Tunisie : transition fragile

Peu importe la composition du nouveau gouvernement, celui-ci sera dans une position peu enviable : il devra faire face à une crise de sécurité de plus en plus aiguë dans le pays.

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Tunisie : transition fragile

Publié le 4 novembre 2014
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Par Dalibor Rohac.

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Les élections législatives en Tunisie qui viennent de se terminer, avec la victoire du parti « Nidae Tounes » et la défaite du parti islamiste « Ennahda », interviennent à un moment critique. Pendant un certain temps, la Tunisie a été considérée comme l’élève-modèle pour une transition de l’autoritarisme vers la démocratie. En Égypte, la déception générale de la prestation du gouvernement islamiste a abouti à un coup d’État militaire l’année dernière. En revanche, lorsque la Tunisie s’est trouvée dans une impasse politique, le parti islamiste Ennahda a négocié un transfert de pouvoir à un gouvernement intérimaire, ce qui a conduit le pays à des élections anticipées.

Peu importe la composition du nouveau gouvernement, celui-ci sera dans une position peu enviable : il devra faire face à une crise de sécurité de plus en plus aiguë dans le pays. Lors des deux dernières années, le pays a vu l’émergence de la violence politique et du terrorisme perpétrés principalement par des groupes salafistes radicaux, notamment l’assassinat de deux hommes politiques de l’opposition, Chokri Belaid et Mohamed Brahmi.

La Tunisie est également devenue une pépinière idoine pour le recrutement de combattants de l’État islamique en Irak et au levant (EIIL). Certains estiment que plus de 2400 des combattants de l’EIIL viennent de Tunisie, ce qui fait des Tunisiens le plus fort contingent parmi les combattants de l’EIIL. Le rétablissement de la sécurité de base et de l’ordre et de l’État de droit, la prévention des dangers de conflits internes, doivent être la priorité pour le nouveau gouvernement.

La violence politique peut avoir des racines multiples, mais la mauvaise performance économique de la Tunisie est clairement l’une d’elles. Au cours des dernières années, de nombreuses grèves et manifestations contre les conditions économiques ont pris un tournant violent et conduit à des attaques contre des postes de police locaux, par exemple.

Alors que l’Occident est confronté à des problèmes liés au vieillissement des populations, la Tunisie, comme les autres pays de la région, est confrontée au défi d’exploiter le potentiel économique d’une très jeune main d’œuvre. Pratiquement la moitié des Tunisiens sont âgés de moins de 30 ans, et beaucoup d’entre eux sont en difficulté. Bien que le chômage baisse peu à peu, le taux de chômage des jeunes diplômés universitaires en Tunisie est de plus de 30 %, ce qui rend leur situation précaire.

En raison d’un secteur touristique dynamique et des liens économiques avec l’Europe, la Tunisie a moins compté sur la propriété publique et sur la planification industrielle que les autres pays arabes et a longtemps bénéficié de la présence de nombreux investisseurs étrangers. Pourtant, son économie est confrontée à d’importants obstacles à la concurrence et à l’activité du marché. La Tunisie se classe 87e dans le dernier rapport sur la compétitivité mondiale, publié par le Forum Économique Mondial (WEF), en recul par rapport à la 32e place de l’édition 2010-2011. Sa mauvaise performance est principalement attribuable à ses marchés sous-développés (marché des biens, de travail et marché financier), qui sont paralysés par une réglementation lourde.

Les responsables tunisiens se sont fixés comme objectif de ramener le déficit public à 5% du PIB en 2015. Les principales mesures prévues pour maitriser le déficit budgétaire comprendront les réformes des programmes de prestations sociales (le gouvernement a déjà augmenté l’âge de la retraite à 62 ans), et le gel de la croissance des salaires dans le secteur public. Au regard de la puissance des syndicats du secteur public, la dernière mesure est extrêmement controversée. Bien que le syndicat de l’Union Générale Tunisienne ait à son crédit le rôle important joué dans la sortie de la crise politique qui a conduit à cette élection, il n’en demeure pas moins qu’il reste opposé à des réformes économiques, y compris la réduction de la croissance des salaires des fonctionnaires.

Cependant, les réformes structurelles qui permettraient de renforcer les marchés libres et de les rendre compétitifs sont essentielles pour accélérer la croissance économique actuellement anémique dans le pays. Peu importe la composition du prochain gouvernement, le pays est en retard en matière de libéralisation profonde, d’amélioration de l’environnement des affaires et d’élimination de la bureaucratie et de la corruption. Par rapport à ses voisins, la Tunisie est relativement bien classée en matière de facilité de faire les affaires (classement Doing Business de la Banque mondiale), mais sa performance est clairement insuffisante dans le domaine de l’obtention des permis de construire, puisque l’obtention d’un permis exige 19 procédures officielles, prend 94 jours et coûte presque 256 % du revenu par habitant, mais aussi dans le domaine de l’accès au crédit, où la Tunisie est freinée par le mauvais fonctionnement des marchés financiers.

Ce qui rend les réformes structurelles impératives ce n’est pas seulement la réduction du déficit budgétaire, car toute seule il est peu probable qu’elle porte ses fruits en l’absence prolongée de croissance économique. Plus important encore, le printemps arabe, qui a débuté en Tunisie, ne visait pas seulement à évincer des dictateurs corrompus, bien que la corruption du président déchu Ben Ali soit légendaire. La révolution tunisienne était une réponse à un système de gouvernance qui a négligé systématiquement les jeunes et leur a refusé l’accès aux opportunités économiques. Afin de tenir la promesse du printemps de 2011, le gouvernement doit donner aux Tunisiens la liberté de réussir sans être l’objet de harcèlement de petits bureaucrates et de dirigeants syndicaux.


Article initialement publié par le Cato Institut. Traduction réalisée par Libre Afrique.

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