Afrique : langue, économie et développement durable

Où en est réellement l’émergence de l’Afrique, et qu’y faire ?

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Afrique : langue, économie et développement durable

Publié le 15 juin 2014
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Par Paulin G. Djité.
Un article d’Audace Institut Afrique.

Petite marchande en Côte d'Ivoire (Afrique) (Crédits : Kate Fisher/BBC World Service, licence BY-NC 2.0), via Flickr.
Petite marchande en Côte d’Ivoire (Afrique) (Crédits : Kate Fisher/BBC World Service, licence BY-NC 2.0), via Flickr.

Il existe en Afrique une grave contradiction qui s’acharne à vouloir « émerger » dans une langue d’emprunt, plafond de verre et garde-barrière socio-économique, quand les pays asiatiques dont nous voulons nous faire des émules – y compris ceux qui ont connu la même histoire coloniale que nous -, s’en sont affranchis. Leurs économies n’en sont pas moins florissantes. Il est remarquable cependant que l’Afrique soit le seul continent au monde où l’enfant d’âge scolaire n’a pas la possibilité de commencer son apprentissage dans sa langue. Et les économistes continuent de se méprendre en ignorant le facteur linguistique dans le processus du développement durable, laissant ainsi de côté la majorité de la population, analphabète dans la langue d’emprunt, qui est forcée de « patauger » dans l’informel et l’insécurité. Mais quelle est donc cette fameuse économie dont on se targue ?

L’économie ? Quelle économie ?

En Afrique sub-saharienne, les apprentis sorciers du développement nous parlent d’une croissance économique de 5,3 % du produit intérieur brut (PIB) en 2012, d’environ 5 % en 2013, de l’ordre de 5,8 % en 2014 et 6 % en 2015 (African Economic Outlook2014). Le continent du « désespoir » se serait-il soudain transformé en un continent « émergent » ? Il n’y a rien de moins sûr. Car, si 6 des 10 économies à plus forte croissance du monde sont en Afrique sub-saharienne, les plus forts taux de chômage et de pauvreté se trouvent dans 17 des pays de la même région, y compris le Nigéria et l’Afrique du Sud, les deux plus grandes économies du continent, avec des taux de chômage de 23,90 % et 25,2 %, l’Angola, la Guinée équatoriale et le Gabon, trois pays dont les économies sont fortement tributaires de l’exportation du pétrole, avec des taux de chômage de 26,0 %, 22,3 % et 21,0 %, respectivement. Si 31,3 % de la population sud-africaine vit en dessous du seuil de pauvreté, pas moins de 63 % de Nigérians vivent en dessous du seuil de pauvreté. Il en est de même pour  36 % de la population de l’Angola. Bien que classé 59ème en termes de PIB par habitant, le Gabon n’est que 136ème sur 187 pays du monde, en termes d’indice de développement humain, avec un score de 0,554 en 2013. Au moins 4 de ces 17 pays – Djibouti, le Mozambique, la Namibie et le Zimbabwe – ont des taux de chômage supérieurs à  50%.

Au vu de tous les indicateurs sociaux, la croissance économique en Afrique ne se traduit pas par l’amélioration des conditions de vie des populations dont le quotidien et la réalité ont pour nom : pauvreté, chômage, inégalité et injustice sociale. Les soi-disant puissances économiques de l’Afrique ne sont en réalité que des « tigres » aux griffes fragiles. Alors, de quelle économie parlons-nous ? S’agit-il de ce système extraverti, avec peu ou pas du tout d’activités de fabrication, une production sans valeur ajoutée, cette économie de troc du Moyen Age qui ne repose que sur des matières premières que l’on produit à profusion, mais dont on ne sait que faire, à part les vendre ? Pourquoi se lancer dans la culture du cacao quand l’on ne peut inonder le reste du monde de chocolat ? Pourquoi cultiver du coton et le vendre à vil prix pour acheter du wax hollandais à prix d’or ? Pourquoi l’histoire de la croissance économique en Afrique rime-t-elle avec pauvreté, chômage, mauvaise gouvernance et corruption ?

La langue ? Mais quelle langue ?

Se limiter à ce commerce de troc, dans une langue d’emprunt, c’est travailler contre le développement durable. Travailler dans nos langues, c’est travailler avec la majorité de la population, aujourd’hui campée dans le secteur informel ; c’est immédiatement élargir l’assiette fiscale et renflouer les caisses de l’État. La participation massive des populations au processus de développement aura un effet multiplicateur, non seulement sur le taux de croissance économique, mais aussi sur les effets tangibles de cette croissance, en termes de réduction sensible de la pauvreté, de l’analphabétisme, et en termes de cohésion sociale. Ne sera durable qu’un développement qui associe toutes les forces vives de la Nation.

Je les vois venir, les éternels sceptiques avec leur mythe d’une complexité linguistique cauchemardesque : Nos langues ? Mais quelle langue ? En Côte d’Ivoire en tout cas, tout le monde sait, même s’il ne fait pas « politiquement correct » de le dire, quelle est ou quelles sont les langues véhiculaires dominantes sur la place du marché, dans les « gbakas » et les « woro-woro », et pendant les campagnes électorales.

Pourquoi donc ne pas nous écouter parler ? Pourquoi ne pas interroger, de façon objective, ces économies d’Asie pour voir comment des pays comme la Malaisie ou encore Singapour gèrent leur polyglossie effarante ? La science et la technologie ne parlent pas que des langues d’emprunt ; encore moins la créativité et l’innovation. C’est ce que nous démontrent chaque jour la Corée du Sud, le Japon, l’Inde et la Chine. L’Afrique peut mieux faire ; ne la bâillonnons pas.

Paulin G. Djité, Ph.D., NAATI III, Chevalier dans l’Ordre des Palmes Académiques.


Sur le web.

Voir les commentaires (3)

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  • une belle analyse

  • Oui, une analyse qui fait réfléchir et sur un point tout à fait crucial.

    Peut-être l’emploi des « langues d’emprunt » est-elle en effet une cause du non-développement. Ou bien il est possible que la cause soit une mentalité de looser, et que cela implique à la fois l’absence de développement et l’abandon des langues natales.

  • Il est évident que l’Afrique a un retard dû à son absence de langue(s) écrite(s).

  • Les commentaires sont fermés.

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