Circulaire Taubira : le refus du péché originel juridique

Le conseil d’État a rejeté les requêtes en annulation contre la « circulaire Taubira ».

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Christiane Taubira (Crédits Philippe Grangeaud-Parti Socialiste, licence Creative Commons)

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Circulaire Taubira : le refus du péché originel juridique

Publié le 15 décembre 2014
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Par Roseline Letteron

Christiane Taubira (Crédits Philippe Grangeaud-Parti Socialiste, licence Creative Commons)

Dans un arrêt du 12 décembre 2014, le Conseil d’État a rejeté le recours déposé par l’Association des juristes pour l’enfance et différentes autres associations catholiques contre la circulaire Taubira du 25 janvier 2013. Rappelons que cette circulaire autorise la délivrance de certificats de nationalité française aux enfants nés à l’étranger de parents français, y compris « lorsqu’il apparaît, avec suffisamment de vraisemblance qu’il a été fait recours à une convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui ».

À l’époque de sa publication, ce texte avait suscité un regain d’agitation, d’ailleurs modeste, des milieux hostiles au mariage entre personnes du même sexe. Ils y voyaient une consécration indirecte de la gestion pour autrui (GPA), et l’annonce que cette GPA allait être autorisée pour les couples homosexuels. Mais rien de tout cela ne figurait dans la circulaire, situation qui rendait quelque peu délicate la recherche de moyens sérieux à l’appui du recours.

La recevabilité du recours

La jurisprudence Duvignères du 18 décembre 2002 distingue les circulaires non impératives des circulaires impératives : « Considérant que l’interprétation que, par voie notamment, de circulaires ou d’instructions, l’autorité administrative donne des lois et règlements qu’elle a pour mission de mettre en œuvre n’est pas susceptible d’être déférée au juge de l’excès de pouvoir lorsque, étant dénuée de caractère impératif, elle ne saurait, quel qu’en soit le bien-fondé, faire grief ; qu’en revanche, les dispositions impératives à caractère général d’une circulaire ou d’une instruction doivent être regardées comme faisant grief. » Seules les circulaires impératives sont donc susceptibles de recours devant le Conseil d’État.

La circulaire Taubira entre dans cette seconde catégorie, dès lors qu’elle produit des effets de droit à l’égard des enfants concernés et de leur famille. Le contrôle du juge consiste alors à regarder si la circulaire crée une ou plusieurs règles nouvelles, c’est-à-dire qui ne figurent dans aucune loi ou aucun règlement. Dans ce cas, la circulaire peut être annulée pour incompétence, dès lors que le ministre s’est attribué un pouvoir réglementaire dont il ne dispose pas.

En l’espèce pourtant, Christiane Taubira n’a pas violé la loi. Sa circulaire n’a pas pour conséquence de reconnaître un quelconque droit à la GPA, droit qui d’ailleurs ne pourrait être consacré par la voie d’une circulaire. Elle se borne à prendre en compte une situation de fait, dans le respect du droit positif, et plus particulièrement de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme.

La GPA comme péché originel juridique

Le Conseil d’État prend la précaution de rappeler que la GPA ne figure pas dans l’ordre juridique français. Dans le chapitre II du Code civil consacré au « respect du corps humain » figure un article 16-7 qui énonce que « Toute convention portant sur la procréation ou la gestation pour le compte d’autrui est nulle ». L’article 16-9 c. civ. ajoute que ces dispositions présentent un caractère d’ordre public. La circulaire Taubira ne modifie en rien cette situation. Elle se borne à envisager le cas des enfants effectivement nés d’une GPA et dont il convient d’établir la nationalité.

Pour les requérants, ces articles imposent la nullité de tous les actes qui trouvent leur origine dans une GPA. Ils donnent ainsi une interprétation particulièrement étroite de l’adage « Fraus omnia corrumpit », estimant finalement que tous les actes de la vie civile d’un enfant issu de GPA sont entachés de nullité en raison de l’origine frauduleuse de la convention qui a permis sa naissance. L’enfant est donc poursuivi par une sorte de péché originel juridique qui touche aussi bien sa nationalité que son état civil et qui devrait donc le poursuivre durant toute sa vie d’adulte.

Cette interprétation s’appuie sur une jurisprudence récente de la Cour de cassation. Dans deux décisions du 13 septembre 2013, la première Chambre civile a refusé la transcription sur les registres de l’état civil français de l’acte de naissance d’enfants nés d’une GPA à Mumbay (Inde). Observons que les décisions de la Cour visent précisément l’état-civil alors que la circulaire Taubira concerne la délivrance de certificats de nationalité. Pour les requérants, le raisonnement par analogie s’impose cependant, puisque le fait d’être né à la suite d’une GPA entache de nullité tous les actes de la vie civile de l’enfant.

Les droits de l’enfant

Quoi qu’il en soit, le raisonnement par analogie développé par l’Association des Juristes pour l’enfance s’effondre de lui-même, dès lors que la jurisprudence de la Cour de cassation a été directement mise en cause par celle de la Cour européenne des droits de l’homme. Dans deux importantes décisions Mennesson c. France et Labassee c. France rendues le 26 juin 2014, celle-ci affirme que l’intérêt supérieur des enfants nés aux États-Unis d’une gestation pour autrui (GPA) est d’avoir un état civil français, élément de leur identité au sein de la société de notre pays.

Le Conseil d’État, dans son arrêt du 12 décembre 2014, ne s’appuie pas directement sur « l’intérêt supérieur de l’enfant », et l’on observe que la Convention relative aux droits de l’enfant de 1989 ne figure pas dans les visas. Le Conseil d’État préfère considérer l’enfant, non pas comme objet de droit mais comme sujet de droit. Il énonce très clairement que « la seule circonstance que la naissance d’un enfant à l’étranger ait pour origine un contrat qui est entaché de nullité au regard de l’ordre public français ne peut, sans porter une atteinte disproportionnée à ce qu’implique, en termes de nationalité, le droit de l’enfant au respect de sa vie privée, (…) conduire à priver cet enfant de la nationalité française à laquelle il a droit ». L’enfant est une personne, rappelle le Conseil d’État, et, dès sa naissance, il est titulaire de droits. L’article 18 du code civil énonce qu’ « est français l’enfant dont l’un des parents au moins est français ». Dès lors que sa filiation avec un Français est établie, sa nationalité française est un droit, quelles que soient les circonstances de sa naissance, circonstances dont il n’est en aucun cas responsable.

Le refus d’une nouvelle forme de bâtardise juridique

Ce recours était peut-être le « recours de trop », porteur d’un effet boomerang. En rappelant que l’enfant est titulaire de droits, le Conseil d’État oppose une fin de non-recevoir à ceux qui voudraient créer des distinctions entre les enfants selon les conditions de leur naissance. Heureusement, car les arguments développés devant le juge rappellent ceux développés durant des siècles à l’encontre des enfants considérés comme illégitimes. En 1639, une ordonnance de Louis XIII ordonnait que tous les enfants nés hors mariage soient frappés d’indignité. Plus de trois siècles après, ce sont les enfants nés par GPA qui étaient menacés d’une nouvelle forme d’indignité ou de bâtardise juridique. Belle conception de la charité chrétienne.


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  • Les extrêmes-rétrogrades de droite (et de goche) appartiennent aux poubelles de l’histoire.

  • Avoir mis Ministre de la Justice quelqu’un qui a passé sa vie au service de la détestation de la France….Hollande ose tout, c’est même à cela que l’on le reconnaît !

  • Merci le Conseil d’Etat! Si ces enfants avaient la nationalité américaine, indienne.. ce serait une infamie!

  • S’il est vrai que l’enfant n’a rien demandé et qu’il faut bien qu’il ait un acte de naissance ainsi qu’une nationalité il n’en reste pas moins que la circulaire Taubira et les décisions du conseil d’état tout comme celles de la cour européenne conduisent à rendre légales des situations qui ne l’étaient pas ; plus grave à donner raison au hors la loi !!!!! En dépit de toutes les affirmations ministérielles il semble que ce soit bien là le but recherché !!!Donc que l’on soit pour ou contre le mariage pour tous , que l’on soit pour ou contre l’adoption d’enfants par les couples homosexuels la loi n’est qu’un chiffon de papier puisqu’elle peut être contournée par une simple circulaire et malheureusement on retrouve un peu trop souvent ce type de situation dans nos administrations !!!Ceci ressemble de moins en moins à un état de droit !!!!

    • La France est loin d’ètre un Etat de Droit dans les faits. A se demander s’ il ne faudrait pas mettre en place une application qui teste une Loi au regard de la situation et des Lois supèrieures contradictoires. Car un juge va jusqu’à inventer pour appliquer un arret de la Cassation qui peut meme violer un Arret de la Cour de Justice de l’Union! Et je me demande ce qu’elle en pense Madame Taubira quand c’est le cas! C’est bien de son ministère que les incompètants se dècouvrent et surtout disparaissent de la place Vendome en moins de 48h. La France est en rouge à Bruxelles et pas seulement pour son dèrapage budgetaire…

    • « plus grave à donner raison au hors la loi »

      Ce qui est une bonne chose quand la loi en question est inepte.

      • Vous pouvez développer?

        Les lois qui considèrent que l’on peut être parent d’un enfant à naître, par simple contrat, ne sont-elles pas à ineptes? Je connaissais 3 personnes qui avaient un droit sur un enfant à naître: celle qui a porté l’enfant, le père (présomption de paternité bien malmenée…) & le maître de la femme esclave (situation interdite aujourd’hui me semble-t-il).

        • Il n’y a pas de conflits avec les mères porteuse dans les cas dont il est question. Si c’était le cas, c’est effectivement le droit d’une mère porteuse de rompre le contrat comme elle l’entend (le risque de toute GPA).

          L’ineptie ici c’est d’avoir un enfant de nationalité étrangère (ou apatride) du simple fait que sa conception s’est faite de manière « illégale » alors que ses parents ont la nationalité française. Cette circulaire prend donc en compte le fait réel et immédiat et offre un statut juridique adéquat pour l’enfant (qui au passage est la personne à protéger quelle que soit notre opinion sur la GPA).

          Je ne vois vraiment pas le problème de cette circulaire. Ce n’est que du bon sens.

          • Mais c’est la circulaire qui en fait des « parents ». Elle invoque « le droit de l’enfant au respect de sa vie privée », au-dessus de la loi, pour introduire la GPA dans le droit français alors que l’on ne pouvait invoquer ce principe contre la loi sur le mariage homosexuel selon le Conseil constitutionnel. Le « droit de l’enfant », l' »intérêt de l’enfant »… nous ne les connaissons pas, les adultes y projettent leurs propres conceptions. On se sert en général de ces principes pour accroître l’emprise de l’Etat, contre la nature, les conventions entre époux…

            • Cet enfant a dans les faits des parents (qui l’ont vraiment voulu pour en arriver là) et de toute manière vous ne pouvez pas obliger la mère porteuse d’en prendre la charge si elle ne le souhaite pas.

              L’intérêt de l’enfant on le connait c’est celui de ne pas être discriminé juridiquement dans son pays du simple choix de ses parents « hors-la loi ».

              Quant à l’emprise grandissante de l’Etat je la vois plutôt chez tous ceux qui s’interposent entre un contrat fait par des adultes consentants et qui n’ôte rien à personne (à condition que le dit contrat soit révocable, je tiens à la préciser. Concrètement la mère porteuse ne peut pas être dans l’obligation de confier son enfant à l’adoption si elle ne souhaite plus.)

              In fine la GPA répond à une demande dans le marché de l’adoption et je ne vois pas de raisons objectives d’interdire cette pratique. Un enfant peut naître de la manière dont ses futurs parents ont souhaité qu’il vient au monde. Et c’est eux seuls qui en assumeront les coûts et les conséquences d’un tel procédé.

            • Dans les cas présents, au moins l’un des deux parents est un parent biologique.

              • @ Tom & Tramp
                La GPA consiste à faire croire qu’une personne est père ou mère d’un enfant à naître parce qu’elle aurait transmis des gènes. C’est différent de l’adoption qui consiste à ajouter ou à substituer une filiation à une autre, sans lien biologique obligatoire. Ce n’est pas la biologie qui fait la parenté, même si elle joue un rôle. Il faut rétablir la liberté de contracter mais aussi des règles subsidiaires: « mater semper certa est », « pater est quem nuptiae demonstrant »… Il est à noter d’ailleurs que « parent » se référait en droit français au cercle familial avant les taubiroïdes s’en servissent pour désigner les paires de sexe indéterminé…

                • Je ne sais vraiment pas où vous voulez en venir.
                  De mon côté je pense avoir une position assez claire sur la GPA. A chacun de juger.

  • Toujours un plaisir d’avoir vos articles ici, Roseline 🙂

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