Allemagne : petite histoire d’un redressement économique

Pourquoi la situation économique dégradée de l’Allemagne a entraîné la mise en place de réformes structurelles en 2010 .

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Allemagne : petite histoire d’un redressement économique

Publié le 26 septembre 2014
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Par Sylvain Fontan.

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Avant d’être la locomotive de l’économie européenne, l’Allemagne a longtemps été considérée comme un pays malade.

En effet, au cours des années 1990, l’Allemagne a connu une longue période de croissance inférieure à la moyenne européenne. Depuis, le pays a lancé plusieurs réformes structurelles qui lui permettent aujourd’hui de récolter le résultat de ses efforts et dont la France pourrait s’inspirer.

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L’Allemagne, ou l’homme malade de l’Europe

Entre 1995 et 2005, la situation économique de l’Allemagne était très dégradée. En effet, durant cette période, la croissance allemande a constamment été inférieure à celle de la moyenne des 15 pays membres de l’Union européenne de cette époque. Le pays a dû faire face à des événements historiques venus renforcer le manque de dynamisme économique : poids de la réunification allemande suite à la chute du mur de Berlin en 1989, l’éclatement de la bulle internet au tournant des années 2000 et les attentats du 11 septembre 2001.

Un des éléments les plus patents de cette situation économique a été l’augmentation continue du chômage qui a atteint 11,7 % de la population active en 2005. L’évolution du chômage soulignait ainsi les problèmes structurels du marché de l’emploi allemand qui ne parvenait pas à résorber le chômage, même lors des phases de croissance économique.

Les problèmes structurels de l’Allemagne étaient principalement liés à quatre aspects :

Rigidité du marché du travail

Le manque de flexibilité en matière de fixation des salaires, la grande difficulté à licencier pour les employeurs, et les contraintes liées aux contrats de travail à durée indéterminée rendaient très difficile d’intégrer toute une partie de la population sur le marché du travail et d’adapter les salaires et l’emploi aux fluctuations de l’activité économique.

Évolution disproportionnée des salaires par rapport à la productivité

Les coûts salariaux, notamment dans l’industrie manufacturière, ont enregistré une hausse nettement supérieure aux gains de productivité et aux hausses de salaires observés dans les autres pays européens. Dès lors, la compétitivité du pays s’est peu à peu érodée.

Prestations de transferts trop généreuses

Les transferts liés à la redistribution étaient des obstacles à la création d’emplois, notamment dans les secteurs à bas salaires. En effet, les prestations accordées aux chômeurs (notamment de longue durée), en termes de montant des allocations chômage et de durée des droits, n’incitaient pas les bénéficiaires de ces prestations à chercher et reprendre un emploi.

Poids des prélèvements fiscaux et sociaux

Afin notamment de financer le niveau élevé des prestations sociales, le niveau des charges fiscales et sociales qui pesaient sur les employés, les employeurs et les contribuables était devenu très élevé en comparaison internationale. Dès lors, l’attractivité de l’Allemagne auprès des investisseurs étrangers s’est dégradée. De plus, le niveau élevé de la fiscalité pesait négativement sur l’investissement des entreprises, bridant ainsi leur développement et donc le potentiel global d’emploi du pays.

L’agenda 2010

Pour pallier la perte de compétitivité allemande, de vastes réformes structurelles ont été lancées.

En effet, en 2003, Gerhard Schröder le chancelier allemand de l’époque présenta ce qu’il convient d’appeler l’Agenda 2010. Les divers axes de réformes s’appliquèrent aux domaines du marché du travail, de la protection sociale et de la fiscalité. L’objectif était d’améliorer les conditions permettant de générer de la croissance économique et de l’emploi, ainsi que de moderniser l’État et son fonctionnement.

Les principales réformes renvoient à la réglementation du marché du travail (réformes dites Hartz).

Trois axes principaux sont constitutifs de ces réformes :

Incitations à la reprise d’un emploi

En substance, l’idée est de développer la responsabilité individuelle des chômeurs en adossant les droits à des devoirs. Ainsi, la durée maximale d’indemnisation chômage a été réduite, de 32 à 12 mois avec des exceptions pour les plus de 55 ans.

Passage d’un régime d’assurance financée par les cotisations à un système d’assistance financée par l’impôt

En pratique, cela signifie que les allocations chômage pèsent moins sur le travail et davantage sur le contribuable. L’aide aux chômeurs en fin de droits est désormais accordée en fonction des ressources et à condition que le bénéficiaire cherche activement un emploi. Ainsi, il reçoit cette aide uniquement s’il a au préalable épuisé une partie de son revenu et de son patrimoine.

Assouplissement du régime de protection contre le licenciement

En pratique, cela revient à diminuer les barrières à l’embauche et ainsi créer les conditions d’un marché du travail plus dynamique. En effet, s’il est dorénavant plus facile de licencier, il est surtout plus facile de retrouver un emploi car les lourdeurs et les contraintes à l’embauche sont diminuées.

 

En matière de politique fiscale, l’impôt sur le revenu (IR) et l’impôt sur les sociétés (IS) ont évolué.

Concernant l’IR, le taux du barème minimum a diminué, passant de 25,9 % à 15 %, ainsi que le taux maximum qui est passé de 53 % à 42 %.

En matière d’IS, seule la moitié des dividendes et les plus-values peuvent dorénavant être imposables. De plus, le barème de l’IS est passé de 50 % à 29 % depuis 2008. Le but est de créer un environnement plus favorable à la croissance et d’améliorer l’attractivité fiscale de l’Allemagne pour les sociétés à capitaux.

En matière de protection sociale, ce sont essentiellement les assurances retraite et maladie qui ont évolué.

En effet, l’assurance retraite fonctionne toujours sur un principe de répartition (travailleurs cotisant pour les retraités), mais un élément de capitalisation (chacun cotise à sa future retraite en fonction de ses moyens) a été introduit. De plus, un facteur d’équilibre entre les générations a été introduit en faisant évoluer le montant des pensions de retraites en fonction de la relation entre le nombre de retraités et de cotisants. Enfin, l’âge légal de départ à la retraite a été reculé à 65 ans (et sera de 67 ans en 2029). Le but étant d’assurer la pérennité du système et de garantir la soutenabilité de son financement, et ainsi faire en sorte que les cotisants d’aujourd’hui puissent compter eux aussi sur une pension lorsque leur retraite sera venue. Au final, l’enjeu est d’éviter un jeu de Ponzi comme en France, où l’espoir de percevoir une pension des derniers arrivés sur le marché du travail serait très mince compte tenu de l’évolution démographique.

En matière d’assurance maladie, le nombre et le montant des prestations remboursées a globalement diminué. Parallèlement, la participation individuelle des patients aux différents frais (médicaux, hospitaliers…) a augmenté afin d’équilibrer les services offerts en fonction des ressources disponibles et d’entrer dans un système de gestion raisonnée.

Situation actuelle

La situation économique actuelle positive de l’Allemagne n’est pas uniquement liée aux différentes réformes.

En effet, plusieurs facteurs en interactions sont à souligner. La bonne conjoncture économique mondiale du milieu des années 2000 a largement profité à l’Allemagne grâce à ses entreprises industrielles fortement internationalisées, augmentant ainsi les exportations du pays. Dans ce cadre, les caractéristiques des industries allemandes ont accentué ce phénomène de rebond économique : forte densité d’entreprises hautement innovantes positionnées sur les moyennes et hautes technologies, fortes synergies entre les différentes entreprises, et qualité de la coopération des partenaires sociaux (syndicats et patronats) qui travaillent de façon responsable, permettant ainsi l’amélioration des intérêts collectifs au détriment des intérêts corporatistes.

Malgré des controverses sociales, les effets économiques sont indéniablement positifs.

En effet, indépendamment de la meilleure conjoncture mondiale dont les entreprises allemandes ont su bénéficier, les effets bénéfiques ont été démultipliés grâce aux avancées permises par les réformes mises en place. Le chômage a sensiblement baissé et l’Allemagne est le seul pays européen dont le taux de chômage a continué de baisser durant la crise globale.

De plus, l’activité en période de croissance s’est fortement accrue. Ainsi, alors qu’il fallait au moins 2 % de croissance économique par an pour générer la création d’emplois avant ces réformes, il suffit maintenant de 1 % de croissance à l’Allemagne pour diminuer le chômage. À titre de comparaison il faut 1,5 % de croissance en France pour y diminuer le chômage de façon pérenne. De nombreux actifs faiblement qualifiés ont retrouvé un emploi. Dans le même temps, la modération salariale a permis aux entreprises de gagner en compétitivité et ainsi de se développer.

Malgré la modération salariale, les Allemands ont néanmoins gagné en pouvoir d’achat. En effet, les revenus disponibles ont augmenté de 600 euros entre 2005 et 2010 (+3 %) à l’Ouest de l’Allemagne, et de 1100 euros à l’Est sur la même période (+7 %). Ainsi, ce sont surtout les tranches inférieures de revenus qui ont connu la plus forte progression avec 40 % des Allemands aux revenus les plus bas ayant vu une progression de leur revenu disponible augmenter plus vite que la moyenne. Parallèlement, l’inégalité de la répartition des revenus (calculée par le coefficient de Gini) s’est réduite à l’Est, mais reste inchangée à l’Ouest.

Conclusion

Les différents dysfonctionnements (marché du travail, protection sociale, fiscalité) de l’économie allemande rendaient impossible pour le pays de relever les défis de la globalisation et sa perte de compétitivité était alors inéluctable sans modifications majeures.

Pour faire face à cette situation, l’agenda 2010 a posé les bases d’une refondation de la politique économique et sociale allemande afin que le pays puisse s’adapter aux évolutions du monde contemporain. Malgré certains reculs sociaux apparents, les avancées économiques sont telles qu’elles permettent maintenant à l’Allemagne d’envisager le futur de manière plus sereine. L’avance dans le domaine de compétitivité de la production allemande permet à ce pays d’accumuler d’importants excédents extérieurs et d’être un des rares pays européens à être en excédent budgétaire.

Après plusieurs années difficiles, les efforts du pays portent leurs fruits et l’Allemagne peut se concentrer essentiellement sur son problème majeur : sa démographie déclinante du fait du vieillissement de sa population.

Même si la situation française est partiellement différente, et qu’un modèle ne peut jamais être reproductible à l’identique d’un pays à l’autre, force est de constater que la situation allemande d’il y a 10 ans ressemble fort à la situation actuelle française. En effet, malgré une histoire et une démographie différentes, la répartition des facteurs de production, la spécialisation etc., il apparaît que la voie allemande devrait pouvoir inspirer, au moins pour partie, les politiques économiques et sociales de la France. Cependant, le gain économique probable que le pays pourra en tirer ne pourra probablement pas compenser le prix politique aux yeux des gouvernants français.

Dans ce contexte, il est fort probable que la dégradation de la France continue son œuvre, a fortiori au regard du discours politique utilisé par les gouvernants et dispensé aux citoyens. Enfin, il n’est pas certain que les politiques aient réellement pris conscience de la situation du pays, ni du moment historique charnière dans lequel il se trouve.


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  • La difference? Le leader allemand a fait ce qu’il fallait faire pour son pays, sachant qu’il avait de fortes chances d’y perdre sa place au mangeoire (aussi, qu’il en retrouverait une dans le prive). La France… Un nabot intellectuel, et un petit secretaire de parti sans vertebres. Suivi vraisemblablement du ti nain. Un pays de vieux cons diriges par des vieux cons pour des vieux cons. Et de plus en plus de jeunes, qui, l’ayant compris, votent avec leurs pieds

  • Pas un mot sur l’importance de l’euro dans la réussite allemande : analyse sans intérêt.

    • Pas un mot sur l’échec de la France alors qu’on partage le même euro et que nous n’avons pas eu à supporter le coût de la réunification : commentaire sans intérêt.

      • Et en plus, on a pas eu a supporter le fiasco de l’éolien !

      • C’est justement entre autre parce la France et l’Allemagne partage la même monnaie que la France se plante. cf Charles Gave etc…

        • Gave se plante sur l’importance de l’euro. L’euro n’empêche pas les ajustements de prix à l’intérieur de la zone euro. L’euro n’aide pas non plus les Allemands à exporter, le taux de change a un impact négligeable sur les exportations.

        • Si vous l’aviez effectivement lu, vous auriez compris que l’euro, en éloignant la sanction monétaire, a favorisé l’expression des penchants naturels de chacun, notamment le goût immodéré de l’Obèse pour les fonctionnaires. Ce n’est pas l’euro qui a contraint la France aux 35h, encore moins de laisser filer ses dépenses publiques vers des sommets insensés.

  • La vache, quand on se dit que c’est un « socialo » allemand qui a pris les mesures qu’il fallait, je voterais PS s’il avait son clone. 😀

    Problème, le clone en question n’existe nul part en France, game over !

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