Innovation pharmaceutique : le match public-privé

Comment s’effectuent la découverte et le développement de médicaments novateurs ?

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Innovation pharmaceutique : le match public-privé

Publié le 6 septembre 2014
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Par Yanick Labrie, depuis le Québec.
Un article de l’Institut économique de Montréal.

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La découverte et la mise en marché de nombreux médicaments et vaccins au cours du dernier siècle a indéniablement contribué à révolutionner le domaine de la santé1. Malgré l’ampleur de ces progrès et les bénéfices qui en ont découlé, le secteur pharmaceutique continue d’être la cible de nombreuses critiques. Pour certains, les nouveaux médicaments ne seraient pas découverts par l’industrie mais seraient plutôt le résultat du travail effectué par des chercheurs universitaires financés principalement par des fonds publics2. Selon cette croyance, les compagnies pharmaceutiques ne feraient qu’engranger des profits en exploitant le travail réalisé en amont par ces scientifiques, sans apporter de réelle contribution.

Comment s’effectuent la découverte et le développement de médicaments novateurs ? Quel est l’apport respectif du secteur public et du secteur privé dans tout ce processus ? Cet article vise à faire la lumière sur ces questions.

Le processus de découverte et de développement d’un médicament

Au début du processus de découverte et de développement d’un médicament, la recherche fondamentale effectuée dans les centres publics de recherche et les universités joue effectivement un rôle crucial. Dans la grande majorité des cas, ce ne sont cependant pas les chercheurs universitaires qui découvrent les nouveaux médicaments3. À titre d’exemple, à peine 9% des nouveaux médicaments homologués par la Food and Drug Administration (FDA) aux États-Unis entre 1990 et 2007 ont été découverts par des institutions de recherche du secteur public4. Les chercheurs universitaires génèrent plutôt les nouvelles connaissances qui permettent de mieux comprendre les facteurs responsables d’une maladie ou d’une condition de santé5.

Une fois que les causes sous-jacentes à une maladie sont mises en lumière, les chercheurs s’efforcent de trouver une cible biologique pour un nouveau médicament potentiel, le plus souvent un gène ou une protéine. S’entame alors tout le volet de la recherche appliquée qui mène à la découverte d’une molécule susceptible de guérir ou de prévenir la maladie. Des milliers de molécules sont ainsi testées afin de déterminer celles qui ont les attributs recherchés pour devenir un médicament éventuel. À partir de ce stade, ce sont principalement les entreprises de biotechnologie privées et les grandes sociétés pharmaceutiques qui financent ou qui se chargent d’effectuer ce travail.

Lorsqu’une molécule prometteuse est découverte, les compagnies pharmaceutiques procèdent ensuite à des essais précliniques et cliniques au cours desquels on tente de déterminer l’innocuité du médicament à l’étude, ses mécanismes d’action, sa toxicité, ses effets secondaires potentiels, etc. Les essais cliniques sont généralement divisés en trois phases et peuvent s’échelonner sur une période de six ou sept ans.

Ces essais cliniques, qui sont financées aux États-Unis à plus de 90% par les compagnies biopharmaceutiques privées6, accaparent plus de la moitié du coût de développement d’un médicament et s’opèrent dans un contexte de surveillance et de réglementation très strictes. Le pourcentage d’attrition à cette étape est très élevé : la très grande majorité des molécules ne parviennent pas à passer le test des essais cliniques avec succès et finissent par être abandonnées. Selon des chercheurs du Bureau du budget du Congrès américain, seulement 8% des nouvelles molécules étudiées qui atteignent l’étape des essais cliniques finissent par être approuvées pour la mise en marché7.

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La dernière étape de ce long processus consiste à obtenir l’aval des autorités réglementaires pour la commercialisation du médicament. Selon une enquête récente, il faut en moyenne environ un an avant qu’un médicament obtienne une telle approbation. De 2001 à 2010, le délai médian s’est élevé à 322 jours aux États-Unis, à 366 jours en Europe et à 393 jours au Canada8. Évidemment, ce sont encore une fois les entreprises du secteur privé qui supportent les coûts liés aux demandes d’homologation.

Ainsi, le développement d’un médicament est un processus long et coûteux. Dans l’ensemble, les compagnies pharmaceutiques doivent consacrer en moyenne entre 12 et 15 ans9 de recherche et 1,2 milliard de dollars d’investissements10 pour que la découverte d’une molécule prometteuse se traduise par la mise en marché d’un médicament dont les patients pourront bénéficier (voir tableau 1).

Il s’agit également d’un processus risqué car seulement deux médicaments commercialisés sur dix génèrent des recettes de vente suffisantes pour couvrir les coûts moyens de R-D11. En conséquence, 20% des médicaments mis en marché doivent générer des profits suffisamment élevés pour couvrir le manque à gagner en termes de revenus des autres 80% qui sont déficitaires.

La contribution respective des secteurs public et privé

L’importance de la contribution respective des secteurs privé et public dans la découverte et le développement de médicaments a fait l’objet de plusieurs analyses ces dernières années. En 2001, le Congrès américain a mandaté les Instituts nationaux de recherche en santé (NIH) afin de rédiger un rapport sur la provenance des médicaments les plus vendus, soit ceux dont les ventes excédaient 500 millions de dollars annuellement. L’étude a révélé que sur les 47 médicaments faisant partie de l’échantillon, quatre seulement avaient été découverts et développés à l’aide principalement de fonds publics12.

Plus récemment, des économistes de l’Université Tufts au Massachusetts se sont penchés sur l’historique du développement de 35 médicaments et classes de médicaments identifiés comme étant les plus importants. Même si le secteur public occupe une place prépondérante dans la recherche de base, le secteur privé a tout de même été responsable d’avancées majeures en science fondamentale dans 20% des classes de médicaments. Il a en outre été à l’origine de progrès majeurs en science appliquée dans 97% des classes de médicaments, de même que dans 80% d’entre elles en ce qui concerne l’amélioration des applications cliniques ou des procédés de fabrication de médicaments13.

Les médicaments appartenant à la classe des bêtabloquants, qui permettent de traiter diverses maladies cardiovasculaires, sont un exemple probant de l’importance du rôle joué par le secteur privé dans l’innovation pharmaceutique. Après des percées majeures dans le domaine de la biologie cellulaire réalisées à l’Université de la Géorgie dans les années 1940, les efforts de R-D se sont poursuivis pendant de nombreuses années au sein d’entreprises du secteur privé, en particulier à Imperial Chemical Industries (qui fait maintenant partie d’AstraZeneca) et chez Eli Lilly. Ce long travail a culminé avec la création d’une nouvelle classe thérapeutique à partir du début des années 1960. Les recherches de l’industrie pharmaceutique poursuivies dans les années 1980 et 1990 ont ensuite mené au développement de bêtabloquants plus performants permettant de soigner avec une efficacité accrue une panoplie de maladies dont l’arythmie cardiaque, le glaucome et l’hypertension14.

Un autre exemple concerne la découverte de médicaments appartenant à la classe des statines qui ont permis d’abaisser le niveau de cholestérol chez de nombreux patients et contribué à la forte baisse des taux de mortalité liée aux maladies cardiovasculaires15. C’est dans les années 1950 qu’ont paru les premières études établissant un lien entre le cholestérol et les risques de maladies cardiovasculaires. La découverte des statines n’est toutefois survenue qu’au milieu des années 1970, suite à de nombreuses années de recherche réalisée dans les laboratoires de la compagnie pharmaceutique Sankyo par un groupe de chercheurs mené par le microbiologiste japonais Akira Endo. Au terme du processus de développement qui s’en est suivi au sein des compagnies Sankyo et Merck, le premier médicament appartenant à la classe des statines n’a été mis en marché qu’en 198716.

Ainsi, une proportion importante de médicaments n’auraient pas vu le jour sans l’apport de l’industrie pharmaceutique. Les compagnies pharmaceutiques demeurent les seules qui sont prêtes à investir les montants considérables que la découverte et le développement d’un médicament nécessitent et à prendre les risques liés à ces investissements. Aux États-Unis, 60% du financement de la recherche biomédicale provient d’entreprises pharmaceutiques et biotechnologiques privées17.

Au Canada, les fonds publics consacrés à la recherche biomédicale par le biais des Instituts de recherche en santé du Canada (IRSC) s’élevaient à 584 millions de dollars en 2012-2013.

D’autres organisations gouvernementales, dont Génome Canada, la Fondation canadienne pour l’innovation, les Chaires de recherche du Canada et le Conseil de recherche en science naturelles et en génie du Canada consacrent également quelques centaines de millions de dollars par année à la R-D dans le domaine de la santé18. Les grandes sociétés pharmaceutiques ont pour leur part investi en R-D plus de 1 milliard de dollars en 2013 au Canada19.

IEM2

L’industrie pharmaceutique est-elle moins innovante ?

Depuis le milieu des années 1990, on observe une tendance à la baisse du nombre de nouveaux médicaments approuvés chaque année par les autorités réglementaires, qu’il s’agisse de Santé Canada ou encore de la FDA aux États-Unis. Cela a fait dire à plusieurs que l’industrie pharmaceutique perdait de son dynamisme en matière d’innovation20.

Si on remonte plus loin dans le temps, on constate toutefois une tendance significative à la hausse du nombre de médicaments approuvés aux États-Unis depuis les années 1970. C’est le nombre anormalement élevé de médicaments approuvés en 1996 qui donne l’impression du déclin de la période suivante (voir figure 1). Cette année constitue une anomalie qui s’explique par un rattrapage suite à un retard accusé par la FDA dans son travail d’évaluation21.

Qui plus est, la méthode qui consiste à ne comptabiliser que le nombre de nouvelles approbations est d’une utilité limitée pour mesurer le caractère réellement novateur des nouveaux médicaments22. En effet, même si chaque molécule est un composé chimique distinct, certaines possèdent des vertus thérapeutiques plus importantes que d’autres. Lorsque ce facteur est pris en compte, on s’aperçoit que le pourcentage des médicaments approuvés qui sont considérés les plus novateurs est en croissance depuis le début des années 200023. Il est aussi reconnu que les médicaments d’aujourd’hui sont généralement plus efficaces et mieux tolérés par les patients qu’autrefois, en raison de l’amélioration des connaissances de base et du processus d’innovation graduelle qui se poursuit depuis plusieurs décennies24.

Conclusion

La découverte et le développement d’un nouveau médicament découlent d’une collaboration étroite entre les chercheurs du milieu universitaire et ceux de l’industrie. Dans ce processus, les secteurs public et privé poursuivent des objectifs distincts mais complémentaires. Alors que le rôle du secteur public est centré sur l’approfondissement des connaissances de base sur la maladie, celui du secteur privé est davantage axé sur la recherche appliquée visant à convertir ces connaissances en traitements efficaces. Les bénéfices qui découlent des subventions publiques à la recherche universitaire ne peuvent être réalisés qu’une fois que des traitements efficaces ont été mis au point. Ce dernier rôle, seule l’industrie pharmaceutique est en mesure de le remplir.

Sur le web

  1. La présente note économique est la seconde d’une série qui aborde la question de l’innovation pharmaceutique. Pour un aperçu de l’ampleur du progrès réalisé à cet égard depuis les 100 dernières années, voir Yanick Labrie, « Comment l’innovation pharmaceutique a révolutionné le domaine de la santé », Note Économique, Institut économique de Montréal, juin 2014.
  2. Voir par exemple Mariana Mazzucato, « Pfizer’s bid for AstraZeneca shows that big pharma is as rotten as the banks », The Guardian, 11 mai 2014.
  3. Il est à noter que de plus en plus d’ententes de collaboration sont conclues entre chercheurs universitaires et sociétés pharmaceutiques pour faciliter la découverte de nouvelles molécules. Voir notamment Nathalie Vallerand, « Des PPP pour faciliter la recherche », Les Affaires, 1er mars 2014, p. 34; Daniel X. Yang et Yunsoo A. Kim, « Helping Science and Drug Development to Succeed through Pharma-Academia Partnerships », Yale Journal of Biology and Medicine, vol. 86, 2013, p. 429-432.
  4. Ashley J. Stevens et al., « The Role of Public-Sector Research in the Discovery of Drugs and Vaccines », The New England Journal of Medicine, vol. 364, no 6, février 2011, p. 535-541.
  5. Elina Petrova, « Innovation in the Pharmaceutical Industry: The Process of Drug Discovery and Development », dans M. Ding et al. (dir.), Innovation and Marketing in the Pharmaceutical Industry, Springer, 2014, p. 19-81.
  6. Steven S. Ma, « Letter to the Editor », Journal of the American Medical Association, vol. 310, no 8, 2013, p. 854-855.
  7. Congressional Budget Office, Research and Development in the Pharmaceutical Industry, octobre 2006, p. 23.
  8. Nicholas S. Downing et al., « Regulatory Review of Novel Therapeutics — Comparisons of Three Regulatory Agencies », The New England Journal of Medicine, vol. 366, no 24, juin 2012, p. 2284-2293.
  9. Frank A. Sloan et Chee-Ruey Hsieh, « The Effects of Incentives on Pharmaceutical Innovation », dans Frank A. Sloan (dir.), Incentives and Choice in Health Care, MIT Press, 2008, p. 238.
  10. Christopher Paul Adams et Van Vu Brantner, « Spending on New Drug Development », Health Economics, vol. 19, 2010, p. 130-141.
  11. John A. Vernon, Joseph H. Golec et Joseph A. DiMasi, « Drug Development Costs When Financial Risk Is Measured Using the Fama-French Three-Factor Model », Health Economics, vol. 19, no 8, 2010, p. 1004.
  12. Department of Health and Human Services, National Institutes of Health, NIH Response to the Conference Report Request for a Plan to Ensure Taxpayers’ Interests Are Protected, juillet 2001.
  13. Benjamin Zycher, Joseph A. DiMasi et Christopher-Paul Milne, « Private Sector Contributions to Pharmaceutical Science: Thirty-Five Summary Case Histories », American Journal of Therapeutics, vol. 17, 2010, p. 101-120.
  14. Norman K. Hollenberg, « The Role of ß-Blockers as a Cornerstone of Cardiovascular Therapy », American Journal of Hypertension, vol. 18, no S6, 2005, p. 165S-168S.
  15. David C. Grabowski et al., « The Large Social Value Resulting from Use of Statins Warrants Steps to Improve Adherence and Broaden Treatment », Health Affairs, vol. 31, no 10, 2012, p. 2276-2285.
  16. Thomas P. Stossel, « The Discovery of Statins », Cell, vol. 134, 2008, p. 903-905.
  17. E. Ray Dorsey et al., « Funding of US Biomedical Research, 2003-2008 », Journal of the American Medical Association, vol. 303, no 2, janvier 2010, p. 137-143.
  18. Voir Instituts de recherche en santé du Canada, Rapport annuel des instituts de recherches en santé du Canada 2012-2013, 25 juin 2013, p. 2, ainsi que les rapports annuels des organismes cités. Pour diverses raisons, les données disponibles ne permettent pas de tracer un portrait plus exact du financement public au Canada. Les IRSC n’indiquent aucun thème de recherche pour des subventions totalisant 200 millions de dollars. Une partie du financement des organismes publics provient de fondations privées. Par ailleurs, la recherche biomédicale inclut des domaines autres que la recherche pharmaceutique.
  19. KPMG, Résumé des conclusions du sondage du secteur pharmaceutique sur les dépenses en R-D et autres investissements de la part des membres de Rx&D en 2013, juin 2014, p. 10.
  20. Voir notamment Bruce Booth et Rodney Zemmel, « Prospects for Productivity », Nature Reviews Drug Discovery, vol. 3, 2004, p. 451-456.
  21. Iain M. Cockburn, « Is the Pharmaceutical Industry in a Productivity Crisis? », dans Josh Lerner et Scott Stern (dir.). Innovation Policy and the Economy, vol. 7, MIT Press, 2007, p. 10-11.
  22. Ibid., p. 5-7.
  23. Michael Lanthier et al., « An Improved Approach to Measuring Drug Innovation Finds Steady Rates of First-in-Class Pharmaceuticals, 1987-2011 », Health Affairs, vol. 32, no 8, 2013, p. 1438-1439.
  24. Iain M. Cockburn, op. cit., note 2.

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