Quand Henri Guaino essaie de se soustraire à la justice

La proposition de résolution d’Henri Guaino pour suspendre les poursuites qui le visent n’a que peu de chances d’aboutir.

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Henri Guaino en février 2014 (Crédits : ANFAD, licence Creative Commons)

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Quand Henri Guaino essaie de se soustraire à la justice

Publié le 25 mai 2014
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Par Roseline Letteron.

Henri Guaino en février 2014 (Crédits : ANFAD, licence Creative Commons)Le 16 mai 2014, a été enregistrée à la présidence de l’Assemblée nationale une proposition de résolution n° 1954  « tendant à la suspension des poursuites engagées par le Parquet de Paris contre M. Henri Guaino, député, pour outrage à magistrat et discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des condition de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ». L’auteur de cette proposition est Henri Guaino lui-même, député des Yvelines. La démarche n’a pas manqué de faire sourire, et certains y ont vu une volonté clairement revendiquée de l’intéressé de se soustraire à la justice.

En l’espèce, on sait qu’Henri Guaino est poursuivi pour outrage à magistrat. Le 22 mars 2013, il avait accusé le juge Gentil d’avoir « déshonoré la justice » en mettant en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt. Par la suite, ce même juge Gentil avait prononcé un non-lieu à l’égard de l’ancien Président de la République, mais Henri Guaino avait néanmoins refusé de retirer ses propos. L’instruction pour outrage à magistrat s’est donc achevée par un renvoi de l’intéressé en correctionnelle, et la 17è Chambre doit tenir une première audience le 27 mai, pour fixer la date du procès. Clairement, il s’agit pour Henri Guaino d’obtenir le report de cette audience, afin de retarder autant que possible le procès lui-même.

L’article 26 al. 3

La démarche d’Henri Guaino, aussi étrange qu’elle paraisse, s’appuie sur l’article 26  al. 3 de la Constitution, dont la rédaction actuelle trouve son origine dans la révision constitutionnelle de 1995. Il énonce que « la détention, les mesures privatives ou restrictives de liberté ou la poursuite d’un membre du parlement sont suspendues pour la durée de la session si l’assemblée dont il fait partie le requiert ». C’est précisément ce que demande Henri Guaino.

L’article 80 du règlement de l’Assemblée nationale organise la procédure de demande de suspension, qui se déroule devant une commission de quinze membres titulaires et de quinze suppléants, tous renouvelés chaque année. Elle doit entendre le député demandeur, ou celui qu’il a chargé de le représenter, et elle présente un rapport. Dès sa distribution, la discussion de la demande est inscrite d’office à l’ordre du jour de la prochaine séance de questions d’actualité, à l’issue de ces dernières, et l’Assemblée se prononce par un vote. Si ce dernier est positif, la procédure judiciaire est suspendue jusqu’à la fin de la session.

Une inviolabilité provisoire

Observons que l’article 26 al. 3 ne met pas en place une immunité mais une inviolabilité provisoire. Il ne s’agit en aucun cas d’un privilège personnel, contrairement à ce que semble croire Henri Guaino, mais d’une protection du travail de l’assemblée parlementaire elle-même. La procédure repose sur l’idée que le député ne doit pas être abusivement empêché d’exercer ses fonctions par des manoeuvres judiciaires qui porteraient finalement atteinte au fonctionnement du parlement.

Dès lors qu’il s’agit de protéger la sérénité du travail parlementaire, les poursuites ne sont pas abandonnées mais seulement suspendues, jusqu’à la fin de la session. Si la révision constitutionnelle de 1995 n’était pas intervenue, Henri Guaino aurait pu obtenir la suspension des poursuites jusqu’à la fin de son mandat en 2017. Hélas pour lui, s’il l’obtient aujourd’hui, l’inviolabilité prendra fin le 30 juin 2014, jour de la fin de la session parlementaire. On peut penser que les poursuites reprendraient avec une belle vigueur le 1er juillet.

Mais Henri Guaino a-t-il quelques chances d’obtenir cette interruption des poursuites ? Les délais ne sont déjà pas en sa faveur, puisque le vote doit intervenir une semaine après la remise du rapport par la commission, ou quatre après le dépôt de la demande, c’est à dire avant le 16 juin. Sachant que la session parlementaire s’achève le 30, sa démarche a de grandes chances de ne réussir qu’à le rendre quelque peu ridicule. Reste tout de même à s’interroger sur les conditions de fond de mise en oeuvre de cette procédure.


Claude Goasguen. Interview du 20 mai 2014

Des mesures coercitives

La demande de suspension des poursuites peut intervenir en cas de poursuites pénales, criminelles ou correctionnelles. Henri Guaino doit effectivement être jugé par le tribunal correctionnel de Paris pour outrage à magistrat (art. 433-5 c. pén.) et discrédit jeté sur un acte ou une décision juridictionnelle, dans des condition de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance (art. 434-25 c.pén.), deux délits également passibles de 7 500 € d’amende et de six mois d’emprisonnement.

Depuis la révision de 1995, les poursuites sont cependant possibles à l’égard des parlementaires, à la condition toutefois que les faits qui les ont provoquées ne se soient pas produits durant l’exercice des fonctions parlementaires. Or Henri Guaino est poursuivi pour des propos tenus lors d’un entretien sur Europe 1 et non pas lors d’un discours à la tribune du Palais Bourbon. Il pouvait donc être convoqué dans le cadre d’une instruction, entendu comme témoin et mis en examen.

Les précédentes applications de l’article 26 al. 3 montrent clairement que le Parlement limite ses demandes de suspension aux cas de mesures coercitives prises à l’encontre d’un de ses membres.

La seule demande postérieure à 1995 est celle formulée par Michel Charasse devant le Sénat, en décembre 1997, selon une procédure à peu près identique. Il était alors poursuivi pour des faits délictueux commis à l’époque où il était ministre du budget, et il a refusé de se rendre aux différentes convocations du juge d’instruction. La suspension prononcée par le Sénat ne porte que sur le paiement de l’amende pour refus de se rendre à ces convocations, paiement repoussé donc à la fin de la session. Devant l’Assemblée en revanche, les plus récentes demandes de suspension remontent en 1980, à une époque où des parlementaires étaient poursuivis pour s’être exprimés sur des radios libres, alors illégales. À l’époque, l’article 26 ne mentionnait pas formellement « les mesures privatives ou restrictives de liberté », mais se bornait à citer « la détention ou la poursuite » comme éléments justificatifs de la demande de suspension.

Dans ces conditions, le cas d’Henri Guaino semble bien délicat. La procédure dont il fait l’objet n’a rien de coercitif, du moins pour le moment. Le tribunal correctionnel doit seulement tenir une audience pour fixer la date du procès. L’intéressé n’est même tenu d’être présent, et peut se borner à se faire représenter par son avocat. On ne voit donc pas pourquoi les poursuites seraient suspendues, d’autant que l’on peut penser que les juges fixeront une date de procès en dehors de la session parlementaire. Henri Guaino devra donc finalement se présenter devant les juges.

Et la séparation des pouvoirs ?

On ne peut que s’en réjouir, au nom du principe de la séparation des pouvoirs. Car s’il est naturel que les parlementaires bénéficient de cette inviolabilité, il paraît plus choquant qu’un seul d’entre eux puisse rendre provisoirement inefficace le pouvoir judiciaire.

L’évolution du droit constitutionnel et du droit parlementaire va d’ailleurs dans le sens d’une remise en cause de l’inviolabilité des parlementaires au profit d’une inviolabilité du parlement, ce qui est très différent car le député n’en bénéficie que par ricochet. En l’espèce, l’Assemblée va donc devoir se demander si elle peut se passer d’Henri Guaino sans porter atteinte à l’indépendance et à la sérénité de ses travaux. On serait tenté d’affirmer que l’absence de l’intéressé serait plutôt un élément favorable aussi bien pour l’une que pour l’autre.


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  • il avait accusé le juge Gentil d’avoir « déshonoré la justice » en mettant en examen Nicolas Sarkozy pour abus de faiblesse dans l’affaire Bettencourt.

    et c’est pas le cas?

    La procédure dont il fait l’objet n’a rien de coercitif, du moins pour le moment.

    Il ne s’agit donc pas de l’empêcher de critiquer le travail des juges d’instruction, « vache sacrée » de la République par excellence?

    Pourquoi certaines personnes seraient à l’abri des critiques?

    Pourquoi une institution aurait le droit de sanctionner ceux qui critiquent cette institution? Où est la séparation des pouvoirs?

  • Mise en examen, puis non lieu. Pour une affaire vieille de plus de 6ans. Gentil aurait eu donc une certitude la première fois et des doutes (sur la foi de nouveaux éléments vieux de plus de 6ans!) la seconde ?

    Comme l’a si bien dit je ne sais plus quelle juge syndicaliste à propos d’un certain mur : « on n’est pas de bois ! » C’est la Justice elle même qui instille le doute sur son impartialité…

  • La justice donne l’impression d’acheter sa virginité en s’en prenant, de temps á autre, á quelque prince déchu et ministre intègre pour masquer son incompétence souvent es fois révélée.

  • Chère Roseline, permettez-moi de vous rappeler, très humblement, que vous publiez vos articles dans les colonnes d’un site libéral. Ici, aucun d’entre nous n’acceptera jamais que quiconque décide, ni des limites de la liberté d’expression, ni ne s’accommode du délit d’opinion. DDHC article 10 : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leur manifestation ne trouble pas l’ordre public établi par la Loi.» Répondez à cette question : M. Guaino a-t-il troublé l’ordre public ?
    Libre à vous de critiquer la manœuvre de ce dernier pour se défendre. Mais il s’agit là de deux choses différentes que vous mélangez habilement. La réaction ne vient jamais avant l’action, ne confondez pas les effets et les causes.
    Les magistrats, ne sont en rien les représentants du pouvoir judiciaire, Ils en sont les instruments et à ce titre dépositaires d’une autorité. M. Guaino instrumentalise la justice, qu’un magistrat à largement plus instrumentalisé. Ce qui est assez « outragent » c’est qu’un professeur de droit feigne de ne pas comprendre le sens de son action !

    • Je crains qu’un dèputé hors de du Parlement, ne peut insulter un fonctionnaire sur son comportement envers son institution. Ce n’est pas dans ses compètances. Est ce que le magistrat irait à critiquer un dèputé à la radio? Le dèputé s’est permis à titre personnel et non celui de ses collègues une remarque qui à poue effet de destabiliser un magistrat, sinon l’ensenble des magistrats en charge d’anciens élus. Je crois que l’article 10 ne protège dans ce cas, car cela supposerait que le juge a commis une faute personnelle qui est pènalement condamnable. Et ce n’est pas le cas. Donc le dèputé doit ètre juger pour outrage. Si il avait gènèraliser à la magistrature ses propos , l’affaire serait moins compliquée, car le Chef d’Etat serait intervenu pour calmer le dèputé et la magistrature en leur rappelant que la Constituion c’est avant tout l’èquilibre et le respect des institutions. Mais M.Guaino a tout simplementvoulu se dèfouler et il devrait ne pas ètre soutenu par le parlement pour èviter dans l’avenir un tel comportement de mèpris. M.Guaino est le genre de personnage qui ne mèrite pas le mandat de reprèsentant du peuple, et ce serait bon qu’au nom du peuple il en soit remercier.
      Je suis un citoyen qui n’a pas peur des magistrats , et la Justice le sait parfaitement. Je les respecte dans la mesure qu’ils me respectent. A chacun ses compètances, et surtout ne pas essayer d’en sortir…

      • Je crois que l’article 10 ne protège dans ce cas, car cela supposerait que le juge a commis une faute personnelle qui est pènalement condamnable. Et ce n’est pas le cas.

        Sans blague?

        Le juge a nommé une amie comme experte, il n’y a rien à redire?
        L’amie a fait une expertise miraculeuse, il n’y a rien à redire?

        Le juge met en examen alors qu’il n’y a :
        – aucun indice montrant que Sarko a financé sa campagne politique de façon occulte
        – aucun indice montrant que Sarko est reparti avec de l’argent de la vieille dame
        – aucun indice montrant que la dame avait perdu la tête à ce moment là
        – aucun indice montrant qu’il était évident pour tout invité que la dame avait perdu la tête à ce moment là
        – aucun indice montrant que le mari ne se serait pas opposé à ces transferts de fond
        – aucun indice montrant qu’il puisse y avoir une « victime » dans cette affaire, à part Sarko

        Par contre il y a des témoins qui se souviennent avoir vu Sarko avec plusieurs tenues différentes il y a plusieurs années. Vous vous souvenez comment était habillé vos invités à un repas il y a plusieurs années, vous?

        L’accusation ne repose sur strictement rien, tout ceci est grotesque, et donc on ne peut pas sérieusement donner tort à Guaino.

        Et même s’il avait tort, je ne vois pas pourquoi on ne pourrait pas critiquer les juges d’instruction. Au contraire, vu le pouvoir exorbitant qu’ils détiennent et dont ils abusent parfois, ils ne devraient pas être protégés de la libre expression des citoyens sur lesquels ils peuvent s’acharner.

        On pourrait aussi parler de l’acharnement contre Bernard Tapie qui a pour but de nuire à Sarko.

        La Justice a trop de moyens pour perdre son temps sur des non-affaires?

        • Bien vu !!!
          L’amie en qusestion était témoin de son mariage ! Pfiou l’objectivité en prend un coup !
          Et Dieu sait que je n’aime pas Sarko.
          Guaino à raison, il est outré et comme élu il le fait savoir.
          Il ne faudrait pas confondre élu et fonctionnaire …
          D’ailleurs les magistrats ne sont-ils pas élu aux USA ??? (Je ne dis pas que c’est la panacée, mais c’est intéressant).

      • Cher Martin, faites-nous la grâce d’apprendre quelques rudiments, de droit, de philosophie libérale et de dialectique épistolaire, puis après et seulement après nous profiterons de la lumière de vos pensées !

        • Il faut dire que la France est tellement bien vue concernant la pression politique sur sa magistrature, que La Commission ne cesse de marteler la France pour la combattre. Donc je me permets de penser dans ce sens , d’autant plus que la France est classée 46 dans le classement mondial pour sa justice. Certes ce n’est pas dans les propos de notre Prèsident de parler de ce pillier de notre Constitution en rappelant les faits. « La Justice doit travailler en toute indèpendance, mais ce n’est pas le cas pour la France ».

          Le Droit français j’y ai gouté pour y avoir été malmené par un juge indèlicat. C’est la Commission qui apportera la preuve de l’indèlicatesse au tribunal, ce dernier s’est fait l’honneur de la retire, Elle aura, pourtant fini dans les mains du procureur par l’intermediare d’un tribunal ètranger à la demande du procureur pour faire excuter la decision selon l’autorité de la Justice sur l’Executif, ce qui a permis à une justice ètrangère d’apprècier la methode française pour juger les citoyens. Moi j’aurai suivi à la lettre la demande du Quai d’Orsay de ne pas aller en France. Le procureur apprendra que j’ai en plus aidé la Justice bien plus que n’importe quel magistrat de France .
          Et pourtant je suis indisposé d’entendre un èlu se permettre, meme s’ il peut y avoir de l’acharnement, de critiquer un juge sur une radio publique. Et ce qu’a subi Sarkosy c’est une paille avaec mon affaire qu’il a eu l’avantage d’en ètre informée avant le Prèsident de la Commission, qui lui a eu la dèlicatesse de me voir…

      • Martin, votre conclusion est étrange : elle infirme quasiment le sens de votre commentaire.

      • Est ce que le magistrat irait à critiquer un dèputé à la radio?

        Est-ce qu’un magistrat peut signer une tribune dans le Monde où l’approche du gouvernement de la lutte contre la fraude est critiquée?

  • bon évidemment c’est pas brillant de s’auto-sauver grâce a ses pouvoirs d’élu,

    mais bon sang… se faire attaquer en justice parce qu’on a dit que quelqu’un « déshonore la justice » ça fait froid dans le dos ! La liberté d’expression a bien du mal en France.

  • L’impunité des parlementaire provisoirement élus bien moins scandaleuse que celle des magistrats définitivement fonctionnaires.

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