Fleur Pellerin et les fablabs fantômes

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Fleur Pellerin et les fablabs fantômes

Publié le 3 mars 2014
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La constance avec laquelle les apparatchiks à maroquins foirent leurs idées et dépensent n’importe comment l’argent du contribuable a ceci de pratique qu’elle permet quasiment d’écrire des billets à l’avance : tel clown endimanché du gouvernement lance un appel à projet, tel pingouin brasseur d’air lance une énième commission, on sait, quoi qu’il arrive, que cela se terminera dans un grand prout tiède et un paquet d’argent public claqué dans une aventure désastreuse pour le contribuable mais jamais, ô grand jamais, pour ceux qui y ont pris part et qui feront à l’occasion une jolie culbute financière.

En juin 2013, alors qu’une bonne partie du pays se préparait mollement à prendre des vacances, certains de nos ministres travaillaient : les infatigables Montebourg et Pellerin lançaient un appel à projets afin d’aider le développement d’ateliers de fabrication numérique (les fameux Fablabs, lieux ouverts au public où il est mis à sa disposition toutes sortes d’outils, notamment des machines-outils pilotées par ordinateur, pour la conception et la réalisation d’objets). En mars 2014, alors qu’une partie du pays s’enfonce mollement dans la poudreuse, un bilan s’impose. Et – surprise, coïncidence et étonnement très modéré – ce n’est pas joli joli.

Les Fablabs de Pellerin n’échappent pas à la règle observée en introduction. Notez qu’ici je ne tiens pas compte de Montebourg dans le tableau final, tant sa nullité en matière de technologies et d’innovation rend improbable son implication réelle dans cette foirade magistrale (du reste, il en a suffisamment d’autres à son actif). Et si je parle de foirade, c’est parce qu’à la lecture de l’excellent article de Yovan Menkevick sur Reflets.info, on comprend qu’encore une fois, le contribuable sera le bon gros dindon de la farce.

pellerin karaoke

Au début, tout se présente bien : sur 154 dossiers envoyés, 14 ont été retenus qui pourront recevoir jusqu’à 200.000€. Étonnement : l’un des sites les plus actifs dans le domaine de la fabrication numérique, l’Electro-lab, n’est pas sélectionné. Bah, me direz-vous, c’est peut-être que leur mode de fonctionnement (associatif) ne correspond pas à ce que visent nos gouvernants ? C’est dommage, tout de même, puisqu’ils sont en train de monter le plus grand Fablab d’Europe. Tant pis.

Et puis lorsqu’on lit la liste des heureux sélectionnés, on comprend un peu mieux l’esprit général dans lequel s’inscrit cette distribution d’argent gratuit du contribuable : l’écrasante majorité des lauréats est déjà en cheville avec moult communautés de communes, mairies et autres réseaux d’enseignement public. Autrement dit, tout ce petit monde du public se connaît déjà très bien, ça sent bon la connivence détendue.

Quant à ceux qui ont aussi des partenaires industriels notoires, la situation est encore plus intéressante. Par exemple, si un Fablab encore plus mieux que l’Electro-Lab a été retenu, c’est parce qu’il affiche des partenaires comme Alcatel et Dassault, qui ne sont pas du tout suspendus à l’État comme le pendu à sa corde. Soyez donc rassurés : l’argent public ne sera pas dépensé dans de bêtes sociétés privées sans s’assurer un retour rapide dans le giron étatique !

Et ce Fablab génial est « l’Usine », qui n’est pas associatif (ça, ce n’est pas grave, ce n’est pas sale, le commerce), qui n’est pas encore situé géographiquement (mais bon, ce n’est pas gênant, hein, ça viendra, on n’en doute pas), et dont les statuts ont été déposé le 30 octobre 2013 (pour une SAS, avec tout de même 1000€ de capital, mazette !), soit plus d’un mois et demi après la fermeture (13 septembre) de l’appel à candidature, ce qui n’est certes pas éliminatoire mais laisse comme un doute sur les critères de sélection. Mais, comme on dit, le tigre qui rugit (le Fablab déjà existant) n’est jamais à la hauteur du tigre de papier (le projet qui a toujours un avenir étincelant dans sa brochure) et on comprend que l’argent ira d’autant plus facilement dans ce dernier. Et tant pis si le logo de l’Usine collisionne un autre logo exactement similaire utilisé par… une fabrique de hamburgers.

usine liberty burger

Je résume : un fablab qui n’existe pas, qui n’avait pas de statuts déposés au moment de la clôture des dossiers, un logo malheureux, un joli site tout mignon mais très très creux, et qui disposerait de partenaires commodément acoquinés avec la sphère publique, se retrouve choisi au détriment d’autres projets indépendants, associatifs, et déjà montés. Le fait que ce genre de petite péripétie est, en réalité, d’une navrante banalité en France n’est pas réellement fortuit.

C’est le schéma très traditionnel en France où des gens de réseau parviennent à capter de l’argent public en détournant à leur profit l’esprit même de ce qu’ils sont censés incarner. Par définition, le FabLab est d’abord un lieu où des passionnés, des bricoleurs et des inventeurs, se retrouvent pour échanger, s’entraider et mettre en commun leurs ressources. Ces ressources sont avant tout intellectuelles, puis matérielles (outils, local) et seulement enfin, financières. Dans le cas des magnifiques distributions de pognon gratuit de Fleur Pellerin et d’Arnaud Montebourg, son frétillant appendice inutile, on constate exactement l’inverse ; du reste, seules 3 structures lauréates existaient avant l’inscription au concours, ce qui confirme la tendance de pas mal d’acteurs à s’aboucher aux robinets publics dès qu’une opportunité se présente et dont on ne peut s’empêcher de penser que leurs principales compétences sont essentiellement dans leur proximité avec le personnel politique.

On peut aussi constater le différentiel qui existe entre les « tech shop » et concepts équivalents dans d’autres pays, et notamment aux États-Unis, où le modèle économique est exclusivement privé, et les « fablabs » en France, où, comme d’habitude, on bidouille un système mixte et boiteux où les interpénétrations d’intérêts divers sont de mise, et pas toujours au profit ni des participants, ni des contribuables impliqués sans qu’on leur ait réellement demandé leur avis.

Snif, snif, tout ceci ressemble bel et bien, encore une fois, à ce petit capitalisme de connivence sans lequel la France ne serait plus la France.

scrats renifle une arnaque

Évidemment, on ne peut aussi que constater que si tous ces projets se ruent ainsi sur les prébendes publiques, c’est essentiellement parce qu’en développer un et le transformer en entreprise rentable en France est un véritable parcours du combattant, au bout duquel se trouve plus souvent la faillite qu’autre chose. De ce point de vue, il est bien plus facile de réclamer des thunes publiques. Et cette situation empirera tant qu’on n’aura pas cassé le cercle vicieux dans lequel le pays s’est inscrit : à force d’aider les entreprises et les entrepreneurs avec de l’argent public, on est obligé de ponctionner toujours plus les activités économiques rentables qui fournissent les aides, relevant ainsi mécaniquement le seuil à partir duquel un projet peut espérer s’équilibrer.

Les Fablabs n’échappent pas à la règle : plus l’État y mettra les doigts, plus mauvais ça sentira.

—-
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  • Vous êtes bien timoré H16…

    Car enfin il y a une batterie de mots pour qualifier ce « ratage » :

    -vol qualifié
    -trafic d’influence
    -corruption
    -siphonnage
    -arnaque
    -gangstérisme
    -mafia

    … En clair, non ce n’est pas un « ratage », un truc qui foire dans la main de ces crapules… mais bel et bien une volonté, organisée ,délibéré, de piquer du blé : le notre.

    C’est à ce titre que nous devons nous défendre contre ce type de « ratage » :
    -couper le robinet à pognon
    -afin de réduire le pouvoir de nuisance de ces gens, les mettre hors d’état de nous nuire

    • oui, je donne une piste pour les frontaliers : le lohnausweiss, on le trouve sur le net, à remplir soi même.

  • Principe de base:
    Il est toujours plus aisé de claquer les thunes des autres.

    Principe secondaire:
    D’autant plus que la responsabilité ne sera pas regardée et engagée

    Dernier principe:
    Un machin truc d’Etat sera forcément en perfusion de pognon frais et la rentabilité non recherchée

    Pour les doigts, je vous trouve gentil H16, vous faiblissez. Pour ma part cela serait leur tête dans leur fion que je voudrais. Et que ça ne rentre pas au début ne me dérangerait pas d’un poil, je trouverais le moyen que ça le fasse à grand renfort de vaseline socialiste.

  • Le zombie ? Ce mangeur de cervelle qui bave et tout et tout ?
    Un zombie c’est mort.

  • Première strophe de l’édito de ce jour…un pur bonheur de plume que nos grands pamphlétaires libéraux (et on en manquAIT pas, de Voltaire à Condorcet…) ne renieraient pas!

    Merci H16, un peu d’air au pays de l’asphyxie p-r-o-g-r-a-m-m-é-e

  • Mes impôts savourent leur dilapidation, ils exultent.

    Une instruction pour détournement de fonds public ne sera sans doute pas diligentée…

  • De 1985 – 1991 j’ai travaillé dans une petite boite (start-up).
    Dans le domaine de la bureautique de l’époque.
    15-20 personnes. Nous étions en concurrence avec Word.
    Mais le Word de l’époque pas celui d’aujourd’hui. Il était sur DOS et Mac.
    Nous étions meilleurs (c’est mon opinion évidement) .
    Nous avions besoin d’une petite aide (200.000 frs)
    Jamais nous n’avons reçu 1 franc.
    Tous l’argent « informatique » allait vers Bull (6 milliards frs /an)
    Depuis cette époque j’ai compris comment fonctionne la « distribution »
    de l’argent des impôts en France et personne et/ou sa soeur ne pourra me
    faire changer d’avis.
    Je n’ai là qu’une confirmation, pour le millième fois.

    • triste réalité, c’est ce qui nous différentie des anglo-saxons, où chacun a sa chance…
      Je ne connais pas votre projet pour le juger, mais rien d’étonnant dans votre récit.

      faudrait connaitre l’organigramme de Bull et celui du gouvernement à l’époque, souvent, la mise en perspective d’organigramme aide à comprendre les décisions…

  • Un fantôme peut en cacher un autre ! Le fantasme des gentils lutins contre les méchants corrompus, n’a rien à voir avec la réalité. Il vaudrait mieux vérifier ses informations, avant de calomnier des ministres, sous couvert d’anonymat.
    L’Electrolab est une association déclarée, mais n’est pas signataire de la charte des Fablabs du MIT.
    Un Fablab doit être ouvert à tous et gratuitement, alors que l’Electrolab admet ses membres par cooptation du bureau et les soumet à cotisation obligatoire, sous peine d’exclusion, (les statuts le mentionnent clairement à l’article 6).
    Un simple tour des Fablabs d’Ile-de-France, et autres « Hackerspaces », vous montrerait pourquoi l’Electrolab ne risque pas de gagner la sympathie d’un ministre. Vous verriez la différence, entre un concentré improbable d’ingénieurs agressifs et immatures, et de sympathiques structures, où les techniques se transmettent avec parfois beaucoup moins de compétences, mais dans le respect des visiteurs.
    Je salue respectueusement notre charmant ministre outragé Fleur Pellerin, et je vomis copieusement sur les électeurs incompétents, qui se plaignent d’être volés, par les jolis pantins qu’ils mettent au pouvoir.

    • les Hackspace ou Electrolabs ne sont pas pareil que les FABLAB, c’est clair.

      Cela dit, je trouve que les Electrolabs sont plus compétents et on fait plus de chose avec des passionnés et créatifs.
      Je ne dit pas que les FABLABS en sont dépourvus, au contraire, mais l’ambiance n’est pas la même.
      D’un coté on a des techniques pures, de l’autre coté des gens politiquement corrects ou des premier de la classe.
      à Toulouse, si t’es pas AIRBUS, à la fac, ou branché écologie, tu n’auras pas ta place.

  • Les commentaires sont fermés.

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