Le moral, le légal et le PIB

Les polémiques récentes sur le PIB sont de simples querelles entre étatistes.

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Caricature PIB (Crédits : René Le Honzec/Contrepoints, licence Creative Commons)

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Le moral, le légal et le PIB

Publié le 3 juillet 2014
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Par Jean-Yves Naudet
Un article de l’aleps.

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Au prétexte que l’Italie va introduire dans le calcul de son PIB le trafic de drogue et la prostitution, et que la Grande-Bretagne va faire de même, avec la bénédiction du Parlement européen, on a assisté aux délires habituels, depuis les inventeurs du Bonheur National Brut jusqu’à ceux qui en prennent prétexte pour dénoncer le capitalisme immoral. En fait, la réalité économique n’a rien à voir dans ce débat sur le calcul du PIB, qui n’est qu’un pur produit de la macroéconomie. Mais nos gouvernants veulent nous éclairer, chiffres en mains, et nous dire si nos activités sont conformes à la morale et nous apportent le bonheur.

Faut-il tout mesurer en économie ?

Il y a longtemps, depuis « l’arithmétique politique » au XVIIe siècle, que les hommes de l’État cherchent à quantifier l’économie, soit pour apprécier les bases fiscales et garnir le Trésor royal, soit pour préparer leurs funestes interventions, persuadés que l’économie se pilote d’en haut, mais que le pouvoir politique a besoin de données chiffrées. La comptabilité nationale, dont on prête l’invention à Richard Stone, élève de Keynes, n’a fait que développer cette idée et a pour objet la mesure des « agrégats » grandeurs globales dont le plus beau fleuron est le PIB (Produit intérieur brut).

Mais voilà qu’un scandale vient d’éclater à propos du calcul de ce PIB. Le Parlement européen a fait valoir que tout n’y était pas pris en compte et qu’il fallait notamment y ajouter l’économie souterraine, clandestine et échappant à l’impôt. L’Italie s’est empressée d’appliquer cette idée, car l’économie « informelle » y est estimée à 10,9% du PIB. Le Royaume-Uni veut lui emboîter le pas, rajoutant ainsi à son PIB 1% et 12,3 milliards d’euros. Les Suédois ou les Espagnols vont faire de même. Donc, soudainement, les performances de certains pays en matière de croissance vont faire un sérieux bond en avant et les gouvernants pourront en tirer gloire.

La vertueuse France, dont on connaît le comportement exemplaire, a expliqué, via l’INSEE qu’elle ne mangeait pas de ce pain-là, s’agissant d’activités illégales, comme la dépendance des utilisateurs de drogue ou l’esclavage sexuel.

Ce que le PIB mesure

À vrai dire, quelle mesure le PIB est-il censé donner ? Le PIB mesure les transactions volontaires entre agents économiques, qui se passent sur un marché « officiel ». C’est la valeur que les gens donnent aux produits et aux services rendus. Ici naît une première difficulté : il y a de faux prix, ne reflétant pas les raretés et les choix, mais fixés arbitrairement par l’État. Il y a aussi des manipulations dues aux subventions, aux impôts, ou des fixations administratives de salaires ou taux d’intérêt.

Une autre difficulté vient de l’appréciation de la valeur desdits « services publics » : quelle est la valeur d’un service rendu par un agent de l’État, puisqu’il n’y a pas de marché de la police ni de la justice ni de la plupart des activités qui requièrent le recours aux administrations ? Donc, faute de prix, on évalue ce PIB « non marchand » à son coût de production. C’est évidemment tout à fait arbitraire, car il suffit, par exemple, d’augmenter le salaire des fonctionnaires pour que comptablement la valeur de ces services augmente, quelle que soit l’opinion des usagers.

Ce qu’il ne mesure pas

Mais il y a aussi tout ce que le PIB ne mesure pas. C’est le cas de la production domestique, dont le regretté Gary Becker avait expliqué l’importance. Car les ménages ne consomment pas des produits, mais des services qu’ils produisent largement eux-mêmes, en utilisant des biens d’équipement et des consommations intermédiaires, grâce à leur activité domestique, depuis le ménage et la cuisine, jusqu’au fait de conduire sa voiture ou d’élever ses enfants. Les services sont dans le PIB s’ils sont vendus sur un marché (restaurant, femme de ménage, taxis, etc.) et n’y sont plus dès que les ménages les produisent pour eux-mêmes. On mesure ce que les ménages achètent comme consommation intermédiaire (par exemple les produits alimentaires), mais pas la valeur du repas lui-même, qui intègre le temps passé, les qualités du cuisinier, etc. Mais comment les mesurer ? Au prix des substituts marchands ? Mais quelle est la valeur du temps passé par les parents à veiller sur un enfant malade ? Peut-on l’évaluer au tarif horaire d’une nounou ? Qu’en est-il de toutes les activités bénévoles des associations, des clubs-services, des organismes caritatifs ? Le fait que ce soit bénévole n’enlève pas la réalité de ces services.

L’économie souterraine

Il y a ensuite l’économie souterraine et c’est sur ce point que le débat s’est ouvert récemment. On comprend les difficultés d’évaluation, puisqu’elle est clandestine, dissimulée. Mais il y a aussi l’ignorance du prix, car le prix de la drogue n’est pas le même si elle est autorisée, comme dans certains pays, ou si elle est interdite, comme dans d’autres ; la clandestinité modifie le prix. D’ailleurs, les estimations varient beaucoup et par exemple l’Institut Molinari conteste les chiffres officiels et évalue l’économie souterraine en Europe à 19,3% du PIB. Dans certains cas les choses sont encore plus ambiguës : la prostitution n’est pour l’instant pas mesurée en France dans le PIB, tout en étant légale (c’est le racolage et le proxénétisme qui sont illégaux) et alors même que l’État impose les prostituées en « évaluant » leur activité (il devient ainsi le premier proxénète de France !).

Les produits échangés sur le marché noir sont donc d’une valeur aussi discutable que les produits non marchands.

Valeur marchande ou valeur morale ?

Actuellement, le PIB mesure l’activité des agents économiques, ménages, entreprises, administrations. Même si cette mesure n’a pas une grande signification puisque seuls les produits marchands ont (théoriquement) une valeur mesurable, elle ne prend pas en compte la moralité des agents économiques et de leurs activités. Ce n’est évidemment pas à la comptabilité nationale de porter quelque jugement moral que ce soit. On peut trouver tout à fait immorale la prostitution ou la drogue, mais c’est une réalité économique qu’il faut cerner. D’ailleurs tout le monde a-t-il la même conception de la morale ? Comment traiter les consommations frappées d’interdits religieux, comme l’alcool, immoral chez les musulmans, ou la viande de porc ?

Le PIB n’est pas un concept moral ou immoral, seuls les choix personnels ont une dimension morale. C’est là qu’apparaît la perversion du système de mesure. Tous les « moralisateurs » du PIB, comme la commission Stiglitz mise en place en France par Nicolas Sarkozy pour réformer le calcul du PIB, veulent nous imposer leur conception du bien et du mal. Ils vont même jusqu’à proposer un indice de BNB, bonheur national brut, une vieille lune déjà proposée par le club de Rome dans les années 1950.

Mesurer est le fait des économies de commandement

Dans une économie de marché, c’est au client de mesurer la valeur qu’il accorde aux services, pas à l’État, car la valeur est toujours subjective ; vouloir la rendre objective, c’est nier les choix individuels. Parallèlement, c’est aussi au client d’apprécier la moralité de ses choix, et non à l’État de définir un ordre moral, en dehors de la protection des droits fondamentaux des personnes. En réalité, chercher à mesurer de manière macroéconomique la production n’a de sens que dans une vision interventionniste de l’économie, pour qu’un plan formel ou informel puisse « guider l’action de l’État » : c’est la logique d’une économie de commandement, par opposition à une économie de libertés.

De la sorte, les polémiques récentes sur le PIB sont simples querelles entre étatistes.


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  • Article bien structuré. On mesure quelque chose de tangible, on estime le reste.

  • C’est sans doute l’espoir de doubler le PIB et donc de diviser le ratio dette/PIB par deux qui les guide.

    • Le plus simple serait alors de modifier directement la formule du PIB en rajoutant un x2 à la fin…
      Mais ce serait peut-être trop visible…

  • Très bon article.

  • En bas de chez moi elles sont nettement moins classe que sur la photo.

  • Comme indiqué dans l’article, le PIB mesure des transactions (soit des flux) il n’a que très peu de choses a voir avec la richesse: une augmentation du PIB ne veut pas forcément dire une augmentation de la richesse comme le démontre Bastiat avec son article sur la vitre cassée.

    • Les transactions volontaires correspondent précisément à la création de richesse. Dès lors que le PIB ignore certaines transactions volontaires tout en ajoutant des dépenses publiques contraintes, des transactions soumises aux tarifs imposés par des fonctionnaires, ou encore l’activité des monopoles publics, effectivement cette statistique ne veut plus rien dire.

      On imagine le drame économique et politique si le PIB était fiabilisée, surtout en France… On s’apercevrait alors que la richesse par tête est loin de ce qu’elle est communément présentée et que le déclassement des Français relativement au reste du monde est conforme à la réalité qu’ils subissent depuis quelques décennies.

      • Le PIB est un flux, ce n’est pas un stock donc aucun rapport avec une richesse.

        • Création de richesse = échanges volontaires = flux de nouvelles richesses. A partir de ce flux, certaines richesses sont consommées immédiatement, d’autres sont épargnées, autrement dit stockées.

          • Vous parliez de fiabiliser le PIB pour se rendre compte que la richesse par tête… etc.
            Ce n’est pas le rôle du PIB.

            Le rôle du PIB est de mesurer l’activité économique au travers des flux, que celle-ci créé des biens consommables ou durables ou même qu’elle détuise des biens durables. A cette fin on additionne les valeurs ajoutées générées dans le pays.

            Si je demande à une entreprise de détruire à la masse ma maison et la piscine qui m’avait coûté 150,000E, le PIB va augmenter d’au moins 20,000E (le coût de la démolition) et pourtant le patrimoine national s’est appauvri et on n’a pas créé de richesses, on en a détruit.

            Je dis « au moins 20,000E » car cette somme va servir aux ouvriers et va générer la même année de l’activité économique alors que sur mon compte épargne elle ne faisait rien.

            Histoire vraie:
            Avec Angelina Jolie on ne se connaissait pas et on a échoué sur une ile déserte avec uniquement une valise contenant 1 million de $. Les femmes sont vénales.
            On s’est organisé. Angelina m’a dit qu’elle voulait bien préparer les repas (y avait des arbres à steaks) mais que ça me couterait $1M par repas y compris le petit déjeuner.
            Comme j’avais remarqué qu’elle était un peu chaudasse je lui ai dit ok.
            Après déjeuner elle a voulu faire l’amour et je lui ai dit que ça lui coûterait $1M.
            Ainsi notre vie s’est écoulée pendant 1 an et notre PIB augmentait de $6M par jour soit plus de 2 milliards de dollars quand un bateau de l’entreprise Sodexo a accosté.
            Angelina s’est mise en faillite personnelle, mais là c’est une autre histoire.

            ============
            Pour ce qui est des services non marchands c’est effectivement un raccourci de prendre en compte leur salaire car hors l’ouverture du marché il n’y a aucune possibilité de leur donner une valeur marchande, excepté pour la santé en faisant un comparatif avec le privé.

            Mais que ce soit pour les entreprises privées ou publiques, la productivité et la saine gestion peut amener à produire plus avec moins mais cela aura pour l’instant un impact diffférent :
            – pour les entreprises privées la valeur ajoutée va être plus élevée donc va augmenter le PIB
            – pour les entreprises publiques ca va diminuer la masse salariale donc diminuer le PIB

  • Il était question fût un temps que le salaire des fonctionnaires soit indexé sur le PIB.
    C’est peut-être une solution qu’ils ont trouvée pour s’augmenter.
    Et vu que leurs salaires est dans le PIB… ça risque de s’emballer, genre autoalimentation comme sur une voiture diesel : vous coupez le contact et le moteur continue à tourner en syphonnant l’huile dans le carter !
    En général ça finit mal.

  • Les socialistes croient que le bon emploi du pouvoir améliore la vie.
    Ils ont révisé l’Histoire dans ce sens.

    Dans leurs mains toute statistique est dangereuse car elle fera germer dans leur esprit toutes sortes d’idées de contraintes, qui par leurs effets pervers en appelleront d’autres.

    Leur constructivisme conduit aussi à l’obscurantisme: Sur bien des sujets le dogmatisme s’impose parce que les politiques sont déjà décidées, et les faits sommés de les justifier.

    Les libéraux peuvent donner l’impression de rejeter le savoir: Aucunement.
    Ce qu’ils craignent n’est pas l’information, mais ce que les socialistes en feront.

    Écoutez Walter Williams démontre, moultes exemples à l’appui, que
    – L’existence de discrimination ne cause pas de tort aux victimes
    – L’existence de handicap social mesurable dans une population n’établit nullement l’existence de discrimination
    Ces deux faits avérés suffisent à démolir la moitié des politiques socialistes !

    • À cette démolition du PIB, il faut ajouter la communauté au sens de Frédéric Bastiat, c’est-à-dire les nouvelles gratuités créées par l’économie de marché.
      C’est-à-dire le progrès !
      La gratuité socialiste est fictive: Elle consiste à permettre de se faire payer ses choix par les autres.
      La gratuité produite par le marché en est une vraie, elle consiste à exploiter les gratuités de la nature pour en tirer des services gratuits – autrement dit ce qu’on appelle de nos jours l’innovation.

      Le libéralisme contre le socialisme, c’est l’innovation contre l’esclavage.

  • Le PIB est un indicateur globalement assez bien fichu pour mesurer un certain périmètre d’activité et sa variation, point.

    S’en servir pour autre chose, ce serait un peu comme se plaindre d’un pèse-personne sous prétexte qu’il ne nous sert pas à mesurer la hauteur sous plafond.

    Davantage que le PIB, n’est-ce pas davantage notre propre paresse que nous devrions mettre en cause : nous voudrions qu’un seul chiffre résume l’état d’une communauté de millions d’individus ? N’y-a-t-il pas dans notre esprit assez de place pour y caser davantage d’indicateurs ?

    Perso, je trouve que nous faisons trop peu de cas d’autres agrégats essentiels et déjà connus, à commencer par la taille de la population et les indicateur démographiques. D’ailleurs, l’évolution du PIB/h est beaucoup plus intéressante à suivre que celle du PIB.

    Ce n’est pas un prix cher à payer pour redonner un peu de couleurs et d’intérêt à nos tableaux de chiffres !

  • Lorsque l’on utilise un indicateur pour mesurer l’état d’un système il ne faut pas changer le périmètre définissant cet indicateur, même s’il présente des lacunes. Ou alors, si on le fait pour de bonnes raisons, on évalue la part de changement attribuable à la nouvelle méthode en comparant l’ancienne avec la nouvelle sur plusieurs années.
    En absolu, l’exactitude du niveau de la mesure n’est que peu important alors que la précision et la signification des variations le sont.
    Quand un résultat déplait on est tenté de changer la méthode de mesure pour qu’il plaise un peu plus (ou déplaise un peu moins). C’est ridicule mais tellement humain.

    • Votre proposition demeure vraie jusqu’à ce que l’indicateur soit tellement gâté que ses variations deviennent elles-mêmes mensongères. Quand, pour maintenir l’illusion d’une croissance, il suffit d’augmenter les revenus des fonctionnaires et autres rentiers de l’Obèse, alors que nul n’ignore qu’il s’agit là de charges et non de richesses nouvelles, les variations du PIB perdent tout sens commun.

      L’intégration des activités illégales dans le calcul posent des problèmes spécifiques, d’une part en terme de qualité de l’estimation (non déclaration due à l’illégalité de l’activité), d’autre part à propos du caractère réellement volontaire des échanges. En effet, à l’instar de l’Etat obèse, les revenus des mafias ne sont pas une création de richesse mais une redistribution forcée de richesses déjà créées par ailleurs.

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