France-Allemagne : le retour du couple maudit

La classe dirigeante française fait un contresens total sur la manière dont fonctionne l’Allemagne d’aujourd’hui.

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Merkel (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

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France-Allemagne : le retour du couple maudit

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 29 octobre 2014
- A +

Par Serge Federbusch.

Merkel (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

Nos parents, à qui l’Histoire était correctement enseignée, s’en souvenaient parfaitement : l’Allemagne s’est unifiée grâce à la défaite de la France. C’est à Versailles, dans la galerie des glaces, que Bismarck fit proclamer Guillaume 1er empereur en janvier 1871. Eh oui, l’Allemagne moderne est née fort tard au pied de l’ancien trône de France ! Le chancelier de fer effaçait ainsi, d’un coup, les humiliations qu’avaient infligées aux Allemands Louis XIV, en s’emparant de Strasbourg en 1681 et surtout Napoléon, en entrant dans Berlin le 27 octobre 1806 après l’humiliante victoire d’Iéna. Le conflit perdura et fut à l’origine de certaines des pires atrocités de l’histoire européenne. Hitler dansa de joie place du Trocadéro après avoir vaincu une France qui, moins de vingt ans plus tôt, était allée jusqu’à occuper la Ruhr pour forcer la république de Weimar à lui verser des dommages de guerre.

On pouvait penser que l’Europe en voie d’unification allait clore cette longue scansion de conflits, les dissoudre définitivement dans un « vouloir vivre ensemble » qui est la juste définition d’une nation, pour reprendre la célèbre expression de Renan. En fait de vivre ensemble, ces dernières années font plutôt penser à « tirer la couverture à soi ». L’Union européenne menace ruine et son problème principal est bel et bien redevenu la relation franco-allemande.

Manuel Valls a commencé par fanfaronner devant l’Assemblée nationale le 16 septembre dernier : « La France décide seule ce qu’elle doit faire ». Puis il s’est rendu, imité bientôt par son duo de ministres des finances, toute honte bue, quémander l’aide de Berlin. Il fit semblant de l’avoir obtenue alors qu’il n’eut droit qu’à des encouragements à davantage d’efforts. On parla du bout des lèvres, à Berlin et Francfort, de relance mais sans s’engager concrètement. Car, de plus en plus pressante, revient la lancinante invitation faite à la France de nettoyer d’abord ses écuries d’Augias bureaucratiques, plus connues sous le nom de « modèle social français » dans le vocabulaire socialiste.

Que se passe-t-il en réalité ? La classe dirigeante française fait un contresens total sur la manière dont fonctionne l’Allemagne d’aujourd’hui. Elle lui prête ses propres défauts et espère qu’Angela Merkel agira en dirigeante autocratique et centralisatrice pour imposer une politique de déficit public assise in fine sur le seigneuriage, c’est-à-dire l’impression de monnaie pour effacer les dettes que les politiciens ont générées pour conserver leur pouvoir. La caste qui gouverne à Paris sans se soucier du peuple autrement qu’en le faisant taire par des allocations ne comprend pas que l’Allemagne ne fonctionne plus de cette manière depuis 1945. Elle la voit à son image.

Elle devrait pourtant se souvenir que les derniers épisodes historiques où l’Allemagne fut centralisée derrière un leader puissant ne furent nullement de gais moments pour la nation française !

Car, c’est heureux, la chancelière Merkel doit composer pour l’heure avec un gouvernement de coalition, des partis, une Bundesbank et surtout une opinion qui n’a nullement l’intention de mettre en péril ses économies dans la périlleuse fuite en avant que veut la France. Au contraire, les Allemands sont d’ores et déjà furieux contre la BCE et Draghi. Le maintien de taux d’intérêt quasi nuls prive de toute rémunération leur épargne. Pis encore, le début de dépréciation de l’euro a pour effet de la réduire substantiellement, si on la convertit en d’autres monnaies. C’est l’un des drames de la situation monétaire actuelle : pour que l’Allemagne accepte des taux d’intérêt qui ne suffoquent pas ses partenaires, il faut que le taux de change se maintienne à un niveau qui empêche le redémarrage de leurs économies. Un nœud coulant enserre l’économie européenne.

Il y en a d’autres et non des moindres. S’agissant de la France et des pays dits du Sud par exemple, plus ils feront d’efforts pour restructurer leurs économies, plus le taux de change de l’euro remontera et rendra vains ces sacrifices. De ce point de vue, on ne peut en vouloir qu’à moitié à Hollande et ses sbires : ils ont tort de craindre les réformes libérales mais ces dernières ne serviraient à rien dans le carcan monétaire actuel. On oublie toujours que les efforts de Schroder, au début des années 2000, purent s’appuyer sur un taux de change du mark déprécié au moment de son entrée dans l’euro. Et que l’industrie allemande bénéficia d’importantes délocalisations en Europe de l’Est, hors zone euro donc.

Bref, l’Union européenne et l’Euroland sont mal cuits et leur viabilité est de plus en plus douteuse. Dans ces conditions, la question franco-allemande risque de retrouver bientôt le parfum amer des vieilles querelles. Le cœur de la puissance économique germanique, les vallées du Rhin et de la Ruhr, est à quasi équidistance de Paris et de Berlin. 470 kilomètres séparent Paris de Düsseldorf et 450 kilomètres Düsseldorf de la capitale germano-prussienne. Pour s’imposer depuis Berlin, un État centralisé mais paradoxalement excentré n’a eu dans le passé d’autre choix que de s’en prendre à la France. La proximité est un facteur de conflit autant que de concorde. Il n’y a guère de place, dans ces conditions, pour les demi-mesures politiques et constitutionnelles. À défaut d’avoir un domicile commun sous la forme d’un État unique, le couple maudit franco-allemand risque de devoir se séparer.


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  • Ok, tout cela n’annonce rien de bon avec la montée de l’antigermanisme en France et en Europe du Sud.

    • Cet anti-germanisme n’est que dans la tete de nos dirigeants !
      Pour ma part, j’admire plutot les allemands et execrent la mentalité communiste française !
      Rien que ce matin, sur le sur-endettement, j’entendais qu’une association pouvait vous prendre en charge et vérifier que vous n’auriez pas oublier de demander une allocation…. c’est beau de faire payer ses conneries par les autres non ?

      • C’est clair.
        L’Allemagne a ses défauts, et sa croissance n’a rien d’extraordinaire depuis 2012 mais c’est un Etat rigoureux et prévoyant, qui arrive à croître davantage que la France malgré une démographie défaillante.

    • Ben voyons!
      L’anti-germanisme est juste de la poudre aux yeux de nos dirigeants discrédits pour rejeter la faute sur les voisins. Il a autant de valeur de l’anti-américanisme et les autres.
      De toute façon si on les écoute le seul régime qui trouve à leurs yeux, c’est le Vénézuela, suivi de près par Cuba, toute la joie des pays socialistes.

  • J’ai bien peur que le contre-sens… soit de votre côté.

    Car enfin, reprenons les affirmations que vous faites :

    -« L’Allemagne est furieuse » etc.
    Depuis 2008, combien de fois a-t on lu, entendu ce genre de fantaisie ? « Merckel refusera », « La Bundesbank est à bout », « Les Allemands ne laisseront pas faire »
    Et patati et patata.
    Bilan ?
    Rien.
    Le vide.

    Enfin plutôt non… la collaboration LA PLUS PARFAITE

    Merckel a TOUJOURS FINI PAR SIGNER.

    Je vous rappelle que Draghi le soit disant banquier qui gère la BCE et qui fait des choses que les Allemands réprouvent… a été NOMME PAR MERCKEL (et Sarkozy).

    Dernier exemple en date : le budget français.

    Ca fait des années que Bruxelles fait les yeux noirs « cette fois ci, c’est trop, on va pas laisser faire »…
    Merckel avait là une occasion en or de punir la France.

    Et ? Rien.

    Pathétique série good cop / bad cop

    Le budget français 2015 a été avalisé (comme celui de l’Italie).

    Alors ? Elle est où la vraie dissension ?

    -« Les Allemands ne paieront pas »
    Mais pardon, les Allemands ONT DEJA PAYE. Et ils continuent. Et continueront. Et ça ne posera aucune difficulté.

    A part pour les quelques % des votants allemands qui ont compris l’arnaque (et qui ont voté pour le parti anti Euro).

    L’ironie de l’histoire… et le Grand Secret c’est que les Allemands sont AUSSI VEAUX que les Français !
    Au fond.

    Ils votent bien sagement, et alternativement, CDU / PS.

    Voilà pourquoi, leurs gouvernements s’entendent comme larrons en foire.

    On fait les zouaves devant la galerie pour amuser l’audience… On fabrique des petits psychodrames (« bouh ton budget il est vilain »). Et derrière on signe, on s’entend, on se met d’accord.

    Merckel de ce point de vue est une maitresse. Qui venait du froid. Sa formation en RDA lui a donné ce génie de la dissimulation.

    Elle ne paye pas de mine, un peu mégère, mais par derrière, elle travaille inlassablement (avec tous ses complices eurocrates) non pas à la Grosse Germany (autre mythe) mais tout simplement à l’Europe bruxellisée : fédérale.

    Voilà pourquoi l’Euro, pierre angulaire, de ce projet dément… est défendu et sera défendu par tous les moyens. Y compris des moyens non démocratiques.

    « Whatever it takes »… C’est Draghi dans son infinie ingénuité qui l’a dit.

    Alors de grâce, arrêtons de pérorer au sujet de l’Allemagne qui serait vertueuse et pas contente.
    C’est un mythe.

    • « les Allemands ONT DEJA PAYE »

      Ah bon, où ça ?

      • Nous avons payé (donc les Allemands aussi) pour les bailouts de :

        -Grèce
        -Irelande
        -Portugal

        Et indirectement pour le bailout de nombreuses banques, sans oublier le viol répété de l’Euro (via manips des taux d’intérêt, et politiques monétaires mises en oeuvre par la BCE).

    • On s’attend à ce que l’Allemagne ait un budget 2015 équilibré pour la 1ère fois depuis les années 70 donc oui ils sont vertueux.

      • Conjoncturel.

        La vertu c’est au long cours.

        Qui a fait le premier bailout en Europe.. quelques jours après la chute de Lehman Brothers ?

        Madame Merckel… pour l’Hypo Bank.

        Tout le monde a oublié. Et pourtant quel symbole.

        Et le bilan de la Deutschbank est le plus pourri de toutes les banques européennes.

        • Comme Lehman Brothers l’a montré on est obligé de renflouer les gros établissements sinon il y a un risque systémique qui amène une énorme crise car se répandant dans tout le système financier.
          Je n’aime pas la logique des renflouements car en tant que libéral j’estime que chacun doit assumer ses erreurs, et pas être récompensé par l’argent du contribuable…mais la vérité est que certaines entreprises sont « too big to fail » et il faut donc se rendre à l’évidence, Merkel a sans doute fait le bon choix.

          • Il faudrait actionner la tronçonneuse et les débiter ❗ :mrgreen:

          • Je ne dis pas qu’elle n’a pas fait le « bon choix » (vu depuis sa perspective propre), je dis simplement qu’elle est aussi pourrie que les autres, qu’elle s’entend comme larron en foire avec les « complices » qui se suivent et se ressemblent : sarkozy, monti, renzi, baroso, van rompuy, rajoy, juncker etc.

            tous suivent une politique très précise, tous s’assoient sur la volonté populaire (les référendums sont soigneusement évités, et des responsables politiques sont exécutés quand ils menacent d’en faire, souvenez vous l’épisode du coup d’état contre le grec, et contre berlusconi), tous pratiquent le mensonge, la dissimulation (« quand ça devient sérieux, il faut mentir », dixit juncker) etc.

            Il s’agit de faire un constat, de lister les faits. Et pas d’aligner des perles de propagande (« Allemagne pas contente », « vertu » etc.)

            Mais je suis d’accord avec vous : ils n’ont pas le choix.

            De leur point de vue dément et mortifère, l’Euro doit demeurer « pour 1000 ans ».

            Il est stupéfiant de voir que cette vérité brûlante échappe à de si nombreuses personnes. Dernier example en date : le budget 2015 de la France. Avec la grille de lecture décrite plus haut…. il était évident que Bruxelles approuverait le budget. La France est bien entendu too big to fail (Hollande ou pas Hollande).

            -évident que l’Ecosse perdrait son référendum
            -évident que la Catalogne ne pourrait pas organiser le sien
            -évident que l’UK ne pourrait pas organiser le sien au sujet de l’UE (les conservateurs ont flingué hier la soit disante promesse de Cameron)

            etc.

            Nous sommes face à un projet totalitaire, ni plus ni moins.

  • j’ aime bien .
    Je suis de + en + persuadé que nous avons raté une occasion de Ré- unir ces 2 nations lorsque De gaulle Adenauer présidaient mais au plus tard au début des années 60 évidemment cela aurait pris du temps 10 , 20ans . il aurait fallut vaincre la barrière  » langue » par un apprentissage de l’ allemand au moins dans les écoles et du français là bas mais surtout il aurait fallut beaucoup d’ audace que nos politiciens n’ avait et n’ ont pas /

  • Les commentaires sont fermés.

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