L’impact économique des dépenses de guerre

Quels sont les impacts économiques des dépenses de guerre ?

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L’impact économique des dépenses de guerre

Publié le 5 novembre 2014
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Par Sylvain Fontan.

torpille credits James vaughan (licence creative commons)

En économie, si la guerre représente un coût, elle ne peut être résumée à ce seul aspect. En effet, les mécanismes par lesquels la guerre affecte l’économie ne se limitent pas à l’estimation de son coût pour les secteurs privés et publics. Dans ce cadre, apprécier l’impact économique de la guerre suppose que soient prises en compte les modifications des paramètres qui président à l’élaboration des choix individuels. Même si elle ne peut se borner à cette seule dimension, l’analyse de la guerre sous l’angle des finances publiques permet de souligner que la conséquence économique de la guerre renvoie aux notions de risque et d’incertitude.

Impact économique direct de la guerre

La guerre est généralement considérée comme un élément perturbateur de l’économie. En effet, elle soumet l’économie à des chocs de grande ampleur et à de lourdes contraintes que la paix ne connait pas. Sans entrer dans le détail, il convient de rappeler comment la guerre est susceptible d’affecter l’économie dans son ensemble et les comportements des agents économiques en particulier, notamment lorsqu’il y a une modification de la contrainte budgétaire de l’État.

D’une manière générale, la contrainte inter-temporelle de budget subit d’importantes modifications liées à l’impact économique de la guerre. Logiquement, en temps de guerre, le gouvernement doit fournir un effort financier qui se traduira par une augmentation de la dépense militaire, éventuellement au détriment de la dépense civile : c’est « l’effort de guerre ». Dans le cas d’une réduction des dépenses civiles, une conséquence directe est une moindre fourniture de services publics qui peut freiner l’activité économique à court et moyen terme. L’augmentation de la demande d’investissement militaire exerce également un effet négatif sur la production de biens de consommation et d’investissement privés. Autrement dit, la production de biens de consommation et d’investissement privés sera réduite par l’effort de guerre d’autant plus que la conscription détourne une partie de la main-d’œuvre et introduit des tensions sur le marché du travail. À cela doivent être rajoutées les destructions potentielles de l’appareil productif ainsi que sa désorganisation (transport, communication…). Au final, les conditions qui fondent l’offre, c’est-à-dire la production nationale, sont fortement affectées.

La demande, c’est-à-dire la consommation, subit elle aussi les effets de l’effort de guerre. En effet, autant l’investissement privé que la consommation tendent à être réduits suite à l’augmentation des impôts et à un appel accru à l’épargne (pour la souscription de bon de guerre notamment) : c’est l’effet d’éviction de la dette publique où en pratique les dépenses publiques évincent les dépenses privées. Pour le gouvernement, même si les taux d’imposition peuvent être augmentés, il n’en reste pas moins que l’assiette fiscale (somme des revenus et des bénéfices imposables) risque d’être sensiblement réduite. Il y a donc un mouvement simultané d’augmentation de la dépense publique (essentiellement militaire) et de réduction des ressources fiscales (à cet égard, la désorganisation de l’administration peut aussi réduire le rendement de l’appareil de collecte de l’impôt). La contrainte budgétaire devient de plus en plus serrée et le recours à l’emprunt et à la création monétaire est incontournable.

En définitive, tous les paramètres qui influent sur les conditions de financement de l’effort de guerre tendent à durcir la contrainte budgétaire. Toutefois, cela est sans compter sur l’incertitude que génère la guerre sur le maintien de l’équilibre budgétaire.

La guerre et le risque

Au-delà de l’impact économique direct de la guerre, il convient également de prendre en compte une dimension essentielle dans le calcul économique des agents : l’incertitude. Du fait de la guerre, l’environnement de la décision économique devient particulièrement instable. Autrement dit, sur toute décision plane le spectre du risque associé à l’incertitude sur la situation future de l’économie. Pour les agents individuels (consommateur, épargnant, entrepreneur) selon la sensibilité au risque de chacun et la possibilité de s’en prémunir, la tentation de remettre à un terme ultérieur toute décision importante devient très grande (notamment l’investissement). L’incertitude liée à la guerre exerce donc un effet négatif, aussi bien sur l’offre que sur la demande.

Pour le gouvernement, l’incertitude sur la situation future de l’économie est retranscrite directement dans la contrainte inter-temporelle de budget. Les risques sont ceux associés à la volonté du gouvernement d’honorer ses engagements et à l’incitation à recourir à la « taxe inflationniste » pour diminuer la valeur réelle de la dette à rembourser. En outre, le gouvernement fait face à un risque fondamental quant à sa survie. En effet, que la guerre soit externe (guerre internationale ou de souveraineté) ou interne (guerre civile), l’avenir de l’autorité gouvernementale est suspendu à l’issue de la guerre et la possibilité que la souveraineté de l’État ou la légitimité du gouvernement soient remises en cause. En cas de défaite de l’autorité en place, le risque est celui d’une répudiation totale de la dette. De plus, avec la perte de souveraineté, ce peut être aussi la fin de la fourniture de services publics. Ainsi, quelle que soit son ampleur, en cas de défaite, c’est un appauvrissement de l’économie dans son ensemble qui est à anticiper.

Dès lors, le problème du financement de l’effort de guerre se pose avec une acuité nouvelle dès lors que la survie du gouvernement est en jeu. En effet, le financement repose certes sur l’impôt, mais également sur l’émission de dette publique et de monnaie. Or, l’État est le garant des avoirs monétaires car détenir de la monnaie revient à détenir une dette sur l’État. Il est tenu par ses engagements de long terme sous forme de dette publique. S’il existe une probabilité pour que ces garanties ne soient pas respectées, les agents n’accepteront de les détenir que pour une faible valeur réelle (c’est-à-dire compte tenu de l’inflation). En effet, en principe, la monnaie et la dette publique permettent par construction de transférer du pouvoir d’achat dans le temps. Si la valeur réelle de ces actifs diminue pendant le temps de leur détention, l’agent subit une perte de pouvoir d’achat et s’appauvrit. A priori, il n’a donc aucun intérêt à détenir ces actifs et s’il n’a pas d’autre choix, il tentera de s’en débarrasser le plus rapidement possible, alimentant ainsi la chute de leur valeur réelle par la simple loi de l’offre et de la demande.

Dès lors, la difficulté du financement de l’effort de guerre s’accroît considérablement. En effet, ce financement devient d’autant plus problématique que pour émettre des bons de guerre, une prime de risque est proposée aux créanciers potentiels afin de compenser le risque de baisse de la valeur réelle des actifs publics. Sinon, un cercle vicieux s’engage alors puisque de fait, l’incitation à laisser filer l’inflation est croissante étant donné le durcissement de la contrainte budgétaire. Surtout, à travers ce raisonnement, se dessine l’établissement d’un lien entre la probabilité de survie du gouvernement et la valeur des actifs publics.

Lien entre la monnaie et les « nouvelles du front »

Il existe un lien entre la probabilité de survie du gouvernement et la valeur réelle des titres publics (bons de guerre et monnaie). En effet, en temps de guerre, toute nouvelle qui affecte la probabilité de survie du gouvernement exerce également un effet sur la contrainte inter-temporelle de budget. Un premier effet direct passe donc par la probabilité de survie du gouvernement qui détermine très largement les anticipations des agents sur la valeur réelle de la dette et de la monnaie. Un second effet passe par la dépense de guerre anticipée, composante essentielle de la dépense publique en temps de guerre. L’idée est tout simplement que les « nouvelles du front » appellent une réaction budgétaire. Notamment, une défaite militaire peut signifier un prolongement du conflit et/ou une augmentation de la dépense militaire. Par voie de conséquence, une « nouvelle du front » qui affecte négativement la probabilité de survie du gouvernement tendra à durcir la contrainte inter-temporelle de budget.

Il faut aussi prendre en considération un effet indirect associé à l’augmentation de la dépense de guerre. En toute logique, une mobilisation accrue pour l’effort de guerre doit augmenter la probabilité de survie du gouvernement. Autrement dit, face au renforcement des menaces sur la survie du gouvernement, une augmentation de la dépense de guerre est de nature à en compenser l’impact négatif. Toutefois, du point de vue technique, et pour la valorisation de la dette publique, encore faut-il que cet effet indirect puisse être pris en compte par les investisseurs dans la prime de risque qu’ils requièrent pour détenir des titres publics.

Les dépenses de guerre, de l’assurance à la réduction du risque

Si une augmentation de la dépense de guerre exerce un effet positif sur la probabilité de survie du gouvernement, une interprétation en termes d’assurance contre le risque peut être établie. Laissant la technique de côté, le raisonnement est simple à comprendre. En effet, faisant face à une menace militaire quant à survie, le gouvernement dispose du choix suivant : ne rien faire ou augmenter la dépense militaire. Dans le premier cas, (1) le risque est la perte de souveraineté. En cas de perte de souveraineté, le gouvernement n’est plus en mesure de remplir sa mission et le degré de satisfaction de la collectivité sera quasiment nul. Dans le second cas, (2) le gouvernement décide d’augmenter la dépense militaire, et pour ce faire, diminuera la satisfaction courante du bien-être collectif. En revanche, par cette décision, le gouvernement permet que l’espérance du bien-être collectif soit positive après-guerre. Autrement dit, la guerre aura bien un coût irrécupérable, mais supporter ce coût s’apparente à une prime de risque. En effet, pour l’agent économique, auquel le gouvernement demande un effort, soit par imposition accrue, soit pour souscrire aux emprunts de guerre, le conduisant à renoncer temporairement au moins à une partie de sa consommation, le renoncement lui donne une chance que sa consommation ne soit pas nulle dans l’après-guerre.

Il faut donc choisir entre ne pas engager de dépense de guerre et risquer un appauvrissement complet de l’économie, ou bien, engager la dépense de guerre et conserver une espérance positive de richesse future. Le raisonnement peut cependant être affiné et s’appliquer à des situations moins caricaturales.

Finalement, le raisonnement indique que même si les dépenses de guerre s’apparentent à des coûts irrécupérables, la décision de les augmenter pour accroître la probabilité de maintien de la souveraineté nationale a une valeur qui est non négligeable. Il convient néanmoins de noter que le montant d’une telle prime d’assurance peut s’avérer dissuasif si la probabilité de survie est faible, c’est-à-dire si la dépense de guerre à mettre en œuvre excède largement les capacités de mobilisation de l’économie considérée.

Conclusion

Dans une situation aussi extrême que la guerre, les notions d’anticipation, de crédibilité et de réputation sont fondamentales à l’analyse des politiques publiques. Les risques liés aux conflits génèrent de nombreuses incertitudes économiques, directement perceptibles dans les contraintes budgétaires. La guerre modifie en effet fortement le comportement des agents économiques. En cas de défaite, elle génère des risques spécifiques (tels que la perte de valeur de la dette ou de la monnaie). Si la dépense de guerre est généralement assimilée à un coût irrécupérable, elle peut aussi être perçue comme une prime d’assurance, permettant le maintien de la souveraineté nationale.


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  • selon les keynésiens, la guerre est une bonne chose. manifestement, ils n’ont jamais entendu parlé du sophisme de la vitre cassée

  • Les dépenses de défense peuvent être étudiées par analogie avec l’économie de l’assurance, avec toutefois une différence fondamentale qui tient en ce que l’absence de défense, aux conséquences incalculables, n’a pas de prix. La défense fait partie de ces très rares activités relevant du domaine régalien, tellement rares qu’elles le définissent.

  • Une guerre au sens propre, défensive, n’a de sens que si elle peut être gagnée, ou au moins si notre capacité à faire cette guerre a un possible effet dissuasif sur l’adversaire. En l’absence de l’un et de l’autre une guerre ou sa préparation n’est juste qu’une manifestation d’ego mal placée. De façon similaire, une guerre offensive ou sa préparation n’a de sens que si elle permet d’atteindre les objectifs qui l’ont motivée, par voie diplomatique ou militaire, et que les résultats dépassent la dépense.

    Un de mes anciens patrons, éminent professionnel détenteur d’un passeport belge, avait l’habitude de vanter la sagesse de son pays avec le propos suivant :

    « La Belgique est un petit pays qui n’est indépendant que depuis peu. Beaucoup de royaumes et d’empires se le sont disputés au cours des siècles. Leur seul point commun est qu’aucun d’eux n’en est ressorti plus riche, malgré la richesse de notre pays et leurs efforts taxatoires. »

    Aujourd’hui, on peut affirmer sans crainte que dans le « camp occidental », seuls les USA ont à la fois les moyens et une raison tangible de faire une guerre offensive, sans avoir à se prononcer sur la moralité de telles guerres. Les « alliés » servent d’alibi ou de proxy, et perdent à chaque occasion à la fois leur soldats, de l’argent, et un peu plus de leur « soft power ». Etre armé dans la perspective d’une guerre défensive (voir la Confédération Helvétique) est une autre équation …

    Je ne vois pas qu’un quelconque des conflits où la France s’est engagée ces vingt dernières années ait été défensif.
    Et je ne vois pas quel contrôle effectif la France pourra exercer un jour sur le pétrole libyen ou sur l’uranium centrafricain, ou sur le gaz irano-qatari (transitant par la Syrie), ou sur les ressources du Turkménistan (qui auraient pu transiter par l’Afghanistan), qui justifierait une goutte du sang de nos soldats ou un centime de nos ressources budgétaires.
    Si l’enjeu est le contrôle de l’extrémisme islamique, il est des moyens plus efficaces, moins coûteux, et plus proches de chez nous; et si tel est l’enjeu, pourquoi armer les « rebelles » syriens et eux seuls ? (sur le plan de la moralité, le dictateur centrafricain Bozizé, que la France soutenait, était autrement plus sanguinaire et brutal quele régime syrien; et sur le plan de la lutte contre l’extrémisme islamique, ce même régime syrien a des leçons à donner, pas à recevoir)
    Le maître étasunien a soutenu la révolte du FLN en espérant se substituer à la France; c’est une des guerres les moins coûteuses et les plus efficaces qu’il ait menées.

    La RFA vend son matériel d’armement et achète ses produits énergétiques au prix du marché. Cela ne permet pas les rétro-commissions, mais fait vivre un pays qui a plutôt moins de ressources naturelles que nous. Et qui dégage des excédents budgétaires et permet à sa population de garder une légitime fierté. Leur prochain engagement militaire après l’aventure afghane pourra attendre.

    Wir alle sollten Berliner sein.

  • Les constats historiques sont terribles et affligeants :

    – les guerres sont nécessaires pour casser les cercles vicieux économiques
    – il n’y pas de reconstruction sans destruction (la destruction créatrice – « il nous faudrait une bonne guerre »)
    – les dépenses militaires sont les moteurs de la recherche technologique scientifique, donc de la croissance et du progrès
    – depuis l’aube de la création, les êtres vivants se font la guerre, pour s’anéantir entre eux et régénérer leurs espèces, la destruction comme la guerre sont donc les moteurs de la vie

    Je n’ai rien inventé.

  • Quand le peuple obtient de moins en moins de bénéfices ou d’équité de cette souveraineté nationale, le gouvernement marche sur une corde raide très effilochée.
    Sans doute prévoit-il un parachute au moins argenté !

  • Je comprends que l’aspect militaire soit une assurance pour le maintien de la paix et de l’économie à condition qu’il ne repose pas essentiellement sur des intérêts privés faramineux et disproportionnés. N’en est-on pas déjà là malheureusement ?

  • Les commentaires sont fermés.

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Nicolas Tenzer est enseignant à Sciences Po Paris, non resident senior fellow au Center for European Policy Analysis (CEPA) et blogueur de politique internationale sur Tenzer Strategics. Son dernier livre Notre guerre. Le crime et l’oubli : pour une pensée stratégique, vient de sortir aux Éditions de l’Observatoire. Ce grand entretien a été publié pour la première fois dans nos colonnes le 29 janvier dernier. Nous le republions pour donner une lumière nouvelles aux déclarations du président Macron, lequel n’a « pas exclu » l’envoi de troupes ... Poursuivre la lecture

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