Activisme 2.0 : pour une Magna Carta de l’internet

La Grande Charte de 1215 marque le passage de l’absolutisme à l’État de droit. Comment atteindre ce consentement des utilisateurs de l’internet ?

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Allégorie de la justice (Crédits : Scott, licence CC-BY-NC-SA 2.0), via Flickr.

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Activisme 2.0 : pour une Magna Carta de l’internet

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 novembre 2014
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Par Farid Gueham.

Allégorie de la justice (crédits Scott, licence creative Commons)

Fini jets de pierres, cocktails Molotov et autres expéditions visages cagoulés. Le terrain de combat du néo activisme n’est plus la rue. C’est l’internet. Il était pourtant acquis que les innovations technologiques devaient servir notre liberté. Pas si sûr, à en croire l’analyse de Rebecca Mackinnon, dans son ouvrage Consent of the Networked, le consentement des connectés. Comment garantir un développement d’Internet compatible avec le modèle démocratique ? Compte tenu de l’élan puissant apporté par les médias sociaux aux récentes révolutions survenues au Moyen-Orient et dans d’autres régions du monde, peut-on s’assurer que ces mêmes outils ne soient pas utilisés pour la censure et la surveillance pour le compte des gouvernements et parfois même avec l’assistance d’entreprises technologiques occidentales ? Pouvons-nous cesser de nous considérer comme des utilisateurs passifs de la technologie afin d’endosser notre rôle de « net-citoyens » et retrouver le contrôle de notre avenir numérique sur des réseaux qui doivent reconnaître notre pouvoir et notre liberté, dans un consentement mutuel ? Ce n’est pas gagné.

Lorsque « Apple » lance son Iphone en Chine, il cède aux exigences du gouvernement en aménageant quelques spécificités locales sur son Appstore : pas de publicité pour le Tibet et interdiction discrétionnaire des applications jugées inappropriées. Du côté des démocraties occidentales, on n’est pas plus exemplaires. Le gouvernement des États-Unis censure également les applications qui pourraient heurter la sensibilité politique de certains groupes (caricatures, satires). Ce fut le cas pour du dessinateur Mark Fiore, dont l’application fut autorisée après que ce dernier eut reçu le prix Pulitzer. Plus récemment, Apple a censuré une application de contestation palestinienne « 3rd-intifada » après que le gouvernement israélien ait exprimé des inquiétudes quant à son usage par des groupes extrémistes. Quels sont dès lors les critères de censure émis par les entreprises et les groupes privés ?

Peuvent-ils prendre des libertés vis-à-vis des critères constitutionnels en force dans nos démocraties ? En un mot qui règne sur l’internet et ses libertés ? Gouvernements, citoyens ou groupes privés ? Dans un monde pré-Internet, la souveraineté sur les libertés physiques et les privations de droits étaient entièrement contrôlées par les États-nations. Cette souveraineté est aujourd’hui partagée. Une partie du pouvoir s’est naturellement déplacée vers la sphère privée, les réseaux sociaux et le « cyberespace ». On assiste même à une nouvelle forme de réglementation : le codage, les applications, les logiciels et leur déclinaison pratique façonnent une nouvelle loi, une norme numérique. Un monde que les États-nations ne peuvent plus ignorer, comme l’indique Rebecca Mackinnon : « l’information a plus d’effet que jamais sur l’exercice du pouvoir dans notre monde physique. Après tout, même le leader du monde libre aura besoin d’un petit coup de main du sultan du Facebookistan s’il veut être réélu l’année prochaine ».

magna carta internet rené le honzecLe cyber-activisme a joué un rôle fondamental dans le mouvement du « printemps arabe ». Les cyber-activistes sont capables de renverser un gouvernement, mais sont-ils capables d’accompagner la mise en place d’un nouveau régime démocratique ? C’est la question que soulève Wael Ghonim, cadre égyptien de Google le jour et activiste de l’ombre sur Facebook la nuit. Au lendemain de la démission de Moubarak, il déclare sur CNN « Si vous voulez libérer une société, il suffit de lui donner Internet. Mais renverser un gouvernement est une chose et construire une démocratie stable s’avère un peu plus compliqué ». La dictature de Moubarak renversée, les bureaux de la sécurité d’État égyptienne sont pris d’assaut par les activistes. Sur place, ils trouvent de nombreux dossiers et au milieu des documents broyés, des fichiers restés intacts. Les activistes y retrouvent leurs propres fiches de surveillance où figurent échanges d’emails, de sms et leurs conversations sur Skype. Plus inquiétant, des activistes trouvent même un contrat liant une société occidentale à la dictature déchue pour la vente d’une technologie de surveillance aux forces de sécurité égyptiennes.

En Tunisie, la chute du gouvernement Ben Ali n’a pas eu raison de la censure dont les résurgences se manifestent dès mai 2013. Pages Facebook bloquées, sites non autorisés, les autorités de transition se montrent peu flexibles. Revirement de situation pour ce nouveau gouvernement qui portait tous les espoirs d’une renaissance démocratique. Slim Amamou, bloggeur emprisonné sous l’ère Ben Ali avait intégré ce gouvernement pour rapidement en démissionner afin de protester contre une dérive liberticide. La toute jeune démocratie tunisienne devait faire face à une liberté d’expression déstabilisante. Rebecca Mackinnon rappelle que « sur le réseau twitter, il n’était pas rare de voir de fervents partisans de la révolution déclarer : nous voulons la démocratie et la liberté d’expression, mais certains discours doivent être tenus à l’écart car ils sont trop violents et pourraient déstabiliser notre jeune démocratie ». La question se pose aussi en Occident. Le cas de Julian Assange n’offre pas plus de gages de tolérance à travers l’attitude des États-Unis dans la gestion du dossier Wikileaks. Suite à une plainte du sénateur américain Joe Lieberman, l’hébergeur du site, « Amazon », botte en touche et se désolidarise du blog. En résulte une rupture de contrat avec Wikileaks alors même que le site n’avait pas été condamné.

L’internet viendrait-il à bout des frontières ? Il faut croire que non. Si l’on observe une cartographie des usages de réseaux sociaux à l’échelle de la planète, Facebook s’est incontestablement imposé. Les résistances à son hégémonie mondiale sont culturelles, linguistiques ou politiques comme en Chine, au Vietnam ou dans certains des anciens états soviétiques. Après la grande muraille de Chine, voici le « Grand Pare-feu », ce filtre qui bloque et censure Facebook, Twitter, Google+ et de nombreux autres sites étrangers. La Chine sait aussi récompenser « l’autodiscipline », c’est-à-dire la surveillance et la censure des utilisateurs des sites. Chaque année, la « Internet Society of China » décerne des prix aux vingt premières sociétés chinoises, les meilleures dans cet exercice exigeant du contrôle des contenus. Parmi les lauréats de l’année 2009, on trouvait Robin Li, Directeur Général de Baidu premier moteur de recherche en Chine et le cinquième site le plus consulté du net. Inquiétant.

En Russie, l’approche est différente et les sites ne sont pas directement bloqués. Une des nouvelles figures de l’opposition russe ces dernières années est le bloggeur Alexeï Navalny. Son blog et son site « Rospil.info » lancés en décembre 2010, ont servi tous deux à dénoncer les cas de corruption, jusqu’à devenir des ressources extrêmement populaires sur l’internet russe. Un incident troublant frappe le site à la suite d’une collecte de fonds via une plateforme de paiement appelée Yandex Money. Les donateurs ont reçu des menaces par téléphone de la part de membres du parti nationaliste. « L’évolution et les usages de l’internet sont-ils toujours centrés sur les citoyens ? Le seul but légitime d’un gouvernement est de servir les citoyens et le seul but légitime de la technologie devrait-être d’améliorer nos vies et non de les manipuler ou de nous réduire à l’esclavage » affirme Rebecca Mackinnon.

Les citoyens savent interpeller l’État et rappeler un gouvernement à ses responsabilités. Mais savons-nous rappeler les souverains du cyber-espace à leurs devoirs et leur responsabilité quant à l’intérêt général ? Les pouvoirs publics ont du mal à se positionner sur ce terrain. En France, l’ex-président Nicolas Sarkozy déclarait devant une assemblée de grands patrons de l’internet « Nous (gouvernements) sommes les seuls représentants légitimes de l’intérêt public », pour finalement annoncer la création de l’HADOPI dont la régulation des partages de fichiers fut considérée comme une violation disproportionnée des droits de communication des citoyens, par le rapporteur spécial des Nations unies pour la liberté. Au Royaume-Uni, c’est une autre loi, le « Digital Economy Act » qui suscite l’inquiétude des défenseurs de cyber-libertés, avec toujours plus d’obligations et de responsabilités sur les intermédiaires privés dans la surveillance des comportements des usagers de leurs sites.

« Mais les sociétés n’ont pas arrêté de polluer les eaux ou d’employer des enfants de 10 ans uniquement parce que les cadres se sont insurgés un beau jour en décidant que c’en était trop. Ces décisions résultent de plusieurs décennies d’activisme acharné, avec le soutien de l’actionnariat et des consommateurs. C’est le résultat d’un activisme politique très soutenu et prolongé qui aboutit aux bons règlements et à une bonne législation. Nous avons besoin de la même approche avec Internet » déclare Rebecca Mackinnon. L’internet libre ne pourra voir le jour sans innovation politique. « Il y a 800 ans, le baronnage anglais décide que le droit divin est abusif. Il force le Roi Jean sans terre à signer la Magna Carta afin que même le monarque de droit divin trouve des limites à son pouvoir. Ce fut l’ouverture d’un cycle d’innovation politique qui a conduit à l’idée de consentement des gouvernés ».

La Grande Charte de 1215 est l’un des cadres juridiques les plus importants dans l’histoire de la démocratie moderne. Il marque le passage de l’absolutisme à l’État de droit, du fait de la limitation du pouvoir royal qu’il impose. Dès lors, comment atteindre ce consentement des utilisateurs de l’internet ? Une décision politique ou règlementaire ne suffira pas puisque le pouvoir est aujourd’hui disséminé. La responsabilité est partagée et ce consentement se construira sur un accord entre investisseurs, consommateurs et développeurs pour faire en sorte que les gouvernements et la technologie soient au service des usagers de l’internet et non le contraire.

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