R&D : machin d’excellence et truc de compétitivité

Le poids de la R&D dans le PIB s’élève en France à 2,25%, montant tout à fait honorable. Alors comment se fait-il que l’économie française en bénéficie si peu ?

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R&D : machin d’excellence et truc de compétitivité

Publié le 13 février 2014
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Par Michel Rona.

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D’après la banque mondiale, le poids de la R&D dans le PIB s’élève en France à 2,25%. C’est un montant tout à fait honorable, supérieur par exemple à celui du Royaume-Uni, de la Norvège, de la Chine ou à la moyenne de l’UE. Cette dépense est répartie dans le ratio deux tiers/un tiers entre les entreprises et le public, là encore une proportion satisfaisante. Alors comment se fait-il que l’économie française en bénéficie si peu ? Quelles mesures prendre pour rétablir la situation ?

Il ne manque certainement pas d’autres points dignes d’analyse, mais intéressons-nous déjà à quelques aspects du financement, du pilotage, et de l’évaluation de la R&D.

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Les chiffres de l’INSEE, qu’on trouve parmi les indicateurs du défi « Société de la connaissance » de la Stratégie Nationale de Développement Durable (SNDD), coincés entre les sorties précoces du système scolaire et les difficultés de lecture des jeunes de 15 ans, sont établis par une enquête auprès des instituts publics de recherche et des entreprises. Compte-tenu du mode de comptage, il y a toutes les chances que les travaux en coopération public-privé comptent deux fois les montants dépensés, voire plus lorsque les sous-traitances se font en cascade, mais passons. On peut raisonnablement postuler que l’importance de la R&D menée dans le privé, supérieure elle-même à la moyenne de l’UE, doit beaucoup à notre Crédit d’Impôt Recherche (CIR), puisque la différence est justement des 0,25% de PIB qu’il représente.

Comme le fait remarquer le rapport de la cour des comptes (fichier pdf), le principal intérêt du CIR est de percer un trou dans le sac fiscal où les entreprises ont la tête et qui les étouffe. Il permet aussi de faire apparaître dans les statistiques de la R&D des dépenses que les entreprises auraient engagées de toute façon si elles en avaient eu les moyens. Si l’on considère les dépenses qui ont été déclarées pour bénéficier du CIR, on aboutit à environ 0,9% du PIB auxquels on a évité d’aller se faire recenser sous d’autres chapitres de la nomenclature.

L’objectif du CIR, dont il ne se cache pas, est d’atteindre en 2020 le chiffre de 3% du PIB pour la R&D dans l’UE. On ne peut considérer cet objectif sans penser immédiatement à un autre objectif d’affichage célèbre, celui non pas d’améliorer l’activité mais d’infléchir la courbe du chômage. Quand on considère l’impact du CIR sur la R&D, la cour des comptes constate un certain flou, centré autour de la neutralité : 1 euro de crédit d’impôt = 1 euro de R&D. Si l’on tient compte des 17% de frais engagés par les entreprises pour en bénéficier et du coût de sa perception, on a toutes les chances de se retrouver en territoire négatif. Et si au lieu de considérer le CIR comme une dépense de l’État qui induit un montant presque équivalent de cette R&D si bonne à afficher dans les comparaisons internationales, on le considère comme le retour aux entreprises de 80% d’un montant qu’on aurait pu éviter de leur prélever, par exemple en diminuant de 4 points l’IS, ou d’un montant équivalent d’autres charges qui pèsent sur elles, et en abolissant le CIR, on arrive à la conclusion évidente : la poursuite de l’objectif des 3% du PIB de R&D se fait au détriment de la bonne marche des entreprises. Il augmente l’affichage en diminuant le montant qu’elles auraient réellement pu affecter à leur R&D.

Bien entendu, l’idée de laisser les fonds dans les entreprises plutôt que de les leur prendre pour les leur restituer ensuite a quand même dû effleurer quelques têtes parmi nos milliers de fonctionnaires. Il est même vraisemblable que quelques-uns n’ont pas eu la présence d’esprit de se cacher sous leur bureau en fermant les yeux et en criant « La barbe ! » (ce qui est leur manière d’appeler au secours la sainte patronne des sapeurs, mineurs et excavateurs qui est, comme on le sait, aussi la leur). Pourquoi alors ont-ils écarté le principe de la consolidation ?

La première explication qui vient à l’esprit est que le montant, en passant par la case « État », gonfle d’autant le PIB, et que, comme là encore seul l’indicateur compte, au détriment de ce qu’il est censé représenter, il est particulièrement mal vu de perdre 0,25 point virtuel, fusse pour en gagner des réels si ces derniers ne sont pas en quantité supérieure dès la première année.

La seconde est l’instinct de conservation de son job fort développé chez le fonctionnaire fiscal qui préfère donc, et de loin, que tout aille mal avec lui plutôt que tout aille bien sans lui.

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La troisième, last but not least, est leur aspiration innée à orienter la recherche vers les secteurs qui rapportent des voix aux élus qu’ils aiment flatter. Les indicateurs qu’on trouve pour caractériser la fameuse SNDD sur le site de l’INSEE ne manquent pas de mérite intrinsèque, mais à part un ou deux, que font-ils dans une stratégie de développement ? Ils servent sans doute de garants de moralité à ceux qui soutiennent une science appliquée réputée n’apporter à la société que vénalité, au contraire de la recherche fondamentale par rapport à laquelle il conviendrait, en bon politiciens, de la « cliver » vigoureusement. Si la méthode de pilotage aboutissait à favoriser les domaines dont les fruits vont mûrir, croître et se multiplier, on s’en satisferait sans doute. Le contribuable, conscient des enjeux de la recherche et inconscient du processus, apporte d’ailleurs des financements de pas trop mauvais gré. Mais on sent bien, par exemple à visiter le site de l’Agence Nationale de la Recherche, ses pôles, laboratoires et initiatives d’excellence et de compétitivité pour la gestion sobre, durable, décarbonée, écorespectueuse, écosystémique et biodiversifiée des ressources d’une société innovante, intégrante et adaptative dans le cadre des investissements et des défis d’avenir, que ces crédits ne vont pas aller à des travaux présumés fertiles mais à ceux qui auront le mieux réussi dans un concours de beauté intitulé « Course aux Labels ». Il s’agit, pour ceux qui s’en souviennent, d’une épreuve analogue au huitième des douze travaux d’Astérix : obtenir le laissez-passer A-38 dans la Maison qui rend fou.

La sélection se fait exactement à l’opposé de celle des start-ups par les business angels. Supposons que vous soyez résident d’un pays où de telles pratiques qui court-circuitent les incitations officielles ne sont pas découragées. Quand, muni d’une idée innovante, vous faites le tour des business angels pour financer votre projet, le premier d’entre eux qui dit oui vous met en selle. Même s’il ne finance pas la totalité, il améliore votre crédit auprès des suivants et vous êtes rentré dans une boule de neige vertueuse. Dans la recherche française, pour les labels qu’il vous faut collectionner sur votre projet comme les étiquettes sur la valise d’un globe-trotter, le premier qui dit non vous condamne. Comme les experts que vous rencontrez doivent leur poste à leur inutilité dans un véritable laboratoire de recherche, à leur sens de l’intrigue courtisane, à leur connaissance profonde des termes à la mode et à leur aptitude à éviter de se mouiller, et que leurs réussites leur rapporteront bien moins pour leur carrière que ne leur coûteront leurs soutiens à des projets qui ne débouchent pas, seules termineront le parcours les propositions consensuelles, souples, molles et baveuses. Et au lieu de travailler dans son laboratoire à son innovation jackpot potentiel, le chercheur aura passé son année à sécuriser une subvention, qui ne fera pas sa richesse mais qui garantira au moins la survie de son labo.

Qu’il se console : de toute façon, faute de compétences en gestion d’entreprise, de capitaux autres que ceux d’Oseo ou de la BPI, et d’un cadre adapté, le flot de pièces serait probablement resté coincé quelque part dans la machine.

Alors, à quoi servent donc tous ces labels, puisqu’ils prohibent dans les faits la poursuite vers des valorisations fructueuses et rentables des projets où ils se collent ? Deux choses : constituer un vivier de sinécures pour des évaluateurs peu susceptibles d’innover par eux-mêmes mais désireux d’occuper des postes prestigieux dans le système, et justifier par un respect minutieux de la procédure que tout avait bien été conçu, pourtant, pour le succès du projet, quand son évaluation a posteriori ne se révèle que modérément flatteuse. En bref, le système assure lui-même sa propre survie, il le faut bien, puisque ce ne sont pas ses résultats économiques qui vont le faire.

Ah oui, mais les résultats économiques sont bien difficiles à chiffrer ! Tandis que pour évaluer notre recherche, nous avons un superbe organisme, l’AERES, une sorte d’agence de notation qui en fonction de la conformité du labo de recherche aux poncifs de la gouvernance administrative à la française va choisir une note entre A et A+, une sorte de label de plus qui ne lui apportera rien mais dont l’absence le pénaliserait. Attendez, là il y a un frémissement, on me dit que l’AERES va évoluer… ah, en un Haut Conseil chargé de valider les autoévaluations réalisées par les labos eux-mêmes. C’est plus relax pour les hauts conseillers, sans doute.

Comment se fait-il qu’un objectif consistant uniquement à augmenter les dépenses de 40% d’ici 2020 ne choque personne ? Et si on abandonnait cet objectif de 3% du PIB en dépenses pour le remplacer par un objectif de rentabilisation maximale de nos capacités de R&D existantes, en coopération avec le secteur privé ?

Dans cet abandon des symboles coûteux, le Crédit d’Impôt Recherche devra être remplacé par un allègement général de la fiscalité sur les entreprises d’un montant équivalent. Pour que les entreprises puissent financer leur R&D, il convient que les investisseurs, associés, business angels, et sociétés elles-mêmes soient encouragés à le faire par la perspective de gains substantiels en cas de succès de la recherche et de sa valorisation. Les labels, machins d’excellence et trucs de compétitivité devront disparaître, ceux qui les font vivre devront retourner à la paillasse. Hormis les recherches directement liées à ses missions régaliennes, l’État devra se poser en abondeur minoritaire et en facilitateur de projets déjà initiés par le secteur privé. L’évaluation devra se faire a posteriori, et admettre de nombreux petits échecs s’ils sont compensés par suffisamment de grands succès. Enfin, les règles et les coutumes de la recherche devront évoluer pour armer les chercheurs en vue d’entreprendre, ou de s’associer avec des entrepreneurs s’ils n’ont pas eux-mêmes la fibre, et pour bénéficier en cas de succès d’une grande partie du jackpot qu’ils auront constitué.


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  • « le montant, en passant par la case « État », gonfle d’autant le PIB »
    Merci de souligner la perversité d’additionner la dépense publique au PIB marchand !

    Dans l’économie de marché le prix des choses résulte des innombrables transactions librement acceptées entre un acheteur et un vendeur. Il n’a aucun rapport avec leur coût.

    Mais le socialisme n’aime pas que les acheteurs et les vendeurs valorisent librement les transactions.
    Les services publics ne sont rien d’autre que l’interdiction de valoriser certains services: TABOU !
    On les consomme sans limite et le choix que je fais d’y recourir est payé par vous.
    Je décide, tu paies…

    Oui mais pour justifier la dépense publique il faut parler de sa valeur, il faut donner un montant d’argent.
    Comment faire, puisque la valeur des services publics est tabou ?
    En prenant le seul montant qu’on connaisse, la dépense publique, pour l’ajouter au PIB marchand.
    Mais le PIB marchand est une somme de valeurs, alors que le PIB non marchand est une somme de dépenses, ce qui n’a rien à voir.

    C’est même le contraire:
    Prenez l’exemple d’un gain de productivité qui permet de produire la même chose en dépensant moins. Dans le privé, le PIB ne change pas, alors que dans le public il diminue !
    Conclusion: Le secteur public ne peut pas gagner en productivité.
    On peut au mieux essayer d’y imiter des progrès faits dans le privé.

    Pire:
    Selon que vous êtes fonctionnaire ou sans privilège, une augmentation de votre salaire augmente ou diminue votre productivité. En effet dans le second cas, le coût de ce que vous produisez s’approche de sa valeur (ce qui peut être dangereux pour votre job).
    Mais dans le premier cas, la valeur de ce que vous produisez est tabou, donc votre productivité aussi, mais on observera que votre PIB horaire a progressé et on en déduira que vous êtes plus productif !
    Quant à votre job, pas d’inquiétude: Votre augmentation causera du chômage dans le secteur marchand, chez les gens sans privilège.

    • Intéressant . n’ étant pas compétent sur ce sujet je n’ ai pas de critiques par contre ce dont je suis certain c’ est que par ex une sté FR cotée dans le métier moteur automobil qui a des productions en FR et à l’ étranger l’ essentiel de son bénef provient des sites étrangers ce qui profite aussi au fisc français s’ il n’ y avait que les sites FR la boite aurait fait faillite . certain .

  • Bel article. Malheureusement, arrivé à la moitié j’ai du avaler la motié de ma boîte de tranquilisants et j’étais trop zen et grogui pour apprécier la fin à sa juste valeur …

  • Après un Post-doc au Canada, j’ai quitté le monde de la Recherche en France pour monter ma boite.
    Après mettre fait plumer par l’Etat, j’ai déposé le bilan et me suis fait engagé comme simple employé…
    Et maintenant, je cherche à quitter définitivement ce pays de toquards !!!

  • A partir du moment où on créait des zones franches, pôles de compétitivité ou d’excellence le tout évidemment mise en place par des commissions publiques, c’est que l’on échoué sur notre politique économique.

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