Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas du pouvoir (2)

Mise en évidence de ce que les libéraux ne voient pas du pouvoir et conséquences importantes que peut avoir le mépris de cette face invisible du pouvoir.

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Ce qu’on voit et ce qu’on ne voit pas du pouvoir (2)

Publié le 30 mai 2014
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Par Aurélien Biteau.

pouvoir au peupleDans la première partie, nous avons abordé ce qui se voyait du pouvoir, à savoir la force, et comment la philosophie libérale s’est articulée pratiquement toute entière, de ses précurseurs à ses plus récents auteurs, autour d’une analyse du pouvoir comme étant une manifestation de la force, force qu’il faudrait limiter pour obtenir la liberté. Cette conception du pouvoir est cependant extrêmement limitée en se focalisant essentiellement sur le visible du pouvoir, comme l’enfant flaire le pouvoir de son père lorsqu’il reçoit de lui une claque résonnante. C’est pourquoi il faut maintenant considérer l’invisible du pouvoir, ce qui ne s’en voit pas.

Ce qu’on ne voit pas du pouvoir

Pour prouver qu’il existe un invisible dans le pouvoir, une partie du pouvoir qui n’est pas considérée dans la philosophie libérale parce qu’elle ne se voit pas, il faut regarder ce phénomène de la croissance des armées au cours du temps, si bien mis en évidence par Bertrand de Jouvenel dans Du Pouvoir, qui est, il faut le reconnaître, un des très rares libéraux à avoir pris le pouvoir au sérieux, comme un réel objet d’étude, et non pas simplement comme un objet secondaire dans la définition et l’acquisition de la liberté, comme le négatif de celle-ci. On me dira que tout le monde a fait ce constat de la croissance des armées, tel que Molinari dont j’avais parlé dans la première partie. Seulement Bertrand de Jouvenel n’en fait pas une preuve de l’existence d’une loi de l’Histoire. Ce qui l’intrigue dans la croissance des armées, absolument visible entre les armées médiévales et les armées modernes, et dans la formidable dépense de vies humaines lors de la barbare Seconde Guerre mondiale, ce n’est pas l’augmentation de la force – ce qui est visible du pouvoir – mais la réalisation-même de cette augmentation de la force et sa manifestation par la conscription.

La croissance des armées est certes une croissance de la force. Mais ce n’est pas la force qui fait croître la force. Si la force est un pouvoir, elle ne peut pas être le seul pouvoir, et il faut bien qu’il existe un pouvoir qui a permis la conscription et la croissance des armées : que le pouvoir produise plutôt qu’il ne détruise. C’est ce pouvoir invisible qu’il faut étudier, et non pas la force elle-même et ses mouvements dans la perspective étroite d’un mécanicisme. Ce qui doit attirer notre regard, ce n’est pas la force, c’est ce qui produit la force.

Or admettre qu’il existe un pouvoir qui ne soit pas la force, mais qui produit la force, c’est s’enlever du pied une douloureuse épine de préjugés en acceptant de reconnaître que le pouvoir peut prendre des formes diverses qu’il faut découvrir, plutôt que de les construire a priori à la façon du libéralisme classique et du libertarianisme. Il se peut donc qu’il existe encore d’autres pouvoirs qui ne soient même pas producteurs de force, mais qui n’en restent pas moins du pouvoir.

Depuis que l’on clame l’avènement de la liberté et la mort des obscurantismes et des exploitations par la découverte de l’individualisme libéral, on en finit pas de voir croître le pouvoir par l’intermédiaire de la croissance d’un de ses appareils : l’État. Depuis que l’on clame avoir mis fin à l’absolutisme de l’Ancien Régime, on en finit pas de voir croître la puissance de l’État, ses armées, ses interventions, ses lois, ses impôts, sans commune mesure avec ces fameuses périodes « d’obscurantisme ». Mais plutôt que d’en tirer de bonnes leçons, on avance toujours les mêmes argumentaires et les mêmes concepts enrichis de l’expérience de leurs échecs ! On n’ose pas douter que c’est peut-être ce que nous appelons « liberté » qui favorise sans limite la croissance du pouvoir !

Grâce soit rendue à Bertrand de Jouvenel d’avoir osé douter. Malheureusement, Bertrand de Jouvenel, pour expliquer la croissance infernale du Minotaure (le pouvoir, qui est autre chose que le Léviathan), s’est focalisé davantage sur les idées philosophiques capables de concevoir des formes idéelles et consciente de pouvoir plutôt que sur le pouvoir lui-même. Que la Révolution par exemple, par son idéalisme, ait favorisé l’essor du nationalisme en ôtant la tête du roi au profit d’un culte du drapeau et des valeurs de liberté qu’il est censé incarner est sans aucune doute vrai ; que ce nationalisme ait reposé sur la défense de la Nation par tous ses membres, par tous son corps, engageant tous les citoyens « associés » par le contrat social sur le champ de bataille et éliminant peu à peu la distinction entre le soldat et le civil, plutôt que sur une défense par de simples armées professionnelles et ait donc donné naissance à l’Armée (avec la majuscule), c’est encore très vrai. Que la démocratie moderne, dans sa conception-même, ait fait de la législation un espace infini, c’est vrai aussi. Mais ce n’est pas par les idées que se manifeste le pouvoir. Les idées arrachent au mieux l’approbation aux phénomènes du pouvoir, mais elles ne les produisent pas.

Ce qu’il faut observer, c’est bien le pouvoir lui-même. Ou pour le dire à la manière d’un des plus grands philosophes du pouvoir, à savoir Michel Foucault : il faut se faire archéologue du pouvoir non pas en scrutant la surface des idées politiques, mais au contraire en dévoilant ses dispositifs réels, ses ordres, ses modes de manifestation qui sont enfouis par le discours de ces idées. Enfouis, mais pas sans effets. Ceci nécessite de se concentrer avant tout sur les formes du pouvoir, et non sur ses mouvements. Ces derniers, il faut les reconnaître, et on peut bien tenter de les expliquer ensuite, mais c’est une tâche extrêmement ardue eu égard à la complexité de l’ordre social qui ne tolère aucun réductionnisme.

Je ne pourrais, dans un simple article, entrer dans le détail et une longue explication de ces dispositifs et formes de pouvoir. Je vais donc me contenter de quelques exemples, de quelques points importants qui doivent donner un aperçu de l’invisible du pouvoir.

La positivité du pouvoir

Premier point important : en se contentant du visible du pouvoir, la force, on ne voit le pouvoir que comme soustraction. Le pouvoir ôte, soustrait : il soustrait la vie en nous envoyant à la guerre ou en nous condamnant, il soustrait les biens par les impôts et les taxes, il soustrait les possibilités de choix par la législation, il soustrait la parole par la censure. Le pouvoir enlève, retire, spolie, supprime, éradique.

Mais ce qu’on ne voit pas du pouvoir, c’est sa positivité, c’est sa production. Le pouvoir n’est pas que soustraction, il est aussi production, multiplication, et il n’obtient pas ces effets de la seule force. Le pouvoir produit des comportements, des champs nouveaux d’intervention, des institutions structurantes, dont l’effet essentiel est la normalisation. Multiplier les auto-disciplines, multiplier les comportements droits, multiplier les structures positives de la normalisation et ses discours sont tout autant des effets importants et non négligeables du pouvoir que les soustractions relevées plus haut. Pour prendre un exemple hors du champ politique, et il ne s’agit-là que d’une analogie très imparfaite : le pouvoir du père sur son fils ne réside pas uniquement dans la claque ou la menace de la claque.

Le pouvoir est un jeu habile de soustraction et de production et ne repose pas seulement sur l’une ou sur l’autre. Le pouvoir est, pour tout dire, un jeu de dispositifs, de technologies variées qui sont fondés dans des stratégies de développement du pouvoir. En se contentant de voir la force du pouvoir, son mouvement, sa dynamique, on passe complètement à côté de l’étude de ces dispositifs, ces technologies, ces modes du pouvoir qui sont bien plus étendus, plus structurés, plus développés que la seule force.

De fait, le pouvoir est aujourd’hui extrêmement étendu dans les sociétés occidentales, alors que l’usage de la force s’y est drastiquement réduit. Le pouvoir a perdu depuis longtemps le goût de la violence et il est évident que la société est plus pacifiée qu’elle ne l’a jamais été, même quand la colère gronde. Il serait naïf et simpliste de croire que c’est la simple mais suffisante menace de la terrible force des États qui explique que le pouvoir n’a plus guère besoin d’en faire usage : les occidentaux ne vivent pas dans la terreur.

Les dispositifs et les technologies du pouvoir

C’est davantage le pôle positif, productif, du pouvoir qui a pris son essor depuis l’avènement de la modernité qui explique le déclin de l’usage de la force dans la pratique régulière du pouvoir. Or pour bien comprendre le pouvoir, il faut s’intéresser à ses dispositifs et ses technologies, que j’ai déjà eu l’occasion d’aborder dans un précédent article que je vous invite à consulter.

La technologie disciplinaire par exemple, apparue progressivement au cours des Temps modernes, telle que l’a montré Michel Foucault dans Surveiller et punir, n’est pas un déchaînement de la force. Au contraire, elle permet la limitation de l’usage de la force, et ce n’est pas un hasard si Bentham, libéral, fut si heureux de concevoir le Panoptique, modèle architectural équilibré de la prison par ses jeux de surveillance. La technologie disciplinaire est un dispositif concentré dans certaines institutions qui sont ses produits modernes – et non pas des stades « logiques » du pouvoir, pour parler comme un rationaliste qui se trouverait bien incapable de les restituer : la prison, l’hôpital, l’asile, l’école, la caserne, même l’usine, où les individus sont intégrés dans un ordre du pouvoir structuré par des mécaniques que sont la norme, la surveillance, le contrôle, l’examen, l’individualisation par le dossier, et l’exercice.

Concentrée dans les institutions, la technologie disciplinaire est diffuse à l’échelle de la société entière, marquée de ce sceau de la modernité : les institutions forment un corridor serré où se déploie l’individu, prisonnier aveugle de processus constants de normalisation à toutes les étapes de sa vie, condamné certain lorsqu’il abandonne le droit chemin de ce corridor en tombant dans l’une ou l’autre des cellules instituées. Et ce dispositif moderne du pouvoir, qui ne saurait être confondu avec aucune loi naturelle, il n’est pas réduit à l’État ! Il appartient à la « texture »-même de la société moderne !

Reconstruisez la logique du pouvoir en partant d’un infécond état de nature, vous n’arriverez jamais à reproduire la réalité qui se manifeste sous nos yeux, et ce n’est pas pour rien que c’est hors de tout exercice intellectuel rationaliste que Foucault a pu mettre en évidence les formes et dispositifs du pouvoir.

Autre exemple de technologie du pouvoir : la technologie juridico-légale. Le droit n’est pas un élément neutre de l’organisation sociale. Il est une technologie du pouvoir, il est constitué et formé dans les rapports de pouvoir. Le droit a permis la construction et la consolidation progressive des États au Moyen-Âge, et quand ils eurent fini de prendre forme à l’ouverture de l’ère moderne (XVIe siècle), le droit fut opposé à l’État dans ses progrès, en vue de la protection de toutes les libertés particulières hérissées sur tout le territoire. Et le droit réel fut ainsi supplanté, dans les faveurs de la raison d’État, par la dévorante science politique qui, depuis Machiavel jusqu’aux libéraux classiques, et par la grâce des conceptions dévastatrices des « droits naturels » modernes, a permis à l’État d’atteindre des formes de pouvoir jusqu’alors inexistantes dans toute l’Histoire, sous l’égide de la gouvernementalité substituée à l’antique souveraineté, tel que nous le verrons par la suite.

Les champs de manifestation du pouvoir

Mais il ne faut pas s’arrêter aux dispositifs et technologies du pouvoir, car il faut encore s’intéresser au terreau dans lequel il prospère.

Qu’est-ce qui façonne les rapports de pouvoir au sein d’une société ? C’est ce que l’on croit savoir, et pour être plus exact, ce sont les discours du savoir. Qui dit savoir dit production des connaissances, et qui dit production de connaissances (qu’elles soient vraies ou fausses) dit dispositifs. Le savoir implique un certain ordonnancement des institutions, à la fois par la place qu’elles occupent au sein d’une société, et par la rationalité qui les structure en interne. Pour exemple, lorsqu’il est clair que la vie terrestre n’est que l’épreuve qui doit nous permettre de mériter la Cité de Dieu après la mort, le dispositif de la confession dans une Église au centre de la vie sociale apparaît comme le mode nécessaire de la connaissance du péché.

Il devrait être bien vu que les sciences humaines ont été le discours nécessaire et producteur des technologies de pouvoir de la modernité. L’hôpital ou l’asile, c’est l’outil de l’expérience de la médecine ou de la psychologie. Leur structure-même est productrice de savoir, grâce à ses cellules, ses cas isolés, ses enfermements, sa capacité à surveiller, à contrôler, à examiner, à faire répéter des exercices.

Mais si seulement le savoir ne produisait du pouvoir que dans les institutions – elles-mêmes diffusant ce pouvoir à l’ordre social tout entier, comme on l’a vu !

Observons les préoccupations politiques actuelles de notre modernité : les vieux objets de la philosophie politique (la souveraineté, le meilleur régime, le souverain bien, l’ordre, etc.) y ont complètement disparu au profit de préoccupations d’un genre totalement nouveau : l’économique, le social, l’environnemental. J’ai là encore déjà abordé ces éléments dans un autre article auquel je vous renvoie.

Chacun de ces trois champs, que l’on retrouve rationnellement équilibrés dans le schéma du développement durable, est le produit spécifique d’une science humaine : l’économie politique, la sociologie, l’écologie. Or ces sciences ont permis au pouvoir politique de prendre une forme inédite par l’intermédiaire de dispositifs nouveaux se traduisant dans des outils de pouvoir : la statistique, le recensement, la politique économique, la politique sociale, etc. Ces champs de l’économique, du social, et de l’environnemental sont le terreau absolument fertile du pouvoir. C’est grâce à eux que l’État a pu croître infiniment, partout où l’on se faisait la joie de nos constitutions de sang ou de vaincus, mais toujours de papier, par triomphe du rationalisme : l’État, grâce à ces champs, grâce à ces créations pour partie libérales, a pu se passer des questions politiques traditionnelles de la légitimité. Le libéralisme avait gagné en abattant la souveraineté classique, en abattant la force du souverain : ce qu’il nous a laissé, ce qu’il a laissé prospérer, les orientations philosophiques et scientifiques qu’il a permis ne sont pas pour autant de grands biens.

Tout ceci ne signifie pas qu’il n’y a pas de connaissance vraie possible des lois économiques ou de l’état social, mais que le fait d’avoir historiquement porté d’un coup son attention à ces phénomènes disséqués de la vie humaine ouvrait grand la porte à la manifestation d’un pouvoir sur les strates diverses de cette vie humaine décomposée par les sciences sociales. L’Homme n’est plus le sujet libre étudié par les philosophes, il est l’objet déterminé des sciences humaines sur lequel celles-ci élaborent leurs dispositifs d’acquisition du savoir.

La rationalité du pouvoir

L’économique, le social et l’environnemental, produits par les sciences humaines, inventions des XVIII, XIX et XXe siècles, ont ainsi ouvert l’ère de la biopolitique (ainsi l’a nommée Michel Foucault) : la politique de la vie, objet de la gouvernementalité. Gouverner la population, et non plus régner sur un territoire comme du temps déchu de la souveraineté. Faire vivre et laisser mourir, et non plus laisser vivre et faire mourir (voir Foucault, Histoire de la sexualité – La Volonté de savoir). Connaître la population pour assurer sa croissance, travailler son hygiène, sa santé, son bien-être, sa vigueur, son hérédité – et donc sa sexualité, veiller non plus seulement sur la sécurité de la population comme dans ce XVIIe siècle qui inventait la police jetant les prémices de cette biopolitique, mais veiller sur tout ce qui constitue sa vie, en gouvernant des objets nouveaux : les familles, les enfants, les malades, les fous, les travailleurs, les patrons, etc. Finie la famille qui se gouverne sous l’autorité du père : de la gouvernementalité procède la famille moderne sous les dispositifs de tutelle de l’aide sociale, du droit familial, des éducateurs et des juges pour enfants.

Encore une fois, tenter de construire une logique du pouvoir politique, c’est passer totalement à côté de la rationalité réelle du pouvoir politique, coquille vide que divers états de cette rationalité viennent remplir et dont l’évolution peut très bien ne se fonder sur aucune logique déterminée.

Les rapports du pouvoir entre ses figures

De par sa rationalité-même, le pouvoir est producteur de figures, de grands personnages. Le souverain régnait sur un territoire au sein d’un ordre social duquel il était le haut – sens du mot « souverain ». Le gouvernement, lui, intervient sur une population, une race, un peuple. Le pouvoir n’est plus intégré dans un ordre global, mais au contraire, deux entités s’opposent et se rapprochent dans les liens diffus produits par les institutions.

Et c’est ainsi que les libéraux, focalisés sur le visible du pouvoir, ont posé dans leurs discours la dichotomie État – Société civile, qui a tant de succès aujourd’hui : deux entités modernes, distinctes et juxtaposées, l’une dévorant la place de l’autre, ou vice versa. Et pourtant ! Deux faces d’une même pièce, voilà ce que sont l’État et la Société civile ! Le jeu d’opposition de ces deux entités, le ressort qui fait avancer l’une sur l’autre avant qu’elle n’en recule, l’appel constant aux libéralisations ou au réveil de la Société civile quand l’État est « obèse », ou inversement le désir d’une intervention de l’État, d’une politique « volontariste » quand la Société civile a pris la place, le continuum politique Libéralisme–Troisième voie–Socialisme couplé à tous les désirs d’anarchie, voilà qui n’est rien d’autre que le jeu habile du pouvoir dans la rationalité moderne de la gouvernementalité.

Et nous répéterons donc constamment les mêmes échecs tant que ces formes du pouvoir nous resterons invisibles, tant que nous verrons des oppositions là où ne se trouvent que des complémentarités ou au moins des proximités, tant que nous répéterons ces formes de pouvoir par nos discours en se contentant d’en constituer un mécanisme utile, sans prendre recul. On se réjouira des libéralisations massives, alors qu’elles sauvent le pouvoir dans ses formes et le laisse prospérer ailleurs que dans le libéralisme, on ne se positionnera que sur une étroite opposition État/liberté libérale, sans voir comment le pouvoir s’est diffusé depuis qu’on pense l’État et cette liberté. Et nous en resterons à ces mêmes arguments qui ont basculé l’Occident dans la modernité, sans le rendre plus libre, et en laissant au contraire le pouvoir, par appel d’air, s’insérer dans toutes les dimensions de la vie humaine.

Que la philosophie libérale ne s’enferme pas si vite dans la vierge de fer de la modernité qu’elle a pour partie contribué à façonner, en toute insouciance, à l’avantage du Minotaure !

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  • Votre critique de la pensée libérale qui ignorerait l’un des aspects du pouvoir, la production de normes sociales, est intéressante mais surprenante. En contre-exemple, ne peut-on citer Hayek explorant la tradition ? Ou Bastiat lorsqu’il parle d’harmonies économiques, opposant organisation sociale naturelle et organisation sociale artificielle ? La dénonciation des constructivismes n’est-elle pas précisément la prise en compte dans la pensée libérale de cette face invisible du pouvoir ?

    • Aujourd’hui on emploie à tort et à travers la notion de « norme sociale ». La norme c’est quelque chose d’extrêmement récent, qui nous vient du XIXè siècle, ça n’a rien à voir avec la tradition ou l’harmonie du cosmos. La norme n’existe que par des dispositifs, des technologies du pouvoir dans la mesure où ceux-ci sont capables, dans le cadre de la rationalité du pouvoir, de produire des comportements droits et d’isoler les comportements « anormaux ». Et par comportement droit, il ne faut pas comprendre droit en raison, ou droit par rapport à l’ordre du cosmos, il faut comprendre droit par rapport à l’effet recherché du dispositif : l’hôpital distingue le sain et le malade, l’asile le raisonnable et le fou, l’école l’élève bien instruit et le mauvais élève, la caserne le soldat exercé et le soldat maladroit, etc. L’intérêt des dispositifs moderne, l’intérêt de leur norme, c’est de marquer le bon et le mauvais dans leur rapport au pouvoir, de produire le bon et d’isoler le mauvais, produire le normal et isoler l’anormal, produire les objets à gouverner (la famille moderne, les enfants, les malades, etc.).

      Ce qui manque aux philosophies libérales, c’est une compréhension de la rationalité du pouvoir. En se concentrant sur la force, on a produit des rationalités nouvelles du pouvoir qui étaient largement favorables à son expansion (le couple Etat-société civile, le rapport Etat-individu, les dispositifs des sciences humaines, la dissolution de l’ordre politique et de la Cité tendue vers le souverain bien, au profit d’une population d’individus éclatée mais unie dans ses besoins, etc.). Et ce malgré les intentions initiales des philosophes libéraux.

  • pas de débats possible avec cet auteur

  • Cet article a le mérite d’attirer l’attention sur le caractère pluridimensionnel et en particulier psychosocial du pouvoir, (j’emploie le mot « psychosocial » plutôt que les termes de normes et valeurs, qui relèvent du conscient voire de la théorie, alors qu’il s’agit justement ici de phéhomènes inconscients).
    Mais de ce que la force n’est pas tout le pouvoir, il ne s’ensuit pas que la dénonciation de la force renforce le pouvoir, et moins encore que les phénomènes psychosociaux -et juridiques- qui accompagnent le pouvoir ne dérivent pas de la force malgré tout.
    Cela s’éclaire d’ailleurs assez bien en reprenant la référence à Freud faite par l’auteur : le pouvoir du père ne réside certes pas dans la claque ; il est instauré et conforté par l’ensemble des comportements familiaux, dont le respect des autres enfants s’il y en a, l’attitude de la mère, les apports positifs du père (protection, premier apprentissages), etc. Tous phénomènes parfaitement cohérents avec la force, et qui en sont dérivés. Non la force purement physique immédiate (la claque) mais le statut quasi-divin qu’a initialement le géniteur, dont l’enfant sait dès le départ qu’il lui doit non pas l’existence (c’est plus tardif) mais la survie au jour le jour.
    C’est un peu la même chose pour l’état : tout homme (sauf fantasme type Mowgli) se trouve plongé dès sa naissance au coeur d’un état constitué autant que dans une famillle, et il ne peut évidemment en faire abstraction. Comme toute détermination externe, cette situation se trouve intégrée à la personnalité même au cours de son développpement.
    Sans doute certains libéraux ont-ils parfois tendance à oublier que les principales caractéristiques d’un environnement s’intègrent à la personne et la modèlent en partie, mais ce n’est pas vrai de la philosophie libérale en général : Etienne de la Boêtie a très tôt dit que ce n’était pas la force qui maintenait les despotes au pouvoir, mais l’acceptation de cet état de fait par le peuple ; Il avait en outre la sagesse d’ajouter qu’une partie des « sujets » profitaient d’au moins quelques miettes du pouvoir, et qu’ainsi la sujétion leur devenait chère.
    Il n’en reste pas moins que l’intégration à la personnalité même de l’existence et de la forme du pouvoir repose sur la force, la « présence », le caractère incontournable du pouvoir tel qu’il se présente au début de la vie de chacun.
    Tous ceux qui ont travaillé par ailleurs sur l’enfance en difficulté savent aussi que l’étonnante (à première vue) capacité des enfants maltraités à rester attachés à leurs parents repose sur un réflexe qui semble inné, en tout cas ancré très tôt : une sorte de culpabilité primitive. Tout enfant qui n’est pas aimé pense d’abord que c’est de sa faute, et qu’il n’est pas aimé parce qu’il n’est pas « aimable » ; il faut beaucoup de malheur (et d’aide) pour qu’il sorte de ce piège. Peut-être en est-il ainsi des hommes en société. Il est peu important alors que la force s’exprime de façon brutale ou qu’elle reste virtuelle voire policée : au fur et à mesure de l’assimilation de sa légitimité, la force peut se faire de plus en plus discrète. Mais chacun sait qu’elle peut à tout moment montrer les dents, et que si elle ne tue plus guère, elle peut toujours briser les vies. C’est bien pour cela, et rien que pour cela, soyons honnêtes, que nous payons nos impôts, non ?
    Bref, pour conclure en paraphrasant L.F. Céline qui écrivait  » Toute l’histoire de France n’est qu’une longue marche vers Haïti », (très prémonitoire, hélas) je dirais que toute l’histoire politique de l’humanité n’est sans doute qu’un long syndrome de Stokholm.
    La place des libéraux dans cette catastrophe interminable (dont Schumpeter a décrit l’une des formes possibles) est de veiller à l’existence de quelques niches de liberté, et de militer non pas pour transformer les états mais simplement pour obtenir, comme écrivait Herbert Spencer. « le droit d’ignorer l’état ».

  • Cet article est illisible.
    Trop long, trop indirect et négatif par rapport à la notion de pouvoir, et parfaitement inutilisable.
    Son procédé stylistique de base est la double négation, répétée ad nauseam (« il n’est pas interdit de penser », il n’est pas faux de dire », …).

    Son message de base, que le pouvoir conduit aussi à la création de normes sociales et donc d’un consensus et d’une harmonie, est suffisamment caché que pour en rendre la contestation difficile.

    Il est pourtant fortement contestable.
    Presque par définition les manquements à des règles qui ne seraient que sociales sont une exclusion de fait de la vie sociale et économique, qui est une forme de violence extrême. L’ostracisme était chez les Athéniens antiques l’une des peines les plus sévères qui pouvaient frapper un citoyen.
    Mais la police de la pensée Républicaine a ses nervis (les « antifas », « Djeunes » dirigés en sous-main, et équivalents), qui ne cèdent en rien aux chemises brune du IIIème Reich. Nous ne parlons même plus de la seule exclusion.

    La comparaison avec le père et son pouvoir de punir est certainement pertinente, et constitue à soi-même un contre-exemple à la thèse principale : le pouvoir le plus important du père ne dérive pas de sa capacité à punir, mais bien de son rôle d’exemple auquel on veut pouvoir s’identifier, ou de conseil, de l’expérience duquel on veut pouvoir profiter. La norme sociale est ici familiale, et le sentiment d’appartenance n’existe que par la reconnaissance de sa légitimité.

    Force est de constater que l’état moderne, obèse et intrusif, ne dispose plus d’aucune légitimité. Ni l’état ni ses représentants politiques et administratifs ne représentent plus aucun modèle, aucun repère. L’expression « de Jean Jaurès à Harlem Désir », produite dans ces pages, résume cette situation en quelques mots.

    Il ne lui reste plus que la violence.
    Et la corruption à crédit. Mais pour combien de temps ? Le niveau d’endettement public rend la pérennité de ce mode d’action très hypothétique.

    Reste donc la violence, et la violence seule.
    Fisc, URSSAF, inspection du travail, urbanisme et mille autres corps chargé de l’application de milliers de lois excessives et contradictoires, police, RG, gendarmerie (toutes trois affectées au flicage de la population et au racket routier plutôt qu’à la sécurité des biens et des personnes), sans oublier la très orwellienne et maintenant omniprésente police de la pensée. Et la violence sociale délibérément non contrôlée, afin de facilité un sentiment général d’insécurité et de dépendance.

    Qui voudrait naître dans ce monde-là ?

    • Le message de base n’est absolument pas que « le pouvoir conduit aussi à la création de normes sociales et donc d’un consensus et d’une harmonie ». Mais alors pas du tout.

      Le message de base, c’est que le pouvoir est visiblement de la force, mais que si on se restreint à la force (et sa circonférence : la ruse, la propagande, etc.) pour comprendre le pouvoir, on risque de faire très exactement ce qu’a fait la philosophie libérale : une théorie rationaliste de la force et de son rapport à la liberté. D’où des constructions purement abstraites telles que l’état de nature ou la loi mécanique de l’Histoire. Or le pouvoir n’est pas de la force pure, il est organisation de la force, ordre, forme : bref, il est rationalité, et cette rationalité n’a rien d’abstraite : elle est réelle et historique, et donc multiple.

      La rationalité du pouvoir au XIVe siècle n’a strictement rien à voir avec la rationalité du pouvoir du XXe siècle. Or celle-ci s’est en partie fondée sur les ouvertures permises par le rationalisme libérale (le contractualisme, la formation des sciences humaines, la destitution du souverain bien, etc.).

      Voilà, c’est ça, le message « de base ».

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