Requiem pour une monnaie de singe

Keynes que c’est que c’est que c’est que c’est que ça ?

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monnaie de singe credits Max Shearer (licence creative commons)

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Requiem pour une monnaie de singe

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 3 décembre 2014
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Par Serge Federbusch.

monnaie de singe credits Max Shearer (licence creative commons)

Tout a commencé il y a plusieurs décennies, aux États-Unis, par l’adoption à des fins contra-cycliques, par la Réserve fédérale (Fed), d’une politique monétaire dite accommodante. En clair, pour soutenir une activité défaillante, les taux d’intérêt baissaient et, pour s’en assurer, la banque centrale rachetait des bons émis par le trésor américain dont les investisseurs privés ne raffolaient pas. Tant pis si, négligence bénigne, le taux de change du dollar fléchissait au passage : c’était bon pour les exportations de l’oncle Sam.

Après la crise financière de 2008, cette politique a pris des proportions inhabituelles, apparaissant comme le dernier rempart contre l’effondrement du système bancaire mondial. Les Banque du Japon (BoJ) et d’Angleterre (BoE) s’y sont mises avec allégresse. Monde parfait, les marchés financiers étaient friands de cet « assouplissement quantitatif », formulation technocratique du battage de monnaie. Au total, Fed, BoJ et BoE ont injecté près de 7 000 milliards de dollars en cinq ans dans les circuits financiers, dont près de 5 000 milliards pour les seuls États-Unis. Une part de ces liquidités a naturellement alimenté la hausse boursière. Pour faire bonne mesure, au FMI et à l’OCDE, des prêtres – pardon des économistes – néo-keynésiens bénissaient cette miraculeuse opération du saint crédit.

En Europe continentale, les pouvoirs clientélistes incapables de conduire des politiques de réforme courageuse, comme celui de François Hollande, trépignent depuis trois ans à l’idée qu’ils pourraient davantage bénéficier du banquet gratuit. La Banque centrale européenne, après avoir annoncé à plusieurs reprises qu’elle recourrait elle aussi à ces facilités, ne l’a fait qu’à plus modeste dose, en raison principalement de l’opposition des Allemands, inquiets pour leur épargne.

Au début, les effets de cette assouplissement ont paru bénéfiques sans être toutefois enthousiasmants. L’économie américaine a crû de 2,2% en moyenne de 2010 à 2013 après la catastrophique année 2009 (-2,8%) qui succédait à un début de récession en 2008. Celles du Japon et du Royaume-Uni ont connu un rebond analogue. Encore faudrait-il distinguer les effets de la dépréciation du dollar, du yen et de la livre sterling qui favorise les exportations de ceux de la simple augmentation de la masse monétaire ces années-là.

Quoi qu’il en soit la belle mécanique se grippe déjà. Le problème immédiat est que les salaires ne suivent pas, ce qui finit par brider la croissance et priver les finances publiques de recettes fiscales indispensables au redressement budgétaire. Ainsi, en Grande-Bretagne, le déficit des comptes publics pourrait se creuser cette année malgré un PIB progressant encore de près de 3% en 2014. Sur les sept premiers mois de l’exercice budgétaire en cours (avril à octobre), le déficit britannique était supérieur de 6% à la même période de l’an dernier. Or, sur l’ensemble de l’année (avril 2014-mars 2015), le gouvernement de sa majesté tablait sur une réduction de plus de 11%.

Au Japon, la situation est plus inquiétante. Le gouvernement a annoncé la semaine dernière que le pays avait enregistré, pour le second trimestre consécutif, une chute de son PIB et qu’il était ainsi officiellement retombé en récession. La consommation des ménages stagne et les entreprises déstockent plutôt que d’augmenter salaires et production. L’assouplissement quantitatif a déjà épuisé une partie de ses charmes.

Et, dans tous les pays qui s’y sont adonnés, la diminution du chômage résulte davantage de la multiplication d’emplois précaires et mal payés que d’une saine reprise des embauches.

Que se passe-t-il en réalité ?

Selon la théorie keynésienne, synthétisée dans le fameux schéma IS/LM de John Hicks, la baisse des taux d’intérêt finit par provoquer une situation de « trappe à liquidités ». Cette expression à l’allure de tour de prestidigitation signifie que, sous un certain seuil, les agents pensent que le taux d’intérêt ne peut désormais plus qu’augmenter. Ils préfèrent alors détenir de la monnaie plutôt qu’acheter d’autres actifs, notamment des obligations, dont les cours risquent de chuter.

Cette théorie est un peu péremptoire, notamment quand elle définit les préférences anticipées des investisseurs. Dans la situation actuelle, il apparaît plutôt que la politique d’assouplissement quantitatif patine car les liquidités créées bénéficient d’abord aux grandes corporations : États, banques et industries qui leur sont liées plutôt qu’aux PME et autres structures plus innovantes. L’assouplissement quantitatif est la proie idéale pour un capitalisme et une finance de connivence. Dès lors, la concurrence internationale se fait moins par l’investissement et la compétitivité-produit que par les prix. Paradoxalement, la croissance de la masse monétaire peut donc se traduire par une baisse des prix qui pèse sur les salaires et fait cohabiter risques inflationnistes et déflationnistes.

On comprend mieux les réticences des pays d’Europe du Nord à se lancer dans cette aventure. Qui, sur le vieux continent, bénéficierait en priorité de cette poudre de perlimpinpin ? L’assouplissement quantitatif permettra-t-il simplement aux budgétivores publics de Grèce, de France, d’Espagne et d’Italie d’arroser leur clientèles électorales ou d’aider leurs canards boiteux ? Et qu’en déduire pour la France en proie aux doutes et à la mou-présidentialitude ?

Que l’ultime espoir d’un sauvetage par la création monétaire, si les cigales venaient à l’emporter sur les fourmis à Bruxelles et Francfort, serait au mieux de courte durée. Au contraire, l’extension du domaine de la monnaie de singe pourrait finir par effrayer des marchés financiers privés de valeurs refuges et entraîner une hausse des taux. Étrange paradoxe que celui d’un accroissement de la quantité de monnaie mise sur les marchés qui aurait pour effet d’augmenter le prix de cette monnaie, à savoir le taux d’intérêt. Bref, la trappe à liquidités s’ouvrira par la fenêtre après avoir été colmatée par la porte !

Mais il en va ainsi dans une économie mondiale déréglée par les manipulations auxquelles se prêtent gouvernements, banques centrales et milieux financiers. Économistes et politiciens comprennent de moins en moins bien ses à-coups. Rassurez-vous : au bout du chemin il y a toujours la spoliation des épargnants et l’autoritarisme des pouvoirs.


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  • « Rassurez-vous : au bout du chemin il y a toujours la spoliation des épargnants et l’autoritarisme des pouvoirs » 😀 ! mdr , je ne devrais pas en rire mais bon , que peut-on faire d’autre ?

  • Derrière tout ça il y a cette obsession monomaniaque pour la croissance qui fait que les BC maintiennent l’économie sous perfusion. Le soucis qui s’ajoute à cette fuite en avant c’est que comme vous le dites très bien une bonne partie des liquidités injectées est épongée par les marchés financiers au détriment de l’économie réelle et des entrepreneurs, qui en sont historiquement le moteur.

    Faut-il lire entre ces lignes que la finance est peut être devenue un peu trop… libre?

  • « L’assouplissement quantitatif est la proie idéale pour un capitalisme et une finance de connivence.  »

    En fait il est l’exact contraire du capitalisme, où l’argent se gagne.
    Nous avons essentiellement rompu avec le capitalisme, et il ne sera pas facile de renouer.

    Le débat reste le même: Économie de marché ou économie planifiée ?
    Même quand ils affirment aimer l’entreprise, et donc lui décident de lui « donner » 40 milliards, les socialistes restent prisonniers de leur mentalité de pillards.

    Quelle comédie pathétique que celle des dignitaires socialistes disant « aimer l’entreprise », ce qui dans leur langue veut dire qu’ils vont tâcher de lui donner l’argent pillé !
    Ils ne comprennent pas que le capitalisme ne consiste pas à donner à des entreprises le produit du pillage étatique, au lieu de le donner à leur clientèle habituelle, ceux qu’ils disent « aimer » en temps normal, et qui le réclament à cor et à cri; mais à ne pas le prélever, pour laisser la liberté économique répartir les ressources !
    Liberté économique ? Voilà bien un concept parfaitement étranger à leur pensée.
    Car un dignitaire socialiste ne raisonne qu’en termes de pillage et de pouvoir.

    Constatons l’abîme intellectuel et moral dans lequel le socialisme nous a enfoncés, par contraste avec la gestion de la panique de 1920 par le président Harding.
    http://www.leblogueduql.org/2009/05/warren-harding-et-la-d%C3%A9pression-de-192021.html

    Le désastre qui s’annonce est pire que celui de la Grande Dépression, cette spirale de socialiste où FDR, grand admirateur de Staline, entraîna les États-Unis 10 ans après que Harding avait déjoué une panique plus violente que celle de 1929 et, en un an, engagé son pays dans les Roaring twenties.
    Je tiens que cette folie socialiste étatsunienne, additionnée à celle des socialistes des autres pays dont la France et bien sûr la Russie, causa le désastre de la seconde guerre mondiale.
    Quel prix paierons-nous pour la folie socialiste de notre époque ?

  • L’air du requiem a commencer à retentir en 1914 quand le standard-or classique fut aboli….Puis s’est amplifié en 1971 quand Nixon a fermé la « gold window » ,et enfin son volume est devenu inssuportable depuis les année 90 quand Greespan a maintenu des taux trop bas…

    • C’est une vision exacte, mais technique de la déchéance.
      La vraie raison, c’est la dépense publique, d’abord de guerre, ensuite d’État-providence.

      L’étalon-or rend ces perversions impossibles; mais en leur absence, il est inutile.
      Je pense qu’un État qui se financerait par une expansion monétaire annuelle de 5% pourrait remplir ses fonctions régaliennes, et que sa monnaie serait bien plus forte que l’or.

  • L’or est reparti à la hausse, et fortement.

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