Déflation : critique du monétarisme et approche autrichienne

La déflation serait sur le retour. Bonne ou mauvaise chose ? Toutes les écoles libérales n’en font pas la même analyse.

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Déflation : critique du monétarisme et approche autrichienne

Publié le 10 août 2014
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Par Marius-Joseph Marchetti.

FriedmanL’inflation et la déflation reviennent sur le devant de la scène avec les craintes d’un retour de la déflation. C’est l’occasion de revenir sur ces concepts comme inflation ou déflation qui ne sont pas source de conflit simplement entre le camp keynésien et le camp libéral, mais également à l’intérieur même du camp libéral entre les autrichiens et les monétaristes.

La règle monétaire qui avait été édictée par Milton Friedman correspond, grosso modo, à une augmentation de l’offre de monnaie par la banque centrale équivalente à une augmentation du volume de production, afin de garantir la stabilité des prix. On ne peut reprocher aux économistes monétaristes d’avoir prouvé que la création monétaire ne débouche sur le long terme que sur de l’inflation, même si celle-ci donne l’impression d’une plus forte activité économique sur le court terme. Voilà pourquoi les monétaristes ont préconisé cette règle monétaire de Friedman. Ainsi les autorités monétaires préviennent à l’avance les acteurs économiques du taux de croissance de la masse monétaire. Les autorités monétaires donnent ainsi des informations fiables et permettent d’éviter l’instabilité qui résulte d’une politique monétaire discrétionnaire, non attendue par les acteurs économiques.

Or il existe des divergences entre les économistes monétaristes et les économistes autrichiens, notamment dans leur explication de la crise. Ainsi, l’économiste Frank Shostak explique : contrairement à Friedman, nous [les économistes « autrichiens »] suggérons que le boom ne concerne pas seulement une augmentation du taux de croissance de l’offre de monnaie ; mais cela concerne aussi l’existence d’activités non productives qui surgissent sur le dos du taux de croissance accru de l’offre de monnaie ». 1

Cette divergence entre économistes monétaristes et économistes autrichiens montre bien que la solution monétariste n’empêche nullement la formation d’un nouveau cycle et le développement d’activités qui ne serait pas productive en temps normal : comme l’écrit Pascal Salin, « il y a de toute façon création de fausse épargne à partir du moment où il y a création de nouvelle monnaie contre distribution de crédit ». La politique monétaire entraîne un déplacement des ressources des premiers utilisateurs de la nouvelle monnaie par rapport aux derniers utilisateurs.

Elle modifie donc les structures productives de l’économie, celles qui auraient cours si l’État se bornait à ne simplement pas intervenir. Le problème majeur, et qui marque clairement la divergence, n’est pas simplement de lutter contre l’inflation, ce qui est à peu près la seule chose qui intéresse les monétaristes, mais également et surtout d’éviter les modifications d’origine monétaire dans l’appareil productif. En effet, la monnaie n’est pas neutre. L’augmentation de la masse monétaire, même proportionnelle à l’augmentation du volume, entraîne une modification des structures productives de l’économie car les prix n’augmentent ni simultanément, ni de manière uniforme.

« Lorsqu’un gouvernement recourt à l’inflation pour faire la guerre, il doit acheter des munitions, et les premiers à recevoir la monnaie additionnelle sont les industries fabriquant des munitions et les gens qui travaillent dans ces industries. Ces groupes sont alors dans des positions très favorables. Les profits et les salaires y sont très élevés, leurs affaires se développent. Pourquoi ? Parce qu’ils ont été les premiers à encaisser la monnaie émise. » (Ludwig von Mises, Politique économique)

Une chose que nous pouvons également relever vis à vis des économistes monétaristes et des économistes autrichiens est que ces premiers ont relativement peur de la déflation, à l’inverse des autrichiens qui ne craignent la déflation que lorsqu’elle est décrétée (comme pour la crise de 1929) et non pas lorsqu’elle est naturelle (grâce à l’accroissement des gains de productivité). Les disciples de Friedman n’accordent pas beaucoup d’importance à la période précédant la crise. Ils s’intéressent uniquement au fait que la crise est profonde à cause d’une politique monétaire extrêmement déflationniste. Il est vrai qu’au début des années 1930, la politique monétaire déflationniste a aggravé la crise en 1929 (la masse monétaire a diminué de 30% les 3 ans qui ont suivi 1929), mais ceci n’explique qu’une partie de l’ampleur de la crise. Il y a eu environ 40% de baisse pour les prix en gros, et les entrepreneurs n’ont pas pu faire baisser leurs coûts dans les mêmes proportions, tout d’abord car cette politique déflationniste avait été mise en place de manière imprévisible et car ils avaient signé des contrats de travail en accord avec les prix pratiqués à l’époque où ceux-ci avaient été signés, mais pas avec ceux pratiqués à cause de la baisse de la quantité de monnaie. Les monétaristes ne s’intéressent qu’aux conséquences dépressionistes de l’explosion de la bulle et non pas à la formation de la bulle.

« Il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie et il ne faut pas avoir peur de la déflation. En effet, si nous imaginons une situation dans laquelle la quantité de monnaie reste constante, il y a des baisses de prix dans les secteurs où le progrès technique est le plus rapide. » Pascal Salin

Il y a donc grâce à ces baisses des prix une augmentation du pouvoir d’achat mais également de la valeur réelle des encaisses monétaires (avec une même quantité de monnaie, vous pouvez acheter plus de biens et de services). Pourquoi une augmentation du volume de production devrait-elle s’accompagner forcément d’une augmentation de la masse monétaire ? Pourquoi une masse monétaire stable, n’évoluant que très peu ou pas du tout dans le temps, ne pourrait-elle pas répondre aux besoins de l’économie ? La déflation est la conséquence même d’un réel marché libre. Une augmentation des quantités produites face à une quantité de monnaie stable traduit simplement une amélioration du progrès technique et de plus grands gains de productivité.
Voilà donc la grande divergence entre les économistes autrichiens et les économistes monétaristes. Là où les monétaristes raisonnent sur des agrégats comme le taux d’inflation et la quantité de monnaie, les économistes autrichiens soulignent l’importance des structures productives et les structures de prix.

La meilleure politique monétaire, c’est encore de ne pas en avoir.

  1. Frank Shostak, « Can Friedman’s money rule stabilize the economy ? », Mises Institute, Mises Daily Article, 12 novembre 2008. Cité par Pascal Salin dans Revenir au Capitalisme pour éviter les crises.
Voir les commentaires (16)

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Créer un compte Tous les commentaires (16)
  • Soyons plus radical
    * la monnaie est endogène, pas exogène
    * la banque centrale n’est pas un organe monétaire, c’est un organe fiscal, qui gère un impôt sur la détention monétaire.
    Or cet impôt est génial car
    * d’un excellent rapport (des dizaines de milliards),
    * à frais de perception quasi-nul pour le percepteur et pour le contribuable (pas de déclaration, pas de paperasse, pas de d’inquisition fiscale),
    * strictement proportionnel à son assiette (flat tax), non discriminatoire, il touche tous le monde de façon égale, quelque soit la nationalité, la profession, la région etc.
    * touchant autant (voire plus) les revenus d’activités illégales que d’activité déclarée

    D’où la terreur qu’inspire la déflation à nos dirigeant : elle transforme la merveilleuse mécanique fiscale en gouffre qui coute un argent fou !

    • En effet ce sont les État qui sont terrorisés par la déflation: Ils feront défaut.
      Quant à nous, une baissent des prix nous arrangerait plutôt !

  • Je n’ai rien lu de plus convainquant que ceci: http://bastiat.org/fr/maudit_argent.html

    L’argent épargné n’est pas l’épargne, mais sa mesure.
    Épargner consiste à rendre des services sans en consommer autant.
    L’économie est faite d’échanges de services valorisés avec de l’argent.
    Dans cette vision, la création monétaire ne fait que détruire l’information.

    Du temps de la concurrence des monnaies européennes, les meilleures étaient celles qu’on créait le plus parcimonieusement. L’industrie allemande a bénéficié du Mark.

    Si seulement il était possible de faire coexister une monnaie sans aucune création et une monnaie gérée par l’État, on pourrait mettre son épargne à l’abri de la création monétaire…

    • Dans maudit Argent, F. Bastiat souligne quelque chose de nettement différent de ce qui est expliqué.
      Ce ne sont pas les prix qui baissent, ou qui augmentent. Avec la même quantité de monnaie vous achetez plus ou moins de biens. Et c’est toujours dans ce sens qu’il faut comprendre le mécanisme d’inflation/déflation

  • Pensez-vous qu’un État libéral (disons 5% du PIB) devrait se financer par création monétaire ?

    • Oups.
      Question pour P le 11 août 2014 à 15 h 58 min

    • « Pensez-vous qu’un État libéral (disons 5% du PIB)  »

      Selon votre classification, le seul Etat que vous accepteriez de qualifier de « presque libéral » est le Soudan (je crois qu’ils s’ont à un peu moins de 8% de dépense publique).

      • Les États occidentaux du 19e siècle étaient libéraux, leur monnaie était l’or, et ils étaient prospères.
        Ils se concentraient sur les fonctions régaliennes.
        Les Églises et la société civile jouaient leur rôle.

        La Contrainte et la Menace ne sont pas nécessaires hors des fonctions purement régaliennes.

    • Ça en ferait partie, mais ce ne serait pas suffisant.
      Si l’État est parfaitement libéral, alors il ne bat pas monnaie et ne peut pas se financer par création monétaire.
      Si l’État est relativement libéral mais continue à battre monnaie, alors la création monétaire est sans doute parmi les meilleures contributions possible, mais sous la contrainte de rester à un taux d’inflation raisonnablement bas (typiquement 2 %). Or l’inflation est un impôt proportionnel à la masse monétaire, et non proportionnel au PIB, et 2% de la masse monétaire ça reste très inférieur de 5 % du PIB, il me semble, (sauf si le secteur bancaire est surdimensionné parce que nous parlons d’un tout petit pays qui sert de refuge aux citoyens d’un gros pays mal géré… ).

      • Si l’État rendait au marché la création et la destruction monétaire, il lui serait possible de se financer en exigeant un pourcentage minime des bilans bancaires. Cet État serait d’ailleurs beaucoup plus solide sur un plan financier, puisqu’il disposerait d’un panier de monnaies en concurrence au lieu d’une seule, situation rendue précaire par le monopole monétaire et la tentation permanente du défaut par les politiciens démagogues.

        Le premier État qui instaurera la concurrence monétaire sur son territoire gagnera une puissance incomparable vis-à-vis de ses concurrents, instantanément démodés, avec un écart du même ordre que le tiers-monde ou les anciens communistes par rapport à l’Occident capitaliste.

  • « Il n’est pas nécessaire de créer de la monnaie et il ne faut pas avoir peur de la déflation. En effet, si nous imaginons une situation dans laquelle la quantité de monnaie reste constante, il y a des baisses de prix dans les secteurs où le progrès technique est le plus rapide. »

    Désolé, mais c’est un acte de foi dénué de tout exemple historique.

    • La fin du 19e siècle avec ses monnaies étalonnées sur l’or est une assez bonne approximation.
      Effectivement les prix baissaient.
      L’hypothèse inverse – que les prix doivent monter pour que les gens achètent – contredit l’expérience de toute époque.
      Ainsi, quand on veut écouler un stock, on le solde, ce qui signifie qu’on en baisse le prix.
      Ou encore, l’usage du crédit démontre qu’on est prêt à payer plus pour obtenir le bien désiré au plus vite.

      La nécessité de l’inflation est donc un bobard dont le motif est évident: L’État a besoin d’inflation pour pouvoir piller davantage de ressources, et permettre ainsi aux politiciens d’avoir davantage de pouvoir.
      Ce détournement du marché vers l’économie administrée nuit à la prospérité.

      Lors de la Grande Dépression, les prix baissaient parce que l’économie ralentissait, et non l’inverse.
      Et la cause de la dépression, qui contribua fortement à la guerre, fut le socialisme en Russie et aux États-Unis – sans cette calamité économique, la prospérité eut peut-être évité le pire.

      Il est à craindre que la bulle de socialisme actuelle ne cause elle aussi misère, incompréhension, colère, et guerre.

      • J’aurais du etre plus précis, pardon.

        Avez vous vu un seul pays tirer un quelconque bénéfice d’une déflation au cours des 40-50 dernière années, dans le monde d’aujourd’hui, et pas dans un dreamland ou l’on peut aller échanger ses euros contre des louis d’or à la Banque de France ?

        Je parle du monde réel d’aujourd’hui. Pas dans un passé fantasmé et définitivement dépassé.

        • Je ne connais pas de pays qui ait pratiqué une politique déflationniste au sens autrichien (ie une réduction de la base monetaire/ de crédit, ou au moins une croissance moindre que la production des biens et services).
          Pour uen raison simple, tous les etats suivent depuis la guerre une politique clairement inflationniste tirée d une incomprehension des principes de KEynes et sur le fait que l inflation permet de donner l illusion d une amelioration de la richesse (surtout en truquant les statistiaues sur l inflation)
          http://www.shadowstats.com/alternate_data/inflation-charts

          Rappelons que la deflation n est pas synonyme de contraction (la seule occurence de correlation reelle etant la crise des annees 30 selon les travauix de la feda priori peu susceptible d tre taxé de penchants autrichiens) .

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