Le Roman de Charlotte Corday – Pourquoi Marat devait mourir

Charlotte Corday ou le courage de la révolte sacrificielle face à l’anéantissement de la liberté. Présentation de la jeune femme au cœur pur qui allait assassiner Marat.

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La Mort de Marat, par Jacques Louis David

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Le Roman de Charlotte Corday – Pourquoi Marat devait mourir

Publié le 14 juillet 2014
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Par Johan Rivalland

J’ai déjà eu l’occasion ici-même d’évoquer Charlotte Corday, qui fait partie de mes grands héros au féminin avec Sophie Scholl, la fictive mais non moins marquante et importante Antigone, et d’autres encore, parmi lesquelles des jeunes femmes extrêmement courageuses et impressionnantes d’aujourd’hui telles que Malala Yousafzai, entre autres.

Mais toujours avec cette réserve existentielle : la difficulté à supporter l’acte de violence, l’acte terroriste, la fin qui justifie les moyens, qui la distingue des autres femmes citées ci-dessus en références.

D’autres, en effet, se sont crus justes, en toutes époques, attentant de manière héroïque, de leur point de vue, à la vie d’autrui, sans que je puisse nullement adhérer à leur vision illuminée.

Comment, donc, distinguer Charlotte Corday de tous ces idéalistes passionnés prêts à attenter à la vie d’autrui sous prétexte de servir l’humanité ?

Le roman que nous allons présenter aujourd’hui est susceptible d’y apporter partiellement une réponse.

Le Roman de Charlotte Corday. Pourquoi Marat devait mourir.

Le Roman de Charlotte Corday, par Hélène Maurice-Kermeyer (Crédits éditions du Rocher, tous droits réservés)J’ai eu l’honneur de rencontrer l’auteur de ce roman, Hélène Maurice-Kerymer, à l’occasion du 3ème salon du roman historique de Levallois-Perret, en mars dernier, où elle se tenait à une table de présentation de son ouvrage.

Une femme passionnée, totalement imprégnée de son sujet, admiratrice et encore pleine de curiosité à l’égard de son personnage, en compagnie duquel on pouvait voir qu’elle avait d’une certaine manière vécu durant ses quatre années de recherches que l’on devine méticuleuses.

Un enthousiasme communicatif qui se lisait dans ses yeux, désireux de faire partager le fruit de ses découvertes et méditations sur un personnage qui l’occupait manifestement toujours et ne manquait pas de susciter en elle fascination et questionnements à jamais sans réponses.

Quant au roman lui-même, allait-il apporter des réponses à mes propres questionnements, me permettre de mieux connaître le personnage de Charlotte Corday ?

L’originalité de cette présentation réside dans l’évocation d’une vie entière, replongée dans son contexte historique et la vie au quotidien dans la Société de l’époque. Ce qui permet de mieux appréhender la personnalité et la psychologie du personnage dont il est question.

Un roman très bien écrit, dans un style à la fois très agréable et très précis, plein de délicatesse et de finesse, où chaque phrase, chaque mot, semblent pesés, réfléchis, et ont dû donner lieu à une recherche de la justesse de la description ou de l’idée, tout en permettant une lecture naturelle et limpide.

Tout le contraire de l’écrit rapide ou quelque peu bâclé. Un véritable travail d’orfèvre, où l’on comprend que l’auteur y ait consacré plusieurs années et mis tout le soin à enquêter sur les moindres détails connus de la vie du personnage, de la manière la plus consciencieuse qui soit, jusqu’à parvenir à se projeter (et nous, par la même occasion) dans l’univers le plus intime de Charlotte Corday, à travers ce que l’on peut imaginer être ses pensées les plus profondes concernant son époque et les événements de la Révolution.

Pour un résultat remarquable et impressionnant.

Une Histoire qui se répète

Chaque chapitre s’ouvre élégamment sur une citation bien à propos du Cid, de son ancêtre Corneille, et permet de retracer à la fois l’enfance de Charlotte, la place de chaque membre de la famille dans sa vie, les petites joies au quotidien et malheurs qui frappent sans prévenir, dans un contexte qui est celui de l’époque, où se mêlent considérations historiques locales et nationales et où inconfort, promiscuité et maladies étaient chose courante.

Sur la place de l’homme, de la femme et des enfants, dans ces familles issues la plupart du temps de « mariages arrangés », se distinguant là encore de ce à quoi nous sommes désormais habitués depuis finalement pas si longtemps quand on y pense, au sein d’une Société largement rurale dans laquelle les situations étaient relativement figées mais admises.

Puis, la chance qui se présente : celle de recevoir une instruction, pourtant habituellement réservée aux garçons, grâce à son oncle le curé Charles-Amédée de Corday, honnête homme cultivé et « doué d’un bel esprit », qui l’accueille opportunément dans sa modeste demeure et son presbytère.

Mais avant cela, en préambule à toute cette présentation contextuelle et à ce qui a pu établir la personnalité de Charlotte Corday jusqu’à l’amener à cet événement demeuré dans l’Histoire, Hélène Maurice-Kerymer imagine l’état d’esprit de la jeune femme à la veille de son départ pour Paris et l’énergie qui la guide :

 « Moi, Marie-Anne-Charlotte Corday d’Armont, en cet instant où je pars, déterminée, accomplir ce que me dicte ma conscience, et ce que je pense être mon destin, je cherche comment nous avons pu en arriver là. Je cherche, et je ne comprends toujours pas.

Pourquoi faut-il que l’histoire se répète ? Pourquoi ceux qui doivent nous conduire et faire de notre temps celui du progrès oublient-ils l’enseignement des événements qui se sont produits ?

Les heures effroyables que nous vivons en ce moment sont-elles nées de cela ?

Depuis Versailles, des ministres incapables multiplient les impôts pour payer les frasques, les guerres et les dettes que les puissants, avec une inconscience coupable et criminelle, accumulent. Qu’ont-ils engendré ? Dans les provinces, les hommes, écrasés par le poids des charges, courbent le dos et ruminent en silence leur haine de ce pouvoir royal indifférent à leurs malheurs ».

Puis suit la référence aux errements du pouvoir trente ans auparavant (1763) et aux mesures fiscales qui avaient entraîné la rébellion, partie (déjà à l’époque !) des Bretons.

On admirera l’étonnant parallèle de tous ces éléments avec la situation d’aujourd’hui (les guerres en moins ou, plus justement, dans une bien moindre mesure)…

La France à feu et à sang

La quatrième et dernière partie du livre (après l’enfance dans la campagne, l’apprentissage de la ville et les années au couvent, que je n’ai pas évoquées ici, pour ces dernières, mais qui sont elles aussi passionnantes) nous plonge dans la terrible période de la fureur révolutionnaire et de la France abîmée.

C’est d’abord, avant même le début de ces événements, la découverte traumatisante, par Charlotte et sa petite sœur, de la brutalité humaine, voire de sa bestialité, au-delà de la violence de la nature et de la fragilité des êtres.

Interviennent ensuite les événements de l’Eté 1789 à Caen, en répercussion de ceux de Paris. Le mimétisme, la sauvagerie extrême, le zéro de la civilisation.

Puis, l’atteinte aux libertés fondamentales, à commencer par la liberté de conscience, venant à l’encontre de la déclaration des Droits de l’homme et du citoyen, qui date pourtant de cette même période.

1793, l’exécution du Roi, le règne de l’arbitraire et de la tyrannie.

Les événements s’enchaînent et se déchaînent. La Terreur, Marat et la perversion des idéaux de la Révolution, « celui qui alimente les haines et sème la terreur », en appelant sans cesse au meurtre, aux exécutions de masse, à la violence la plus inouïe, mu par une véritable soif sanguinaire qui semble insatiable, en véritable « figure du diable » au parcours personnel plus que douteux.

C’est ainsi que, tout imprégnée des valeurs des personnages de son ancêtre Corneille et, en adepte de Judith qui, dans la Bible, « sauva son peuple de la barbarie des Assyriens en tranchant la tête du sanguinaire général Holopherne », Charlotte Corday se met en tête de sacrifier sa vie « pour en sauver cent mille ».

Avec les résultats que l’on sait et toutes les conséquences fâcheuses que cet acte a pu avoir (sur lesquels revient Hélène Maurice-Kerymer)… Mais que sait-on de ce qui se serait passé sans cela ?

Courageuse Charlotte Corday

La question initiale reste donc ouverte et en suscite plein d’autres.

Qu’aurait-on fait à la place de Charlotte Corday ? Son acte était-il vain ? Etait-il, à l’inverse, essentiel pour réveiller les consciences ? Y avait-il moyen d’agir autrement ? Dans un contexte de violence généralisée et d’exécutions de masse sans aucune justice sinon parodique, pouvait-on espérer changer ainsi quelque chose et atténuer ces violences ? Cela a-t-il effectivement eu pour effet d’accélérer les événements et de limiter les dégâts ultérieurs ? Etait-ce un combat contre le diable (et l’un de ses vassaux) ? Pouvait-on ne pas agir, rester simple spectateur impuissant, sans effet sur sa conscience ?…

A toutes ces questions, il est difficile de répondre. Le sous-titre du roman semble indiquer que, en revanche, pour la jeune femme déterminée qui s’apprêtait à renoncer prématurément, à 25 ans seulement, à une vie que pourtant elle chérissait, elle ne se posait pas vraiment.

Une chose est sûre : Charlotte Corday était un être au cœur pur et dotée d’un courage remarquable.

Et c’est la force du roman d’Hélène Maurice-Kerymer que de nous le montrer.

Un magnifique roman, à lire cet été, pour ceux à qui le cœur en dit.

– Hélène Maurice-Kerymer, Le Roman de Charlotte Corday Pourquoi Marat devait mourir, Editions du Rocher, juillet 2013, 263 pages.

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  • Merci pour cet article passionnant sur une période qui me passionne tout autant !

  • « Une chose est sûre : Charlotte Corday était un être au cœur pur et dotée d’un courage remarquable. »

    Un être au coeur pur… que vient faire la pureté dans un assassinat ?
    Elle était sans aucun doute convaincue de la nécessité de son geste, dans une exaltation et une conviction absolue d’agir pour un bien supérieur à sa personne.
    En quoi le courage de celle ou celui qui s’apprête à tuer et à se sacrifier ensuite serait-il particulièrement remarquable, c’est celui des kamikazes d’aujourd’hui.
    Charlotte Corday a toujours revendiqué avoir agi seule. Il n’était pas simple pour une femme provinciale de surcroît d’intégrer un mouvement politique mais Charlotte Corday était peut-être aussi une solitaire de nature.
    Elle aurait pu mourir aux côtés de Madame Roland et ses amis girondins dans une assez grande indifférence.
    Elle a choisi la voie royale du sacrifice héroïque qui lui vaut d’être connue et admirée encore aujourd’hui.

    • Votre remarque rejoint bien ma part de doute…

      L’être au coeur pur fait référence non à l’assassinat mais à sa vie antérieure, de l’enfance au couvent, à sa personnalité profonde telle que relatée par l’auteur.
      Quant au courage, indépendamment de ce que l’on peut penser de l’acte il en fallait nécessairement pour l’accomplir. Et il en va de même certainement des kamikazes auxquels vous faites référence (à cela près qu’il semblerait qu’il y ait, dans leur cas, une notion de récompense et de mysticisme de l’au-delà, ce qui rend sans doute moins difficile leur acte). Il n’y a donc pas, dans cette phrase, de jugement de valeur quant à l’acte lui-même.

      C’est bien pourquoi je suis plus sûrement admiratif d’une Sophie Scholl que d’une Charlotte Corday, au sujet de laquelle j’éprouve plutôt une sorte de compassion en pensant à la jeune femme impuissante face aux horreurs de cette terrible époque de la Terreur qui, démunie, cherche comment agir sur les événements et stopper toute ces exterminations.
      Le refus de laisser faire, d’assister en spectatrice impuissante à l’anéantissement de la liberté (ce qui fait, tout de même, une sacrée différence avec les kamikazes d’aujourd’hui, qui n’hésitent pas à détruire des vies innocentes au hasard, non pour une sauvegarde quelconque de libertés humaines, bien au contraire, mais pour des raisons idéologiques et mystiques qui leur sont propres). C’est aussi pourquoi, d’ailleurs, j’ai été intéressé par la référence à Judith, dans la Bible, qui m’a permis de découvrir que dans la religion chrétienne existe la notion d’assassinat guidé ou approuvé par Dieu, dans un cas similaire où l’assassinat d’un tyran extrêmement sanguinaire permettait de sauver des milliers de vies et sauvegarder la liberté.

      Pour le reste, votre questionnement me semble rejoindre le mien, qui demeure ouvert…

  • Je lis très peu de roman mais vous m’avez donné envie de lire celui-ci. Merci.

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