L’individu face à ses choix (2) : Gros n’est pas solide, petit n’est pas stupide

La concurrence fait le succès des uns et l’échec des autres, mais l’uniformité assure l’échec à long terme.

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individus miroir CC Hassan Kardous

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L’individu face à ses choix (2) : Gros n’est pas solide, petit n’est pas stupide

Les points de vue exprimés dans les articles d’opinion sont strictement ceux de l'auteur et ne reflètent pas forcément ceux de la rédaction.
Publié le 28 juillet 2014
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Par Baptiste Créteur

L’histoire est pleine de leçons. Ceux qui ignorent l’histoire sont condamnés à la répéter. Ceux qui la connaissent, en revanche, sont condamnés à les prévenir en vain – sauf s’ils parviennent à leur faire entendre raison, et c’est ce à quoi nous devons nous atteler sans relâche si nous voulons éviter une catastrophe.

Il serait impossible de résumer l’histoire de la Chine et de l’Europe en quelques lignes. Même en ne s’intéressant qu’au sujet restreint (mais crucial) de la diffusion des technologies dans ces deux pays. Cependant, on peut à travers ces exemples1 comprendre les différences dans la diffusion des innovations résultant de l’unification et de la fragmentation d’une région.

La Chine, unifiée depuis longtemps, a plusieurs fois interrompu le progrès technique, voire régressé : l’autorité centrale, soudainement opposée à certaines technologies ou entreprises, y a mis fin, au moins pour un temps. Par exemple, les envois de flottes chinoises en Afrique de l’Est ont cessé lorsque les eunuques ont perdu le pouvoir au 15ème siècle ; l’horlogerie chinoise, jadis la plus avancée, a été annihilée par volonté politique.

À l’inverse, la fragmentation de l’Europe a permis la diffusion de nombreuses technologies et le lancement de nombreuses entreprises : canons, imprimerie, armes à feu, éclairage électrique se sont développés car une ou plusieurs entités politiques l’adoptaient, poussant d’une façon ou d’une autre les voisins à l’adopter sous l’influence, la menace ou la conquête. Le développement de l’éclairage électrique dans les rues londoniennes a été retardé par volonté politique à la fin du 19ème siècle, mais l’influence du continent a finalement eu raison de l’obstination politique. Christophe Colomb a essuyé plusieurs refus avant de convaincre le roi d’Espagne, d’abord réticent, de financer son expédition ; devant le succès espagnol, les autres pays se sont lancés dans la conquête des Amériques2.

La fragmentation permet la concurrence, et la concurrence permet la diffusion des technologies par l’adoption d’une entité suivie ensuite par les autres. Bien sûr, il y a, un temps, des perdants : ceux qui ont refusé le progrès ou ont misé sur le mauvais cheval. Mais l’histoire montre que le retard est rarement impossible à rattraper ; Espagnols et Portugais n’ont pas conservé leur hégémonie, pas plus que les Français ou les Hollandais. Le Croissant Fertile, autrefois région la plus avancée, a durablement sombré dans la pauvreté avant la découverte de richesses dans le sous-sol. D’autres régions ou pays ont rattrapé puis dépassé chacun d’entre eux.

Ce qui est vrai à l’échelle de pays l’est aussi à l’échelle des individus qui les peuplent. Les entreprises font des choix technologiques parfois bons, parfois mauvais ; certaines resteront, d’autres périront. Nokia, autrefois un leader de la téléphonie mobile, a été racheté par Microsoft avant que la moitié de ses effectifs ne soit licenciée.

On peut déplorer que certains échouent. Mais tous les choix ne peuvent pas être aussi bons, et certains, si on leur laisse le choix, feront parfois le mauvais choix. La technologie du transistor, qui a permis la domination du marché électronique par les Japonais, a été brevetée puis vendue par Western Electric à Sony pour ne pas menacer le marché américain des tubes à vide ; il y a de quoi s’en mordre les doigts pour longtemps.

On peut surtout comprendre que, si le même choix est imposé à tous, il est possible (certain ?) que tous échouent. Et comprendre alors en quoi la volonté des régulateurs d’imposer des normes et standards uniques, bien que partant d’une bonne intention, est dangereuse : si on choisit le mauvais standard, la mauvaise technologie, on peut conduire des industries entières à la faillite.

Et il en va de même des individus. En biaisant le marché pour orienter, par exemple, leur épargne et leurs investissements vers certains produits et certains secteurs plutôt que d’autres, le risque est important que tous connaissent des revers financiers importants. Et en les taxant pour investir au nom de l’ensemble des citoyens, on les prive de la possibilité même de choisir ; plus question d’orienter, on dirige. On peut faire le bon choix, mais les chances sont faibles, alors que certains auraient pu faire les bons choix s’ils en avaient eu la possibilité.

« Le futur est déjà là, il n’est simplement pas uniformément réparti. » — William Gibson

La concurrence permet donc le succès et l’échec ; l’uniformité assure l’échec à long terme. Pour utiliser une métaphore connue de La Fontaine, il vaut mieux être roseau que chêne. Ce n’est pas la rigidité qui fait la solidité, mais la flexibilité.


Lire la troisième partie : L’individu face à ses choix (3) : Décentraliser jusqu’à l’individu

À suivre.

  1. Et tant d’autres, voir « Guns, Germs, and Steel » de Jared Diamond
  2. Sans dire qu’elle fut positive pour tout le monde, pour les Européens, la conquête des Amériques le fut indubitablement.
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  • Si je comprends bien, hier il fallait apprendre à être maitre de soi même, et puis si aujourd’hui on se trompe, ben au fond c’est pas grave, il faut s’adapter et apprendre de nos erreurs, on en deviendra meilleur. Sage réflexion, si j’ai bien tout suivi 😉

    • C’est juste que quand on est seul, il n’y a pas de mesure, pas de « bon » ou de « mauvais » choix puisqu’il n’y a pas de comparaison possible. Quand on est plusieurs, ce classement apparaît. Il frustre et ruine ceux qui ne savent pas se remettre en question, tandis qu’il enrichit ceux qui se laissent guider par la raison, et non par l’idéologie.
      Quand je me rends compte que je me trompe, je prends ça comme une excellente nouvelle : cela veut dire qu’il existe une meilleure stratégie, et donc que je viens de trouver une nouveau moyen de m’améliorer. C’est pour ça que je remercie toujours quiconque me prouvant que j’ai tort.

      • Votre vision, elle ne fonctionne absolument pas sur moi, je n’arrive pas à me comparer vraiment aux autres ou je le fais parce que je le perçois comme une demande des autres (histoire de faire plaisir).

        • Le seul fait que vous êtes ici prouve que vous vous trompez. Lire d’autres points de vue et en discuter prouve que vous ne restez pas repliée sur vous-même, mais que vous cherchez à apprendre quelque chose, et donc à remettre en question ce que vous savez.
          Quand je dis comparer, ce n’est pas juste sortir une règle de ma poche. C’est examiner, par la lecture ou la discussion, ce que pensent ou font les autres pour voir s’ils pensent ou font quelque chose de mieux que moi.

          • je suis d’accord avec vous si vous effacez « de mieux que moi »
            ma présence ici signifie que je m’intéresse, que je veux comprendre, découvrir, pas que je compare ce que je pense ou que je cherche les meilleurs stratégies ou quelque chose que je pourrais faire que les autres font mieux que moi.
            par exemple j’écris très mal et suis souvent illisible, bon si je regarde de belles écritures, lisibles, propres, je vais dire: oh c’est beau, mais c’est pas pour ça que je vais changer mon écriture. Je ferais un effort si on me le demande, mais sinon je ne changerais pas.

          • @ Jeff: laisse tomber mec, cette fille est juste bornée avec une fierté mal placée.
            Baptiste a raison, plus on a de choix, de solutions, plus notre décision sera la meilleur pour nous. Surtout ne pas imposer une solution pour tous.
            Cdlt.

            • Ce n’ est pas mon avis .
              elle emploie bien le conditionnel présent sans faute mais il y en a une ( d’ ortho ) à meilleurEs statégies ça n’ a pas d’ importance .

    • Beaucoup disent aujourd’hui que l’individu ne peut pas prendre les meilleures décisions pour lui-même et encore moins pour le groupe. Nous aurions donc besoin du politique, des politiques. (Hier)
      Dans l’histoire, et dans la vie, on voit pourtant que c’est la fragmentation qui permet le succès. Des décisions différentes, parfois appelées concurrence, auront chacune des résultats parfois bon, parfois mauvais. Chaque choix est un futur possible. Imposer la même chose à tous, c’est l’assurance de se planter.

      • « Nous aurions donc besoin du politique, des politiques. »

        Le hic que l’on oublie très souvent c’est que ce sont des individus, qui ne sont pas des demi dieux, qui prennent les décisions et les font appliquer au nom du « politique ».

        Donc Baptiste a raison.

      • Reste à déterminer ce qu’est le meilleur. C’est la véritable problématique.

  • D’ou l’adage: ne pas mettre tous ses oeufs dans le meme panier.

    Exemple d’un modele mathematique tres simple.
    Vous devez selectionner un portefeuille d’actions pour un horizon de placement de 20 ans (votre retraite). TOUTES les actions ont les memes probabilites de gains:
    10% de faire faillite,
    10% de tripler de valeur,
    80% de rester stable.
    Et ceci chaque annee.

    Si vous investissez de maniere diversifiee (puisque toutes les actions ont le meme profil, « un peu de tout SVP »), vous avez un rendement probable de 10% par an: (0+3+8)/10.
    Si vous misez tout sur une seule action, la moyenne de votre rendement sera aussi de 10% annuel. Mais au bout de 20 ans, vous avez 88% de chance d’avoir tout perdu (une seule faillite et tout est perdu, aucune possibilite de vous « refaire »)

    • Exemple amusant, parce que ce portefeuille extrêmement risqué choisit pour vous si vous ne le faites pas !
      En effet au bout de 20 ans vous vous retrouverez « probablement » avec une seule action concentrant entre 80 % et 100 % de la valeur total du portefeuille. Et cette valeur sera extrêmement variable, puisque dépendante du nombre de fois où cette action unique aura triplé de valeur (le nombre de triplement avant faillite le plus probable est de 2 fois, mais l’essentiel de la valeur va se trouver dans l’action qui a triplé plus souvent : 4, 5, voire 7 ou 8 fois)… jusqu’à la faillite inévitable de cette unique action.

      • Rien n’empeche d’equilibrer son portefeuille pour garder de la diversite.
        L’idee c’est que meme si toutes les actions se ressemblent, il reste important d’etre diversifie.

  • « La Chine, unifiée depuis longtemps, a plusieurs fois interrompu le progrès technique, voire régressé : l’autorité centrale, soudainement opposée à certaines technologies ou entreprises, y a mis fin, au moins pour un temps. Par exemple, les envois de flottes chinoises en Afrique de l’Est ont cessé lorsque les eunuques ont perdu le pouvoir au 15ème siècle ; l’horlogerie chinoise, jadis la plus avancée, a été annihilée par volonté politique. »

    Vous avez des titres de livre qui traitent de cette ou ces périodes parce que j’ai du mal a trouver ?

    • « … la Chine unifiée depuis longtemps… »
      Ouais, enfin, disons que l’ empereur Qin Shi Huang Di a imposé la même écriture à tous les peuples « chinois » mais qu’il y a encore quelques spécificité à l’oral et que l’unification du pays est encore d’actualité.

  • C’est justement cette fragmentation politique qui permet a la Suisse – federale – de fonctionner plutot correctement en donnant a ses citoyens le choix de pouvoir echapper a tout moment a desreglementations cantonnales qui ne fonctionnenet pas. Si vous n’aimez pas le systeme present dans un canton vous pouvez aller trouver pres de chez vous quelque chose que vous jugez preferable. Le choix vous appartient. Cela favorise une emulation veritable. On peut choisir le meilleur et laisser de cote ce qui ne marche pas, et se faisant rester Suisse sans avoir a devenir un « expat » par obligation. Le Francais, s’il veut « voter avec ses pieds » doit demenager loin de France. Je n’aurais personnellement jamais voulu partir de chez moi mais c’est un etat disfonctionnel et tyrannique qui m’a oblige a le faire.

    • Même en Suisse çà commencerait à partir en vrille.
      Dixit un Suisse francophone rencontré récemment.

      Se prémunir des biais où l’espoir nous donne une vision idéalisée des choses, la fameuse herbe plus verte chez le voisin.

      Et puis la Suisse, ce n’est pas assez loin 😉

  • « …devant le succès espagnol, les autres pays se sont lancés dans la conquête des Amériques….
    (2) Sans dire qu’elle fut positive pour tout le monde, pour les européens, la conquète des Amériques le fut indubitablement ».
    Baptiste, avez-vous lu « Les veines ouvertes de l’Amérique latine » avant d’écrire ces lignes ?

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Un article de Philbert Carbon.

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