Patrick Modiano à Stockholm

La semaine passée, l’écrivain français a reçu à Stockholm son prix Nobel de littérature et a prononcé son discours, non sans appréhension.

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Patrick Modiano Credit fnac sevilla (creative commons)

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Patrick Modiano à Stockholm

Publié le 14 décembre 2014
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Par Francis Richard

Patrick Modiano Credit fnac sevilla (creative commons)

Une semaine s’est écoulée depuis que Patrick Modiano s’est rendu à Stockholm pour recevoir le prix Nobel de littérature. Ce 6 décembre 2014, donc, l’écrivain français y a prononcé son discours de réception devant une nombreuse assemblée, non sans appréhension. J’en tire ci-après quelques extraits qui me parlent.

La parole hésitante de celui qui écrit

Quand Patrick Modiano était invité chez Bernard Pivot, il y a quelques années, il était l’illustration même des propos qu’il a tenus à Stockholm, et qui me touchent, sans doute parce qu’atteint de la même infirmité qui fait naître chez les autres incompréhension et quiproquos – sans pour autant être écrivain, encore moins romancier : « Un écrivain – ou tout au moins un romancier – a souvent des rapports difficiles avec la parole. Et si l’on se rappelle cette distinction scolaire entre l’écrit et l’oral, un romancier est plus doué pour l’écrit que pour l’oral. Il a l’habitude de se taire et s’il veut se pénétrer d’une atmosphère, il doit se fondre dans la foule. »

Un peu plus loin, il précise : « Il a la parole hésitante, à cause de son habitude de raturer ses écrits. Bien sûr, après de multiples ratures, son style peut paraître limpide. Mais quand il prend la parole, il n’a plus la ressource de corriger ses hésitations. »

Le romancier et le lecteur

Patrick Modiano est conscient qu’ « un romancier ne peut jamais être son lecteur », que son livre le quitte à peine a-t-il tracé le dernier mot et que le lecteur le révèlera à lui-même. D’où le sentiment d’avoir été abandonné quand le livre fait son chemin sans lui et l’envie d’écrire le suivant pour rétablir l’équilibre rompu.

Pour avoir un rapport plus intime encore, et plus complémentaire, avec celui à qui s’adresse une œuvre, Patrick Modiano aurait aimé être musicien – les musiciens lui « semblaient pratiquer un art supérieur au roman«  -, ou poète – les poètes « sont plus proches des musiciens que les romanciers ». En écrivant des poèmes dans son enfance, il a compris cette réflexion lue quelque part : « C’est avec de mauvais poètes que l’on fait des prosateurs ».

Une nuit originelle

Patrick Modiano est né en 1945. Sa date de naissance et son temps l’ont marqué de manière indélébile. Le Paris de l’Occupation était une ville étrange : « Ce Paris-là n’a cessé de me hanter et sa lumière voilée baigne parfois mes livres. » En effet, « des amours précaires naissaient à l’ombre du couvre-feu sans que l’on soit sûr de se retrouver les jours suivants » : « Et c’est à la suite de ces rencontres souvent sans lendemain, et parfois de ces mauvaises rencontres, que des enfants sont nés plus tard. Voilà pourquoi le Paris de l’Occupation a toujours été pour moi comme une nuit originelle. Sans lui je ne serais jamais né. »

La relève

Patrick Modiano appartient à une génération intermédiaire entre les romanciers qui vivaient à une époque où le temps s’écoulait lentement et ceux qui vivent à l’époque actuelle où « le temps s’est accéléré et avance par saccades ».

Il veut rester optimiste sur la relève, qui n’a pas failli depuis Homère. Mais il ne peut s’empêcher de s’interroger : « je serais curieux de savoir comment les générations suivantes qui sont nées avec l’internet, le portable, les mails et les tweets exprimeront par la littérature ce monde auquel chacun est « connecté » en permanence et où les « réseaux sociaux » entament la part d’intimité et de secret qui était encore notre bien jusqu’à une époque récente. »

L’homme et l’œuvre

Comment ne pas hésiter avant de lire la biographie de tel ou tel écrivain admiré ? « Seule la lecture de ses livres nous fait entrer dans l’intimité d’un écrivain et c’est là qu’il est au meilleur de lui-même et qu’il nous parle à voix basse sans que sa voix soit brouillée par le moindre parasite.« 

Il y a un mais, pour Modiano, pourtant plus proche, semble-t-il, de Proust que de Sainte-Beuve : « Mais en lisant la biographie d’un écrivain, on découvre parfois un événement marquant de son enfance qui a été comme une matrice de son œuvre future et sans qu’il en ait eu toujours une claire conscience, cet événement marquant est revenu, sous diverses formes hanter ses livres. »

Les annuaires des rues de Paris

La ville a beaucoup d’importance pour Patrick Modiano : « Pour ceux qui y sont nés et y ont vécu, à mesure que les années passent, chaque quartier, chaque rue d’une ville, évoque un souvenir, une rencontre, un chagrin, un moment de bonheur. Et souvent la même rue est liée pour vous à des souvenirs successifs, si bien que grâce à la topographie d’une ville. c’est toute votre vie qui vous revient à la mémoire par couches successives, comme si vous pouviez déchiffrer les écritures superposées d’un palimpseste. »

Paris a été cette ville pour lui et, dans sa jeunesse, pour s’aider à écrire, il en feuilletait de vieux annuaires, « surtout ceux où les noms sont répertoriés par rues avec les numéros des immeubles«  : « J’avais l’impression, page après page, d’avoir sous les yeux une radiographie de la ville, mais d’une ville engloutie, comme l’Atlantide, et de respirer l’odeur du temps.« 

La mémoire et l’oubli

Patrick Modiano est très sensible aux thèmes de la mémoire et de l’oubli. Il pense que le fait d’être né en 1945 y est pour beaucoup, d’être né « après que des villes furent détruites et que des populations entières eurent disparu » :

« J’ai l’impression qu’aujourd’hui la mémoire est beaucoup moins sûre d’elle-même et qu’elle doit lutter sans cesse contre l’amnésie et l’oubli. À cause de cette couche, de cette masse d’oubli qui recouvre tout, on ne parvient à capter que des fragments du passé, des traces interrompues, des destinées humaines fuyantes et presque insaisissables.

Mais c’est sans doute la vocation du romancier, devant cette grande page blanche de l’oubli, de faire ressurgir quelques mots à moitié effacés, comme ces icebergs perdus qui dérivent à la surface de l’océan. »


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