Alstom : une nationalisation par procuration

Sans l’aide de Bouygues, l’État n’aurait pas pu peser dans les négociations de vente d’Alstom à General Electric. Retour sur un capitalisme curieux qui invente un nouveau type de nationalisation.

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Alstom : une nationalisation par procuration

Publié le 26 juillet 2014
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Par Michel Albouy.

Alstom credits JeepersMedia (licence creative commons)Selon le ministre de l’Économie Arnaud Montebourg, avec le décret élargissant les secteurs économiques dans lesquels l’État peut s’opposer à la prise de contrôle d’une entreprise, « C’est la fin du laisser-faire ».

Ce décret était supposé lutter contre les « dépeçages » et autres démantèlements des fleurons de l’industrie française. Dans le collimateur se trouvait la cession des activités de la branche énergie d’Alstom à General Electric. En réalité, l’accord avec General Electric prévoit bien in fine un démantèlement du fleuron national Alstom : le 20 juin 2014, le conseil d’administration d’Alstom votait à l’unanimité de ses membres en faveur du rachat de sa branche énergie par l’américain General Electric.

Le plan de restructuration industriel du conglomérat est pour le moins compliqué : Alstom conserve 100% de la branche transport (5,9 milliards d’euros de chiffre d’affaires), General Electric prend à 100% la branche énergie (14,4 milliards d’euros de CA) et les autres activités (réseaux, énergies renouvelables et turbines à vapeur) seront contrôlées respectivement à 50% par Alstom et General Electric dans des joint-ventures. Nous sommes donc assez loin des déclarations fracassantes du ministre de l’Économie sur les « formes indésirables de dépeçage » ; sauf à considérer que le montage industriel proposé n’en soit pas un, ce qui procède de la méthode Coué.

Si le montage industriel est complexe, le montage financier l’est encore davantage. L’État ne devrait pas investir directement dans le nouvel Alstom. Il va utiliser un prêt de titres (29,33% du capital d’Alstom) que Bouygues va consentir gratuitement à l’État pour pouvoir faire entendre sa voix. Bouygues devrait aussi accorder à l’État une option d’achat sur 20% du capital d’Alstom pendant 20 mois à compter de la finalisation de l’opération.

Action de concert entre Bouygues et l’État

Et c’est là que le bât blesse. En effet, pour l’Autorité des marchés financiers (AMF), l’accord entre l’État et Bouygues est constitutif d’une action de concert. Comme par ailleurs, et selon le plan validé en juin 2014, il est prévu d’investir 2,5 milliards d’euros dans les trois coentreprises détenues à parité entre GE et Alstom, on ne voit pas comment l’État pourra injecter des capitaux tout en restant en dessous des 30% ; la limite à ne pas dépasser pour lancer une OPA sur la totalité du capital de l’entreprise.

De plus, la décision de l’AMF prive en grande partie l’État d’acheter sur le marché des actions Alstom à un prix inférieur à celui de 35 euros auquel il s’est engagé vis-à-vis de Bouygues dans le cadre de son option. Naturellement, on peut compter sur l’imagination des financiers pour trouver une parade, mais pour le moment l’arrangement trouvé par l’État semble compromis. Au-delà de l’action de concert dénoncée par l’AMF, ce montage financier fort complexe soulève plusieurs questions.

Des interrogations demeurent

Tout d’abord, comment justifier le cadeau que fait le groupe Bouygues à l’État par son prêt gratuit de titres ? Comment une société de droit privé peut justifier auprès de ses actionnaires une telle opération ? Quels sont les silences du marché conclu entre l’État et les dirigeants de Bouygues ? Plus fondamentalement, comment justifier que l’État, via le prêt de titres Bouygues, puisse voter ou influencer les décisions stratégiques d’Alstom sans y avoir un intérêt économique direct ? Cela revient pour Bouygues à signer un chèque en blanc à l’État pour exercer ses droits de vote.
Drôle de conception du capitalisme qui revient à nationaliser partiellement une entreprise par procuration entre amis. Après les nationalisations à 100% de la présidence Mitterrand en 1981, la théorisation des nationalisations à 50% par Michel Rocard, voici le nouvel interventionnisme d’État qui prône des participations minoritaires dans le capital des entreprises en difficulté (Peugeot, Alstom). Reste à voir dans quelle mesure ces participations seront suffisantes pour infléchir les décisions difficiles liées à d’inévitables restructurations.

Si l’État veut vraiment peser sur les orientations stratégiques d’Alstom, comme le ministre Montebourg le souhaite, il ne pourra échapper à l’acquisition d’actions sur le marché. Mais alors quid de la barre des 30% ? Il faudra choisir pour éviter l’obligation de lancer une OPA sur la totalité des titres : renoncer au prêt de titres pour éviter l’action de concert ou limiter les apports financiers de l’État.

Il est enfin piquant de constater que ce sont ceux qui dénoncent les « mécanos financiers » et le manque de transparence de la finance qui se livrent à de telles pratiques… Cela nous fait penser à la création des titres participatifs pour augmenter les fonds propres des entreprises nationalisées tout en permettant à l’État de conserver 100% du contrôle. Cette innovation financière, qui est tombée en désuétude, a coûté fort cher aux entreprises qui l’ont utilisée (par exemple Rhône-Poulenc en 1989).

Personne ne sait comment l’affaire Alstom va se solder. Mais ce qui est déjà sûr c’est que le montage industriel n’a pas permis à l’État de sauver Alstom du dépeçage – contrairement à ce que claironne la communication du ministère de l’Économie – et que le montage financier s’apparente plus à un mécano très compliqué qu’à une opération financière saine et transparente. L’avenir nous dira si c’est vraiment la fin du laisser-faire !

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  • Il est urgent de mettre fin au laisser-faire en politique, incroyable laxisme, historique défaillance démocratique, dont profitent les ministres, élus, syndicalistes, fonctionnaires, associations subventionnées pour faire n’importe quoi, n’importe comment. Il convient de limiter strictement et fermement l’étendue de leurs pouvoirs, à commencer par les moyens financiers que nous mettons à leur disposition qui, en aucun cas, ne devrait dépasser 20% du PIB marchand (norme constitutionnelle). De 57% à moins de 20% de dépenses publiques dans le PIB total, ca va piquer un peu, mais seulement au début.

  • Montebourg – économie – industrie, cherchez l’intrus !

    Il est à parier que GE labourera son champ propre et laissera tomber les prés communaux. Les Américains ne sont pas à l’aise avec ses combines « socialistes » montées par des fonctionnaires sans argent.
    La branche « Energie » va briller de mille feux, et la branche transport va se faire bouffer par Bombardier et par Siemens si ce ne sont pas les Chinois.
    Pour les joint-ventures franco-américaines, je demande à voir ; sauf actualisation déficiente de mes connaissances, Safran n’a toujours pas accès au coeur chaud des réacteurs CFM56 de GE.
    Il serait bien dans trois mois d’aller parler à Clara Gaymard.

  • Plaisanterie ou tartufferie? Le prêt de titres est partout. Il est aujourd’hui au coeur des marchés financiers.
    Au point que le prêt de l’or qu’on est supposé garder le rend indisponible pour ceux qui ont la témérité de vouloir le rapatrier.
    Quant à Bouyghes et l’état, on pourrait aussi se demander pourquoi les banques américaines ont accepté de financer à une telle hauteur le rachat par Numéricable et quel est l’enjeu final. Pour ceux qui veulent bien regarder, il s’agit d’une attaque en règle de notre capitalisme à la française, c’est à dire, fondé sur les noyaux durs et les pactes d’actionnaires. Quant au but, là encore, la lecture des journaux, aussi biaisés soient leurs points de vue permet de se faire une idée assez rapidement.

  • au final, le contribuable paiera : c’est la seule chose que je crois ferme dans cette affaire.

  • Merci pour l’article Mr Albouy.
    Vous pourriez svp expliquer pourquoi l’état par l’intermédiaire d’un Fonds ne peut pas acheter les 20% indirectement sur le marché puisque c’est une possibilité qu’il s’est laissé en estimant trop cher le prix de 35E.
    Ou carrément missionner une entité externe à l’état pour cela : quelques amis du CAC40 par exemple.

    J’ai été étonné que le cours de Alstom ne se cale plus près de ce prix de 35E dès le lendemain de l’accord, mais qu’au contraire il est descendu de quelques % vers les 27E.
    Merci.

    • Compte tenu des interventions hystériques et agitées du pouvoir politique dans l’affaire, il est prudent de profiter du rebond précédent (plus de 50% tout de même) pour prendre ses gains et aller vers des titres moins dangereux.

      Règle d’or de l’investisseur avisé : rester très très loin des entreprises où l’Etat possède le moindre intérêt. On se souvient en effet que l’Obèse ne respecte jamais sa parole, de même qu’il ne rembourse jamais ses dettes.

  • Financier de l’affaire caisse des dépôts. (Votre argent)
    Lazard frères nommé comme spécialiste en fusion acquisition de Alsthom.
    Emanuelli ex-condamné au conseil de surveillance de la caisse des dépots.
    2 membres de Lazard au conseil d’administration de la caisse des dépôts, dont un membre ultra-pote avec Montebourg.
    Montebourg qui vient de trouver de nouvelles idées de fusion acquisition de PME….
    Bouygues telecom a vendre, fusion acquisition par orange (etat), et Lazard frères commissions….

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