L’aléa moral est-il responsable de la crise de 2008 ?

Quel est le rôle de l’aléa moral dans la crise des subprimes ?

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L’aléa moral est-il responsable de la crise de 2008 ?

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 9 décembre 2014
- A +

Par Thomas A. Harbor.
Un article du site Trop Libre

dés credits Hugues Le Chevallier (licence creative commons)

Une partie importante des questionnements liés au choc systémique qu’a été la crise de 2008 renvoie à la notion d’aléa moral. L’aléa moral, particulièrement étudié par l’économie comportementale, est une situation qui voit l’agent économique augmenter sa prise de risque par rapport à une situation initiale. Le changement de comportement implique forcément qu’une variable change : l’aléa moral intervient quand l’agent n’est pas pleinement responsable pour les risques auxquels il s’expose. Le marché bancaire en a donné un exemple éloquent avec la crise des subprimes.

La garantie des dépôts bancaires peut se définir comme un transfert de solvabilité de l’État vers les banques possédant des actifs risqués. L’intervention publique conduit donc à une sous-évaluation du coût réel du risque. Il s’agit d’une situation type d’aléa moral appliquée au marché bancaire. Quant à ses implications économiques en pro-cyclique, cet aléa moral encourage la concentration de capitaux sur des branches risquées puisque soit le profit est surestimé, soit le risque est sous-estimé. L’origine de la mauvaise appréhension du coût comme du risque réside dans la distorsion des mécanismes de prix, seul indicateur efficace du risque, par une intervention exogène et menée de manière discrétionnaire : celle de l’État. Celle-ci perturbe d’un côté les mécanismes de régulation de l’activité par les prix, et de l’autre elle favorise la formation de bulles monétaires. Tout cela n’est qu’aggravé par l’expansionnisme monétaire généralement pratiqué par les banques centrales dans ces cas là. Économiquement, on ne peut que blâmer toute politique ayant pour conséquence directe ou indirecte de favoriser ces phénomènes.

Quels économistes justifieraient que l’on se mette dans des situations qui présentent de tels risques systémiques ? Certainement pas les libéraux, et même Keynes gagnerait à être relu par les Keynésiens puisque l’application par les Keynésiens de la synthèse néo-classique telle que définie par Paul Samuelson, semble souvent bien éloignée de la doctrine Keynésienne sur le sujet. Les agents économiques ne gagnent pas à voir des bulles se développer, seuls les politiciens peuvent avoir intérêt à bénéficier d’une croissance économique artificiellement portée par le début d’une bulle monétaire. George W. Bush, Jr s’en est montré fort heureux par exemple.

C’est notamment ce que dit Jacques de Larosière, ancien directeur général du FMI et ancien gouverneur de la Banque de France : « Si l’État a tendance, comme c’est de plus en plus le cas, à intervenir systématiquement, notamment en vertu du principe de précaution, on conçoit, par exemple, que certains assurés sociaux puissent se montrer moins stricts quant à leur règle d’hygiène »1. Une analyse très lucide pour quelqu’un qui a fait partie des institutions ayant favorisé l’émergence de ce genre de phénomènes. Plus loin dans son article, il mentionne la nécessité de relever les fonds propres des banques. Mais qui décide du taux de réserves fractionnaires ? Les autorités monétaires. Il en est de même pour les taux d’intérêt : n’est il pas étonnant que les taux directeurs de la Fed aient si peu bougé alors même que M3 augmentait dangereusement de 2001 jusqu’à l’éclatement de la bulle ?

Venons en à l’aspect moral de la garantie des dépôts bancaires par l’État. C’est l’intervention publique qui a favorisé et encouragé la privatisation des profits et la nationalisation des pertes dans le cas de la crise des subprimes. Ce système représente une incitation à augmenter les taux d’endettement sur des actifs risqués, puisque le risque lié à l’effet de levier est estompé par la garantie d’une socialisation des pertes. C’est un système gagnant-gagnant pour celui qui prend des risques inconsidérés, et ce, au frais du contribuable. La crise de 2008 a mis en lumière l’amoralité des liens incestueux qui existent trop souvent entre le capital privé et puissance publique. Tout cela est moralement abject : déresponsabilisation, incitation à l’endettement. Nous condamnons ici le caractère amoral de ces incitations en période pro-cyclique.

Mais il en est de même lorsque la bulle éclate. La perspective du passage de pro à contra-cyclique m’oblige à parler du phénomène de ces banques devenues too big to fail. Le fait de considérer de plus en plus de grandes entreprises trop grosses pour faire faillite, en particulier dans le domaine bancaire, est un autre facteur qui encourage la prise de risque, il y a là à nouveau aléa moral. Le too big to fail accroit encore les effets pervers de la garantie des dépôts. Cette disposition, mise en place avec le Federal Deposit Act de 1950, a montré toute sa perversité lors de la crise des subprimes.

Que risque-t-on si l’État vous assure de toutes façons de vous aider en cas de faillite ? Rien ! C’est ce que sous entendait le PDG de Lehman Brothers en 2008 dans un mémo où il rappelait, à propos de la crise alors en cours, que les relations avec le Trésor américain étaient « bonnes ». Pascal Salin résume ainsi les conséquences du too big to fail : «La conséquence de cela est précisément que cela crée un risque systémique, car on incite les banques à prendre trop de risques ». Et lorsque, pour palier à ça, Jacques de Larosière suggère que les banques auraient du se préparer à une éventuelle faillite, il pointe du doigt le fait que cette éventualité s’estompe sous la règlementation protectrice de l’État. Le too big to fail atteint la limite de l’acceptable au moment de l’éclatement de la bulle, puisque les responsables de cette crise ne sont pas punis. Pas punis parce qu’ils ne font pas faillite, pas punis parce qu’ils profitent de la coopération tacite avec l’État. Ces entreprises deviennent too big to go in jail : leurs dirigeants profitent d’une forme d’immunité judiciaire, notamment dans le monde de la finance où l’on voit des fraudes massives sanctionnées très légèrement ou pas (MF Global en 2011 ou Libor en 2012).

Une fois la crise des subprimes passée, quelles conclusions en avons-nous tiré ? Nous avons abusivement pensé que l’intervention ex post était obligée à cause d’une absence d’intervention ex ante. Mais, au vu de la politique monétaire et des dispositions règlementaires mises en place par les autorités monétaires, il semble bien que c’est à cause de cette intervention ex ante qu’une intervention ex post a été jugée nécessaire, étant donné le coût social comme l’impact systémique qu’auraient représenté des faillites généralisées. La théorie économique souffre d’une généralisation abusive à propos des conséquences comme des causes de la crise de 2008. John Karaken et Neil Wallace2 le rappellent très clairement : pour éviter les crises de ce genre il ne faut pas sauver les banques et ne pas garantir les banques. Mais lorsque l’on fait face à cette crise, on se voit obligés de garantir les dépôts et de sauver les banques. Cette opposition est source de confusions : n’oublions pas le rôle de l’aléa moral dans la formation des bulles monétaires, et ne généralisons pas les conclusions hâtives.


Sur le web

  1. « La finance mondiale et les facilités de l’aléa moral » Jacques de Larosière, 25 juillet 2011, Libération
  2. « What shortcomings in macroeconomic theory and modelling have been revealed by the financial crisis and how should they be addressed in the future », M.Eichenbaum, Panel Statement, European Central Bank.
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  •  » il semble bien que c’est à cause de cette intervention ex ante qu’une intervention ex post a été jugée nécessaire »

    Plutôt que d’aléa moral, formule qui peut sembler accuser l’immoralité du marché, je pense préférable de parler de dette publique implicite.

    Prenez Fanny Mae et Freddie Mac: Leur garantie étatique était implicite, notamment du fait des obligations imposées par l’autorité politique, qui entraînèrent la crise.

    En fait, la plupart des réglementations économiques impliquent des dettes publiques qui ne sont pas comptabilisées.
    Le seraient-elles que l’irresponsabilité de la réglementation serait (encore plus) patente.
    L’eussent-elles été que 2008 n’aurait aucune variation de la dette publique.

    L’abandon des prétentions du politique à réglementer et à protéger supprimerait immédiatement aussi bien l’aléa moral que la dette implicite: Il s’agit donc bien de la même chose.

    Mais la seconde formulation me semble accuser le vrai coupable: Le politique.

  • Je ne suis pas d’accord avec vous fucius, les banques sont aussi coupables, il n’y a pas que les politiques, ils sont complices 😉
    Par contre la question sur « quels économistes…? », moi j’aurais été plus loin: personne n’a envie de prendre des risques énormes, c’est humain je pense, pas que les économistes et les liberaux.
    Mais du coup, Fucius, je me demande pourquoi le terme « d’aléa moral » , je pose la question aussi à l’auteur?
    Pour moi, l’article a été un peu difficile à lire quand même, mais il est interessant!

    • Non, la finance n’est pas coupable, ni même complice.
      Elle obéit à des règles perverses voulues par les hommes de l’État.

      Ces règles sont perverses parce que
      1 – Elles poursuivent des objectifs politiques de manière sournoise
      2 – Elles postulent la supériorité morale et intellectuelle des hommes de l’État

      Il faut revenir au capitalisme, que chacun prenne et assume ses risques, que les prêts immobiliers soient accordés par les banquiers selon leurs critères, et qu’ils fassent faillite s’ils ont été imprudents.

      Mais avant tout il faut en finir avec les taux arbitraires, donc avec l’endettement public, donc la dépense publique, donc l’État-providence.

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