« Lettres béninoises » de Nicolas Baverez

2040 : plus personne dans le monde ne croit plus à un possible redressement de la France…

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Lettres béninoises, par Nicolas Baverez (Crédits : Albin Michel, tous droits réservés)

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« Lettres béninoises » de Nicolas Baverez

Publié le 25 février 2014
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Par Francis Richard.

BaverezLe procédé est connu. Pour prendre de la distance avec un sujet, rien de tel que de le soumettre au regard d’un étranger dépourvu de préjugés, sinon favorables, ce qui permet de faire encore mieux ressortir ses déconvenues. Charles-Louis de Secondat de La Brède, baron de Montesquieu, l’a utilisé avec bonheur, dans ses Lettres persanes. Publiée il y a bientôt trois siècles, cette correspondance reste d’une brûlante actualité, comme le prouve la citation de la lettre 146 mise par Nicolas Baverez en exergue de ses 35 Lettres béninoises, échangées du 30 septembre au 26 octobre 2040.

Il s’en est passé des choses au cours du dernier quart de siècle qui a précédé cet échange. L’Afrique est au beau milieu de ses Trente glorieuses. Les pays émergents ont émergé. L’Europe a décliné. La zone euro s’est disloquée. Le Royaume Uni a retrouvé des couleurs grâce à sa nouvelle Dame de fer, Virginia Marley, d’origine jamaïcaine. La France du président Lamentin est, elle, au bord du gouffre.

L’actuel directeur du FMI est un Béninois, Alassane Bono. Grâce à une bourse d’excellence qui lui a été attribuée par la France quand il était lycéen, il a pu faire des études à Paris dans des conditions toutefois difficiles, le froid, la solitude, le manque d’argent. Ce qui ne l’a pas empêché de toujours considérer avoir une dette envers la France. Aujourd’hui, compte tenu de sa position, il lui semble que le jour est venu pour lui de l’honorer. Alassane Bono se rend donc à Paris avec trois autres représentants de son organisation, l’américain Doug, le chinois Zu et le brésilien Fitzcareldo, pour se livrer à un audit du pays. Le constat de ce quartet est accablant :

« Sur le plan économique, trois décennies de croissance zéro ont conduit la France du cinquième au vingt-cinquième rang mondial. Sur le plan monétaire, une inflation de plus de 10% par an et une dévaluation de quelque 80% du franc depuis la sortie de la zone euro. Sur le plan social, un chômage structurel de masse qui touche plus de 25% de la population active et 65% des jeunes de moins de vingt-cinq ans. […] Sur le plan financier, une dette insoutenable de 185% du PIB, après trois plans d’ajustement dont aucun n’a été mené à terme. »

Sur le plan politique, l’histoire montre que cela ne vaut guère mieux :

  • 2025: première grande crise de la dette
  • 2031: sortie de la zone euro
  • 2032: victoire de l’extrême-droite à l’élection présidentielle sur fond de guerre civile et de banqueroute
  • 2034: création de la VIe République parlementaire pour conjurer un putsch militaire
  • 2040: faillite annoncée.

Alassane Bono échange des lettres avec sa femme Stella Haïdjia, ses enfants Sarah, Jonas et Reckya, et son directeur de cabinet, Blaise Koupacku, tous Béninois comme lui. Tous essaient de le convaincre qu’il se fourvoie quand il persiste à vouloir aider la France à échapper au défaut, alors qu’elle s’est montrée incapable de tenir ses engagements après les ajustements du FMI de 2025, de 2029 et de 2034. Il risque même, s’il s’obstine, à ne pas être reconduit dans ses fonctions. Car plus personne dans le monde ne croit plus à un possible redressement de la France :

« Plus la France s’enfonce dans la crise, plus elle court à la faillite, et moins elle change. Elle reste suspendue à son rêve de voir la planète entière adopter son prétendu modèle. Elle refuse l’évidence : elle est devenue un enfer pour les Français et un repoussoir pour le reste du monde. L’impôt relève ici de la foi religieuse. Il est considéré comme inépuisable et sans limites. Plus nombreuses sont les richesses qu’il détruit, plus élevés sont les taxes et les taux. Il tue les flux économiques et donc la croissance. Il spolie le capital par son caractère confiscatoire. C’est alors que la solution naturelle consiste à taxer les autres. »

Au cours de son séjour parisien, Alassane Bono rencontre les principaux dirigeants français et ne peut que constater : « Ils ont depuis longtemps rendu les armes devant l’opinion. Ils devancent les pulsions collectives les plus démagogiques au lieu de faire la pédagogie du changement. Ils cultivent le déni au lieu d’agir et de confronter les citoyens au monde réel, au prétexte qu’ils ne le supporteraient pas. »

À l’issue de son séjour de près d’un mois en France, Alassane Bono va-t-il tout de même honorer la dette qu’il croit avoir envers la France en allégeant une nouvelle fois la dette de celle-ci ? Quelle position le FMI adoptera-t-il in fine à son propre égard et à celui de la France ? Telles sont les questions auxquelles répond cette correspondance.

En extrapolant dans le futur les tendances actuelles de la France depuis des décennies, Nicolas Baverez en tire les conséquences inéluctables. Réussira-t-il mieux par ce procédé pédagogique, qui utilise la fiction, que par des arguments, qui prennent appui sur la pure et dure réalité, à convaincre les Français qu’il faut changer de cap?  Rien n’est moins sûr, mais il aura une nouvelle fois essayé… avec brio.

Nicolas Baverez, Lettres béninoises, Albin Michel, janvier 2014,192 pages.

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