Décret Alstom : voter les pleins pouvoirs ?

Que faut-il penser d’une organisation politique où la raison d’État est réputée justifier qu’on décrète au jour le jour ?

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Alstom (Crédits Alex van Herwijnen, licence Creative Commons)

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Décret Alstom : voter les pleins pouvoirs ?

Publié le 17 mai 2014
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Par Guillaume Nicoulaud.

img contrepoints313 Montebourg Valls« Cela ne doit pas être ; il n’est point d’autorité à Venise qui puisse changer un décret établi. Cela deviendrait un précédent, et on se prévaudrait de cet exemple pour introduire mille abus dans l’État. Cela ne se peut pas. »

C’est ainsi que Portia, déguisée en avocat, répond à Bassanio qui demande à ce qu’on fasse plier la loi de Venise pour épargner à Antonio le sort cruel et injuste qui l’attend dans le cas contraire. Si vous avez lu Le marchand de Venise1, vous en avez sans doute retenu le malaise qu’on ressent face au personnage de Shylock — Shakespeare était-il antisémite ? — et la brillante pirouette juridique grâce à laquelle Portia va finalement sauver Antonio. Tel n’est pas mon propos.

Ce que cette scène du procès a de remarquable, c’est la description que nous fait l’auteur de Hamlet du système politique de Venise. La loi c’est la loi et rien ni personne ne peut se soustraire à cette règle pour quelque motif que ce soit. Le doge de Venise lui-même n’y peut rien : comme le lui a rappelé Shylock quelques instants plus tôt, toute infraction à ce principe retombera immanquablement sur la constitution et les libertés de la ville. La Sérénissime, nous raconte Shakespeare, est un État de droit.

On reconnait un État de droit au fait que les lois ne changent pas au gré des circonstances. Dans un État de droit, la loi établie s’applique que cela plaise ou non au détenteur provisoire du pouvoir politique et si d’aventure une loi ne convient plus, il existe une procédure dûment encadrée par le principe supérieur du droit — la Constitution — qui décrit comment et dans quelles limites on peut l’abroger ou, éventuellement, la remplacer par une autre. Dans un État de droit, on ne touche aux lois que « d’une main tremblante »2, avec solennité et précaution, parce que la règle commune ne saurait changer chaque matin, parce que des lois qui évoluent sans cesse au gré des humeurs d’un ministre ne valent pas plus que le papier sur lequel on les imprime.

Dans une République constitutionnelle, le respect du droit et de la hiérarchie du droit n’est pas une option : c’est le fondement même de la République.

Que dire, dès lors, d’une organisation politique qui se dit République et qui se croit dotée d’une Constitution dans laquelle chaque jour que Dieu fait, on vote de nouvelles lois qui viennent s’empiler ou contredire les précédentes à un rythme si effréné que même l’administration chargée de les appliquer ne s’y retrouve plus ? Que dire, surtout, d’une organisation politique où la raison d’État est réputée justifier qu’on décrète au jour le jour, qu’on vote une loi pour chaque cas particulier ?

Messieurs Valls et Montebourg veulent que quelque chose soit fait que la loi ne le permet pas ? Qu’à cela ne tienne : votons une nouvelle loi, publions un nouveau décret !

Allons, pourquoi s’embarrasser de tant de procédures ? Puisque nos ministres peuvent décréter et changer les lois au gré des circonstances, puisque manifestement la raison d’État prime sur l’État de droit et puisque cela ne semble choquer personne, autant le dire clairement et une bonne fois pour toute : nous n’avons plus — et depuis longtemps — de Constitution et nous ne vivons plus — loin s’en faut — dans un État de droit.

Confiez-leur les pleins pouvoirs, qu’ils fassent donc ce que bon leur semble et à Dieu va !


Sur le web

  1. William Shakespeare, Le marchand de Venise, Acte quatrième, Scène I. 
  2. Montesquieu, Lettres persanes, Lettre LXXIX.
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  • C’est la raison pour laquelle il ne faut surtout pas se déplacer pour voter.

    • J’aurais dit le contraire.

      • Voter, c’est cautionner. Avoir la nausée et les mains sales, non merci.

        • Ils n’en ont rien à foutre de ta caution, l’idéal pour eux c’est que tu ne vote pas, ainsi ils pourront remplir les urnes avec un bulletin à ton nom.
          Mais vas, continue à jouer leur jeu, idiot utile drapé dans ton intégrité morale

          • Alors, pourquoi une telle campagne de propagande pour inciter à voter ?
            On a même eu droit au « voter blanc, c’est pas donner sa voix au vainqueur; c’est comme ne pas aller voter ».

            • 1) ça fait partie du discours convenu à la gloire de la démocratie et du vote. D’autant plus présent dans le discours qu’on le piétine plus dans la réalité. Voir la mise en scène des files de votants dans l’est de l’Ukraine, pendant que les urnes était bien soigneusement bourrées 🙂
              2) ça dispense le candidat de s’expliquer sur son programme

  • Les négociations avec GE étaient sur le point d’aboutir (voir le gros coup de colère de Montebourg) lorsque le gouvernement change les règles du jeu, au mépris du principe « sacré » de non-rétroactivité. Ce décret, appliqué à Alstom, est-il bien légal ?

    • Quelle question – « Est-ce-bien légal? » Ils s’en f**tent complétement, surtout Montebourge et Moi-je!

  • Il y a bien longtemps que la France est devenue une république fromagère tiers-mondiste.

  • La loi est progressivement devenue un simple outil politique. La qualité législative est en baisse constante depuis trente ans et cela ne fait qu’empirer. Le respect de la hiérarchie des normes est aujourd’hui bafoué dans une indifférence quasi-généralisée. Pourtant, la posture de M. MONTEBOURG contrevient gravement aux grands principes du droit européen ainsi qu’au droit de propriété (une babiole, sans doute…). Je suis inquiet de cet interventionnisme forcené qui décrédibilise la France et pénalisera sur le long terme l’intérêt des entreprises étrangères pour nos sociétés. En effet, pourquoi irais-je investir dans un pays qui peut librement acheter chez moi mais qui dénie cette possibilité chez lui? Voilà le message que vient d’envoyer notre sémillant Ministre de l’Economie.

    • Conséquence inattendue : les autres pays ne manqueront pas de rendre la monnaie de sa pièce à l’Etat français lorsqu’une entreprise basée en France aura la prétention de prendre le contrôle d’un établissement sur leur sol. Ce décret non seulement décourage les investisseurs étrangers mais encore il pénalise les entreprises dans leur internationalisation.

      Avec ce gouvernement de branquignols socialo-mercantilistes, le chômage pour tous et la ruine du pays n’est plus seulement une perspective angoissante mais une construction quotidienne acharnée.

      • Les gesticulations de Montebourg illustrent bien le dilemme dans lequel se trouve le PS:

        – l’économie n’est pas leur fort et certaines évidences de bases sont incompatibles avec leurs visions et leurs promesses.
        – le chomage n’est qu’une conséquence avec effet retardé de la situation économique. Ils sont jugés sur le chomage mais il n’existe pas de moyens de créer des vrais emplois. L’emploi est créé par l’économie. Les théories de développement de l’économie par l’emploi sont biaisées et donc globalement fausses.

        Les actions pour soutenir l’emploi ont un impact faible, mais en plus elles plombent l’économie. Cela revient donc à se débattre dans ls sables mouvants. Tant que Montebourg n’était la que pour amuser la gallerie, l’impact était limité. Il me semble que maintenant qu’il est passé à la vitesse supérieure, lui et le gouvernement vont être rapidement engloutis (et nous avec).

      • « les autres pays ne manqueront pas de rendre la monnaie de sa pièce à l’Etat »

        Vu l’état des finances des entreprises françaises, ça n’arrivera pas. Ils ont juste à surveiller les grandes saillies de ce mongaullien et à se réjouir de ce que la concurrence française s’élimine toute seule.

        Pour un débile qui défend le patriotisme économique, être le meilleur allié de l’étranger dans la compétition internationale est croquignolet.

  • MONTEBOURG EST UN FASCISANT :
    « TOUT DANS L’ÉTAT, RIEN HORS DE L’ÉTAT ET RIEN CONTRE L’ÉTAT » MUSSOLINI

  • Coquille : « rien n’y personne »

  • Un état où le droit prime sur tout est un état libéral. la France est une république collectiviste. Pour Tocqueville qui, malheuresemnt car j’aime beaucoup ce brillant esprit, confondait souvent démocratie et libéralisme, la démocratie ne pouvait déboucher que sur le socialisme et le despotisme. Sur cette dernière prévision, il avait tout à fait raison: le socialisme est, par essence, despotique.
    Mais revenons un peu sur le fond de cette affaire Alstom. Pourquoi certaines entreprises françaises ont-elles besoin de l’argent étranger? La réponse est on ne peut plus simple: parce qu’elle ne trouvent pas assez d’argent en France. En économie, l’argent s’appelle le capital. D’où vient le capital américain par exemple? Souvent des fonds de pension et d’autres fonds (de private equity par exemple). En France les fonds de pension sont interdits (sauf pour les fonctionnaires, la Préfond) donc cette grosse source de capitaux n’existe pas. Comme par ailleurs, l’état, avec ses missions inutiles et ses millions de fonctionnaires tout aussi inutiles pompe une bonne partie de ce qui pourrait constituer le capital français, il faut bien aller trouver le capital là où il y en a, essentiellement dans les pays anglo-saxons (fonds) ou dans ceux qui ont de grosses marges (Allemagne, Chine).
    Les gesticulations et les décrets de Montebourg n’y changeront rien.
    « Une entreprise prospère, c’est du capital et des talents ». Des talents, nous en avons encore (grace aux Grandes Ecoles), mais du capital, nous n’en avons plus assez. Voilà pourquoi la France est obligée de vendre petit à petit son patrimoine industriel et tous les décrets du monde n’y pourront rien tant qu’on n’aura pas permis au capital de se reconstituer dans ce pays

    • Tou cela est vrai d’une manière générale et probablement encore plus pour nos PME, avec des conséquences encore plus graves. Mais dans le cas d’Alstom, il y a forcément quelque-chose en plus.

      Les entreprises françaises étaient dangereusement sous-évaluées il y a un an après la crise de l’euro. Heureusement les fusion-acquisitions étaient au point mort au niveau mondial (il me semble), ce qui n’est plus le cas. Mais la valorisation d’Alstom de s’est pas rétablie l’année dernière : faiblesse du carnet de commandes (et endettement ?). La valorisation a carrément augmenté de 50% sur 2 mois. La bonne question serait me semble-t’il : qu’est-ce qui justifie un tel écart d’apréciation sur une valeur monsieur Montebourg ?

      Comment allez vous protéger nos sociétés Nationales si vous ne savez pas répondre à cette question Mr Montebourg ?

  • Et nos industries domineront le monde, débarrassées qu’elles seront des aleas de la concurence…

  • INGERENCE INTOLERABLE ….
    Même si ce decret concerne « théoriquement  » que certains secteurs et des grands groupes , En tant qu’Entrepreneur de PME , je constate de plus en plus d’ingérence de l’Etat et la diminution de nos libertés pour Entreprendre … Ce constat je l’avais fait pour des filiales dans certains pays (« totalitaires  » ) étrangers . Maintenant c’est en France . Nos Enarques , fonctionnaires , élus sans culture économique, ni connaissance de l’entreprise …rédigent des Lois , décrets souvent dogmatiques … pour Eux , pour leurs électeurs- fonctionnaires favorisant la culture de L’Assistanat au détriment de ceux qui construisent ,entreprennent , prennent leurs responsabilités et leurs risques ! Le Collectivisme …nous y sommes !

    • @ GEORGIO47,
      L’État subrepticement socialiste depuis si longtemps en France, (lois de 45 et suivantes) s’est renforcé considérablement sous Mitterrand et désormais vire sa cuti vers le fascisme :
      « Tout dans l’État, rien hors de l’État et rien contre l’État » disait Mussolini
      – On reconnait le fascisme en ce que le pouvoir s’appuie sur des hordes de fonctionnaires prêts à tout pour conserver leurs avantages et prérogatives
      – La gauche est une salle d’attente pour le fascisme – Léo Ferré

  • Pourquoi le pays de la loi de 1905 qui sépare les églises de l’état peut-il prétendre intervenir dans les affaires commerciales et industrielles ?

    • Une des tendances du socialisme consiste à détruire l’ordre établi, faire table rase du passé et ce par tous les moyens. Ce n’est pas dans les discours officiels mais bien plus dangereux du fait que seuls les « initiés » œuvrent dans ce sens pour parvenir à leurs fins. L’exemple connu c’est celui de Soljenitsyne: on asservi bien mieux les peuples avec la pornographie plutôt qu’avec les miradors … mais hélas bien d’autres existent.

  • J’aimerais comprendre, dans bon nombre de pays comme les États Unis, des lois sur la sauvegarde des entreprises de l’énergie ou Télécom existe, et cela ne semble poser de problème à personnes, mais si l’on crée ce type de loi en France c’est un crime au nom du libre marché?
    Bon, monsieur montebourg semble avoir un peu mal après SFR, et ne digère pas que les entreprises vive leurs vives sans la politique.
    Et il se prend aussi pour un elu ce qu’il n’est plus depuis longtemps (bientôt 2 ans)

    • Encore faut-il savoir si la sauvegarde des entreprises a pour but la défense Nationale, la sécurité énergétique, le protectionisme économique ou la ventilation forcée des ministères.

      D’un point de vue libéral, cela change le point de vue : une société qui produit de la technologie militaire sensible (et secrète) comme Thales perdrait à la fois son intérêt pour la défense et ses marchés si elle passait sous controle US. La sécurité énergétique est essentielle pour la défense des intérêts géo-politiques et nous ne vivons pas dans un monde de bisounours.

      En revanche, pour la ventilation forcée des ministères, ils vont finir par s’enrhumer.

      • Pas sur que si at&t devait ce faire acheter par une société non étasunienne le gouvernement ne ferait rien.

  • en d’autre temps on aurait qualifié ça de mesure communiste

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