Libéralisme : l’exemple romain

Un grand pays libéral est-il mécaniquement destiné à sombrer dans le socialisme ?

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Libéralisme : l’exemple romain

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 18 octobre 2014
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Par Patrick Simon.

On dit souvent que le libéralisme se développe mieux dans les pays riches, que la richesse est son terreau naturel et qu’il ne prospère pas dans la frugalité et l’austérité.

Cette idée est souvent fausse, en particulier dans les pays à économie de rente où une ressource naturelle est là et qu’il suffit de l’exploiter. Pensons aux pays pétroliers comme le Nigeria, où le degré de corruption est le plus élevé du monde, ou pétro gaziers comme l’Algérie, la Russie et bien d’autres où l’existence de ces matières premières a donné lieu à la mise en place de quasi-monopoles tels que Gazprom ou la Sonatrach et où il y a peu de concurrence entre producteurs. Le Japon n’a pas de richesses en sous-sol et pourtant les Japonais sont plus éduqués et plus prospères que les Nigérians et les Algériens. Pourquoi cela ?

couv Rome 2014.qxp (Page 1)Une bonne illustration de cette « malédiction du pétrole » pourrait-on dire, je l’ai trouvée dans un livre qui n’a rien à voir avec le pétrole puisqu’il traite de l’époque antique où cette ressource n’était pas exploitée. Il s’appelle Rome du libéralisme au socialisme de Philippe Fabry. Il explique, dans ses premiers chapitres, les succès de la république romaine à ses débuts par l’équilibre des contre-pouvoirs dans le but d’éviter la tyrannie, l’instauration d’un État de droit avec des règles abstraites et générales applicables en tous lieux à tous les citoyens, la lutte contre l’arbitraire. Et du fait de la sécurité juridique apportée aux biens et aux transactions, il en est résulté un dynamisme économique et une aspiration des autres habitants de la péninsule italienne à avoir la citoyenneté romaine, exactement comme aujourd’hui certains États d’Europe de l’Est ont voulu avoir une économie de marché. On y voit apparaître un lien implicite, sous-jacent entre l’action humaine, l’effort, l’ingéniosité d’une part et le succès d’autre part.

Et puis assez tôt commence ce que l’auteur appelle la mutation socialiste de la société romaine au IIIe siècle avant Jésus-Christ. C’est au moment où Rome a triomphé de Carthage à la fin de la 2ème guerre punique. Cette victoire totale provoque « un afflux de richesses considérable, gagné non par le travail et le commerce ». C’est « l’enrichissement par la prédation » qui est l’origine de la « corruption du système libéral romain ». Les romains mirent alors au point un système d’annexion et de conquêtes avec afflux massif d’esclaves prisonniers de guerre, de pillages et imposition de tributs aux peuples étrangers. Les butins de guerre furent si énormes que l’impôt républicain finançant l’armée fut supprimé à un moment. Et peu à peu le lien entre l’effort humain et les résultats se relâcha. Puisque l’on disposait de beaucoup d’esclaves et de beaucoup de terres il n’y avait plus besoin de se fatiguer et de faire preuve d’innovation et de créativité. C’est alors qu’apparurent les « latifundiae », « grandes propriétés foncières exploitées par une main d’œuvre servile » qui portèrent un tort considérable aux petites entreprises d’agriculture traditionnelle et à plus long terme à la libre entreprise. On voit alors apparaître une sorte de capitalisme d’État, ou par la guerre, ou de connivence au profit d’une élite. « La puissance et l’argent de l’État sont employés pour s’emparer des terres et nourrir le marché des esclaves… la classe riche acquiert un capital (terres et esclaves) avec l’aide de l’État et bénéficie ensuite seule des fruits de son exploitation. » « Les coûts sont socialisés et les profits privatisés, au détriment des autres producteurs potentiels » écrit Philippe Fabry.

Après ce socialisme par le haut émerge un socialisme par le bas. Ce sont les revendications de la plèbe qui débouchent sur la distribution gratuite de terres aux citoyens puis les allocations de blé mensuelles et permanentes, enfin les horribles jeux du cirque. On connaît l’expression « panem et circenses » qui est un mécanisme de redistribution.

Après la lutte des socialismes qui se traduisit par les guerres civiles romaines et se termina avec Jules César, l’Empire romain commença. L’auteur y décrit la lente progression de la décadence, avec la prédation qui s’accentue sur les provinces pour financer les dépenses impériales, la baisse de la liberté économique, la ruine économique générale, les persécutions religieuses qui atteignent leur paroxysme, les populations locales qui n’acceptent plus de payer pour un pouvoir qui ne les protège pas, et nous connaissons la fin. Fabry pose la question de fond : « un grand pays libéral est-il mécaniquement destiné à sombrer dans le socialisme ? » et fait un parallèle entre l’histoire romaine et celle des États-Unis, en particulier depuis qu’Obama, un président à tendance fortement socialiste, a été élu. Il nous livre un diagnostic plutôt pessimiste, que pour ma part je ne partage pas vraiment, mais ce serait une autre histoire. Toujours est-il que ce livre est très intéressant et surtout très original. Nous lui avons décerné avec Jacques Garello le prix du livre de la pensée libérale 2014. Pour le résumer, je cite le 4ème de couverture des éditions J.C. Godefroy : « Rome a commencé son histoire comme les États-Unis d’Amérique devenus l’hyper-puissance hégémonique mondiale en moins d’un siècle et s’est effondrée de la même façon que l’URSS… La « cause des causes » que suggéra Montesquieu : la liberté perdue. »

Telle est l’analyse précise et documentée de ce professeur de l’histoire du droit.

Philippe Fabry, Rome, du libéralisme au socialisme, Jean-Cyrille Godefroy, 2014, 160 pages.

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  • Passionnant. L’histoire du monde est résumée dans cette phrase si juste : « Après ce socialisme par le haut émerge un socialisme par le bas ».

  • Le pouvoir rend fou et attire la tyrannie quelle qu’en soit la forme avec la corruption. Il est le seul facteur des conflits et guerres, misère, prostitution et esclavage.
    Il ne s’agit pas compter les communes qui ont un monument aux morts mais celles qui n’en ont pas, et pourtant la première guerre tant contestée par les penseurs et certains politiques qui eux-mêmes ont leur statue ou nom de rues à eu lieu et puis la seconde guerre aussi a eu lieu toujours avec grands hommes qui les ont décidées et qui à leur tour ont leur statue, nom de rues et autres malgré les désastres pour le peuple.
    Nous en sommes toujours au même point car il n’y a pas de séparation des pouvoirs donc pas de liberté, au nom de laquelle on se bat, le citoyen surtout alors que les gradés sabrent le champagne dans les palais du peuple ou luxueuses demeures car on la met à toutes les sauces pour faire la chose et son contraire et au nom de qui les catastrophes sont engagées et finissent par arriver avec tous les malheurs pour le peuple.
    Mais enfin, qu’est ce qu’une nation qui peut-être modifiée au gré des résultats d’une guerre notamment par l’asservissement du peuple vaincu ? A quoi peut-elle servir cette guerre sinon à augmenter le pouvoir en manipulant le peuple qui en subit les malheurs? Et la liberté en est bafouée!
    La liberté motive la guerre alors que nous savons bien que « la guerre est le massacre de personnes qui ne se connaissent pas au profit d’autres personnes qui se connaissent mais qui ne se massacrent pas »
    Le capitalisme d’Etat fait concurrence au capitalisme car ce dernier n’est pas capable de mesurer ses capacités de nuire. Le capitalisme d’Etat nuit au peuple car les seuls à en profiter sont ses diregeants et serviteurs qui trafiquent avec le capitalisme qui à son tour bénéficie de l’organisation de l’état pour contraindre ses clients et le peuple devient malléable et corvéable à merci.

    La liberté est bafouée dès lors que le politique s’intéresse à la vie privée des citoyens et impose ses lois pour se faire valoir et pour lui inculquer la pensée unique.

    • Capitalisme d’état ? Serait-ce une « action concertée de la collectivité dans la production et la répartition des richesses » Si c’est le cas, ce que vous appelez capitalisme d’état est en fait le socialisme

      • Cela aurait pu être du socialisme mais les moyens de production se révèlent dans les faits détenus, privés ou contrôlés par une classe privilégiée de la population : celle qui monopolise le pouvoir politique.

        • Socialisme par le haut, ou dirigisme élitiste

          On voit alors apparaître une sorte de capitalisme d’État, ou par la guerre, ou de connivence au profit d’une élite. « La puissance et l’argent de l’État sont employés pour s’emparer des terres et nourrir le marché des esclaves… la classe riche acquiert un capital (terres et esclaves) avec l’aide de l’État et bénéficie ensuite seule des fruits de son exploitation. » « Les coûts sont socialisés et les profits privatisés, au détriment des autres producteurs potentiels » écrit Philippe Fabry.

        • « Cela aurait pu être du socialisme ». Mais ce que vous décrivez est très exactement le socialisme en pratique. La propriété collective revient à privatiser les moyens de production au profit des dirigeants du parti au pouvoir. Le socialisme est définitivement une illusion.

  • On remarque que le pétrole devient une catastrophe nationale seulement lorsqu’il est nationalisé par l’Obèse prédateur. En revanche, le pétrole est une des sources de la prospérité collective lorsqu’il reste la propriété privée de ceux qui le produisent et commercialisent.

    Tributs sur les peuples vaincus, pétrole nationalisé, dettes publiques imposées par la loi, sont autant de rentes budgétaires provoquant destruction économique et appauvrissement des populations.

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