L’élite morale

La tâche de notre temps consistera à reconnaître deux conceptions rivales de l’élitisme.

Partager sur:
Sauvegarder cet article
Aimer cet article 0
élite morale (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints.org, licence Creative Commons)

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

L’élite morale

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 1 août 2014
- A +

Par Emmanuel Brunet Bommert.

« On dit, pour parler des gens qui ont un revenu élevé : les privilégiés. Or, la notion de privilège, ce n’est pas ça. Un privilégié est quelqu’un qui bénéficie d’un avantage payé par quelqu’un d’autre. »
– Jean-François Revel

gravitas credits taifaghta licence creative commonsLe mot confiance, du latin con- (« ensemble ») et fidere (« se fier »), représente le fait de croire soit en l’avis soit en l’action d’autrui. C’est-à-dire de donner foi autant à sa parole qu’à ses agissements, d’en reconnaître la qualité, s’étant révélée jusque-là bienfaisante et qu’aucun doute ne s’est élevé à son encontre.

On nomme élite, terme dérivé du verbe élire, ceux crédités de la confiance d’un grand nombre, se trouvant choisis, sans que ce ne soit nécessairement le fait d’une élection majoritaire. Ainsi, médecins, scientifiques et artistes, comme la plupart des intellectuels, ont une influence sur le reste de la population.

La notion d’élite est rattachée à la confiance. Puisque c’est uniquement par elle que l’on peut tirer une autorité morale. Sans, le prestige d’un titre ne suffit plus. Car même le médecin le mieux certifié n’aura aucune prééminence, s’il ne fait qu’accumuler les erreurs tout au long de sa carrière.

Élite naturelle et élite autoritaire

Toutefois, s’il y a d’un côté une élite naturelle, qui tire son importance de son activité pour la société, il y en a nécessairement une autre, qui la tient de son activité à son encontre : l’élite autoritaire.

Cette seconde s’appuie sur la force, n’existant que par elle, s’étendant vers tous les individus qu’il lui est possible de contraindre comme c’est le cas dans la nature. Dans nos sociétés, c’est la puissance et plus précisément son pouvoir de nuisance, qui détermine la valeur et non plus la confiance qu’on pourrait lui accorder.

En conséquence, l’élite se fait autoritaire lorsqu’elle représente une menace et voit se développer son influence en touchant un nombre croissant de personnes. Ceci l’autorise à prélever des ressources, à imposer ses croyances, contraignant de quelque façon que ce soit à agir d’une manière inadmissible autrement. En élite de privilèges, elle s’avère tout autant capable de frapper d’interdictions que céder des permissions à qui bon lui semble, élevant ses partenaires à son rang et condamnant par exemple ses opposants à une vie de misère.

L’autorité par le service

rené élite moraleÀ l’opposé, l’autorité naturelle s’acquiert par le service. C’est en agissant pour le bien commun, au bénéfice et non aux dépens de la société, que l’on peut acquérir une fonction. Ce ne sont ni les diplômes ni les accréditations qui font nécessairement le meilleur avocat ou l’architecte génial, mais la maîtrise du sujet, la prestation – suite logique du désir à devenir le ou la meilleur(e) de son domaine – suffisant à garantir le respect naturel de tous.

Cette dernière permet à l’élite d’accéder à la reconnaissance, de voir sa parole créditée d’attention. Notamment dans les affaires communes, où le public concède d’autant mieux du crédit qu’il l’a déjà plus ou moins inconsciemment accordé. Ce règne de l’excellence est aussi ferme qu’il peut-être impitoyable. Le moindre signe d’inconstance peut donner lieu à des défections. Mais, peu à peu, le pouvoir tire sa légitimité de la force brute, ne devant rien en échange. L’élite n’émerge plus naturellement quand elle est dépossédée de la confiance de la société, ce pouvoir l’a transformée à son avantage. L’autorité, légitime ou non, offre à certains ce qu’elle peut interdire à tous car magnanime envers ceux qui se soumettent aisément. Aussi, les gens ne se disent plus : « Je te soutiens car j’ai confiance en ton jugement : tu peux me guider. » mais « J’obéis car j’ai foi en ta puissance : gratifie moi de tes bienfaits. »

Ceux dont la soumission est totale s’attendent à tirer de l’autorité des privilèges concédés aux dépens de tous. C’est la déférence propre au clergé que l’élite de pouvoir recherche dans la société, se sachant capable du droit tout à fait excessif de vie ou de mort. Ceux-là qui, dans la liberté de choix ou de penser auraient eu une volonté de réforme n’en ont plus la possibilité : la confiance s’est muée en une sorte d’adoration, si bien que l’élite authentique ne peut subsister plus longtemps.

La tâche de notre temps consiste à savoir reconnaître ces deux élites rivales. Attendu que l’une propose des preuves pour s’élever à la confiance – constituante d’une ère où l’on impose sa volonté par l’argument et où normalement l’on tire puissance de l’honnêteté – tandis que l’autre se hisse sur les cadavres de ceux qui lui résistent, tirant une autorité incontestable de leur dévotion, survivant par sa menace permanente pour la société.

La liberté ne s’obtient pas par la seule résistance à l’oppression. Elle consiste également en la reconnaissance d’une élite de confiance : sans elle, l’ensemble de la population se trouve sans garde-fous. Les fautes grandissent de l’incapacité à reconnaître la sournoiserie d’un oppresseur, tout comme celles de se découvrir la volonté et l’aptitude à lutter.

Une adaptation de cet article a été originalement publiée dans le livre Libres !!, rédigé sous la direction de Stéphane Geyres et de Nicolas Prin.

Voir les commentaires (11)

Laisser un commentaire

Créer un compte Tous les commentaires (11)
  • « Or, la notion de privilège, ce n’est pas ça. » Oui.

    « Un privilégié est quelqu’un qui bénéficie d’un avantage payé par quelqu’un d’autre. »

    Ce n’est pas ça non-plus.

    Pourquoi ? Parce qu’il n’existe pas « d’avantage » qui ne soit une notion parfaitement relative à l’individu qui l’estime.

    • Il n’est pas impossible que 2 personnes aient une notion commune d’un avantage, et que l’une le paie à l’autre , non ? Les goûts et les couleurs, ça reste très marginal…

    • Si on reprends l’étymologie du mot, un privilégié est quelqu’un bénéficiant d’une privi lege, d’une loi privée ou loi particulière. Par définition le péquin moyen qui gagne plein d’argent mais doit payer ses impôts, se taire devant les abus de la puissance publique etc. n’est pas un privilégié.
      Par contre un politicien qui bénéficie d’une sécu spéciale, qui a un chauffeur qui ne respecte pas le code de la route, un syndicaliste qui peut prendre en otage des cadres de son entreprise, un fonctionnaire qui bénéficie d’une retraite particulière… Oui, ceux-là sont des privilégiés.

    • Alors, si ce n’est pas ça « non-plus », donnez pour nous éclairer votre définition de privilège.

  • « Ceux dont la soumission est totale s’attendent à tirer de l’autorité des privilèges concédés aux dépens de tous. »

    C’est pour cela que traiter les collectivistes de « COLLABOS » fait mouche !

    • J’aimerais que le vocabulaire reprenne ses droits et que les mots gardent leur sens. Traiter les collectivistes de Collabos ? C’est probablement le cas, puisqu’ils œuvrent en collectivité pour une cause (bonne ou mauvaise, ce n’est pas la question) à laquelle ils croient.
      J’ai travaillé plus de dix ans en Suisse (pays chéri par une majorité de nos semblables, qui postent régulièrement leurs avis sur Contrepoints). Dans aucune des sociétés qui m’employaient je n’ai entendu prononcer les mots « cadre », « employé », « ouvrier », etc. Tous étaient des « collaborateurs », qui s’attachaient à faire avancer leur entreprise, notre entreprise.
      Pas question non plus de se définir en fonction des Zélites ou de tâches subalternes.
      Je ne prétends pas que tout était merveilleux dans ce monde-là, et la délation occupait parfois une part importante dans les relations entre certains collègues et leur hiérarchie.
      N’empêche. Tous nageaient ensemble, embarqués sur le même rafiot. Chacun à sa place, le bateau est droit.
      Si on veut que les idées puissent progresser, il me semble bon de ne pas dévoyer les mots de leur sens, même (et surtout) si ceux-ci ont pu se charger d’émotion dans les années passées.

      • Vous conviendrez que retourner contre les socialistes leur sale manie de torturer le sens des mots est un petit plaisir au quotidien dont il serait dommage de se priver. En outre, les deux termes ne présentent pas d’ambiguïté ; ainsi, on ne connaît pas de responsable d’entreprise qui confonde « collabo » (au sens politique) avec « collaborateur » (au sens économique).

      • Comme Cavaignac l’écrit je prends plaisir à jouer avec les mots.

        Si l’allusion vous paraît outrancière, elle « fait mouche » car elle révèle le caractères de ces individus envieux prêts à voler les autres par le bras armé de l’Etat. Les collectivistes se placent toujours du côté du plus fort, et comme les collabos de triste mémoire sont prêt à vendre leur âme au diable.
        Bien à vous Joseph.

        PS, fils de résistants de la première heure, je connais le sens de ces mots, et le prix qu’ont dû payer des hommes pour notre liberté.

  • Cette élite de confiance existe-t-elle encore ?

    L’élite coercitive ne dispose-t-elle pas de mille et un moyen de détruire, symboliquement ou autre, toute élite concurrente qui ferait semblant d’émerger.

    Dans ce monde que le monde nous envie, le sage qui dispose de la confiance de ceux qu’il sert ne la gaspille pas au profit du plus grand nombre.

    C’est là que la notion de communauté prend tout son sens : la communauté nationale n’existe plus depuis quelque temps; l’entreprise de déstructuration de la nation française a déjà abouti et seules des communautés plus restreintes peuvent encore se trouver des élites de confiance.

    Mettre la tête dans le sable n’y changera rien.
    Et si une nouvelle constitution reconnaissait ce fait ?

  • Les commentaires sont fermés.

La liberté d’expression n’est pas gratuite!

Mais déductible à 66% des impôts

N’oubliez pas de faire un don !

Faire un don

À quand remonte le pacifisme ? Comme rejet de la solution violente pour résoudre les différends, il est aussi vieux que le monde. On a voulu le mettre sous l’égide de Cinéas, qui demandait impertinemment à un conquérant de l’Antiquité où il s’arrêterait, et pourquoi il ne voulait pas tout simplement gouverner en paix son domaine.

Comme système de pensée, comme principe de philosophie politique, la paix a des fondateurs aux noms oubliés : c’est Émeric Crucé (ou peut-être De La Croix), à la biographie pleine d’incertitudes, dont l’ouvrag... Poursuivre la lecture

3
Sauvegarder cet article

Pour écouter le passage de Mathilde Berger-Perrin dans le podcast de Contrepoints : cliquer ici.

De la toute fraîche publication de Ayn Rand, l'égoïsme comme héroïsme signé de Mathilde Berger-Perrin (1) dans une collection de vulgarisation exigeante pour grand public « éclairé », on ne peut d'entrée de jeu que se réjouir.

Jusqu'à présent, en France, Ayn Rand devenait de moins en moins inconnue, mais insuffisamment, bien qu'au pays le plus social-étatiste d'Occident les ventes de La Grève (plus de 20 000 exemplaires) se soient ré... Poursuivre la lecture

Par Mathew Lloyd. 

Un article de la FEE.

Au Royaume-Uni, le Premier ministre est conservateur - aile droite - et les résultats de l'ingérence de ce gouvernement dans l'économie, ainsi que la politisation de la vie quotidienne, ont eu un impact négatif sur les vies individuelles, le discours public et l'économie.

Aux États-Unis, le président est démocrate (aile gauche) et les voisins du nord, le Canada, ont un gouvernement libéral (aile gauche), même s'il n'est pas vraiment libéral au sens premier du terme. Ces deux pays c... Poursuivre la lecture

Voir plus d'articles