Claude Abeille et Wu Wei Shan : singuliers et universels

Loin du « Mainstream » l’art entre Est et Ouest avec Claude Abeille et Wu Wei Shan, à la fois singuliers et universels.

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Confucius par Wu Wei Shan

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Claude Abeille et Wu Wei Shan : singuliers et universels

Publié le 5 juillet 2014
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Par Aude de Kerros.

Confucius par Wu Wei Shan (Crédits : Andy Field, licence Creative Commons)
Confucius par Wu Wei Shan

Les sculpteurs Claude Abeille et Wu Wei Shan se sont reconnus avant de se rencontrer : Claude Abeille a vu en Chine des œuvres d’un sculpteur inconnu dont les affinités avec la sienne l’ont troublé. Wu Wei Shan lors d’un voyage en France a connu la même expérience à l’égard des sculptures d’un Français. Étonnement, interrogation, sentiment paradoxal de distance et de proximité, tel fut leur premier contact…

À Paris, Monsieur Liu de Louis Matzo Paris aime à créer des liens entre artistes français et chinois et c’est donc chez lui qu’ils eurent l’occasion de se rencontrer. Leur surprise fut de constater que l’estime qu’ils éprouvaient pour l’œuvre qu’ils venaient de découvrir était réciproque. Ils incarnaient pourtant deux mondes lointains, longuement séparés…

Frappé par l’authenticité de cette rencontre, par sa dimension historique, Monsieur Liu, mécène et amateur d’art, a voulu rendre visible cet échange exceptionnel et confronter les deux œuvres lors d’une exposition.

Claude Abeille et Wu Wei Shan ont traversé la fin du XXème siècle et le début du XXIème avec un décalage de 20 ans. Tous deux héritiers de grandes civilisations, ils ont connu chacun, dans des contextes différents, une Révolution culturelle.

Claude Abeille (Crédits ; l'Encyclopédie audiovisuelle de l'art contemporain, licence GNU GFDL)
Claude Abeille

Claude Abeille, le poète de la grande crise

Claude Abeille est né en 1930. Il a commencé sa vie d’artiste dans l’effervescence créatrice des années 50. Il a été formé au métier de la sculpture à Paris avant que son enseignement ne disparaisse des écoles d’art. Il a vécu dans cette ville où la sculpture est présente partout, où les musées contiennent les œuvres de toutes les civilisations du monde. Il a participé personnellement aux infinies controverses des multiples courants artistiques qui ont agité la capitale. Dans le Paris de cette époque tout faisait débat. On y trouvait à la fois le grand art et les avant gardes.

Claude Abeille s’est frayé un chemin de création aventureux et périlleux. Il a mesuré la force du courant dominant de son époque : Table rase et déconstruction étaient à l’ordre du jour.

Cela fut pour certains la condition préalable d’une recherche esthétique exigeante, pour d’autres un mot d’ordre révolutionnaire et politique pour enfin devenir une convention dont l’origine fut oubliée.

Amoureux de la forme, Claude Abeille, ne pouvait la sacrifier. Il la cultivera chaque jour dans le secret de son atelier. De la « grande rupture » il ne retint que le sujet. Il l’observa avec distance. Il prit le parti d’exprimer dans le bronze le sens tragique de la tentative de désincarnation dont il était témoin. Sa voie fut d’évoquer, par la forme, de façon paradoxale, le sens profond de la grande crise de l’art Occidental.

À l’atelier, il se mesure au tabou majeur de son temps : l’interdit de la représentation de la beauté du corps, considérée comme un mensonge, un leurre, une séduction insupportable. Seul est toléré le corps humain défiguré ou avili, conforme à la terrible « réalité ».

Pourtant, le nu est au cœur de l’inspiration de Claude Abeille… S’il ne le représente pas, il évoque sa présence par tous les moyens. La métaphore poétique est son arme secrète. Il cache le corps, comme on retourne un gant et fait remonter à la surface l’âme intérieure et invisible. Du corps enfoui on ne perçoit que le vêtement. Il en travaille la forme comme pour exprimer l’âme du corps sous-jacent. Elle est houleuse, fluide, mouvante, comme un chant. Ainsi le corps irradie à la surface d’un océan vestimentaire.

Son talent est de mettre dans l’espace le sillage des émotions surgies de cette vie des profondeurs. L’émoi provoque le mouvement, la propagation de pli en pli. Le corps enfoui s’épanouit en une fleur textile. Claude Abeille est le sculpteur du pas, de l’élan, de la danse du corps invisible.

Le vide sous-jacent porte la vêture. Ce n’est pas un néant, mais un corps spirituel en attente de renaissance et de gloire. L’œuvre de Claude Abeille est contemplative, jamais il n’a abandonné le silence de la forme pour le fracas du discours.

Claude Abeille porte profondément dans son cœur l’héritage de l’Art Occidental. Il se reconnaît  spécialement dans son expression baroque, temps où la nudité a été chastement couverte d’un manteau, laissant aux drapés le soin de raconter l’âme.

Claude Abeille n’a jamais cessé de penser à Vénus, de rêver de la voir jaillir de l’écume des drapés. Ce qui arriva.

Wu Wei Shan, l’homme est un paysage

Wu Wei Shan, comme Claude Abeille, aime la courbe, l’enveloppement, la métamorphose permanente de la forme, sa matérialisation, condensation, évanescence. Il aime œuvrer avec le vide intérieur, il connaît son pouvoir d’engendrer la forme.

Comme lui il se dit héritier d’une grande civilisation.

Né en 1963, son enfance a connu les troubles de la Révolution culturelle chinoise entre 1966 et 1976. Cependant issu d’une famille de lettrés, il a vécu au sein d’une grande culture directement transmise. À 17 ans, il entre dans une école d’art et d’artisanat à Wuxi, ville réputée pour ses peintres et poètes, foyer de l’art séculaire de la céramique d’Huishan.

Les savoirs n’y ont pas été perdus. Il fait là ses premières armes et bénéficie de la transmission de vieux maîtres survivants de la Révolution culturelle. C’est sur un mode artisanal qu’il s’initie au travail de la terre. En 1982, il rejoint la prestigieuse École des Beaux-Arts de Nankin, première à avoir diffusé les pratiques académiques occidentales.

Nankin, l’autre capitale de la Chine, est une ville d’histoire et de culture qui a gardé monuments et musées malgré les événements tragiques qu’elle a traversés. Wu Wei Shan y acquiert au cours des années 80 une grande formation académique.

Son premier contact avec la sculpture occidentale a lieu en 1992. Il découvre Rodin à l’occasion de l’une des premières expositions importantes d’art Occidental en Chine. C’est un choc et une révélation pour Wu Wei Shan. Cette rencontre libère et amplifie son œuvre. Rodin, avec qui il se sent de fortes affinités, confirme en lui sa sensibilité expressionniste et son goût pour la monumentalité du corps humain.

Il ne sort de Chine qu’en 1996. Lors de son voyage en Europe, il découvre l’art de l’Occident autrement que dans les livres. De cette rencontre charnelle il dira « C’est devant les œuvres de ces grands maîtres que j’ai vraiment compris l’importance de la profondeur de l’art Occidental » dont il avait pourtant parfaitement acquis le métier à Nankin.

Cette rencontre sensible avec un monde longtemps exclu a fait encore monter en puissance l’œuvre de Wei Shan Wu. Confronté à l’Occident, il comprit simultanément les différentes facettes  de sa propre singularité et la nature de son identité chinoise.

Après un passage aux États-Unis, il rentre en Chine en 1998, mûr pour accomplir la synthèse et aborder la grande métamorphose. Il se sent inspiré. « Mon désir, ce qui m’anime c’est la célébration… » Il éprouve le bonheur de créer librement… d’être lui-même, chinois et universel.

Désormais la primauté du corps humain va être le centre de sa création. Cela est très nouveau en Chine. Son réalisme n’exclut pas l’invisible, il est heureux d’incarner l’âme des êtres et des lieux. Mais à la différence de Rodin, il revêt le corps nu de manteaux où l’âme frissonne entre plis et froissements. Il donne vie à un homme-montagne, un homme-paysage, portant sur lui la terre chinoise. Il crée ainsi une forme nouvelle de cariatide, homme pilier couvert de montagnes, torrents, ciels, tempêtes et eaux calmes. Dans sa représentation de la figure humaine il use des différents langages : calligraphie, peinture et poésie chinoise.

Les visages de ses personnages ont une immense importance pour Wu Wei Shan. Il ne les construit pas par plans qui se succèdent comme c’est l’usage dans la sculpture classique. Les visages de ses cariatides semblent aspirer toute l’énergie du corps. Ils ont la forme d’un feu tourbillonnant. Il aborde le portrait en saisissant les traits. Il trace une ligne continue et sinueuse qui semble suivre l’arête ascendante de la flamme.

Il est un maître du portrait, art peu pratiqué en Chine. Il aime représenter des personnes à la singularité affirmée, qu’elles soient puissantes ou misérables. Par ce travail passionné, il semble vouloir restaurer symboliquement l’homme autonome, lié à sa terre, et conjurer l’ancienne image, théorique et collective.

L’homme sculpté de Wu Wei Shan n’est pas l’homme nu et solitaire de Rodin, planté au milieu du monde, ni celui de Claude Abeille solitaire lui aussi mais vêtu et caché, c’est un homme qui a revêtu le monde et le porte sur ses épaules.

Destins croisés

Rodin, Abeille, Wu Wei Shan tracent ainsi leurs routes, aussi particulières qu’universelles. Orient et Occident ne sont plus séparés, ils demeurent différents, ce qui est propice à  l’art.

Cette exposition qui confronte leurs œuvres fait du spectateur un témoin de leurs échanges entre civilisations. Serait-ce possible de percevoir cela si sensiblement et simultanément, autrement que grâce aux arts visuels ?

Les situations sont diverses : Wu Wei Shan crée dans un pays animé par le désir de bâtir des monuments, d’embellir, de magnifier. La dimension poétique et tragique de son œuvre a donné sa pleine mesure dans la création de monuments. Il a puisé là le sens profond de son travail : réconcilier la Chine avec elle, panser les blessures de sa mémoire, magnifier les hommes de son temps connus ou inconnus, retisser des liens d’estime et d’échange avec l’Occident.

Claude Abeille, à Paris, traverse une époque où la sculpture a perdu son aura et sa légitimité. Elle n’est plus enseignée dans les Institutions prestigieuses de l’État. Les commandes publiques monumentales sont rarement dévolues aux sculpteurs. L’Église a fui la représentation. L’artiste œuvre pour plus tard. Cela s’est déjà produit dans l’Histoire. La création ne disparaît pas pour autant. C’est un temps d’exil. L’artiste est relégué dans son atelier et sa bibliothèque, il se passe commande à lui-même et poursuit une œuvre secrète et méditative. Qui aurait imaginé que les sculpteurs, jadis liés aux bâtisseurs, pratiqueraient un jour une sculpture intimiste ?

Quelles que soient les circonstances, Claude Abeille et Wu Wei Shan partagent une nécessité commune et impérieuse de créer. Peu importent alors obstacles ou opportunités, l’art poursuit également son chemin dans l’ombre ou la lumière.

Sculptures en Dialogue de Claude Abeille et Wu Wei Shan du 9 juillet au 31 août 2014 dans ses locaux situés au 13, rue Royale 75008 Paris. Pour cette occasion toute l’équipe de Louis Matzo Paris a le plaisir de vous convier au vernissage de l’exposition qui se déroulera le mercredi 9 juillet de 18h à 20h.

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  • Merci pour cette présentation, un peu publicitaire peut-être, mais éloquente

  • Merci de l’information. Publicitaire je ne sais pas. Un peu long – peut-etre – mais opportun. C’est vrai qu’il suffit de regarder pour etre eblouis. Abeille est bon, Wu Wei Shan est eblouissant. Quand la Chine s’eveillera…

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