Par Cyril Gazengel.
Cela fait 27 ans que les fans attendaient une suite potable à Robocop, œuvre cyberpunk de Paul Verhoeven emblématique du scifi action movie des années 1980. L’attente fut d’autant plus importante que les deux suites du film culte de 1987 furent d’un intérêt discutable, reprenant pour l’essentiel la forme de l’original, en expurgeant le fond : la critique du capitalisme débridé de l’ère Reagan. Donc l’annonce d’un reboot de la franchise a soulevé sans surprise l’attente du public.
Or, le souci majeur quand une œuvre culte est adaptée au cinéma ou quand une franchise aussi importante est reprise, c’est que le poids de l’œuvre d’origine pèse. Le propre des franchises à succès c’est d’avoir un grand nombre de fans qui se sont approprié l’univers. Du coup, toute réécriture du mythe est risquée car elle peut déplaire aux aficionados, et si elle n’apporte rien de neuf au propos, elle peut aussi rater son public. D’autant qu’en presque trois décennies, le public a changé, la société a changé – et la chose est d’importance quand comme Robocop, le film a vocation à présenter une analyse critique de son époque. Du coup le reboot impose au réalisateur un jeu d’acrobatie entre les attentes du public – forcément déçues du fait de leur importance et de l’idéalisation de l’aïeul – et les besoins de renouveler le mythe.
Alors qu’en est-il de cette nouvelle mouture signée José Padilha, réalisateur brésilien qui débute à Hollywwod avec ce blockbuster ? Force est de constater que depuis sa sortie, le film est plus décrié qu’autre chose dans la presse au point de dessiner l’image d’un navet bien pire que les suites oubliables du premier opus. Si je n’étais pas allé le voir, je m’en tiendrais à cette image de la suite ratée, or il n’en est rien.
Là où le premier Robocop s’inscrivait dans le mouvement artistique (et essentiellement littéraire) du cyberpunk, avec l’OCP, méga-corporation possédant la ville de Détroit, et des institutions politiques US devenues objets de foire vidées de leur pouvoir, le nouveau Robocop a choisi un axe plus politique. En effet, l’axe de réflexion choisi par José Padilha renvoie clairement aux aventures guerrières de l’Amérique républicaine de George W. Bush… Irak, Afghanistan, ici représentés par l’Iran dans la scène d’introduction. Et le personnage de Pat Novak interprété magistralement par Samuel L. Jackson rappelle les présentateurs politisés néoconservateurs de Fox News sous l’ère Bush Jr. Du coup, George W. Bush étant l’héritier moral du républicanisme messianique de Ronald Reagan (qui avait Bush père comme vice-président rappelons-le) nous avons là une filiation directe dans la critique socio-politique du nouveau Robocop avec l’ancien.
De plus, la force de Padilha a aussi été de libérer la franchise de son attache cyberpunk, trop marqué années 1980, et ce de deux façons. Une première, évidente, en remplaçant la méga-corporation cyberpunk de l’OCP par la multinationale bien plus classique d’Omnicorp. Multinationale qui nous renvoie à ces grandes sociétés US pilotées par un fondateur charismatique que Michael Keaton campe admirablement. Loin du PDG un peu passif et transparent du premier film, Keaton campe un homme résolu, ambigu et prêt à trahir certaines de ses valeurs pour sauver – pense-t-il – son bijou, son enfant, sa société. Le second moyen par lequel le réalisateur se désolidarise du cyberpunk, c’est dans la gestion de la délinquance à Détroit. Loin de la guérilla urbaine permanente qui se déploie en toile de fond des univers cyberpunk comme cela fut le cas dans le film de 1987, Padilha nous décrit une délinquance endémique mais presque imperceptible ; un crime organisé capable de violences locales sur les individus mais dans des lieux isolés afin d’éviter la vidéo surveillance ; une délinquance capable d’erreurs à cause d’hommes parfois moins disciplinés que peuvent l’être certains voyous. Bref ! un monde bien plus crédible et proche du notre que l’ultraviolence cinématographique et cyberpunk du premier Robocop.
Au final, je crois que si ce film a déplu, c’est que son format action movie n’est qu’un habillage imposé, parfois utile, mais totalement secondaire. Le cœur du propos est ailleurs : ce film est une réflexion intelligente sur la place de l’homme et de son libre-arbitre dans la société. Tous les personnages humains font des non-choix imposés à eux du fait de leurs trajectoires de vie : Gary Oldman en scientifique qui ne peut laisser passer l’opportunité d’un tel projet ; le personnage de Samuel L. Jackson enfermé dans son univers propagandiste ; Jackie Earle Haley en militaire aux ordres inspiré du Kurger d’Elysium ; Michael Keaton dont le personnage est trop lié au destin de sa compagnie au point de se voir imposer ses choix ; Abbie Cornish, femme de l’inspecteur Murphy dont les liens affectifs pilotent les actions ; etc.
Seul dans tout ceci à agir consciemment à contrer sa programmation : Alex Murphy devenu Robocop, diablement bien joué par Joel Kinnaman. Le seul à se battre pour son humanité, comme dans le premier opus de Verhoeven finalement.
Ce film n’est donc pas le navet raté que j’ai pu voir décrit çà et là, bien au contraire. Il est réussi et signe une très bonne réactualisation du mythe Robocop aux problématiques de notre époque. Néanmoins, à cause de quelques postures par trop artificielles dans la chronologie du récit, il manque je crois la marche lui permettant de se positionner dans le panthéon de la science-fiction au cinéma.
— Robocop, film de science-fiction américain (sortie depuis le 5 février 2014) de José Padilha, avec Joel Kinnaman, Gary Oldman, Michael Keaton, Samuel L. Jackson. Durée : 1h57min
Autre critique en contrepoint : Robocop : un remake raté supplémentaire
bon, admettons que le héros incarne la possibilité de choisir quand même. Reste que je préfère encore rire avec l’odieux connard
http://odieuxconnard.wordpress.com/2014/02/20/robocrap/
Mmmh, un film qui nous éclaire sur les problématiques de notre époque, à savoir l’excès de capitalisme tout-puissant et l’Etat sans pouvoir.
Je vais me jeter sur une place de cinéma tout de suite, ça me manquait les films de non-propagande clairvoyants, après Time Out et Elysium.
Sans parler de nos films français, comme les deux derniers que j’ai pu voir : Supercondriaque, et surtout Le Prénom (regardé dans la douleur celui-ci, endurez le début lorsqu’ils présentent les personnages, c’est incroyable!).
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