et fait observer que les policiers anglais agissaient sous une pression tout à fait exceptionnelle. Quinze jours avant l’attentat manqué des requérants, avaient eu lieu dans les transports londoniens d’autres attentats, et ceux-là avaient fait cinquante-deux victimes. À l’époque, à Londres et à Madrid, la police découvre ce qu’il est convenu d’appeler l’hyperterrorisme, c’est-à-dire une série d’attentats très rapprochés dans le temps ayant pour conséquences non seulement de faire de nombreuses victimes mais aussi de désorganiser les plans de secours. Dans cette hypothèse, il peut être urgent de mener des interrogatoires destinés à interrompre cette succession d’actions violentes. C’est donc sur ces considérations de fait que la Cour s’appuie pour considérer qu’il existait des « raisons impérieuses » d’écarter l’avocat de la garde à vue.

Utilisation des preuves et droit au procès équitable

Les interrogatoires de sécurité conduits avec les requérants ont retardé leur accès à un avocat, mais ce retard est finalement resté très modeste, entre quatre et huit heures selon les cas. La restriction au droit d’accès à l’avocat a été autorisée par le commissaire de police dans une décision motivée.
Aucun des requérants n’a subi de mauvais traitement ou de pression durant l’interrogatoire. Sur le procès en tant que tel, la Cour reprend une jurisprudence constante, par laquelle elle contrôle le contenu des informations et recommandations données au jury (CEDH, 16 octobre 2012 Beggs c. Royaume-Uni). Lors du procès des requérants, il est clair que le jury a été informé que certains interrogatoires avaient réalisés hors la présence de leur avocat. Dès lors que trois des accusés sur quatre niaient les faits à l’époque de l’interrogatoire de sécurité, le jury a même été averti que « certains mensonges peuvent avoir des explications innocentes ».

La Cour observe néanmoins que ces précautions procédurales ont des conséquences limitées sur l’issue du procès. La plupart des éléments de preuve incriminant les requérants ont été obtenus durant l’enquête, en dehors de toute déclaration des intéressés (achats de produits destinés à la fabrication des bombes, témoignages de tiers, séquences vidéo, etc.).

Le droit de ne pas s’incriminer

La Cour reconnaît finalement que les « interrogatoires de sécurité » prévus par le droit britannique peuvent être qualifiés d' »impérieuse nécessité » au sens de l’arrêt Salduz, et justifier l’absence de l’avocat des intéressés. Cette jurisprudence a évidemment pour conséquence immédiate de porter atteinte au droit de ne pas s’incriminer. La question se posait surtout pour le quatrième requérant qui avait admis, lors de l’interrogatoire de sécurité, avoir aidé l’un des poseurs de bombes à se procurer un passeport, alors que les autres condamnés, à ce stade de la procédure, niaient les faits.

Mais là encore, observe la Cour, l’atteinte au droit de ne pas s’incriminer est limitée, car si la déclaration du quatrième requérant reconnaît sa complicité, elle l’exonère aussi de sa responsabilité directe dans la tentative d’attentat. L’intéressé n’est d’ailleurs jamais revenu sur ses déclarations, y compris lorsqu’il a pu bénéficier de l’assistance d’un avocat.

L’arrêt Ibrahim c. Royaume-Uni laisse penser, par analogie, que le droit français est parfaitement conforme à la Convention. En matière de terrorisme, il prévoit l’accès à l’avocat à la 72ème heure de la garde à vue, celle-ci pouvant durer jusqu’à 96 h. On se trouve donc dans un régime doublement dérogatoire puisque la garde à vue de droit commun dure 24 heures (durée renouvelable une fois) et que l’avocat est appelé dès le début de la procédure. Sur ce plan, l’arrêt Ibrahim assure aussi la reconnaissance du terrorisme comme justifiant un droit dérogatoire.

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