Faire mentir les chiffres

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François Rebsamen (Crédits Philippe Grangeaud-Solfé Communications, licence Creative Commons)

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Faire mentir les chiffres

Publié le 28 mai 2014
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Comme le disait Mark Twain, il y a trois sortes de mensonges : les mensonges, les sacrés mensonges et les statistiques. L’actualité n’a jamais aussi bien illustré ceci que récemment, tant elle balaye onctueusement ces trois sortes de bobards plus ou moins puissants.

Pour le mensonge de base, il suffit simplement d’aller piocher dans la longue litanie des déclarations gouvernementales françaises. Les politiciens, de façon générale, sont des experts en bobards et de ce point de vue, les Français ne sont donc pas en reste. Et comme actuellement, la conjoncture est particulièrement rocailleuse pour les élus et le gouvernement, il était logique que le taux naturel de calembredaines au paragraphe augmente de façon notable.

Et si l’on regarde tout particulièrement le domaine de l’emploi en France, il était inévitable qu’on assiste à de longues et pénibles séances d’orchestre philharmonique de pipeautage. Les années précédentes n’étaient vraiment pas brillantes, mais l’année 2013 puis l’année 2014 se sont montrées particulièrement mauvaises. À cette tendance déjà fort désagréable s’est ajoutée une communication de l’Exécutif parfaitement calamiteuse : non seulement, les chiffres fournis ne sont pas joyeux, mais en plus sont-ils scrutés attentivement, d’autant que tout l’appareil d’État a promis que la situation allait changer… Ce qu’elle ne fit que dans le sens inverse de celui attendu.

bullshit meterBref : il a fallu pour l’équipe en place redoubler d’inventivité pour se tortiller hors du piège rhétorique et politique dans lequel ils se sont jetés avec la décontraction de ceux qui savent qu’ils n’en auront pas à subir vraiment les conséquences. Et récemment, c’est François Rebsamen qui s’y est collé. Rebsamen, c’est ce sénateur qui n’a jamais rien su faire d’autre qu’afficher une tendre affection pour François Hollande, ce qui lui a valu son poste actuel au Ministère du Travail dans lequel il excelle, justement, à baratiner gentiment le journaliste.

Cette capacité est même surprenante : il y a quelques jours, il explique ainsi se placer un objectif en terme d’emplois pourtant extrêmement modeste (3 millions de chômeurs maximum d’ici 2017), et qui ressemble fort à un aveu d’échec si l’on se rappelle qu’un tel nombre de chômeurs est déjà un point haut en France… Objectif sur lequel il revient sans avoir l’air d’y toucher quelques jours plus tard en expliquant qu’à défaut du seuil passé en 2017, on l’attendra sans doute quelques temps plus tard.

En attendant, il débine les statistiques fournies par l’UNEDIC et minimise tant qu’il peut la déconfiture générale de l’emploi en France. Sauf que l’UNEDIC est plutôt fiable en matière de chiffres, et que les comparaisons de Rebsamen entre les taux de chômage calculés par cette institution d’un côté et l’INSEE de l’autre ne tiennent pas compte de leurs modes de calculs différents et qui, si l’on s’en rappelle, amènent malheureusement aux mêmes conclusions, désagréables, que si la France est sur une pente descendante, ce n’est pas celle du chômage mais plutôt de son activité économique…

rebsamen et ses bobards sur le chômage

Mais comme je le disais, tout ceci s’apparente aux petits mensonges habituels d’une classe politique qui a été habituée à ça.

À ces mensonges détendus (et malheureusement sans conséquences pour ceux qui les profèrent), l’actualité ajoute dernièrement les sacrés mensonges, encore plus gros, qu’on impose aux institutions de statistiques au travers d’une redéfinition pour le moins audacieuse du Produit Intérieur Brut (PIB).

Comme vous le savez sans doute, l’établissement de cette mesure est importante pour les États puisque cela leur permet de savoir si le pays est en croissance ou non, ce qui leur permet ensuite de tirer un certain nombre de plans sur la comète à commencer par celui qui consiste à dépenser aussi vite que possible l’argent qu’ils iront ponctionner ensuite. Comme les rentrées fiscales (notamment la TVA) sont très sensibles à la conjoncture économique et qu’il y a une forte corrélation entre la croissance du PIB et celle de la TVA, on comprend que ce chiffre revêt un intérêt bien particulier pour ces entités qui n’existent, finalement, que par l’impôt (et pour l’impôt lorsqu’ils ont atteint leur maturité).

bullshit meterDernière invention en date : modifier le périmètre de ce qui rentre dans ce calcul de PIB pour y faire figurer les transactions issues des activités illicites comme le travail au noir, la vente de drogue, la prostitution et les activités mafieuses. Et si, pour le moment, la France ne s’est pas encore alignée avec certains pays, l’Italie, en revanche, montre la voie : suite à un nouvel alinéa introduit par Eurostat, les calculs de PIB doivent tenir compte des activités économiques illégales tant que les parties prenantes sont consentantes dans la transaction incorporée au calcul. L’Italie ne fait donc pas preuve d’initiative imaginative parfaitement rocambolesque, mais se contente d’appliquer les textes, trop contente qu’elle est de voir ainsi sa croissance rehaussée de plusieurs points par le commerce dynamique de Cosa Nostra, Calabre ou d’autres.

Et rassurez-vous, si l’Italie semble en avance sur la prise en compte de ce genre d’activités dans ses petits calculs, la France suivra. Certes, l’INSEE se défend de vouloir présenter sur son site un PIB qui tiendrait compte des activités illégales, mais les normes de calculs européennes lui étant aussi imposées, un calcul de PIB incorporant ces activités sera bien fourni à Eurostat, permettant ainsi de comparer les pays entre eux sur la base d’un même calcul. Voilà qui promet de fournir des cartouches intéressantes à nos frétillants ministres de l’Économie et des Finances, qui ont justement bien besoin de ce genre de coups de pouce.

À ces mensonges habituels de politiciens et ces gros bobards des institutions étatiques, il va maintenant falloir ajouter les pirouettes statistiques de Thomas Piketty, cet économiste qui fut officiellement celui du PS. Ces deux mots accolés, « économiste » et « du Parti Socialiste », ont quelque chose de comique, voire obscène vu les gamelles permanentes qu’ils nous ont offert sur les cent dernières années… Comique qui se fait de répétition lorsqu’il s’agit du brave Thomas puisqu’on découvre que les données de son récent pensum, « le Capital au XXIème Siècle », seraient parsemées de manipulations bizarres (pas forcément frauduleuses mais en tout cas nécessitant quelques explications) et d’erreurs théoriques discutables.

Bien évidemment, tout ce que la fine fleur des journaux de gauche peut compter dans ses rangs s’est rapidement emparé de l’affaire pour essayer de comprendre comment leur poulain délicatement marxisant aurait pu déraper, et tente à présent de modérer autant que faire se peut les critiques sur « l’économiste du PS » français. En réalité, il n’y a pas vraiment lieu d’être surpris lorsqu’on se rappelle que ce n’est pas la première fois que Piketty se livre à une interprétation très hardie de ses données.

piketty et ses erreurs

Il continue donc simplement son œuvre idéologique, aidé par une presse complaisante et un public majoritairement acquis à la thèse d’un capitalisme racine de maux infinis et d’aliénation perpétuelle des masses laborieuses, quand bien même les milliards d’humains récemment sortis de la misère la plus noire du communisme attestent pourtant du contraire.

Car ne l’oubliez pas, des petites calembredaines habituelles des politiciens aux gros bobards méthodologiques de Piketty en passant par les petits arrangements statistiques des États, les mensonges ne marchent jamais d’autant mieux que ceux qui les reçoivent n’en attendent pas plus. Et comme j’ai commencé par une citation de Mark Twain, je terminerai, pour faire bonne mesure, par celle d’un statisticien, Aaron Levenstein, qui avait noté avec autant d’humour que de lucidité que les statistiques, c’est comme les mini-jupes : ce qu’elles révèlent est suggestif, mais ce qu’elles dissimulent est essentiel.
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Sur le web

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  • Splendide , merci H13 ..
    j’attend avec impatience votre billet sur les mensonges du jour : la baisse de moitié des rentrées fiscales 2013 et des questions de plus en plus précises sur des mensonges institutionnalisés à la grecque .. on va rire ..

  • Les petits et gros mesnonges de toutes sortes sur l’économie, les « visions » du capitalisme de Piketty, ou les élucubrations écologistes sur les emplois verts peuvent probablement satisfaire les 17% de satisfaits de Hollande, les 10% d’écolos, ou les quelques trotskistes atteints d’Alzeimer …

    Mais parler des signes encourrageants qu’on ne manquera pas de constater en 2017, ou 2020 ou aux calendes grecques à une population au chomage ou qui craint la perte prochaine de son emploi, ou qui voit chaque jour se dégrader ses conditions de vie et de sécurité ? Ils les payent combien leurs conseillers en communication pour ça ?

    S’ils veulent vendre de l’espoir à crédit, ce n’est pas avec des mots mais avec de l’action qu’ils doivent financer cet espoir. Et pour agir, il faut qu’ils lachent du lest sur l’idéologie. On peut très bien prendre des mesures qui favorisent les entreprises, l’économie et l’emploi dont le coût financier est différé. Mais pour ça, il faut convaincre les entrepreneurs et renoncer aux utopies. L’important pour l’espoir n’est pas le taux de chomage présent ou futur mais celui des créations ACTUELLES de VRAIS emplois.

  • Piketty est le chaînon manquant entre Mao et Hollande. A ma grande surprise, ses thèses sont reprises par des amis ingénieurs chez Thales, Airbus, Astrium … C’est vrai qu’un ingénieur Français dans ces domaines est très mal payé par rapport à la difficulté du travail. Mais c’est pas une raison pour croire n’importe qui et n’importe quoi.

    • « un ingénieur Français dans ces domaines est très mal payé par rapport à la difficulté du travail. »

      Le problème n’est-il pas plutot qu’un ingénieur français est trop considéré comme un simple « exécutant ». Pas de responsabilité, pas d’autonomie, pas de salaire élevé. Cela en fait un bon socialiste et exploite médiocrement ses capacités et sa formation.

      • Mon frére pourrait en parler, il bosse chez Atos, a doublé ses objectifs la première année (je suis un crétin à côté de lui), mais on lui a vite expliqué qu’il fallait qu’il rentre dans le rang, et qu’il ne fallait pas compter sur la moindre augmentation. Donc, il bosse réellement trois heures par jour, se fait chier, et donc va se barrer…

    • Je confirme , dans ces domaines les ingénieurs sont mal payés et mal considérés.
      Et je préfère par décence ne pas parler des ingénieurs des sous-traitants (des sociétés de conseil en ingénierie genre Altran, Alten, Akka… et bien d’autres).

  • Mais, c’est évident: c’est de la faute du libéralisme sauvage.

    Bah, oui, les socialistes ont volé et utilisé le mot libéralisme pour pouvoir obtenir le pouvoir (Cf Hayek). Le socialisme est ainsi devenu un truc hybride entre le communisme et le libéralisme. C’est super pratique, car cela permet, suivant les situations, de charger à tour de rôle, soit les copains marxistes, soit les copains capitalistes.

  • On a eu « Rabbi Jacob, elle va parler » , on a « Rebsamen, elle va mentir ».

    En meme temps, pourquoi il se gênerait, les journalistes ne vont pas relever ses mensonges jusqu’à ce qu’il démissionne. Ils se concentrent sur la montée du FN, c’est plus important.

  • le rapport de la dette au PIB est biaisé si on inclut dans le PIB les activités illégales car l’excédent de PIB ainsi créé ne peut rien rapporter à l’Etat, les prêteurs l’auront vite compris ….

    piketty ben qu’oui piketty ben qu’non

  • étrangement on en parle pas…la bienpensance des médias, à la plume guidée par les socialos….

    imagine qu’une telle affaire touche l’UMP ou le FN….scandales !

  • en 1936, à Alfred sauvy qui hésitait à rejoindre son équipe d’experts économiques du front populaire, parcequ’il avait peur de ne pas être sur la même d’onde économique, Léon Blum avait répondu :

    « Mais enfin ! Si les socialistes comprenaient quelque chose à l’économie, ils ne seraient pas socialistes !!!

  • C’est pas Mark Twain, c’est Disraéli

  • Merci H16, j’ai bien ri.

  • Les politiciens font mentir les indicateurs sur lesquels ils sont jugés: Chômage, PIB, croissance …

    On en revient à la confusion entre le réel et les outils qu’on se donne pour le connaître.
    Ainsi de la création monnaie: Il n’y a pas d’épargne ?
    Qu’à cela ne tienne, créons de la monnaie et il y en aura.

    Mais l’épargne n’est pas l’argent qu’on conserve: C’est la différence entre les services qu’on rend et ceux qu’on reçoit. L’argent épargné n’est pas l’épargne elle-même, il en est la mesure.
    Voilà pourquoi les politiques monétaires laxistes ne font que mentir et causer le malinvestissement.

    Machiavélisme ou imbécillité de la part des politiciens ?
    Sont-ils dupes de leur propre rouerie ?
    En ont-ils quelque chose à faire ?
    Dans tous les cas ils sont inexcusables, deux siècles après le « Maudit argent » de Frédéric Bastiat.
    Selon moi le désastre est patent et même les plus économiquement incompétents parmi eux ne peuvent plus ignorer que leurs politiques n’ont fait que le creuser.
    Donc ils font de la politique: Manoeuvrer et attendre une occasion pour esquiver ses responsabilités.
    Le premier défaut souverain sonnera l’hallali…

  • Un des mensonges les plus fondamentaux, soit dit en passant, c’est celui selon lequel « le chômage est la priorité des priorités ». On ne peut pas « résoudre le problème du chômage » pour la simple raison que le chômage n’est pas un problème. C’est une conséquence, un résultat, un indicateur final. On ne peut pas modifier une addition en s’attaquant à sa somme.

  • Le travail au noir, (le travail libre non racketté en fait) est effectivement fortement créateur de richesses, du moment que les parties sont consentantes. Je connais des gens qui ne travaillent qu’au black et eux comme leurs clients en sont ravis. Je trouve même que cette réhabilitation du noir par Eurostat ne manque pas de piquant. Maintenant que le calcul du PIB et son usage fiscalo-moral soit bidouillé par les hommes de l’état ça c’est malheureusement du grand classique.

    • …et les activités dérivatives et ludiques comme les drogues et la prostitution (hors esclavagisme bien sûr) sont aussi créatrices de richesses, l’argent coule dans les cités grâce au shit et fait vivre aussi tout plein d’agriculteurs, sans compter que nos comiques ne seraient pas aussi drôles sans coke.

      • « l’argent coule dans les cités grâce au shit »

        C’est un raisonnement borgne, si je peux me permettre. Car cet argent va prioritairement, dans les cités, aux plus malhonnêtes et aux plus dangereux.

        « fait vivre aussi tout plein d’agriculteurs »

        Si vous voulez parler des warlords afghans (90% du pavot dans le monde), il n’est pas certain qu’il faille s’en féliciter. Leurs réseaux de distribution sont exclusivement constitués d’islamistes et de mafieux.

        Le raisonnement selon lequel « si ça fabrique de la richesse, c’est bon quoi qu’il arrive » est très contestable. Il est généralement vrai, mais la marge d’erreur et considérable.

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