3 sophismes nuisibles à la liberté universitaire

Sur trois sophismes académiques particulièrement nuisibles aux libertés universitaires.

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3 sophismes nuisibles à la liberté universitaire

Publié le 14 octobre 2014
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Par Michel Leter.

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Comme aime à le répéter Michel Deguy, « la poésie n’est pas seule ». En passant il y a quelques semaines devant le ministère des Affaires sociales, de la Santé et des Droits des femmes pour aller porter secours à un élève dérouté par « L’art poétique » de Verlaine, j’ai croisé une petite troupe composée de vaillantes infirmières en colère. L’une d’elles particulièrement inspirée avait écrit au feutre noir sur sa blouse blanche : « Tout pour le capital Rien pour l’hôpital »

Pour peu que l’on fasse une diérèse sur le mot « rien » cela fait un joli distique d’hexasyllabes. Si je n’avais pas été tenu par l’impératif de ponctualité qui règle ma profession comme la sienne, j’aurais pris le temps de saluer la poétesse tout en interrogeant l’infirmière sur sa définition du capital. Notre infirmière croit voir le capital se « gaver » (comme dit Mélenchon) des intérêts de la dette sans voir que le modèle social français est financé par des banques qui n’ont rien de capitalistes puisque plutôt que de constituer les fonds propres qui leur permettraient d’affronter les risques inhérents à toute entreprise vraiment capitaliste, elles se reposent sur les banques centrales qui leur injectent massivement des liquidités tirées du néant, que seuls les économistes de la redistribution, professeurs dans les établissement où notre infirmière a fait ses études, donnent pour des capitaux.

La poésie n’a donc pas, hélas, réponse à tout et la crise dite des « dettes souveraines » a rendu plus urgente encore pour l’État la nécessité de se délester de ses monopoles. L’Europe tempête et menace. Elle vient de sommer la France de revoir son budget, observant par la bouche de Jeroen Dijsselbloem, président de l’Eurogroupe que la France n’a pas fait les « réformes » nécessaires. Il est à craindre que cette fois-ci les slogans du type « Non à Bruxelles, oui à la France » ne suffisent plus car notre pays n’a pas mis à profit le délai de deux ans qui lui avait été accordé pour ramener son déficit à 3%.

Mais Bruxelles manque sans doute de pédagogie et de pragmatisme en employant le mot de réforme car l’oreille de nos hauts fonctionnaires ne peut qu’entendre « austérité » alors qu’il existe pourtant une solution pour alléger la dette tout en écartant l’austérité, c’est la liberté.

Le combat pour la liberté de l’Université, bien qu’ayant été livré à la fin du dix-neuvième siècle n’est pas pour autant un combat d’arrière-garde. Nos enfants, qui ont l’imprudence de voyager, comprendraient-ils qu’au siècle de l’enseignement à distance, on se satisfasse d’un statu quo vieux de plus d’un siècle et qui ne repose sur aucun fondement académique ? Cependant l’université monopolistique n’est pas prête à rendre les armes. Elle agite un épouvantail qu’elle a elle-même conçu pour assurer sa pérennité : la mondialisation ultra-libérale. Au nom de ce fléau supposé, la France et ses universitaires font assaut de sophismes qui sont autant économiques qu’académiques afin que le banc d’huîtres de la rente reste fixé le plus longtemps possible au rocher de l’État, au nom de la solidarité nationale et de la réduction des inégalités. Quoi qu’il en coûte pour la nation : la banque paiera.

Nous avons vu dans notre précédent article que la nation française, si elle était encore une nation, au lieu de se réduire à son État, n’aurait pas besoin ni des leçons de rigueur données par Berlin ni d’adopter une « idéologie » prétendument venue d’Outre-Atlantique pour se souvenir que Paris a inventé l’Université. Il lui suffirait de reconquérir les libertés universitaires perdues. Or, en cette rentrée universitaire, aucune voix ne s’élève pour demander la liberté. La « fausse gauche » n’a pas intérêt à voir le monopole contesté puisqu’elle le tient, ce qui lui permet d’imposer ses préférences doctrinaires au reste de la nation. Quant à la « vraie droite » souverainiste, plutôt que de faire confiance à l’initiative privée, elle s’obstine, au nom de la lutte contre la mondialisation à recycler le chevènementiste attendant un séisme politique qui lui permettrait de remettre la main sur l’Université pour, à son tour, l’instrumentaliser.

La clé du redressement de notre pays n’est donc pas tant dans la lutte contre les sophismes économiques que contre ceux qui les produisent au sein de nos universités, les sophismes académiques. Si l’Université n’est pas réformable, ce n’est pas parce que chaque projet de réforme est salué par une salve de manifestations, mais que l’État ne peut qu’échouer non pas qu’il soit par nature inefficace mais parce qu’il a seul l’initiative du changement. Comme le notait déjà Laboulaye, « on ne fait rien pour nos Facultés actuelles parce que l’État se charge de tout faire et ne se soucie pas qu’on dérange la symétrie de son enseignement officiel ; mais il n’en sera plus de même quand un citoyen pourra fonder une chaire dans son pays natal, et qu’il attachera son nom à cette fondation »1.

L’enjeu – et les gauches de la troisième république l’avaient bien compris – va bien au-delà de la stricte question de l’enseignement supérieur. Tout laisse à penser que la fin du monopole de l’Université est la condition sine qua non de l’émancipation de la société civile en France et par conséquent du changement politique dans notre hexagone.

Or, la clef de voûte de l’oligarchie pseudo-républicaine c’est le système des grandes écoles, unique objet des soins de l’hyperclasse dirigeante au détriment de l’Université car elle s’y fabrique une légitimité. L’Université, depuis le discours de Ramus, protégé du prince, a toujours été l’objet du mépris de l’intelligentsia2. Nos élites occupées non pas au service de la nation mais au service que la nation, fût-elle au bord de la faillite, peut encore leur rendre ne manquent pas d’arguments spécieux pour retarder l’inéluctable mouvement d’émancipation des universités. On peut résumer cet argumentaire à trois sophismes académiques.

Premier sophisme académique des adversaires de l’Université libre : le monopole est le rempart de la laïcité

imgscan contrepoints 2013-2295 monopolesLes socialistes français, contraints de céder sur les monopoles industriels, s’arc-boutent aux monopoles éducatifs et culturels sous prétexte que l’introduction de la concurrence dans les domaines de l’éducation et de la culture reviendrait à une « marchandisation » et ne serait pas moralement acceptable. Brillante casuistique ! Tu ne voleras point, sauf coiffé du bicorne magique de la haute fonction publique qui absout tous les crimes, au motif que la liberté en matière d’éducation est immorale car « injuste ».

Le souci de justice sociale affiché par nos gouvernants, bien que se donnant pour laïc, bafoue le droit et s’occupe surtout de combattre ce que Claude Tresmontant appelait « le monothéisme hébreu » (qui ne connaît pas « l’État providence » puisqu’il est fondé sur la séparation radicale entre la Création divine et la création humaine) alors que pourtant la morale laïque, telle que la définissait son théoricien, éminence grise de Jules Ferry et prix Nobel de la paix, Ferdinand Buisson, dans sa Foi laïque, loin de s’opposer au décalogue entendait plutôt l’amplifier par la sécularisation.

Le sophisme de la laïcité du monopole leurre nombre de militants sincères, de gauche comme de droite qui, au nom de la défense de ce qu’ils croient être des valeurs républicaines, font le jeu d’une administration centrale plus occupée à soigner ses effets d’annonce et à caporaliser l’enseignement et la recherche qu’à garantir un service public de qualité.

Le premier sophisme des adversaires de l’Université libre consiste donc à justifier le monopole actuel en agitant le spectre du retour des bénéficiaires de l’ancien monopole, donné pour bien plus redoutable, les congrégations. Plus subtilement les matamores de l’intérêt général préfèrent dénoncer la prétendue infiltration des sectes dans l’éducation pour renforcer l’arsenal de textes liberticides qui la régit.

La communauté nationale s’accorde sur ce premier terme de la laïcité : la sécularisation mais en oubliant son second terme, la liberté. Dès lors que la laïcité se borne à la sécularisation sans garantir l’autonomie des choix, elle sombre de facto dans une statocratie qui ne peut qu’instrumentaliser l’enseignement supérieur et ruiner l’indispensable « indépendance du grammairien à l’égard de César », que le très laïc Emmanuel Kant lui-même évoque dans son Qu’est-ce que les lumières ?

L’accusation portée contre les catholiques d’avoir défendu la liberté des universités pour tenter de l’utiliser à leur seul profit n’aura été, comme le soulignait l’industriel et juriste Henri Bionne, qu’un procès d’intention instruit par ceux « qui ne cessent d’attaquer la théocratie de l’Église pour y substituer celle de l’État3 ». Si la notion de théocratie de l’Église est un non-sens en vertu de la séparation du pouvoir temporel et spirituel inscrite au cœur du catholicisme romain, l’image, appliquée au culte païen de l’État, n’est pas sans pertinence.

La liberté de l’enseignement n’est pas le cheval de Troie de l’extrême droite. Les légitimistes sous la Restauration n’avaient pas touché aux monopoles de l’Université impériale qui, devenue royale après le retour des Bourbons avait conservé le monopole de l’enseignement (autrement dit l’Université sous la Restauration était l’équivalent institutionnel de ce que l’on appelle aujourd’hui « ministère de l’éducation nationale »). C’est par les orléanistes que la liberté de l’enseignement primaire fut accordée en 1833, et ce sont les républicains qui proclamèrent celle de l’enseignement secondaire, en 1850.

Quant à la libéralisation de l’enseignement supérieur, elle correspond à la période dite de l’empire libéral avec l’arrivée au ministère de l’instruction publique de Victor Duruy, dans un contexte économique marqué par le traité de libre-échange entre la France et l’Angleterre (triomphe posthume de Bastiat). Dans une lettre datée du 20 octobre 1863, Duruy demande à Napoléon III « d’accorder aux idées ce qu’Elle (Sa Majesté) a accordé aux colis de marchandises, la libre circulation… Nos facultés qui dorment dans le sein du monopole se réveilleront au contact de la liberté. La concurrence fera surgir les hommes que Sa Majesté cherche et qu’elle ne trouve pas4 ».

Après que cette question fut portée devant le Sénat en 1868, la libéralisation de l’enseignement supérieur va être, on l’ignore, une des toutes premières œuvres de la jeune république (dont la remarquable activité législative prouve que l’on ne saurait la réduire, comme Daniel Halévy, à une « république des ducs »). Dès 1870, une commission extra-parlementaire se réunira pour se pencher sur la réforme. Après la guerre, c’est au chef de file des partisans de la liberté, Édouard Laboulaye, que reviendra l’honneur de défendre le projet.

S’appuyant sur les prémices du formidable mouvement de libéralisation qui présida à l’essor des universités américaines, Laboulaye peut se lancer dans une exhortation qui n’a pas perdu son actualité : « Pourquoi la liberté ne ferait-elle pas chez nous de pareils miracles ? Ne voyons-nous pas que les différentes classes de l’Institut reçoivent des donations considérables ? Qui n’a pas entendu parler du prix Monthyon, du prix Gobert, du prix Bordin ? Pourquoi nos Universités libres, municipales ou provinciales, seraient-elles moins bien traitées, le jour où le patriotisme local n’aura plus à craindre ni les entraves de la loi, ni celles de l’administration ? ». Ce préalable libéral, pour Laboulaye, transcende le clivage entre cléricalisme et anticléricalisme. À l’instar des juristes américains, ajoute-il : « Nous ne nous sommes pas demandés si ces associations seraient religieuses ou laïques. Que des citoyens adoptent un genre de vie et un habit particulier, c’est là un engagement de conscience, un lien spirituel, absolument étranger à l’ordre civil et dont l’État n’a point à s’inquiéter, à moins que l’association n’ait un objet politique. La liberté religieuse n’est pas moins respectable que toute autre forme de liberté ; et nous n’avons aucun droit d’exclure de l’enseignement des Français et des citoyens, parce qu’ils s’y croient appelés par une vocation sacrée. »

Deuxième sophisme des adversaires de l’Université libre : le monopole est le garant de l’excellence, de la scientificité et de la finalité professionnelle de l’enseignement supérieur

privatisation université rené le honzecDans le dernier classement des 500 meilleures universités du monde publié par l’université Jiao Tong de Shanghai5, la première université française (Pierre et Marie Curie) n’apparaît qu’au 35e rang. Suivent Paris Sud (42e) l’ENS Paris (67e)6  et Strasbourg (95e).

On observe que les dix premières au classement sont toutes situées en Angleterre et aux États-Unis, pays où les universités, tant publiques que privées7, ont conservé la traditionnelle liberté de conférer des grades et sont richement dotées par de puissantes fondations privées.

Le formidable exemple donné par ces démocraties libérales permet de comprendre que le naufrage de la recherche et de l’enseignement supérieur français n’est pas une conséquence de leur « dérive libérale » mais bien au contraire de l’absence de liberté dans ces secteurs vitaux pour une nation. En ce domaine il n’est pas nécessaire de rappeler les grands principes qui guident l’action humaine. Les chiffres sont éloquents : l’évocation des quelque 80 prix Nobel qui ont occupé une chaire dans la seule université privée de Chicago en regard du nombre dérisoire de prix Nobel produits dans toute l’histoire par l’ensemble des universités françaises suffit à démontrer que ce n’est pas la liberté qui tue la recherche mais les entraves légales à son épanouissement.

Mais on nous dira encore, comme pour le classement de Shanghai, que les critères du Nobel sont contestables, qu’il n’y a pas de Nobel de mathématique et qu’il eût convenu de tenir compte de la médailles Fields, qui a été attribuée à tant de mathématiciens français, etc. Tout le monde voit bien ce que ces arguties ont de ridicule et ce que l’abîme séparant une seule université privée de toutes les universités françaises d’État de vertigineux.

L’État en France se réserve le monopole de la collation des grades alors que, dans les autres grandes démocraties les diplômes délivrés sont les diplômes d’université (que les autorités locales peuvent reconnaître ou pas – mais qui se soucie que les diplômes de l’université de Chicago soient reconnus par l’État de l’Illinois puisqu’ils ont une valeur en soi ?).

L’effondrement du système français d’enseignement supérieur n’est donc pas dû à l’absence de compétences disponibles mais au fait que ces dernières ne sont pas le fruit d’un marché libre. Contrairement aux autres grandes démocraties occidentales, la concurrence entre universités, publiques et privées, ne peut donc garantir chez nous la qualité des services ni par conséquent créer les conditions de l’excellence.

C’est le monopole et non la prétendue libéralisation de l’Université qui est la cause de sa paupérisation. La crise des troisièmes cycles est emblématique de cet effondrement : faute d’un suivi des étudiants, des thèses au rabais sont soutenues au mépris des standards internationaux. Cette dégradation du service est aggravée par le scandale de l’instrumentalisation des étudiants utilisés par les professeurs pour produire leurs propres articles.

Les premières victimes de cette faillite sont les étudiants français mais également les étudiants étrangers qui voient trahie leur confiance traditionnelle en notre système d’enseignement supérieur. La standardisation des cursus en Europe, le LMD (Licence, Mastère, Doctorat) voulue par la France (l’idée est de Claude Allègre) repose sur l’illusion selon laquelle la mobilité des citoyens français dans l’Union européenne serait possible sans la liberté des universités. Or, le caractère national des diplômes dès lors qu’il relève d’un monopole n’est pas une garantie pour l’étudiant mais un danger. Le système des équivalences sous la forme des ECTS (European Credits Transfer System) ne suffit pas en soi à donner une valeur aux diplômes délivrés par les universités françaises.

C’est ici qu’il convient de redoubler de lucidité, car l’excellence est la figure de proue de la dette souveraine. Il est vrai que, la voyant poindre, on est d’abord séduit par l’allure attique d’une nation qui cherche ses élites au sommet de la pyramide des savoirs. Mais que l’on descende dans la cale et l’on découvre l’inanité des concours et l’immoralité de la redistribution. Car l’excellence républicaine est une hypostase des concours et non de l’action. Bombardées au service du bien public par la seule vertu de ces concours et y ensevelissant définitivement toute humilité, les pseudo-élites françaises oublient qu’elles n’ont pas le monopole des lumières. Les hauts fonctionnaires se croient autorisés à dépouiller leurs compatriotes, au seul motif qu’ils sont moins titrés. Nul ne serait moins « solidaire » qu’un major d’une grande école si la solidarité nationale ne servait pas d’abord à financer ses études et à honorer son confortable salaire, c’est-à-dire à voler les pauvres pour donner aux riches. C’est ici qu’apparaît le grand scandale budgétaire qui devrait sauter aux yeux de Bruxelles : la France est la seule démocratie à utiliser l’impôt et le déficit budgétaire pour financer l’évasion de ses élites dans une filière parallèle dite des « grandes écoles ».

Depuis 1968, qui marque symboliquement le début de la « massification » des universités, l’hyperclasse française a mis en place un parcours initiatique qui lui permet d’utiliser gratuitement les grandes écoles pour faire l’impasse sur les universités laissées à l’abandon dans le marais de l’autonomie. Au nom de la méritocratie et de l’excellence, l’ensemble de la nation, y compris les familles les plus pauvres touchées par la fiscalité indirecte, et comme tous les Français par l’endettement du pays, porte le fardeau de la formation des élites au sein des grandes écoles. Le coût d’un élève des classes préparatoires est aujourd’hui deux fois supérieur à celui d’un étudiant des universités. La “collectivité nationale” (comme l’on dit par euphémisme pour dissimuler la spoliation légale) consacre 30% du budget de l’enseignement supérieur à faire fonctionner le secteur des grandes écoles qui concerne à peine 4% des étudiants. Par l’impôt et surtout par l’endettement, les plus pauvres, qui ne bénéficient pas du service des grandes écoles, financent paradoxalement les plus riches exonérés des droits d’inscription (contrairement aux élites étrangères confrontées, dans les université américaines, aux prix de marché de l’Université, à savoir environ 40 000 $ par année d’étude dans une université privée)8.

Dans un tel contexte, les meilleurs esprits de l’opposition se sont bornés, depuis 1968 et la loi Faure qui suivit, à préserver le statut des grandes écoles parce qu’ils jugent que ces dernières suffisent à sauver « l’élitisme républicain », d’autant que l’hyperclasse croit ainsi tenir sa progéniture à l’écart du naufrage de l’Université (que l’on impute à tort à 68 alors qu’il est programmé dès la loi du 15 septembre 1793 qui abolit symboliquement l’Université). Au lieu de miser sur la liberté universitaire, « l’opposition de droite » est ainsi prise au piège du monopole, laissant l’essentiel du système universitaire en jachère.

A fortiori, le monopole de la collation des grades, que l’on nous présente comme la garantie suprême de la valeur des diplômes, s’avère en fait être ce qui l’anéantit (ce phénomène rend « intransportables » la plupart des jeunes diplômés de l’Université). En effet, seule l’épreuve des choix de la société civile peut établir une échelle de valeurs des titres universitaires et non pas les certificats délivrés par les hauts fonctionnaires de l’enseignement supérieur, avatars contemporains des philosophes de la République platonicienne. Cette nullité de la valeur réelle des grades conférés par l’enseignement supérieur français fait tomber l’argument socio-professionnel des partisans du monopole.

Troisième sophisme des adversaires de l’Université libre : le monopole permet de lutter contre les inégalités et le paupérisme

Inégalités (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)Voyant ruiné ce sophisme de l’excellence, nos partisans du monopole ne désarment pas pour si peu. Ils ne manquent pas d’agiter le spectre du paupérisme et des inégalités qui poursuit nos étudiants jusqu’à la plage où on lisait cet été le best-seller de la « rock-star », (dixit Le Monde) de l’économie, Thomas Piketty, et que nos étudiants retrouvent en tête de gondole du rayon « rentrée universitaire » de la FNAC. Piketty ne combat pas les inégalités au point d’enseigner à l’université puisqu’il a pris soin de faire financer par les Français une « École d’économie- de Paris » où il dispense son enseignement sans fréquenter les « sans- dents » de l’université de masse. Ce que l’économie de la redistribution cache à nos étudiants c’est que l’État français redistribue en monnaie de singe. Il ne donne aux pauvres que ce qu’il leur prendrait bientôt s’ils s’avisaient de tenter de sortir de la pauvreté, en vertu du système absurde de l’impôt progressif, qui selon Piketty doit être renforcé en devenant mondial. En dépit des rappels à l’ordre de Bruxelles, ce serait donc au monde d’écouter les leçons de fiscalité de nos économistes subventionnés.

À défaut de rétablir le droit d’aînesse, les grands commis de l’État néo-socialiste – d’un socialisme qui ne dit plus son nom pour mieux se donner pour un capitalisme – s’accaparent ainsi les grandes écoles qui ne remplissent plus leur rôle de promotion sociale de jadis. Où est passé ce tiers de normaliens issus des milieux populaires ? Les dieux n’autorisent plus dorénavant ce miracle permanent qui faisait qu’un descendant de paysans, comme Georges Pompidou, pouvait devenir président de la République. Les seuls nouveaux convives au banquet de l’élite républicaine sont les fils et filles d’enseignants. Où est passé le tiers-état ? Quelle université saura former ses porte-paroles ? On se souvient que la génération philosophique des lumières avait déserté les bancs de l’Université pour fréquenter les collèges jésuites, ce qui n’empêcha pas La Chalotais de sonner la charge dans son Essai d’Éducation nationale (salué par un certain Voltaire, ancien élève des jésuites). Et les parlements de « remercier » la Compagnie de Jésus en l’expulsant de France (1762) : Les gallicans autant que les jacobins détestent qu’on innove avant eux.

Or ce paupérisme, contre lequel on entend ériger l’université en rempart, n’est pas, comme l’avait décrété Marx, l’effet de la liberté économique mais la fleur la plus vénéneuse du monopole. Privé de tout, et en premier lieu de bien, le peuple de gauche a été élevé dans l’idée qu’attenter à la propriété d’autrui constitue un acte de justice sociale. Il est entendu que le libre jeu de l’action humaine, qui se manifeste par l’échange de biens, ne peut vouer l’étudiant qu’à la précarité. L’État providence croit pouvoir corriger cette « injustice » en attribuant des diplômes qui ne sont reconnus que par lui-même (nationalisant l’exclusion, en quelque sorte). Or, la gratuité de l’université n’a pas pour objet ni a fortiori pour résultat de « réduire les inégalités » mais de transformer les diplômés au rabais en clients. Les pauvres sont les premiers frappés par l’impôt levé pour remplir le tonneau des Danaïdes de l’éducation nationale (l’exonération massive de l’impôt sur le revenu ne parvient pas à dissimuler l’injustice – parlons plutôt d’immoralité – de l’impôt indirect qui, par le biais de la TVA, frappe d’abord la consommation de masse).

L’Université n’est donc pas gratuite pour les étudiants pauvres. D’autant que les titulaires du baccalauréat (cette peau d’âne comme on disait jadis, au temps où il valait quelque chose) ne récupèrent qu’une part infime des sommes soutirées à leurs parents puisque la République dépense beaucoup plus pour un élève des grandes écoles que pour un étudiant lambda (d’autant que cet élève étant salarié dès qu’il entre dans une grande école, il est seul à pouvoir rêver encore de profiter des vestiges du système de retraite par répartition).

Il faudrait donc que notre système d’enseignement supérieur fasse des citoyens alors qu’aujourd’hui il ne fait que des électeurs. Les oligarques qui distribuent les diplômes comme des indulgences s’assurent peut-être une clientèle pour les prochains scrutins mais condamnent la démocratie. Car, une fois confronté au marché du travail, l’électeur diplômé d’aujourd’hui n’est autre que l’abstentionniste de demain.

  1. Laboulaye E., « Rapport fait au nom de la commission chargée d’examiner la proposition de loi de M. le comte Jaubert relative à la liberté de l’enseignement supérieur par M. Édouard Laboulaye, membre de l’Assemblée nationale » in Beauchamp A. de, Recueil des lois et règlements sur l’enseignement supérieur, tome III (1875-1883), Paris, Typographie de Delalain frères, p. 21.
  2.  Le discours de Ramus fut traduit en français sous le titre d’Advertissements sur la réformation de l’université de Paris, au roy. Ce discours n’était concevable qu’après la création du Collège de France à qui l’historiographie n’a conféré l’aura d’une institution libre que parce que les « humanistes » – entendez les contempteurs de l’Université – ont toujours invoqué l’autorité du prince plutôt que celle du pape. Les princes les récompensèrent sous la forme de rentes académiques, en attendant que la fonctionnarisation soit rendue possible par la conquête des privilèges universitaires autrefois attribués aux religieux.
  3. Bionne H., La démocratie, l’Université et la loi sur l’enseignement supérieur, Paris, Amyot, 1876, p.13.
  4.  « Lettre de Victor Duruy à Napoléon III, le 20 octobre 1863 », citée par J. Rohr, Victor Duruy, ministre de Napoléon III, Essai sur la politique de l’instruction publique au temps de l’Empire libéral, Thèse, Paris, 1967.
  5. Bien que ce classement dégage des lignes de force incontestables, ces résultats sont à utiliser avec circonspection. Le ministère de l’Éducation s’empresse pourtant de les mettre en avant pour légitimer le regroupement d’unité en grand pôle de recherche comme « Paris universitas », mesure technocratique qui revient à déshabiller Pierre pour habiller Paul.
  6.  Une « grande école » classée comme université, l’université Jiao Tong se moquant des « chinoiseries » du système d’enseignement supérieur français…
  7. Harvard (n°1), Stanford (n°2), M.I.T (n°3), C.I.T (California Institute of Technology, n°7), Columbia (n°8), Princeton (n°6) et Chicago (n°9) sont des établissements privés. Cambridge (n°5), Berkeley (n°4) et Oxford (n°10) sont des établissements publics
  8.  Notons que ces droits d’inscription bien qu’élevés sont loin de couvrir les frais réels. Le coût de l’accueil d’un étudiant est environ le double, 80 000 $. Le reste des dépenses est donc couvert par les endowments, c’est-à-dire les fonds propres provenant de la dotation annuelle constituée par des personnes physiques ou morales
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  • bon article mais trop long, qui aurait gagné à être coupé en autant d’article qu’il y a de sophismes dénoncés, plus un ou deux (introduction, conclusion)

  • «  » »ceux « qui ne cessent d’attaquer la théocratie de l’Église pour y substituer celle de l’État[«  » ».
    Il est intéressant de constater que les plus acharnés à défendre la laïcité sont toujours les plus fervents adorateurs de l’État et de la déesse République, sans lesquels, manifestement, ils ne peuvent vivre.

    Excellent article.

  • Bon article mais hélas un peu gâché par le rejet « des grandes écoles » et de « l’hyper-classe » qu’on y trouverait, ce qui sonne creux (et un peu comme un tract joint UNEF / ATTAC). Un soupçon de jalousie, un « gimmick » pour rendre acceptable le reste ? Les concours sont anonymes, les prépas comme vous le soulignez « gratuites » et la course aux classements ainsi que les bourses (et les prêts à taux dérisoires) font que qui peut « payer » (en renonçant à un revenue d’activité, au moins) l’université peut payer la prépa. Et donc il y a finalement plus de diversité sociale dans les « grandes écoles » qu’à l’université. Que les pauvres ne fréquentent pas non plus tant que ça, et qu’ils payent tout autant.

    D’autant que le système « grandes écoles » est justement un exemple que les universités pourraient suivre. Pas du tout monolithique, avec du privé, du « para-public » (écoles de commerce consulaires), du « public pur » (dépendant de ministères divers… ) des filières quasi-universitaires (les ENS), d’autres résolument « professionnelles » (ENSI, ESC). Des offres « post prépa » mais aussi à « prépa intégrée ». Des formations généralistes, d’autres ultra-spécialisées. Des enseignants aux statuts et profils là aussi plus divers, avec parfois des statuts universitaires, d’autres avec des CDI, des doctorats et HDR bien de chez nous mais aussi des PhD et autres arrivés de toute la planète (et que l’absence de statut arrange bien… pas besoin de se coltiner le concours de MCF, compliqué après une thèse aux US, un post-doc en Suisse, deux ans comme lecturer en Grande Bretagne ).

    Bien sûr, tout n’est pas non plus rose dans les (grandes) écoles, mais ayant franchi le Rubicon après trois ans de MCF à l’université, j’ai eu l’impression d’un réveil, de me mettre à respirer enfin, en arrivant en école. Pas forcément que les étudiants soient meilleurs (bon, ils le sont et ça compte) ou « fils de » (ce n’est pas du tout le cas), mais le « management » tant de la pédagogie que de la recherche n’est pas aussi sclérosé, la concurrence (avec les autres écoles en France, et les universités du monde entier) pousse à bouger, changer, évoluer, chercher à faire mieux, plus, etc.

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