Victimes de violences, réfugiés : la réinsertion par l’entrepreneuriat

Rendre l’entrepreneuriat accessible aux femmes victimes de violences ou aux réfugiés pour les aider à développer un projet de vie.

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Victimes de violences, réfugiés : la réinsertion par l’entrepreneuriat

Publié le 15 décembre 2014
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HERA, SINGA : des associations qui s’activent pour rendre l’entrepreneuriat accessible aux femmes victimes de violences ou aux réfugiés pour les aider à développer un projet de vie.

Par Hanae Bezad
Un article de Trop Libre

HERA FRance (capture d'écran du site)
Capture d’écran du site HERA France.

 

La démarche est complexe. Le sujet reste tabou. Cachez cet hématome que je ne saurais voir. À vrai dire, pas besoin de le cacher, il est souvent invisible à l’œil non aiguisé. Mais qu’importe. Nous ne parlerons pas ici de cet outrage à l’humanité, de cette exécrable atteinte à la dignité… les mots sont souvent vains pour cela. Mais c’est aussi et surtout car certains ont fait mieux : ils ont décidé de rendre l’entrepreneuriat accessible aux victimes pour les aider à développer un projet de vie. Une belle manière de transfigurer le réel quand il a essayé de nous défigurer.

When smart meets meaningful

Chiara Condi a fait le pas : arrivée en France il y a peu, cette brillante jeune femme, au parcours académique parfait (Harvard, LSE, SciencesPo… excusez du peu !) décide de contacter les foyers de femmes battues pour faire connaître son association.

Avec 0€ de budget, mais une détermination qui vaut tout l’or du monde, elle s’entoure d’une équipe de six bénévoles pour proposer aux femmes victimes de violence et de traite, déjà prises en charge par des centres d’accueil, une « éducation entrepreneuriale » en bonne et due forme pour refaire surface, et prendre leur véritable place dans la société.

Les 29 femmes inscrites au programme d’HERA France ont droit à une seconde chance : elles n’ont pas à raconter leur histoire, on devine qu’elles sont là parce qu’elles sont passées par des moments difficiles, où tout se renverse, où il semble que l’humanité fait défaut à l’existence. Parmi elles, des victimes de violence conjugale et des victimes de la traite. Des femmes issues de toutes les catégories sociales, certaines n’ont pas le bac, d’autres sont titulaires d’un doctorat.

L’objectif d’HERA est de leur donner des outils concrets pour faire naître leurs projets. À l’IESEG School of Management, grâce au soutien du directeur de l’école Jean Philippe Ammeux et à la coordination du professeur Janice Byrne, elles bénéficient de cours de marketing, de communication, de négociation, de finance, d’aide à la réalisation de Business Plan deux à trois jours par mois durant un an. À l’ESCP Europe, Sylvain Bureau, professeur et fondateur du « Projet Improbable », a préparé avec l’artiste Pierre Tectin un enseignement de l’entrepreneuriat à travers un atelier collectif de façon à faire travailler plusieurs équipes sur la construction d’œuvres d’art pendant plusieurs jours. Les œuvres seront exposées et le vernissage aura lieu le 7 novembre !

Outre l’aspect théorique, HERA met en lien les femmes du programme avec des mentors, professionnels de divers horizons et entrepreneurs contactés via le réseau de l’ESCP ou autre. Les mentors sont eux-mêmes formés à l’accompagnement de projet à travers un atelier de trois jours assuré par l’École Playground. Pas de psychologisation inutile, pas de commisération : l’objectif affiché d’HERA est d’avoir les meilleurs intervenants possibles pour proposer un programme d’enseignement de la création d’entreprise crédible et sérieux.

Résilience, elles célèbrent ton nom

Les participantes sont chacune à des phases très différentes de leur projet : certaines ont d’ores et déjà créé une structure juridique, d’autres continuent de fourmiller d’idées.

À la faveur d’une collaboration avec ParisPionnières, ces femmes se mêleront à d’autres entrepreneuses. Une façon de se rendre compte qu’elles feront face aux mêmes challenges dans leur création d’entreprise.

Le projet d’HERA tient du véritable women empowerment : lors des ateliers collectifs, ces femmes apprennent à oser, comme les autres, grâce aux autres. Elles refont confiance à leur environnement, qui réfléchit inévitablement cette confiance. Voilà le cercle vertueux créé !

Le succès du projet sera mesuré à l’aune de l’autonomie acquise par les femmes participant au programme. « Nous ne sommes pas dans les statistiques » me confie Chiara Condi. Et dans le fond, qu’importe si seulement un projet voit le jour parmi les 29 en cours. L’essentiel est qu’elles soient toutes dans une démarche constructive. Qu’elles aient aussi le droit, comme tout entrepreneur, de se tromper. Mais qu’elles apprennent à oser ! Qu’elles investissent la place de role models qui deviendra la leur, pour d’autres femmes.

Déconstruire les clichés sur les réfugiés statutaires

Dans le même esprit, et pour d’autres populations vulnérables que sont les réfugiés statutaires, SINGA, l’association créée par Nathanaël Molle et Guillaume Capelle propose un accompagnement spécialisé dans leurs projets entrepreneuriaux, artistiques et associatifs.

Fort de son expérience en tant qu’assistant juridique au sein de l’Organisation Marocaine des Droits Humains, Nathanaël revient à Paris en 2011 en faisant l’amer constat que sur les deux rives de la Méditerranée, la gestion de l’accueil des réfugiés manque cruellement d’innovation. De fait, en France, les associations déjà présentes sur le terrain qui participent à la gestion des 66 000 demandes annuelles de réfugiés ne sont pas à même d’apporter l’accompagnement pourtant nécessaire pour l’intégration socio-économique des réfugiés.

Seulement 10% du budget alloué par l’État vise l’intégration. In fine, la grande majorité des fonds alloués sert à la gestion administrative très lourde de ces réfugiés et au logement qui est évidemment fondamental. On peut légitimement déplorer cette approche qui n’est pas complète. C’est précisément là que le bât blesse : une telle approche juridico-administrative enferme certains réfugiés dans leur statut, en leur octroyant par exemple des emplois qui ne leur permettent pas d’exploiter l’intégralité de leur potentiel.

Et quelle perte pour les sociétés d’accueil !

Justement, Nathanaël et son équipe ont vu dans cette situation une formidable opportunité : celle de créer un système où la population d’accueil d’une part, dont une partie est réticente et pour cause, se considérant elle-même délaissée par les pouvoirs publics, et les réfugiés d’autre part, vus comme des potentiels peu ou mal exploités, pourraient y gagner.

En bambara, une langue nationale au Mali, « singa » signifie prêter. Le projet qui avait trait au micro-crédit à ses débuts commence par prêter main forte, d’une autre façon, aux réfugiés porteurs de projets. L’objectif est d’attaquer la rigidité des croyances, de faire comprendre que les réfugiés sont en mesure d’apporter une valeur économique réelle à leur société d’accueil. En somme, il s’agit de briser le cercle vicieux de l’exclusion : mettre des visages et des noms sur le terme générique « réfugié », mais surtout des voix, des projets de vie… Finalement créer du lien, de la meilleure façon possible, autour d’initiatives génératrices de valeur ! Avec la ferme conviction que les intelligences humaines feront le reste. Tout cela en complément du travail non-négligeable fourni par les acteurs associatifs sur le plan juridico-administratif.

cours-fr-singa (credit site singa)Le projet SINGA s’est construit autour de quatre programmes complémentaires : il inclut d’abord des cours de langues semi-intensifs, des ateliers sur les codes socio-culturels à travers un tutorat grâce aux 200 bénévoles de l’association. SINGA, déjà présente dans plusieurs grandes écoles et universités a l’ambition d’autonomiser ces structures. L’autre pôle vise à mobiliser et sensibiliser les personnes susceptibles d’apporter une aide indispensable aux porteurs de projets ; cela passe notamment par la mise en relation avec des entrepreneurs de la Ruche par exemple, l’accompagnement dans la recherche de financements etc.

L’équipe met également en place un programme de formations ad hoc destinées aux entreprises pour aider les réfugiés qui ne sont pas entrepreneurs à mieux s’intégrer dans leurs milieux professionnels respectifs. Les formations s’adressent plus précisément aux managers pour leur permettre d’optimiser l’utilisation de ces ressources humaines. SINGA propose également à ces entreprises de rejoindre la communauté.

Enfin, un Labo SINGA permet à l’association de proposer à des entreprises des missions d’analyse sur les conséquences en interne du déclassement professionnel de leurs salariés arrivés en France sous le statut de réfugié. Le Labo assure également une recherche proactive pour générer en permanence de l’innovation dans l’approche « SINGA » du problème : un Hackathon aura lieu par exemple en janvier prochain, réunissant développeurs, graphistes et bénévoles le temps d’un week-end pour créer des applications permettant de catalyser le travail des associations parties prenantes.

The pen is mightier than the sword

… et dans la bataille contre les préjugés, le vocable employé compte plus que tout. L’objectif de SINGA va être de faire évoluer le répertoire des mots utilisés pour parler de l’asile et des réfugiés pour déconstruire les jugements négatifs qui peuvent exister à leur égard. Faire évoluer le regard sur ces migrants, voilà le pari de SINGA !

À la question de savoir si le modèle de SINGA est viable dans d’autres pays, Nathanaël n’émet aucun doute sur son adaptabilité : les quatre programmes peuvent être exportés, remodelés, selon les besoins des pays. Le HCR a d’ailleurs diffusé un appel à contribution pour une étude du Labo SINGA. Suite à cela, l’équipe a reçu des sollicitations venant du Canada, de la Californie, de l’Australie et de plusieurs autres pays. Pour l’heure, un SINGA Maroc est en cours de création grâce à deux Marocains et deux réfugiés congolais. Le pays qui accueille aujourd’hui près de 40.000 migrants par an, venant majoritairement des pays subsahariens, a la chance de voir se développer cette initiative éminemment précieuse alors qu’une partie de la société civile se mobilise contre les exactions commises à l’égard de ces populations. Qu’il faille écrire des articles pour diffuser l’idée qu’être Noir n’est pas être « Ebola », c’est dire que le besoin en éducation est prégnant.

Longue vie à SINGA donc, au Maroc et ailleurs ! Et longue vie à HERA, pour que des coups de pouce bienveillants continuent d’être donnés à des potentiels éraflés mais pas effacés.


Sur le web.

Sources :

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  • Humm..
    Singa project:
    « Créer c’est résister, résister c’est créer »
    Stephane Hessel

    Tout le reste est du même tonneau.

  • C’est intéressant comme on peut prendre les choses à l’envers : je suis entrepreneur, je perds ma dignité et ma foi dans l’avenir lors de violences policières (forcément impunies). Et donc je ferme mon entreprise car ce sont mes impôts qui paient la police. L’entrepreneuriat en France, c’est de la servitude. Et pour la fameuse résilience, c’est la bonne conscience des violeurs.

  • Les commentaires sont fermés.

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Les auteurs : Miruna Radu-Lefebvre est Professeur en Entrepreneuriat à Audencia. Raina Homai est Research Analyst à Audencia.

 

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