La peine incompressible de trente ans devant la Cour européenne des droits de l’homme

La prison à vie peut-elle constituer un traitement dégradant du point de vue de la dignité humaine au regard de la convention européenne des droits de l’homme ?

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La peine incompressible de trente ans devant la Cour européenne des droits de l’homme

Publié le 19 novembre 2014
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Par Roseline Letteron.

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La Cour européenne des droits de l’homme s’est prononcée pour la première fois, le 13 novembre 2014, sur la peine incompressible de trente années d’emprisonnement introduite dans notre système juridique par la loi du 1er février 1994. Le requérant, Pierre Bodein, est d’ailleurs le premier justiciable condamné à cette peine, avant Christian Beaulieu et Michel Fourniret. En vingt ans, la peine de trente ans incompressible a donc été infligée trois fois par des Cours d’assises.

Itinéraire d’un Serial Killer

Pierre Bodein, surnommé « Pierrot le Fou » par la presse, a été condamné par la Cour d’assises du Bas-Rhin le 11 juillet 2007 pour trois meurtres commis dans une zone de vingt kilomètres autour des villes de Barr et d’Obernai en juin 2004. Les trois victimes, une fillette de dix ans, une femme de trente-huit ans et une adolescente de quatorze ans ont toutes été enlevées, puis violées avant d’être tuées et mutilées. À l’époque des faits, l’affaire avait suscité beaucoup d’émotion, d’autant que Pierre Bodein, déjà condamné à plusieurs reprises pour des faits de violences et de viol, avait bénéficié d’une libération conditionnelle en mars 2004, à peine trois mois avant les meurtres. Par la suite, en octobre 2008, sa condamnation à une peine de trente années d’emprisonnement incompressible a été confirmée en appel par la Cour d’assises du Haut-Rhin. Son pourvoi fut ensuite rejeté par la Cour de cassation le 30 juillet 2010.

Le requérant devrait pouvoir bénéficier d’un aménagement de peine en 2034, lorsqu’il aura quatre-vingt sept ans. À ses yeux, la longueur même de cette réclusion sans possibilité de demande d’élargissement constitue un traitement inhumain ou dégradant au sens de l’article 3 de la Convention européenne des droits de l’homme.

Il est bien clair que Pierre Bodein n’était guère préoccupé par les traitements inhumains et dégradants lorsqu’il commettait trois meurtres particulièrement odieux. Mais la Cour européenne ne s’intéresse pas aux questions de fait. Son rôle consiste à apprécier la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’homme.

Conformité de la peine perpétuelle à l’article 3

La Cour considère que le prononcé d’une peine d’emprisonnement à vie à l’encontre d’un délinquant adulte n’est pas en soi prohibé par l’article 3. Dès sa décision du 6 mai 1978 Kotalla c. Pays-Bas, elle estime ainsi que l’emprisonnement à vie d’un criminel de guerre allemand condamné à mort en 1948 et dont la peine a été commuée en 1951 n’est pas un traitement inhumain et dégradant. Rien n’interdit à un État de prévoir une peine très longue, voire de durée indéterminée, permettant le maintien en détention d’une personne aussi longtemps qu’il constitue une menace pour l’ordre public. En revanche, le problème se pose au regard de l’article 3 lorsque la peine prononcée est incompressible.

La compressibilité de la peine

Justice credits Michael Coghlan (licence creative commons)Pour la Cour, une peine perpétuelle doit, à un moment donné et même dans un futur lointain, être soumise à réexamen, dans le but d’apprécier l’amendement du détenu et la nécessité de son maintien en détention. Et le détenu, dès sa condamnation, a le droit de savoir à partir de quelle date il pourra obtenir ce réexamen. Il est donc satisfait aux exigences de l’article 3 si la peine est compressible, à l’issue d’une durée de détention fixée dès la condamnation.

La question a été traitée par la Cour européenne dans son arrêt Vinter et autres c. Royaume-Uni du 9 juillet 2013. En l’espèce, c’est la législation britannique qui était en cause, dans la mesure où elle prévoit une peine de perpétuité réelle (« Whole life order »), assez semblable à ce qui existe aux États-Unis. Dans ce cas, le détenu ne peut, éventuellement, être libéré qu’en vertu du pouvoir discrétionnaire confié au ministre par une loi de 1997, pouvoir discrétionnaire qui ne peut s’exercer que pour des motifs humanitaires, lorsque le détenu est atteint d’une maladie mortelle en phase terminale ou lorsqu’il est frappé d’une invalidité particulièrement grave. Cette procédure a été considérée par la Cour comme non conforme à l’article 3 de la Convention pour deux raisons. D’une part, elle ne prévoyait aucun délai précis pour l’éventuel réexamen de la situation du détenu. D’autre part, son éventuelle libération dépendait de facteurs extérieurs à son désir de s’amender, et il ne pouvait donc rien faire pour modifier sa situation.

L’arrêt Vinter reprend sur ce point la jurisprudence Kafkaris c. Chypre du 12 février 2008, selon lequel la perpétuité incompressible ne doit pas conduire au maintien en détention du criminel au-delà de la durée justifiée par les objectifs légitimes de l’emprisonnement. Il faut donc une appréciation de droit et de fait de la situation de l’intéressé, à l’issue d’une période que le droit interne des États peut fixer librement.

Cette jurisprudence est appliquée avec rigueur par la Cour européenne. C’est ainsi que, dans son arrêt Trabelsi c. Belgique du 4 septembre 2014, elle a considéré comme non conforme à l’Article 3 une décision des autorités belges d’extrader un ressortissant tunisien vers les États-Unis pour des faits liés à une activité terroriste. En l’espèce, la Cour a considéré qu’aucune garantie n’était donnée permettant de penser que l’intéressé, s’il était condamné à une peine de prison à perpétuité, pourrait bénéficier d’un réexamen de sa situation.

La marge d’appréciation des États

Dans le cas du droit français, l’emprisonnement à perpétuité peut être assorti d’une peine de sûreté de trente ans. Le requérant est donc parfaitement informé, dès le prononcé de sa peine, de la date à laquelle il pourra solliciter un aménagement. « Au regard de la marge d’appréciation des États » en matière de justice criminelle, la Cour estime en conséquence que cette possibilité de réexamen est suffisante pour estimer que le droit français est compatible avec les exigences de l’Article 3.

D’une manière générale, l’emprisonnement d’une personne est une décision très lourde qui repose sur une multitude de motifs. Il s’agit tout à la fois de punir, de dissuader, de protéger le public, de réinsérer le condamné. L’équilibre entre ces différents motifs relève d’une alchimie que les autorités judiciaires de l’État définissent librement. La Cour européenne respecte cette liberté et se limite à rappeler que cet équilibre n’est pas immuable. Il peut évoluer durant l’exécution de la peine. C’est la raison pour laquelle une possibilité de réexamen doit être prévue, même à l’issue d’un délai de trente ans. Quand Pierre Bodein aura quatre-vingt-sept ans, il sera sans doute opportun de s’interroger sur son maintien en détention.

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  • La peine de mort serait une dissuasion efficace et économique même si l’on sait que Bruxelles serait contre . La France étant la vache à lait du système  » Union européenne  » elle n’a rien a craindre , on ne menace pas son créditeur . Cependant la peine de mort est à prendre avec minutie et sérieux , on ne saurai condamné un innocent ou un opposant politique voir tout simplement un criminel pas si odieux que cela ( comme un escroc en politique tien ) .

    • bonjour le nîmois, quitte à faire hurler d’aucuns ,dès lors qu’il y a crimes -assassinats d’enfants -d’agressions ayant entrainés la mort violente de personnes sans défense ;je suis sans ambages pour la peine de mort .

      • Attention la vraie peine de mort, celle apliquée en Arabie Saoudite… Le Texas est mou à coté de cela! Décapitation publique au sabre et crucifixion …Ma préférence va plutot pour de longs et douleureux supplices…

    • La peine de mort n’est dissuasive que si systématiquement et très rapidement appliquée.Aujourd’huis accun état dans le monde a mis en place les conditions adéquates pour atteindre de manière sérieuse cet objectif de dissuasion.La peine capitale ne dvant etre de nos jous si elle est mainenue qu’une peine réservée à des cas extremement rares dans le seul but de protéger la société (et non pour se venger ou comme punition ).Je ne vois guere que le Japon qui remplie cette condition (et l’Inde dans une certaine mesure).L’exemple US est brutal et extremement injuste.Et par fusillade ou pendaison l’injection est indigne!

  • La peine existe des 2 cotés puisque il faut entretenir ce personnage
    surtout pour les parents des victimes qui participent financièrement à son entretien ( chauffage, nourriture ..
    là c’est la solidarité double peine socialiste de gré ou de force

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