« Joë » de Guillaume de Fonclare

Le portrait d’un personnage hors du commun qui traversa le siècle en fauteuil roulant.

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« Joë » de Guillaume de Fonclare

Publié le 4 décembre 2014
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Par Francis Richard.

richardDans la vie, qui n’est un long fleuve tranquille pour personne, il est des êtres humains dont l’exemple aide à surmonter les vicissitudes et à grandir, surtout quand il y a de nombreux points communs douloureux avec eux et qu’ils ont su s’en affranchir.

Dans le magnifique livre que vient de consacrer Guillaume de Fonclare à Joë Bousquet, l’auteur partage avec le poète et romancier d’avoir eu la vie changée brutalement (Guillaume de Fonclare par une maladie neuromusculaire, Joë Bousquet par une balle reçue le 27 mai 1918 sur un champ de bataille), et de s’être retrouvé dans un fauteuil roulant. Aussi ce récit n’est-il pas une biographie à proprement parler, non plus qu’une hagiographie, mais plutôt un livre de connaissance d’une personne hors du commun, avec qui l’auteur a plusieurs choses en commun, et de reconnaissance envers celui qui vous a fait comprendre où se trouve l’essentiel et vous a fait grandir.

C’est le prénom de Joë que Guillaume de Fonclare a d’abord retenu d’une conversation avec un ami, un prénom qui sonnait américain. Il ne connaissait rien d’autre de l’écrivain – « mais le mal était fait » -, jusqu’au jour où Joë Bousquet a croisé de nouveau sa route, alors qu’il était directeur de l’Historial de la Grande Guerre, à Péronne.

Joë Bousquet est né un 19 mars, en 1897. Enfin, c’est plutôt un mort-né qui est alors venu au monde et qui ressuscite après deux heures de réanimation par une sage-femme. Un an plus tard, sa nourrice meurt tandis qu’il la tète. Un an plus tard encore, il manque de succomber à une fièvre typhoïde, mais s’en sort au bout de trois semaines : « Vous êtes dès votre plus jeune âge un survivant, et vous garderez un goût marqué pour les expériences morbides, cherchant avec constance à vous tenir sur la frontière de votre existence dans une expérience sensible de ce qu’est la vie, et de ce qu’est la mort. »

Jeune homme, Joë ne s’intéresse guère aux études : « Votre principal centre d’intérêt, ce sont les filles, et plutôt les jeunes dames que les fillettes, autant pour choquer le beau monde que pour vous lancer des défis stupides ; des jeunes femmes de bonne famille, et quelquefois des femmes mariées. »

En 1917, la rencontre avec Marthe va faire basculer son existence. Le tombeur, qui fait très bien l’amour et très bien la guerre, tombe, lors d’une permission, dans les bras d’une jeune femme en instance de divorce : « C’est la folie des corps. » Il lui promet de l’épouser quand la guerre sera finie, mais se repent très vite de cette promesse, tant il craint d’aliéner sa liberté. Il demande même que sa permission soit écourtée… Après avoir reçu une lettre de Marthe lui annonçant qu’elle s’est donnée la mort, il se jette « dans une terrible mêlée, pressé d’en finir à [son] tour, fou de douleur et consumé de remords », mais la mort ne veut pas de lui. Deux autres lettres suivent, une de Marthe qui dément son suicide, une autre de son père à elle exigeant un mariage immédiat pour régulariser la situation.
La mort ne veut pas de lui, mais le tombeur de dames tombe sous une balle qui traverse ses deux poumons et fracasse deux de ses vertèbres. L’espoir de guérison sera déçu. La moitié de son corps sera à jamais inerte et inutile. Ses amours avec Marthe en seront victimes. L’autre moitié le faisant souffrir, il s’adonnera à la drogue, pour supporter.

À partir de ce moment-là Joë va vivre reclus, une bonne partie de son temps, se satisfaisant de son demi-corps, dans une chambre, occupée auparavant par son grand-père, au 53 rue de Verdun à Carcassonne : « Désormais c’est vous qui décidez à quel moment l’extérieur s’immiscera à l’intérieur, à quel moment une lettre, une visite, un soin viendra vous rappeler que vous n’êtes pas seul au monde. »

Guillaume de Fonclare raconte cette nouvelle vie qui se terminera le 28 septembre 1950. Joë va reprendre le grec et le latin, se passionner pour le Moyen Âge et le catharisme. Et il va écrire, beaucoup, « un vaste bric-à-brac d’idées et de souvenirs, d’historiettes et de longs poèmes en prose », « une œuvre lumineuse sans que la lumière du soleil ne vienne jusqu’à [lui] ».

La lecture de ces textes n’est pas d’un abord facile, « mais pour peu que l’on s’oblige à ne pas chercher un sens à ce qu’on lit, et qu’on se laisse porter par votre prose, comme on se laisse porter par le courant de la rivière sur un bateau, c’est une expérience saisissante qui ouvre sur un monde étrange aux surprenants parfums, un monde onirique et déroutant peuplé de fées, de magiciens, d’interrogations essentielles et métaphysiques ».

L’impuissance de Joë ne sera pas suffisante pour le faire renoncer à aimer et à être aimé des femmes. Marthe lui aura appris que l’on peut « aimer une femme autrement qu’avec son corps ». Il aimera et sera aimé d’Alice, de Ginette, de Germaine… et d’autres jeunes filles, sans doute : « l’amour n’est pas que sexe, et le sexe n’est pas question que de phallus ».

D’être cloîtré n’empêche pas Joë d’entretenir d’autres relations qu’amoureuses avec l’extérieur : « Vous êtes aussi devenu en quelques années un intellectuel de haut vol, vos lectures et les rencontres ont formé votre esprit et vous êtes l’égal des grands penseurs de votre temps. »
Joë correspond avec les plus illustres « philosophes, écrivains, artistes, issus du mouvement surréaliste en premier lieu ; André Breton et Paul Éluard seront des amis proches et fidèles tout au long de votre vie. »

Guillaume de Fonclare ajoute : « Les murs de votre chambre sont à l’aune de ces rencontres et de ces amitiés, nombre d’œuvres des plus grands peintres de ce premier tiers du XXe siècle y sont accrochées; Dalí, Dubuffet, Tanguy, Bellmer et Miró. » Et puis il y a l’amitié de Joë et de Max Ernst, qui précède la découverte de quelque chose qui les lie depuis longtemps sans qu’ils le sachent, et qui dépasse l’entendement : « Avec Max, il est question de destinée commune, et si votre raison repousse l’idée d’un Dieu vous avez le pressentiment que la conjonction de vos vies dépasse les possibilités du hasard et de la statistique. »

Il n’est pas étonnant que la fréquentation posthume de Guillaume de Fonclare avec Joë lui ait « appris qu’il y a des tristesses heureuses ». En lisant son livre un passage frappe, parce qu’il corrobore l’expérience d’une vie, qui se nourrit de nos imperfections : « Nous sommes tous des invalides. Oui, nous souffrons tous de la même plaie, blessés de vivre puisqu’il faut mourir, puisqu’il y a la mort tout au bout. »

  • Guillaume de Fonclare, Joë, Stock, octobre 2014, 144 pages

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  • En ouvrant pour nous l’oeuvre de ces deux artistes vous m’avez donne l’envie de decouvrir ce livre.

    Merci.

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