Décret Alstom : la ligne Maginot n’est pas une stratégie économique

Avec le « décret Alstom », la France ferme encore plus ses frontières aux investisseurs étrangers. Une bonne nouvelle ?

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Mise en batterie d'un canon antichar de 37 mm (ouvrage de Schœnenbourg, ligne Maginot) (Crédits : Martial BACQUET, licence Creative Commons)

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Décret Alstom : la ligne Maginot n’est pas une stratégie économique

Publié le 19 mai 2014
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Par Michel Albouy.

Mise en batterie d'un canon antichar de 37 mm (ouvrage de Schœnenbourg, ligne Maginot) (Crédits : Martial BACQUET, licence Creative Commons)Avec le décret élargissant les secteurs économiques dans lesquels l’État peut s’opposer à la prise de contrôle de ses entreprises, la France se dote d’une arme devant permettre de protéger « ses intérêts stratégiques » en matière industrielle. Ce décret complète le dispositif mis en place en 2005 suite à la directive européenne en matière d’OPA. Doit-on s’en féliciter ?

En fait, le décret voulu par monsieur Montebourg verrouille complètement l’accès des investisseurs étrangers au capital des entreprises françaises et à leur prise de contrôle. Il s’agit, selon les propres termes du ministre, d’un « choix de patriotisme économique et d’un réarmement fondamental de la puissance publique ».

Avec ce décret l’État a effectivement les moyens de « fixer les conditions d’une prise de contrôle d’une entreprise dans le domaine de l’eau, de la santé, de l’énergie, des transports et des télécommunications » ; un périmètre qui élargit considérablement celui du texte précédent qui visait essentiellement les industries de défense et de sécurité, ainsi que les casinos (!).

Pour de nombreux responsables politiques, de gauche comme de droite, c’est une victoire sur l’ennemi étranger qui cherche à s’emparer de nos plus beaux fleurons et à les dépecer. Effectivement, les voix qui osent interpeler le ministre sur la question sont bien inaudibles et la cause d’Union Nationale semble entendue.

Malheureusement, l’Union Nationale ne fait pas toujours les meilleurs choix dans le passé. Ainsi en 1930, lorsque la France a construit la ligne Maginot pour se protéger de l’impérialisme allemand et garantir l’intégrité du territoire national. Avec cette ligne de défense – fort bien construite et très onéreuse –, la France devait être imprenable.

On sait ce qu’il advint : la mobilité des forces allemandes et leur supériorité militaire offensive eurent raison de notre ligne Maginot. Le parallèle avec la situation de notre industrie en ce début de XXIe siècle est frappant. Alors qu’il faudrait rendre nos entreprises compétitives face à la concurrence tout ce que l’État trouve à faire c’est d’ériger une ligne Maginot pour les protéger de leurs prédateurs.

De tout temps, la meilleure défense a été l’attaque. Cela est vrai en matière militaire comme en matière économique. Aujourd’hui, la guerre économique nécessite d’armer nos entreprises non pas avec une ligne Maginot, mais avec des panzers divisions. Ce qu’il faut c’est les rendre plus compétitives, plus réactives, plus mobiles et plus rentables. Ce n’est pas en les protégeant du grand méchant marché qu’on les musclera pour affronter la compétition internationale. Croire qu’un décret signant « la fin du laisser-faire » va permettre de les protéger est une grave erreur dans le monde actuel. Mais cela est cohérent avec le discours sur la démondialisation.

La réalité c’est que nos entreprises sont globalement insuffisamment rentables par rapport à leurs concurrentes et que leurs situations financières ne sont pas assez solides. Cela n’est pas dû à l’absence de génie de nos ingénieurs et commerciaux, bien au contraire, mais aux charges aussi bien sociale, que fiscale ou juridique qui pèsent sur elles.

Oui, dans la compétition internationale nos entreprises partent avec un sérieux handicap et cela est bien de la responsabilité de l’État. Malgré ces handicaps, elles arrivent malgré tout à s’en sortir, mais pour combien de temps ? Dès lors qu’elles s’échappent du contexte franco-français elles arrivent à réussir remarquablement, preuve que nos capitaines d’industrie sont capables d’affronter la concurrence. Par contre, lorsque leur production est essentiellement sur le territoire national elles s’enfoncent (Arcelor, Peugeot, Alstom) et se font racheter.

Une autre faiblesse de nos grandes entreprises se trouve dans la composition de leur actionnariat. Aujourd’hui, plus de 50 % du capital des entreprises du CAC 40 sont dans les mains d’investisseurs étrangers. Dans ces conditions, qu’est-ce qu’une entreprise française ? C’est quoi le patriotisme économique pour une entreprise dont plus de 50 % du capital n’est pas français ?

De fait, il manque à nos entreprises un capital à risque de long terme apporté par les épargnants français. Le fait que l’épargne des Français ne soit pas orientée vers les entreprises et le capital à risque est bien évidemment une responsabilité de l’État. L’actionnariat salarié est une réponse, mais elle est insuffisante. Ce qu’il faut, c’est une réorientation massive de l’épargne vers les entreprises et les actions, ce qui implique une réforme fiscale. À cet effet, la dernière réforme qui a voulu aligner la fiscalité des revenus du travail avec ceux du capital a été catastrophique.

L’argumentation en faveur de l’intervention de l’État en matière de contrôle d’entreprise consiste à dire que tous les autres pays font de même à commencer par les États-Unis. La chanson est bien connue et discutable, mais cela dépasse le cadre de cet article. En fait, l’arsenal que s’est donné le ministre du Redressement productif a en fait peu d’équivalents. En réalité – et on le verra avec Alstom –, l’État français s’arroge le droit avec ce décret de passer outre la décision du conseil d’administration et de ses actionnaires, et de bloquer une opération de cession d’activités qui est somme toute assez classique en matière industrielle.

Il s’agit également d’une limitation du droit des actionnaires, ce qui encore une fois ne va pas dans le sens du renforcement des fonds propres des entreprises et du droit des actionnaires. On peut également facilement imaginer que cette nouvelle réglementation ne va pas renforcer l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers. Le risque est bien que la France soit sanctuarisée et in fine contournée par ceux-là mêmes qui sont indésirables.

Avec ce décret, le ministre du redressement productif se taille une belle popularité puisque selon un sondage 70 % des Français approuvent son initiative. Ce décret va lui permettre de jouer un rôle majeur dans l’affaire Alstom et peut-être lui assurer un bel avenir politique. Tant mieux pour lui. Mais croire que l’État peut se substituer à des industriels avisés est fort contestable. S’il suffisait que l’État s’occupe des entreprises en difficulté pour les développer et créer des emplois cela se saurait.

En définitive, l’important c’est le projet industriel et non un slogan comme le « patriotisme économique » qu’il soit français ou européen. L’important c’est l’avenir de nos entreprises avec leurs emplois et celui-ci ne passe pas par une nouvelle ligne Maginot, mais bien par une stratégie offensive qui passe par une révision profonde de notre regard sur les entreprises confrontées à la concurrence internationale.

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  • Vu par les caricaturistes ou observé de l’étranger, le nombrilisme français fait rire le grand public. Tandis que les gens avertis s’inquiétent de ce trait dominant. La fixité mentale du bon peuple et de ses élus ne prête pas à des changements profonds. Taxons ça d’inconscient social(iste) ?
    Vous mentionnez opportunément « De tout temps, la meilleure défense a été l’attaque. ». Exactement, mais cette disposition semble être passée depuis après l’expérience napoléonienne ! Le progressisme (sic) syndical s’est ensuite mué en tueur d’initiative. La surabondance législative des élus n’ayant d’autres choses à proposer en fait alors le parfait complément ! De surcroît, les institutions de l’U.E. ayant profondément emprunté aux manières françaises, les mêmes distorsions s’y sont incrustées.

    Au total, nombreux sont donc les hexagonaux n’apprenant pas/plus de leurs erreurs. Mitterrand fut de la partie. Imbibés d’une même génétique « mentale », ses clonés s’avèrent ici à peine plus subtils. Protectionnisme, l’esprit des barricades, le parapluie en guise de bouclier conquérant, voici les seules armes de nos progressistes ! Un sacré gisement de bêtises pour nos caricaturistes à venir.

  • Construire une ligne Maginot permet de faire croire sans peine qu’il y a derrière quelque chose qui mérite d’être protégé.

  • Outre la compétitivité et la structure de l’actionariat, nos sociétés « nationales » ont un gros problème : l’interventionisme de l’état sur le marché local et la règlementation. Quelque soit la part de l’export dans le CA, ces entreprises sont fortement dépendantes des ventes en France ou en Europe.

    Avec un manque de visibilité permanent sur l’activité, la règlementation qui change constamment, les commandes qui dépendent de décisions politiques les entreprises sont fragilisées et ont du mal à anticiper. De ce fait, plus elles sont dépendantes du marché local ou européen et moins elles ont de perspectives de développement. Et malgré un marché captif qui leur garanti une rente, elle finissent par sombrer.

    C’est l’effet direct de l’intervention de l’état dans l’économie.

  • « Le risque est bien que la France soit sanctuarisée »: et oui c’est bien le rêve de la religion socialiste que faire de notre pays un sanctuaire; et les français aiment tant croire à toutes ces chimères sacrées.

  • Je ne suis pas sûr, mais il me semble pour pour Alstom une partie du problème vient de ce que Bouygues veut se débarrasser de ses actions, si possible sans y laisser trop de plumes. Bouygues, une entreprise bien française, avec un patron qui n’hésite pas à rendre visite à des ministres ou à un président en cas de besoin…

    • En fait de rendre visite, j’ai plutot l’impression que Bouygues est de loin le numéro 1 du capitalisme de connivence en France. Les 30% de part d’Alstom que possède Bouygues pèsent lourd quand Alstom va mal et avec l’OPA, Bouygues se refait une santé pour compenser ses déboires dans les telecom et se débarasse d’une activité qui n’est plus soutenue par les investissements publiques.

      Tout le reste n’est que prétextes et dissimulations pour camoufler ces petits arrangements entre amis …

  • On peut avoir une politique protectionniste, c’est plus que discutable, mais on peut.

    Mais quant on le fait en prenant des décrets opportunistes on est à l’inverse de l’état de droit et de la stabilité des lois, si nécessaires pour rassurer les investisseurs.
    Le gouvernement français s’est donc planté un auto-goal avec ce décret; par dessus le marché il démontre la face dictatoriale que ses institutions lui permettent d’avoir. Les soviets s’organisent.

    Rappelons qu’Alstom n’est presque pas française. Selon l’Economist elle ne l’est qu’à 35%.

    En Suisse, sur les sites de Baden et de Birr il ya 6500 employés d’Alstom dont 2500 ingénieurs. Ça ne se déménage pas facilement.
    Le know-how qu’ils ont vient de l’historique Brown Boveri, entreprise suisse crée à la fin du XIXème siècle par deux ingénieurs, un anglais et un allemand… La globalisation était déjà en marche en ces temps-là.

    La direction du secteur « Thermal Power », celui qui est en vente, est en Suisse.

    Alors, quant aux intérêts « stratégiques  » de la France M. Montebourg va encore trouver que les Suisse sont des usurpateurs. Alstom y paie certainement moins d’impôts que si ce secteur était en France.

    Pour jouer au train Alstom est très française mais pour le reste…

    • Le « know-how » c’est rigolo comme expression, vous oubliez une chose, les générations changent. Avec ou sans mondialisation, le savoir faire sera perdu de toutes façons. Aujourd’hui les jeunes disent « on est tous différents » tout en voulant tous « la même chose » : le minimum de travail et le maximum de salaire.

      Non, ce pays est mort, c’est un pays de Zombies !

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