La caisse commune

Au-delà d’un certain seuil, seul un système coercitif peut contenir les comportements de passagers clandestins à l’égard d’une caisse commune.

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La caisse commune

Publié le 20 février 2014
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Par Guillaume Nicoulaud.

théorie des jeuxDeux individus décident de créer caisse commune afin de s’assurer mutuellement contre un risque qui a une probabilité d’occurrence à horizon d’un an de ½ et un coût financier 1 000. Pour alimenter cette caisse, ils doivent donc cotiser à hauteur de ½ × 1 000 chacun. Il va de soi qu’en termes de probabilités, la situation des sociétaires est rigoureusement identique avec ou sans caisse : dans les deux cas, l’espérance de perte est de 500.

½ × 1 000 = 1 × 500

Si ces deux individus créent cette caisse commune c’est parce qu’ils sont averses au risque, parce qu’ils préfèrent perdre 500 de manière certaine (payer une prime d’assurance) plutôt que d’avoir une chance sur deux de perdre le double. C’est le principe de base de tous les systèmes d’assurance : l’absence d’incertitude a une valeur, un prix que nous sommes prêts à payer pour vivre dans un environnement certain.

Si nos deux individus créent cette caisse commune, c’est parce qu’ils estiment l’un et l’autre que le fait d’être couvert a une valeur k, sachant que k est strictement supérieur à zéro et strictement inférieur au montant de la prime (ici 500).

Par hypothèse, nous allons admettre (i) que chacun des deux sociétaires a la possibilité de tricher en prenant l’argent de la caisse sans motif valable — auquel cas, ils perdent tous les deux le bénéfice de k — et (ii) que, pour une raison ou une autre, ils ne peuvent pas communiquer entre eux.

Quatre cas peuvent se présenter :
(i) Les deux joueurs coopèrent : ils gagnent k chacun — c’est notre optimum de Pareto ;
(ii) Les deux joueurs trichent : ils ne gagnent rien (i.e. chacun récupère sa prime et ils perdent le bénéfice de k) ;
(iii) & (iv) Un seul joueur trahit : il gagne $500 tandis que l’autre en perd autant et ils perdent tous les deux le bénéfice de la protection.

En théorie des jeux, on appelle ça un dilemme du prisonnier. Énoncé en 1950 par Albert W. Tucker, c’est une situation dans laquelle, en l’absence de communication entre eux, deux individus qui auraient intérêt à coopérer vont vraisemblablement choisir de se trahir mutuellement. En l’occurrence, si les deux sociétaires ne communiquent pas entre eux parce que, par exemple, ils ne se connaissent pas, il est très vraisemblable qu’il vont tous les deux essayer de tricher (ii).

En revanche, si nos deux sociétaires se connaissent et communiquent entre eux, il est très probable qu’ils vont parvenir à résoudre le dilemme en socialisant — le simple fait d’être considéré comme un traître par quelqu’un que vous croisez tous les jours peut suffire à vous dissuader de tricher. De la même manière, Robert Axelrod a démontré qu’en itérant le jeu et à supposer que chaque joueur garde en mémoire le comportement des autres joueurs lors des parties précédentes, ce sont les stratégies coopératives1 qui s’avèrent les plus rentables.

C’est-à-dire qu’en l’absence d’un système de contrôle et de sanctions exogènes (un tiers surveille et punit l’éventuel tricheur2), la viabilité de la caisse commune repose sur le fait que les individus qui y participent communiquent entre eux ou, au moins, savent comment se sont comportés les autres dans le passé. Sans ça, sans ce processus de confiance et de surveillance mutuelle, il est très probable que la triche va se généraliser jusqu’à l’explosion de la caisse commune.

Or, ce que nous suggère le nombre de Dunbar, c’est que cette connaissance mutuelle n’est plus possible au-delà d’environ 150 individus. Au-delà de ce seuil, seul un système coercitif peut contenir les comportements de passagers clandestins et il est sans doute impropre de parler de « solidarité » puisque le fonctionnement de la caisse ne repose plus que sur un système d’incitations individuelles.

Si cette idée vous rappelle étrangement un célèbre passage de Frédéric Bastiat3, ce n’est sans doute pas un hasard.


Sur le web.

  1. La meilleure étant la stratégie « donnant-donnant » (Tit for tat) qui consiste à coopérer la première fois puis à reproduire à chaque fois le comportement de l’adversaire du coup précédent.
  2. C’est un des services pour lesquels nous rémunérons les dirigeants de nos mutuelles et autres compagnies d’assurance.
  3. Frédéric Bastiat, Harmonies Économiques (1850), chap. XIV.
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  • Tout cela s’applique bien au régime des intermittents du spectacle … Le gouvernement qui est censé être le système coercitif maintenant la coopération au sein du système des indemnités chômage fait l’inverse en favorisant une partie des bénéficiaires par rapport aux autres … La conclusion de tous les salariés est donc qu’il est justifié de truander et de frauder un maximum, la coopération n’étant pas récompensée mais au contraire sanctionné.

  • Correction technique :
    C’est « Tit for Tat » (pas Tit or tat), qui signifie « Un prêté pour un rendu » (pas donnant-donnant) et qu’on traduit plutôt par « oeil pour oeil »
    Et ce n’est pas la meilleure stratégie car elle n’amortit pas les trahisons.
    En fait, il n’y a pas vraiment de meilleure stratégie dans l’absolu, mais on sait qu’il est généralement préférable de faire un cocktail aléatoire à base de tit for tat avec un trait de pure coopération et un doigt de pure trahison.

    Ajoutons que dans la réalité non seulement les jeux sont itérés, mais en plus ils sont organisés en cercles avec des mises de plus en plus importantes, où vous n’êtes admis que si vous avez fait la preuve de votre respect des règles à l’étape précédente. Le passager clandestin à la table des 1 € ne sera pas admis à celle des 10 €, le petit truand qui a dénoncé ses complices ne sera pas admis dans la bande des braqueurs, le politique pur « qui ne mange pas de ce pain là » (la corruption) ne sera pas admis dans la caste des politiciens nationaux, etc. ce qui constitue une motivation puissante pour coopérer même quand on ne connait pas les autres joueurs et qu’on est un pur cynique qui a calculé que tricher était rentable (au moins temps que l’ascenseur social fonctionne !)

  • Quelle que soit la validité pratique du nombre en question, la coercition n’est pas indispensable. Au delà du seuil de 150, il existe en effet le marché, dont les prix et quantités fournissent un substitut naturel au réseau de connaissances mutuelles permettant de réguler les comportements individuels.

    Le marché n’est pas une construction artificielle coercitive mais bien un processus naturel intimement lié à la nature humaine, indispensable au fonctionnement harmonieux de la société humaine. A ce titre, une limitation artificielle du marché (trivialement des réglementations qui limitent sa portée vs celles qui favorisent son fonctionnement) produit un affaiblissement de la régulation et ne peut conduire qu’à l’émiettement de la société avec le risque de revenir, peut-être, à des groupes de 150 individus qui s’ignorent les uns les autres parce qu’ils ne peuvent plus faire autrement. Renoncer au marché, c’est également renoncer à la civilisation, exactement ce que nous proposent les idéologies.

  • Au risque de paraître ringard, je rappelle que dans un système basé sur une morale chrétienne, la charité est de mise et le système peut fonctionner à plus de 150.

    Autre chose importante aussi, si on accepte qu’une partie de la population soit nomade, il se peut que cette partie joue un rôle de coordination entre des groupes de 150 et monte, avec un peu d’intelligence et de probité, un système bien plus performant en « coalisant » beaucoup de petits groupes.

  • …sanctions exogènes…(au lieu d’hexogènes).

    Il existe un jeu simple qui apporte un éclairage intéressant sur les questions de stratégies coopératives (ou pas).
    Soit un jeu de 32 cartes et une table de huit joueurs. Les cartes sont intégralement distribuées et chaque joueur a donc une main de 4 cartes. La valeur faciale des cartes n’a aucune importance, seule compte la couleur : les cartes rouges ont une valeur et les cartes noires aucune.
    Une fois les cartes distribuées, chaque joueur doit en mettre 2 dans un pot commun sans que les autres joueurs les voient. Chaque carte rouge mise au pot vaut 8 et chaque carte rouge gardée en main vaut 4. A chaque donne la valeur de chaque main est égale au nombre de cartes rouges gardées en main multiplié par 4 augmentée de la valeur du pot (nb de cartes rouges du pot multiplié par 8) divisée par 8, donc en fait du nombre de cartes rouges du pot.

    Comment maximiser les gains ?

    Le gain global est maximum si tous les joueurs sont « coopératifs », cad s’ils rejettent tous le maximum de cartes rouges au pot en fonction de leur main.
    Par contre si une minorité de joueurs (1,2 ou 3) choisit de garder systématiquement le maximum de cartes rouges en main, ceux-ci voient leurs gains devenir supérieurs à la moyenne (au détriment des gains des autres joueurs) et le gain global devient alors inférieur au gain global maximal et plus le nombre de joueurs « perso » est grand, plus ce gain global s’amenuise.

    • comment maximiser les gains ? facile
      Un joueur reprend toutes les cartes, en garde 2 (rouges) pour lui-même, donne une rouge et une noire à deux potes, mets les autres rouges au pot et distribue les cartes noirs aux autres joueurs

      • OK, mais il peut aussi mettre un flingue sur la table, ne rien distribuer du tout et prendre la caisse.
        Disons qu’on joue le jeu…

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