Les deux Congo : Le danger des freins à l’intégration

Les deux Congo, divisés par l’histoire, devraient comprendre que la libre circulation des richesses est importante pour la prospérité des deux peuples.

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Les deux Congo : Le danger des freins à l’intégration

Publié le 3 juin 2014
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Par Oumarou Sali Bouba, analyste pour LibreAfrique.

fleuvecongoEn dépit de l’existence d’un cadre règlementaire prônant la libre circulation des personnes et des biens entre les deux Congo, force est de constater que les relations entre la République démocratique du Congo et le Congo Kinshasa restent caractérisées par la peur de l’autre. Les entraves à la circulation de la richesse de part et d’autre du fleuve Congo subsistent. Elles ont même tendance ces dernières années à s’accentuer comme le dévoile la récente décision d’exiger des passeports et des visas aux populations voulant traverser le fleuve Congo. Ces mesures justifiées par les escalades observées dans la lutte contre la criminalité galopante de part et d’autre du fleuve Congo, mettent davantage en péril le rapprochement entre les deux voisins naturels.

La récente décision d’exiger désormais des visas et des passeports pour une traversée de dix minutes du fleuve Congo survient à la suite de l’escalade du processus de lutte contre la montée de la criminalité initié par le Congo Brazzaville. Dite Mbata Ya Bakolo « la gifle des ainés », cette opération qui vise la réduction de la criminalité galopante a été, si ce n’est principalement, du moins prioritairement orientée vers les étrangers en situation irrégulière. De fait, pour Brazzaville la connexion entre montée de la criminalité et immigration irrégulière est évidente. Or, il se trouve que la majorité d’étrangers jugée en situation irrégulière au Congo-Brazzaville est issue de la RDC. D’après les autorités de Brazzaville, ce sont les  ressortissants de la RDC qui seraient à l’origine de la montée de la criminalité à Brazzaville, avec notamment l’exportation des bandes criminelles dites « Kulunas ».

S’il est avéré que certains « Kulunas » ont eu à traverser le fleuve Congo pour trouver un refuge au Congo Brazzaville à la suite de l’opération « Likoli » initiée par Kinshasa pour aussi lutter contre la criminalité. On ne saurait pour autant établir une corrélation mécanique entre la montée de la criminalité à Brazzaville et l’immigration irrégulière. Ce serait ici considérer les ressortissants de Brazzaville comme des saints, ou alors les 130.000 citoyens de la RDC expulsés du Congo voisin depuis le 4 avril dernier, comme des criminels en puissance. Quand on sait que les prisons brazzavilloises sont peuplées de brazzavillois et que les peuples des deux Congo partagent pour la plupart les mêmes cultures et ont des relations sociales de diverses natures, ni l’une ni l’autre proposition ne saurait prospérer. Ainsi, dans l’absolu la thèse officielle avancée pour procéder à l’expulsion des ressortissants de la RDC  du Congo Kinshasa, est discutable. Surtout lorsqu’on sait qu’une partie des Brazzavillois considèrent qu’ils sont envahis par les Congolais de la RDC et que les expulsions auraient été faites de façon cavalière par Brazzaville en violation de la convention de Luanda exigeant aux États partis (RDC, RC, Angola) non seulement d’informer l’autre partie en cas d’éventuels expulsions, mais aussi de prendre les dispositions nécessaires pour le respect des droits humains pendant l’opération. Sans oublier les dérapages relatifs à ce genre d’opération (lynchages, violences, extorsions, pillages…), dénoncés même par la Monusco qui a mené une enquête sur les exactions perpétrées par les autorités du Congo Brazzaville.

En revanche, ce qui semble certain aujourd’hui, c’est que le durcissement des conditions des interactions transfrontalières entre les peuples des deux Congo ont de lourdes conséquences de natures diverses. Premièrement, cette décision est de nature à réduire davantage les relations économiques déjà en deçà de leurs potentiels réels entre les deux Congo1. Quand on sait que bien avant cette mesure les coûts de transport des personnes et des marchandises oscillaient entre 20 et 40 dollars, soit près de 80% du revenu mensuel moyen d’un résident de Kinshasa, on ne peut qu’envisager une explosion de ces coûts. Ceux-ci pourraient au passage favoriser l’augmentation de la montée des transactions transfrontalières informelles qui a leur tour pourraient servir de terreau de prospérité à des bandes criminelles ou encore à la corruption. À ces conséquences prévisibles, il faudrait ajouter le fait que présentement c’est l’économie brazzavilloise qui se trouve impactée. Les kinois, assurant la plupart des services de base de la vie quotidienne (vendeurs à la sauvette, cordonniers, transporteurs) sont quasi absents car refoulés. Sur un tout autre plan, notamment social, la situation actuelle ne peut que favoriser la montée de la haine de part et d’autre du fleuve. On constate déjà dans ce sens que les populations de Kinshasa ont eu à s’en prendre ces derniers jours aux ressortissants congolais, y compris à des étudiants comme le rapporte Quantin Loubou2 consulté le 28 mai 2014.]. Il y a manifestement une sorte de repli qui a une réalité tant au niveau politique par les décisions de durcir les conditions administratives de traversée du fleuve Congo que chez les individus qui s’approprient ce qui s’apparente à une crise de l’intégration.

Au vu de la situation, il y a urgence pour les deux Congo d’empêcher la montée de ces différents périls à l’intégration. La question de la criminalité transfrontalière qui semble être, en apparence, le socle de cette situation pourrait être résolue par une coopération étroite entre les différents services de sécurités des deux États et par un respect des accords liant les uns aux autres. Mieux, il faudrait que les deux Congo divisés par l’histoire, comprennent que la libre circulation des richesses (biens et personnes) est importante pour la prospérité des deux peuples.


Sur le web.

  1. Pour  Brulhart et Hoppe, aujourd’hui le commerce formel entre la RDC et la RC s’avère être moins développé qu’il ne l’était dans les années 1980. Marius Brulhart et Mombert Hoppe, 2012, « Intégration Régionale dans la RégionInférieure du Congo : ouverture du goulot d’étranglement Kinshasa-Brazzaville », dans Johannes Herderschee, Daniel Mukoko Samba et Moїse Tshimenga Tshibangu (editeurs), Résilience d’un Géant Africain : Accélérer la Croissance et Promouvoir en République Démocratique du Congo, Volume III, Sujets Transversaux, MEDIASPAUL, Kinshasa, pages 213-264.
  2. Quantin Loubou, « Retombées de l’opération « Mbata ya bakolo » : plus de 500 étudiants congolais en RDC regagnent Brazzaville » [en ligne
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  • Il ny a jamais eu libre circulation des personnes et des biens entre les deux Congo. Jamais. cependant il a existe des accords de jumelage entre les villes « frontieres » Les deux pays ont plus 2300 km de frontière.

    A titre d’exemple, Brazzaville capitale du Congo a un accord de Jumellage avec Kinshasa capitale de la RDC. Un brazzavillois pouvait se rendre à KIn sans visa mais seulement pour un court sejour. Si un Brazzavillois voulait se rendre à Kinsagani il lui fallait un visa.

    Cet accord a été violé des deux cotés. Ce qui se passe aujourd’hui n’est qu’un recadrage.

    Pour le reste vous avez raison.

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