Entendez la colère du précariat !

Les réformateurs doivent réaliser que l’avenir de leurs idées dépend de leur réponse aux besoins des personnes en situation précaire.

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Colère (Crédits : Corey Butler, licence Creative Commons)

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Entendez la colère du précariat !

Publié le 3 novembre 2014
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Par Alex Korbel

Colère CC Corey Butler

Les réformateurs ne mettent pas assez en avant le progressisme de leur programme politique. Sans doute parce qu’ils ont oublié que l’émergence d’un mouvement politique d’ampleur repose aussi sur la colère, les besoins et les aspirations d’un groupe social émergent.

Aujourd’hui, en Europe, ce groupe est représenté par le précariat.

 

Qu’est-ce que le précariat ?

Le précariat regroupe les travailleurs qui ont des contrats précaires sur le marché du travail, comme par exemple en France les CDD, les CNE et les conventions de stages, ainsi que les intérimaires, ou encore les emplois des travailleurs clandestins.

Dans l’Europe sociale-démocrate des États-providence, le précariat devient structurel, et pour la classe dirigeante (décideurs politiques, administration, syndicats, professions protégées, oligarques et capitalistes de copinage), il s’agit de lui faire supporter tous les risques, toutes les incertitudes de l’emploi et du chômage.

Il se compose d’une multitude de personnes souffrant d’insécurité, d’une vie en pièces, employées sans l’être vraiment, à court terme, sans horizon professionnel, incapables de se forger une identité, précarisées jusque dans leur esprit. Il y a bien sûr les millions de jeunes instruits mais frustrés par le chômage, les millions de femmes limitées dans leur succès professionnel et obligées de choisir entre vie de famille et emploi, un nombre croissant de personnes portant le masque d’une criminalité sans victime, des milliers de personnes considérées comme handicapées, et des millions d’immigrés. Ils vivent sur le même sol que les privilégiés, mais ont un éventail plus restreint de droits que les autres.

 

La récupération du précariat par les extrêmes

Jusqu’à présent, le précariat européen a été mis en scène par les mouvements étatistes extrémistes dans des manifestations mal organisées. Mais, comme on le voit dans les pays d’Europe du Sud, comme on le sent dans les autres pays européens, la situation évolue.

Les extrêmes se mettent en scène comme les avocats de cette nouvelle strate sociale, vivant cela comme un second épisode de la lutte des classes. Après la classe ouvrière de l’âge industriel, le précariat de l’âge des services.

 

Spoliés par l’État

Étant réformateurs, rappelons-nous plutôt que l’État-providence n’est pas le fruit de la lutte des classes mais le fruit des grandes guerres européennes.

À partir du XVIIIe siècle, les dépenses militaires des États ont atteint de nouveaux sommets en réaction aux menaces d’invasion des États voisins. L’accroissement de ces dépenses militaires a provoqué l’alourdissement de la pression fiscale, et face au mécontentement des créateurs de richesse, donc principaux contribuables, l’État a été obligé d’octroyer des droits civils et politiques à un groupe de plus en plus large de la population.

L’appareil d’État issu des guerres totales de 1870, 1914 et 1939 mais se maintenant en temps de paix sous la forme d’un État contrôlant directement ou indirectement tous les aspects de la vie des citoyens, couplé à un suffrage devenu vraiment universel, a fait en sorte que la satisfaction des différents intérêts privés a, depuis, occupé l’essentiel de la vie politique des États européens. On prend à Paul pour donner à Sophie. Et inversement. Sans fin. Et l’État n’oublie pas de se servir copieusement au passage.

L’État est la grande fiction selon laquelle tout le monde vit aux dépens de tout le monde, où les gouvernants distribuent des privilèges sociaux et économiques pour s’attirer les faveurs de certains groupes d’électeurs.

Le groupe des privilégiés (les insiders) craint de perdre ses privilèges si la société est reformée et libérée. Par le passé, les outsiders concentraient leur énergie politique, non pas sur la libération de la société pour tous, mais pour que certains d’entre eux puissent péniblement s’insérer dans le groupe des privilégiés. De nombreuses économies européennes se sont ainsi trouvées coincées dans cet équilibre insiders-outsiders résultant en un taux de chômage réel oscillant entre 10 et 20 % depuis des décennies.

L’étatisme favorise les privilégiés, parce qu’il confère un pouvoir économique énorme à l’État et que ce sont les privilégiés – pas le précariat – qui ont les moyens d’exploiter ce pouvoir. Les privilégiés sont intrinsèquement mieux placés que le précariat pour exploiter la puissance de l’État. Ainsi, plus l’État devient puissant, plus les privilégiés sécurisent leur position.

 

Le précariat et l’offre politique

Selon l’extrême gauche, le précariat a émergé de la libéralisation qui sous-tend la mondialisation. Cette classe encore non consciente d’elle-même est considérée dangereuse car sa colère peut être récupérée par les populistes d’extrême droite. Pour cette dernière, le précariat est l’objet d’un rebranding intelligent où les partis concernés jouent sur la peur des étrangers et de la mondialisation pour justifier encore plus d’État. Pour les réformateurs, la colère du précariat est la conséquence directe de l’État-providence et devrait être vue comme une opportunité.

Soit elle est récupérée par les corporatistes de droite ou de gauche, et elle servira à consolider le statu quo de l’État-providence actuel, rejetant encore une fois le risque social et économique sur d’autres groupes sociaux au bénéfice des anciens et nouveaux privilégiés, clients électoraux des partis de droite ou de gauche. Soit le précariat se révèle sensible aux messages des réformateurs, et un changement de modèle devient possible en Europe.

 

Un appel au réveil des réformateurs

La plupart des sociaux-démocrates européens perdent du terrain. Leur rhétorique est restée coincée dans le XXe siècle, usant encore de symboles adaptés à une société industrielle fermée, pas à une société de services ouverte.

Les solutions proposées par tous les étatistes, de l’extrême gauche à l’extrême droite en passant par les sociaux-démocrates ? On les connaît. Ce sont les mêmes qu’il y a un siècle, seuls leurs noms changent quelquefois.

Le plus souvent, ils se contentent de garder le même nom et d’ajouter un adjectif à la mode : solidaire,  équitable, etc. Mais le principe reste le même. Le contrôle. Contrôler encore plus. L’État doit tout contrôler. Pour eux, la lutte contre la précarité passe par le contrôle de l’épargne, du temps, de l’espace, des connaissances et des échanges entre les personnes.

Cela vous rappelle quelque chose ? C’est normal, c’est ce qui a été expérimenté depuis un siècle, avec le résultat actuel, un nivellement par le bas. Au lieu d’inciter à la création de richesse pour éradiquer la pauvreté, on la confisque, et on veille à ce que tous soient égaux dans la pauvreté.

Les réformateurs doivent se réveiller et réaliser que l’avenir de leurs idées dépend de leur réponse aux besoins, aux craintes et aux aspirations de ce précariat pour que ses membres puissent prendre enfin le contrôle de leur vie et participer activement à la société du 21ème siècle.

Les réformateurs doivent absolument proposer une vision à la crise systémique de l’État-providence. J’ai par le passé esquissé certains éléments de cette vision. Je vous soumettrai prochainement un programme pour venir concrètement en aide au précariat.


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  • Excellente analyse, tres interessante… si seulement un jour un type comme vous pouvait reussir à placer un tel discour sur un journal TV de 20h…

  • D’une certaine manière, le précariat n’est que la généralisation aux protégés de la situation cachée du protecteur, l’état. La sortie passe par la conviction que l’autonomie apporte une certaine sécurité, un concept qu’il est loin d’être facile de faire admettre aux précaires.

    • Je dirais plutôt l’inverse. La perte d’autonomie n’implique une plus grande sécurité, bien au contraire, même si le sentiment de sécurité est plus grand.

  • Rien ne bougera si nous ne nous engageons pas en politique. Prenons le pouvoir !

  • Ne pourrait-on y ajouter de plus en plus d’entrepreneurs et indépendants qui ne s’en sortent plus des textes et des impôts, taxes, et charges ?

  • merci à nick de cusa de penser à nous aussi .

  • Il convient de distinguer plusieurs types de précarité, notamment précarité monétaire (faibles revenus, intermittence des revenus), précarité d’accès à certains biens et services qu’on peut qualifier « de base », je pense par exemple au logement, à l’énergie ou encore au transport, précarité sociale et culturelle (difficulté d’accès à certains lieux comme théâtre, cinéma, musée, choix entre vie professionnelle et vie familiale). Cette distinction peut paraître artificielle ou purement intellectuelle, étant donné que dans les faits, elles coexistent, et c’est le cas. Mais elle permet de montrer que le phénomène de précarité est multi-causal et que les solutions sont donc multiples.

    (a) Parlons d’abord de la précarité monétaire, c’est-à-dire pour faire simple des faibles revenus et des revenus variables. Elle est causée essentiellement par des contrats dits précaires (CDD, intérim, temps partiels) et des faibles rémunérations (au niveau du smic). Est-ce la faute de l’Etat ? A n’en pas douter, l’Etat a sa part de responsabilité puisque c’est lui qui fait la loi et qui a favorisé les emplois de service peu productifs en allégeant les cotisations au niveau du SMIC. Mais est-ce véritablement la faute de l’Etat-providence ? Difficile de le soutenir, ce sont plutôt des mesures qui amoindrissent la protection sociale des individus et portent un coup à l’universalité portée par l’Etat-providence. Est-ce la faute du capitalisme de copinage ? Sans aucun doute, depuis 30 ans, des éditorialistes, des économistes, les lobbyistes du MEDEF défendent ces mesures au nom ‘une nécessaire « flexibilisation ». L’Etat a également sa part de responsabilité, lui-même employant allègrement des contrats précaires dans ses effectifs. Mais là encore pas tellement de trace de l’Etat-providence.
    (b) Sur la précarité d’accès aux biens et services de base, là aussi l’Etat a sa responsabilité en ayant subventionné le secteur par diverses incitations qui n’ont pas tellement réglé le problème et ont plutôt eu tendance à l’aggraver en créant une bulle. L’Etat-providence a peut-être également eu sa part de responsabilité en contribuant à cette bulle par la mise en place d’allocations comme l’APL, mais d’un autre côté, les loyers ayant augmenté moins vite que les prix de l’immobilier, on peut également se dire que c’est aussi l’Etat-providence qui a permis cela du fait notamment d’une régulation de la hausse des loyers. Concernant l’énergie, l’Etat a toujours cherché à minimiser cette hausse ou à mettre en place des dispositifs pour les plus précaires. On peut discuter des choix qui à mon avis ne sont pas les bons, il conviendrait davantage d’investir dans la rénovation énergétique des logements afin de diminuer la facture des ménages les plus précaires qui sont souvent justement ceux qui ont des logements mal isolés, mais c’est un fait que là encore l’Etat a plutôt lutter contre la précarité énergétique.
    (c) Sur la précarité sociale et culturelle, je ne vois pas tellement d’éléments à charge contre l’Etat mais pas non plus à sa décharge, sauf peut-être essayer d’améliorer l’accès à certains lieux de culture par la gratuité ou des tarifs spéciaux.
    Bilan : oui l’Etat a une part de responsabilité dans la hausse de la précarité, mais il ne faut pas confondre Etat et Etat-providence. Le principe même de l’Etat-providence est de lutter justement contre la précarité.

    • Merci de votre commentaire. Je rédige la seconde partie qui contient les propositions concrête. J’espère y clarifier ce que j’entends par relation entre État-Providence et précarité.

  • Votre précariat ressemble beaucoup à la création du concept de prolétariat du XIX° : la volonté de créer une entité (une classe) à partir d’individus, de nier l’individualité au profit d’une globalité, de fédérer des situations individuelles dans une entité collective et de l’opposer à un groupe opposé.

    Toute catégorisation des individus entraine des simplifications ‘macro’ qui sont au minimum à manier avec précaution : avec ce genre de rhétorique, les juifs deviennent vite tels qu’ils sont décrits dans Mein Kampf, les sagittaires du monde entier partagent vite le même destin, les bourgeois deviennent vite tous des cochons, les ménagères de moins de 50 ans deviennent vite des vaches à lait.

    La première question est de savoir si la précarité (qui augmente j’en conviens) est conjoncturelle (liée à la crise, à la transformation de l’économie), transitoire (touchant les jeunes pendant un certain temps avant qu’ils en sortent), systémique (due à un mouvement dans la marché du travail, à une réaction face à la réglementation)

    La deuxième question est de savoir si la précarité entraine les mêmes comportements, les même attentes, les mêmes aspirations chez tous ceux qu’elle touche.

    Une chose est claire : toute personne en situation de souffrance, cherche une solution pour sortir de cet état. Au plus la souffrance est importante, au plus cette personne est prête à croire à n’importe quelle solution miracle, même (surtout ?) les plus farfelues.

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