Le capital en équilibre précaire

Piketty est-il un authentique économiste ou un comptable sans imagination qui cache ses approximations par des effets de manche ?

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Le capital en équilibre précaire

Publié le 4 juin 2014
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Piketty est-il un authentique économiste ou un comptable sans imagination qui cache ses approximations par des effets de manche ? Du point de vue d’un économiste mainstream, ce magnum opus est très décevant.

Par Ryan Decker, depuis les États-Unis.

risques pikettyLa principale contribution de Piketty consiste en l’impressionnante quantité de données relatives à la richesse et au revenu dans plusieurs pays, démarrant parfois dès les années 1700. Notons qu’il n’examine pas de données relatives à la consommation. L’ouvrage est un travail de titan, et mérite certainement qu’on s’y arrête, dans la mesure où les faits que fournit Piketty sont essentiels aux débats sur l’évolution du capital et des inégalités économiques dans les pays riches. De nombreuses critiques ont été positives, et il y a beaucoup de choses positives que je pourrais relever moi aussi, mais je laisserai cette tâche à d’autres. Le livre souffre de plusieurs défauts de fond : en un mot comme en cent, s’il est extensif quant aux données, il est superficiel quant à l’économie à proprement parler. Les lecteurs vont se retrouver à patauger dans des centaines de pages d’opinions et de railleries idéologiques, sans analyse économique, avec des graphiques intéressants éparpillés un peu partout. Le flot de ces données peut être écrasant, ce qui peut expliquer pourquoi certains critiques ont aveuglément accepté ses arguments. Les exploits de Piketty concernant la collecte de données sont admirables. Mais un livre de cette taille, avec « capital » dans son titre, aurait dû inclure au moins un peu de science économique.

Les données de Piketty concernant l’héritage sont les plus intéressantes et les plus convaincantes à mes yeux. L’héritage compte toujours, et joue un rôle non trivial dans la distribution de la richesse et du revenu. Réduire l’inégalité de richesse au fil du temps, s’il fallait prendre cette décision, nécessite qu’on prête attention à la question de l’héritage, qui bien plus que d’autres manque de lien avec la méritocratie (ce qui ne signifie pas que les incitations comptent pour du beurre). Il peut y avoir d’autres arguments, qui ne se basent pas exclusivement sur les inégalités, pour réfléchir à l’héritage. Ceci dit, tous les capitaux ne dont pas nés égaux, et l’ouvrage aurait bénéficié de mettre un accent sur la distinction entre les types de capital ; et en particulier dans le contexte de l’héritage.

La plus grande partie de l’analyse du livre tient plus de la comptabilité que de la science économique. Pikety considère à peu près tout comme exogène, puis calcule des divisions. Son heuristique « r > g » omniprésente considère les deux côtés de l’inégalité comme donnés pour la quasi-totalité de l’ouvrage. Des remarques comme « Les dix pourcent les plus riches s’approprient les trois quarts de la croissance » (p. 297 de l’édition américaine) permettent au lecteur fainéant d’éviter de réfléchir à ce qui détermine réellement le revenu. Des vocables comme « appropriation » suggèrent que nous vivons dans une économie de droits acquis, tout comme l’affirmation qu’après la Première Guerre Mondiale, l’inégalité des richesses est tombée « si bas que près de la moitié de la population était capable d’acquérir quelques richesses » (p. 350). Jamais entendu parler d’endogénéité ? Prendre le revenu comme exogène mène à d’autres problèmes graves d’interférences, comme l’assertion selon laquelle « l’extrémisme méritocratique peut ainsi mener à une course entre les supermanagers et les rentiers, au détriment de ceux qui ne sont ni l’un ni l’autre » (p. 417). Piketty ne considère pas la possibilité que cette course résulte en davantage de revenus que si elle n’avait pas lieu, pas plus qu’il ne considère l’idée qu’une augmentation du pouvoir de négociation des directions générales pourrait se faire au dépens des propriétaires de capitaux, plutôt que des travailleurs. Je ne dis pas que tel est le cas ; je suggère simplement que les sarcasmes idéologiques de Piketty ne reposent pas sur la certitude avec laquelle il les assène. Les modèles d’économies de droits acquis ont leurs objectifs, mais un livre de 600 pages devrait pouvoir discuter d’hypothèses moins arbitraires. Ses critiques de la mathématisation de l’économie (pp. 32 et 574) ne sont pas surprenantes dans la mesure où il se repose si fortement sur des hypothèses et des mécanismes qui seraient hautement vulnérables aux critiques s’ils étaient exposés dans la transparence d’un modèle formel.

Ce genre de raisonnement économique à la va-vite imprègne tout le livre. Piketty attribue la montée de la « classe moyenne patrimoniale » (la grande classe moyenne des propriétaires de leur logement dans les pays développés) entièrement à la hausse de l’imposition du capital (p. 373). Il est parfaitement raisonnable d’avancer que l’impôt joue un rôle, mais il est absurde de lui en donner tout le crédit sans davantage d’analyse. La thèse centrale de Piketty repose sur cette assertion douteuse : l’accumulation illimitée du capital ne poserait pas de problème si tout le monde en possédait un peu. Nier que les forces économiques aient joué le moindre rôle dans l’enrichissement de la classe moyenne aide Piketty à clamer que les inégalités vont exploser hors de tout contrôle et tous nous laisser dans la pauvreté à moins qu’une profonde réforme de l’impôt ne soit mise en œuvre. Cet argument exige aussi de sa part d’assurer les lecteurs qu’il n’existe pas d’arbitrage face à la fiscalisation du capital : « Il est important de noter que l’effet de l’impôt sur les revenus du capital n’est pas de réduire l’accumulation totale de richesse » (p. 373). On apprend aussi qu’il n’y a « pas de doute que l’augmentation des inégalités aux États-Unis a contribué à l’instabilité financière du pays » (p. 297). Pas de problème d’identification ici, mes amis ; l’inférence causale, c’est à la portée de tous ! Le livre est jonché d’allégations extrêmement fortes comme celle-là, malgré l’existence de bonnes raisons d’être au moins sceptique vis-à-vis de certaines. Peut-être Piketty a-t-il raison sur ces sujets, mais il ne l’a en rien démontré ici ; et même si sa collection considérable de graphiques et de table suffit à éblouir la plupart des commentateurs dans une soumission servile, les données ne suffisent pas pour appuyer ses conclusions audacieuses.

Les données de Piketty sur la montée de la propriété du capital dans la classe moyenne soulèvent un point important. Un thème clé du livre est que les pauvres ne possèdent pas d’actifs productifs, et doivent donc se reposer entièrement sur leur travail pour leur revenu. Mais l’impôt et la redistribution sont-elles les seules manières de remédier à cette situation ? Cela pose une question difficile aux opposants à la privatisation des systèmes de retraite publics. On ne peut pas simultanément affirmer que les propriétaires de biens de capital doivent s’attendre à gagner des mille et des cents dans les décennies à venir, et que la privatisation et le choix dans le domaine de la Sécurité Sociale seraient une mauvaise idée [la Social Security américaine ne couvre que ce qu’en France l’on nomme la « branche vieillesse », NdT]1. Ce n’est pas la seule possibilité face à l’impôt, mais ça nous remémore qu’une des manières de traiter le problème que les pauvres ne possèdent rien pourrait bien être d’aider ces pauvres, par exemple, à posséder quelque chose. Mais Piketty avance directement que « seul un impôt progressif sur le capital peut réellement empêcher » une concentration croissante de la richesse (439). Plus généralement, Piketty dénonce la possibilité qu’ont les plus riches à accéder à des opportunités de retours plus élevés sur leurs capitaux que ceux qui démarrent avec des fonds de départ plus limités, mais il ne mentionne pas le fait que ce soit dû en partie aux lois qui interdisent aux petits investisseurs de participer à des placements alternatifs. Selon la loi, si je veux investir dans une start-up, je ne peux le faire que d’une manière non diversifiée (comme démarrer ma propre entreprise, ou investir dans celle d’un ami). Il n’y a pas besoin d’impôts plus hauts pour aider les classes populaires à mieux investir.

Une autre faiblesse majeure du livre est que, comme en général dans le débat populaire sur les inégalités, il se concentre presque uniquement sur les plus grands écarts de revenus et de richesse, en ne faisant guère d’efforts pour les contextualiser en termes de niveaux absolus de revenu et de richesse. Piketty compare l’inégalité à travers les siècles, notant qu’elle est revenue aux niveaux précédant la Première Guerre Mondiale, puis affirmant que « la moitié la plus pauvre de la population est aussi pauvre aujourd’hui qu’elle l’était pas le passé » (p. 261) ? Cela ne peut avoir de sens qu’en termes relatifs ; comme Piketty le mentionne plusieurs fois (mais sans insister dessus), les pauvres de 2014 sont bien mieux lotis que la classe moyenne des siècles passés : « Avec cinq ou dix fois le revenu moyen de 1800, on serait aujourd’hui quelque part entre le revenu minimal et le revenu moyen. » (p. 415, cf. aussi p. 88), et même Piketty admet que cette assertion repose sur un ajustement pour l’inflation fort douteux (combien coûtait une voiture avec l’air conditionné en 1800 ?). La vérité, c’est que la plupart des pauvres des pays développés aujourd’hui sont astronomiquement, incomparablement plus riches que presque tous ceux qui vivaient en 1800. Ce qui soulève la question de savoir pourquoi Piketty sonne l’alarme contre une inégalité qui atteindrait des niveaux d’autrefois. Il prend brièvement acte du contexte international actuel dans le chapitre 12, mais n’examine que les inégalités de richesse2, ce qui est douteux, sans mentionner les inégalités mondiales de revenus, qui sont sur une pente descendante. En tous cas, Piketty a de fortes incitations à nous dire que tout ce qui compte, ce sont les inégalités à l’intérieur des pays riches (p. 432), même si l’Américain le plus pauvre est plus riche que la plupart des autres habitants de la planète.

C’est là le grand échec des obsédés de l’inégalité en général : une myopie centrée sur les pays riches qui ont connu une croissance massive du pouvoir d’achat de chacun. Pour que les inégalités au cœur d’un même pays deviennent une priorité des politiques publiques, ceux qu’elles préoccupent doivent en faire une analyse beaucoup plus solide. Il ne s’agit pas seulement de savoir si la société est totalement méritocratique ; elle ne l’est évidemment pas, comme Piketty l’écrit à plusieurs reprises. Le problème, c’est que Piketty s’est dispensé d’une analyse des inégalités optimales, choisissant au lieu de cela de s’appuyer sur des épouvantails rhétoriques et de vagues références à « la démocratie ». Il fournit une grande quantité de données qui montrent que les inégalités sont en hausse dans les pays qui fournissent le premier quintile de la richesse mondiale, et il suggère des remèdes politiques (dont ils clament qu’ils ne coûteront à peu près rien), mais ne fait aucune tentative sérieuse pour convaincre les indécis que cette question devrait être une priorité politique.

Il est difficile de croire que les prédictions de Piketty pour l’avenir (sur lesquelles reposent ses propositions politiques) sont davantage que des spéculations échevelées. Il n’a pas de modèle. Il nous montre des données historiques d’où il tire des inférences utilisant des scenarii comptables contrefactuels, et une bonne dose d’effets de manche. Il a fait des prévisions pour l’évolution future des revenus et des rendements du capital (deux éléments qu’il a explicitement considéré comme des processus exogènes). De ces prévisions, il tire des prédictions plus larges encore. Ces prédictions ne valent rien, parce que c’est un chercheur capable d’une formidable maîtrise de ses données, mais la façon qu’il a de rejeter (ou d’ignorer) les faiblesses de son cadre de pensée par de grands effets de manche limite les possibilités que ses spéculations ont de convaincre ceux qui ne sont pas déjà d’accord.

Les économistes qui écrivent de tels livres ont une opportunité d’initier le public au raisonnement économique. Le raisonnement macroéconomique est difficile. Les méthodes et la rhétorique de Piketty suggèrent aux lecteurs que c’est facile. Il peut rejeter n’importe quelle objection d’un revers de la main. Il peut ignorer les compromis politiques et les effets potentiels sur l’équilibre général en les écartant de ses hypothèses. Quelqu’un devrait compter le nombre de fois qu’il utilise des vocables comme « sans aucun doute » ou « clairement » quand il tire des conclusions très larges et hautement contestables sur à peu près tout (p. 511). En appuyant beaucoup de ses affirmations sur des graphiques uniquement (et parfois même pas), il nourrit la mode destructrice et dangereuse du « ce graphique prouve que… ! » qui s’est répandue dans la blogosphère ; un graphique ne suffit jamais à prouver une causalité ni à démontrer une politique optimale. En ce sens, Piketty rend à ses lecteurs un mauvais service. Il aurait dû leur demander de réfléchir avec plus d’attention plutôt que se contenter d’un coup d’œil à un graphique. Il aurait dû accompagner ses faits et prédictions d’arguments normatifs sérieux plutôt que de supposer que ses lecteurs partagent nécessairement ses préoccupations sur la richesse des 20% les mieux lotis au monde face aux 0,1% des mieux lotis. Il aurait dû expliquer les raisons pour lesquelles beaucoup d’économistes préfèrent des impôts modérés sur le capital productif autre que la terre ; même s’il trouve de tels arguments peu convaincants, il vole ses lecteurs la possibilité de les examiner d’eux-mêmes plutôt que d’accuser ouvertement ses rivaux de malhonnêteté intellectuelle3 (p. 514). Il aurait dû reconnaitre le problème massif de la « densité causale » en macroéconomie et montrer à ses lecteurs comment les économistes enquêtent sur les relations causales et, plus important, comment ils identifient les limites de leurs connaissances. Au lieu de ça, il prêche les convaincus et les esprits impressionnables par un déluge de graphiques, en abattant des hommes de paille tout en évitant les questions difficiles. Ce livre est beaucoup de choses, y compris une excellente ressource de faits chiffrés, mais ce n’est pas de l’analyse économique sérieuse.

Ce Capital est extrêmement instructif, et l’utilisation par Piketty d’anecdotes littéraires est un détail agréable ; mais au final c’est un livre de tableaux, rempli de données économiques, mais presque dépourvu d’analyse économique.

Thomas Piketty, Le Capital au XXIe siècle, Le Seuil, 2013, 970 pages.


Publié sur le blog Updted Priors sous le titre « Capital in partial equilibrium » à l’adresse . Traduction : Benjamin Guyot pour Contrepoints.

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  1. Au total, Piketty accorde deux paragraphes à cette idée (pp. 488-9), apportant deux arguments faibles et éculés contre cette politique. Il ne peut pas imaginer une transition de la répartition à des comptes d’investissement privés, et il croit que faire confiance aux marchés pour gérer les retraites revient à « tirer aux dés ». On en sait assez sur les choix optimaux de portefeuilles de retraite pour s’en tirer mieux qu’avec des dés. Pour quelqu’un de ma génération, voir une partie de ma paie aller vers un programme basé sur les suppositions absurdes qui sous-tendent la Sécurité Sociale, voilà le vrai pari. En tous cas, si Piketty croit vraiment que donner à tout le monde une chance de devenir propriétaire d’un capital est un coup de dés, il doit expliquer pourquoi il est si certain que les revenus du capital vont exploser dans les décennies à venir.
  2. Sa discussion des inégalités de richesse comporte même un aveu gênant : « La fortune moyenne dans le monde est d’à peine 60.000 euros par adulte, ce qui fait que beaucoup de gens dans les pays développés, y compris des membres de la « classe moyenne patrimoniale » ont plutôt l’air riches dans la hiérarchie mondiale de la richesse » (p. 438). Mais la classe moyenne n’a pas pas juste « l’air » riche. La classe moyenne du monde développé est riche selon n’importe quel critère objectif, ce qui souligne ma position selon laquelle les inégalités au sein des pays développés sont bien moins troublantes que la vraie pauvreté dans le monde.
  3. À part cette accusation insensée, Piketty ne mentionne jamais la littérature concernant l’imposition optimale, si ce n’est une poignée de ses propres articles. La recommandation centrale d’un impôt mondial sur les richesses n’apparaît pas comme le résultat d’une réflexion sur un impôt optimal. Il clame qu’« il est difficile de songer à un principe économique qui expliquerait pourquoi certains actifs devraient être imposés au huitième du taux d’autres actifs » (p. 529), comme si l’élasticité et les autres facteurs des modèles de taxation optimale n’étaient pas des principes économiques.
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  • Qui est Piketty ?
    Un fils de fonctionnaires élevé au Larzac, fonctionnaire lui-même.
    C’est à dire qu’il n’a jamais créé une richesse de sa vie, et disserte aux frais du contribuable sur les moyens de reprendre les richesses des autres.

  • « Il est important de noter que, lorsque l’on déplace une chose, elle ne disparaît pas. » Hihihi !

  • « On apprend aussi qu’il n’y a « pas de doute que l’augmentation des inégalités aux États-Unis a contribué à l’instabilité financière du pays » (p. 297). Pas de problème d’identification ici, mes amis ; l’inférence causale, c’est à la portée de tous ! »

    D’autant plus piquant quand on sait que c’est justement la lutte contre les inégalités, avec le CRA, qui est une des causes de la crise de 2008…

    • Non. La cause de la crise de 2008 est d’abord le fait de la sur-création monétaire qui crée des déséquilibres entre l’épargne désirée par les individus et le montant des crédits, qui incitent les entrepreneurs a investir davantage alors même que l’absence d’une hausse d’épargne désirée rend impossible une hausse de consommation future, ce qui veut dire que la production supplémentaire (aidée par le crédit) n’aura aucun débouché. Le CRA et autres réglementations n’ont aucun role dans le processus de crise économique. La réglementation détermine simplement la « direction » de l’allocation des mal-investissements, mais ne cause pas leur déclenchement.

      • Je connais l’ABCT, tu le sais pourtant Meng Hu 😉

        Et si tu relis mon commentaire, tu verras que je parle d’UNE des causes de la crise. Bien d’accord pour dire que la sur-création monétaire est la cause n°1, le carburant, de la crise.

        Mais s’il n’y avait pas de demande pour du crédit, il n’y aurait pas eu de sur-création monétaire. Alors bien sûr, la politique de taux bas (plus exactement de taux arbitrairement fixés en dessous du taux naturel) est le facteur n°1 dopant la demande de crédit, mais le CRA a je pense également contribué à doper la demande de crédit, et donc n’a pas influé QUE sur la direction des mal-investissements, mais également sur l’apparition elle-même des mal-investissements.

        De manière plus générale, je trouve que les autrichiens « purs et durs » insistent parfois un peu trop sur l’ABCT, et pas assez sur d’autres réglementations causes de cette crise (et d’autres). Autre exemple de ce qui a pu augmenter la demande de crédit (en plus de la diriger vers l’immobilier): le statut spécial de Freddy Mac et Fanny Mae (je n’en dis pas plus, il y a pléthore d’articles). Encore un autre exemple: les avantages fiscaux accordé à l’endettement vs. la levée de capitaux pour les entreprises.
        Bien peu d’autrichiens ont insisté sur les réglementations de l’urbanisme, cause de flambée des prix dans l’immobilier ou encore des réglementations Bâle I et II (qui a poussé à la multiplication des CDO).

        Bref, Vincent Bénard a fait un excellent résumé de tout ceci dans l’article suivant, et évidemment la manipulation des taux d’intérêt est la cause n°1, mais elle est loin d’être la seule: http://www.quebecoislibre.org/09/090815-13.htm

        • En fait, la seule possibilité que j’entrevois pour que la réglementation puisse causer (ne serait-ce que partiellement) le processus de formation de bulles, c’est que la réglementation financière provoque la banque centrale elle-même à sur-alimenter encore davantage le marché du crédit.

      • Voilà un morceau qui est du Hayek tout craché.

        Mais là il faut préciser que si l’épargne volontaire n’est pas à la hauteur de l’investissement, c’est l’inflation des prix qui, dans la théorie de cet auteur, va conduire à une mauvaise allocation des ressources entre la consommation et l’investissement, ou, si l’on se place du côté des entreprises, entre la production des biens de consommation et celle des biens d’équipement.

        Or Hayek démontre, dans ses théories (ici à la suite de Wicksell), qu’un pays va trop investir, dans la production des biens d’équipement, et ce en raison d’un taux d’intérêt monétaire devenu trop bas par rapport à ce qu’il devait être si la banque nationale n’avait pas généré de l’inflation monétaire avec sa politique expansionniste.

        Et parce que les biens, dans la théorie de Hayek, sont, du point de vue de leurs prix, des biens substituables plutôt que des biens complémentaires, il se trouve qu’une fois que les travailleurs produisant des biens d’équipement vont susciter, avec leur salaire, une demande nouvelle en faveur de bien des consommation achetés avec ces mêmes salaires, la hausse subséquente des profits, dudit secteur, va provoquer un transfert de capitaux depuis la production des biens d’équipement vers celle des biens de consommation, provoquant, de la sorte, une cessation d’activité dans le premier secteur nommé ici.

        Or tout ceci ne donne pas lieu de supposer qu’on a le droit d’appliquer la théorie de Hayek à la crise des subprimes américains dès les années 2007-2008. Ne serait-ce que parce que cette crise-là, derrière son paravent constitué par le marché de l’immobilier américain, a pris l’ampleur qu’elle a prise, non point seulement en raison d’une réglementation destinée à permettre à tous les Américains (et pas seulement aux plus riches d’entre eux) d’avoir leur maison, mais aussi parce que les grosses banques n’ont cesser de faire monter la bulle spéculative, avec leurs innovations, à des niveaux stratosphériques, et que cette bulle-là, si elle devait éclater, ne leur coûterait rien puisque leur taille même les préserverait de la faillite en raison du risque systémique qu’elles-mêmes représentaient pour l’ensemble de l’économie.

        • Claude Gétaz :

          C’est un très bon morceau d’économie. J’apprécie ce commentaire. Deux remarques, néanmoins.

          Quand vous parlez d’inflation au 1st paragraphe, il est plus juste de préciser qu’il s’agit d’inflation relative. Les autrichiens comprennent que les mal-investissements qui déclenchent les cycles économiques peuvent se produire durant une période de prix stable ou de déflation. Tout ce qui importe est que l’expansion monétaire cause un niveau de prix plus élevé que ce qui aurait été le cas sans expansion de crédit.

          Ensuite, vous vous trompez quand il s’agit de prétendre que la théorie de Hayek ne s’applique pas à la crise des subprimes. Il n’y a pas de spéculation possible sans expansion de crédit, car la hausse de demande de crédit, sans hausse d’épargne, ne peut conduire qu’à une hausse des taux d’intérêt. Cela est plus que suffisant pour arrêter les bulles assez tôt. Peu importe que les banques ne craignirent pas la faillite; ce facteur n’étant qu’un incitatif à l’activité spéculative. Ce n’est pas la « condition » qui la déclenche.

          • Bonjour RH.

            Vous avez raison de dire que n’importe quelle bulle issue de la spéculation ne peut pas exister sans une politique monétaire expansionniste de la part de la banque centrale.

            Or cette politique-là est, bien évidemment, favorisée, chaque fois que la banque centrale fixe des taux d’intérêt très bas sur la monnaie banque centrale, précisément, avec leur retombée sur une politique monétaire expansionniste, elle aussi, de la part des banques privées – elles dont le crédit en expansion va, dans le cas qui nous, alimenter la spéculation. sur le marché de l’immobilier américain.

            En cela je suis tout à fait d’accord avec Hayek. Mais où je ne suis plus d’accord avec lui, c’est quand il prétend qu’un système bancaire reposant uniquement sur des banques privées permet d’éviter les bulles spéculatives et le krach boursier qui s’ensuit.

            Car, selon Hayek, la prise en compte du risque, par les banques privées, doit leur éviter de s’empêtrer dans des politiques monétaires où les taux d’intérêt (monétaires eux aussi) descendront si bas, relativement à leur niveau naturel, qu’elles conduiront forcément l’économie à surinvestir dans des secteurs qui, s’agissant de la dernière crise mondiale , se référaient au marché de l’immobilier américain.

            Sauf qu’un surinvestissement de cette sorte n’a rien eu à faire, selon moi, au fait que l’Etat américain pouvait fournir des garanties aux particuliers qui s’étaient endettés au moment de faire construire leur maison, et, qui, grâce à ces garanties, empruntèrent plus que de raison, afin de financer leur maison, précisément, permettant ainsi au marché immobilier américain de connaître une embellie tout à fait exceptionnelle.

            Je crois, pour dire les choses autrement, que les Hayekiens se trompent, en tant que libéraux à tout crin, lorsqu’ils associent le risque (pris, ici, par les investisseurs) à des garanties prodiguées par les pouvoirs publics.

            Ce constat est juste seulement si l’on regarde la taille même des risques pris en considération, mais non le risque en soi.

            En effet, l’économie capitaliste étant, pour moi, par essence, fondée sur des risques (attendu que, par exemple, aucune entreprise ne sait, par avance, si les produits nouveaux qu’elle mettra sur le marché, auront du succès ou non), ces entreprises-là feront effectivement du surprofit, relativement aux entreprises concurrentes, si leurs innovations se sont révélées être un succès, et elles feront des pertes dans le cas contraire.

            Mais là question n’est pas là. Si, en effet, pour en revenir aux subprimes américains, moi, banquier européen, je vous offre, à vous épargnant européen, 14% d’intérêt sur des placements réalisés, à partir de votre compte bancaire, sur les subprimes américains, en vous cachant les risques liés à de telles opérations, vous allez accepter sans hésiter si vous-même faites confiance à votre banquier, et ce sans même savoir que., derrière de pareilles lunes, se cache l’enfer lorsque le marché de l’immobilier américain se sera effondré.

            Et si moi-même, je crois, comme épargnant investisseur, en de pareilles chimères, la bulle va être alimentée par des gogos tels que moi, si on les multiplie par mille, jusqu’à ce que le krach boursier nous ramène, nous les doux rêveurs, à la triste réalité.

            Que, dans ces conditions, la bulle spéculative ait été alimentée, dans le cas des subprimes, par les bas taux d’intérêt sur la monnaie émise par la FED, grâce à une politique très expansionniste de sa part, cela ne fait pas un pli. Toujours est-il que ce n’est pas elle, banque centrale, qui a dit aux épargnants investisseurs (américains d’abord, étrangers ensuite) de placer leur avoir sur les subprimes américains plutôt que sur des titres d’Etat ne rapportant que 3% d’intérêt à leur propriétaire.

            C’est donc – en conclusion à ce billet – ici comme à l’occasion de toutes les bulles spéculatives qui se firent jour dans l’Histoire, l’appât du gain qui poussa les épargnants investisseurs à (une fois regardés tous ensemble) surinvestir dans le secteur concerné.

          • J’apprécie discuter avec des gens qui connaissent l’économie. En particulier, je suis toujours intéressé de discuter avec ceux qui savent plus ou moins bien réciter la théorie de Hayek, surtout s’ils sont hostiles à Hayek. Mais même parmi ces gens là, je retrouve toujours certaines approximations (plus ou moins sérieuses). Et votre commentaire n’y fait pas exception.

            En fait, je suis même déçu. Vous n’avez même pas essayé de répondre à ma 2ème remarque, et vous êtes parti sur une réflexion tout à fait inutile, si l’on avait compris le problème que je posais alors. J’avais pourtant posé une question d’une facilité extrême :

            En l’absence d’expansion monétaire par le système de monnaie à cours légal (avec ou sans banque centrale), comment pouvez vous espérer que les banques gonflent le crédit sans provoquer une hausse des taux d’intérêts ?

            La seule condition qui aurait permis aux banques d’augmenter l’offre de crédits, c’est en encourageant plus d’épargne, ce qui veut dire augmenter les taux d’intérêts, ce qui met aussi fin à l’expansion de crédit.

            Avec le système de monnaie non-libre aujourd’hui, c’est différent. Les banques peuvent avoir plus de fonds, non pas avec des taux d’intérêts plus élevés, mais avec des taux plus faibles.

            Je ne vous ai pas demandé si les banques veulent multiplier les crédits. Je vous ai demandé si elles peuvent le faire. Et bien c’est non.

            Le risque, l’aléa moral, l’asymétrie d’information, les cascades informationnelles, (i.e., tout ce dont vous me parlez) c’est complètement « irrelevant ». Ces facteurs ne sont pas les conditions qui font que les bulles peuvent se former.

            Et même si, comme vous sous-entendez, la croyance auto-entretenue des investisseurs (i.e., cascades informationnelles) quant à la hausse de la valeur des actifs des secteurs en expansion peut favoriser une bulle, cette croyance ne peut être maintenue sans une croissance monétaire entretenue et un taux de crédit toujours bas. Encore une fois, le facteur causal, c’est la monnaie. Pas les esprits animaux keynésiens.

            Concernant le « surprofit » dont vous parlez, c’est quelque chose dont Hayek a pourtant expliqué dans ses bouquins. Quand il y a expansion monétaire, il s’agit plus exactement de vagues successives de monnaie fraîche. Quelque chose comme ceci :

            t1 = la monnaie fraîche cause une hausse des profits/revenus de ceux qui sont proches de la source de crédits (comme les emprunteurs), i.e., effet Cantillon

            t2 = la hausse de monnaie cause une hausse (relative) des prix, et par conséquent, des coûts de production, mais ceux-ci sont aussitôt compensés par la nouvelle vague de crédits survenant à t2, ce qui fait qu’on revient à la situation t1.

            t3 = idem que t2, et ainsi de suite. Ce faisant, les coûts ne rattraperont jamais les profits/revenus à moins que l’on mette un terme à l’expansion de crédit. C’est à ce moment là que les mal-investissements sont révélés et la crise pointe le bout de son nez.

            En d’autres termes, l’expansion monétaire provoque l’illusion entrepreneuriale qu’il y a plus de profits à se faire, que les coûts étaient plus bas que ce qu’ils sont en réalité.

            Et quand vous dites que ce n’est pas la Fed qui a déterminé le choix des investisseurs dans le Subprime, vous faites une grave erreur, la même que (presque) tous ceux qui critiquent l’ABCT. La théorie autrichienne, pourtant, n’a jamais prétendu que l’expansion monétaire décide de l’endroit où la bulle va se former. Ce sont plutôt les régulations et/ou innovations qui décident où la bulle va se former. En revanche, l’ABCT nous dit que l’expansion monétaire est la condition de formation de toutes les bulles.

            Quand vous dites enfin que les banques libres ne sont pas capables d’empêcher les crises, vous n’êtes pas bien renseigné. L’histoire montre au contraire que les banques gérées par le privé se portent bien, et bcp mieux que lorsqu’elles sont régulées. Cela suffit à rejeter votre idée selon laquelle les banques sous-évaluent toujours le risque de façon « concertée ».

      • Voilà un morceau qui est du Hayek tout craché. (Voir la suite ci-dessous)

      • Voir le billet ci-dessous, qui commence par : Voilà un morceau qui est du Hayek tout craché…

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