IVG : de la suppression de la « situation de détresse »

Décryptage juridique des débats sur la suppression de la « situation de détresse » dans la loi sur l’IVG.

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Femme enceinte (Crédits : Elolozone, licence Creative Commons)

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IVG : de la suppression de la « situation de détresse »

Publié le 26 janvier 2014
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Par Roseline Letteron.

Femme enceinte (Crédits : Elolozone, licence Creative Commons)Le projet de loi sur l’égalité entre les hommes et les femmes, déposé par le gouvernement et actuellement débattu en première lecture à l’Assemblée Nationale, supprime la « situation de détresse » mentionnée par la loi Veil de 1975 pour caractériser l’IVG non thérapeutique. La loi se réfère désormais, plus simplement, à « la femme qui ne veut pas poursuivre sa grossesse ».  Tout le monde pensait que cette modification allait passer inaperçue, tant il est vrai que cette notion de détresse ne trouvait plus aucun écho dans le droit positif.

Certains parlementaires UMP, membres de « l’Entente parlementaire pour la famille » se sont pourtant opposés avec ardeur à cette suppression. Sur le plan politique, voire religieux, tout cela n’a rien de bien surprenant. Si l’on ouvre la page Facebook de cette « Entente parlementaire pour la famille », on découvre en bandeau une grande publicité pour la Manif pour tous et on peut y lire des articles nous informant sur les activités des Veilleurs. Ces parlementaires UMP sont évidemment loin de représenter l’ensemble de leur parti, mais seulement sa frange catholique la plus traditionaliste. Comme toujours lorsque la loi Veil fait l’objet d’une modification même minime, ils ont profité de l’occasion pour remettre en cause l’IVG, stimulés sans doute par « l’exemple » espagnol.

Ils ont même contre-attaqué, du moins le pensent-ils, en déposant un amendement supprimant le remboursement de l’IVG par la sécurité sociale. Les deux éléments sont liés, affirment ils : ne plus soumettre l’IVG à une condition de détresse conduit à en faire une opération de convenance, qui n’a donc pas à être prise en charge par la collectivité. On s’en doute, la disposition supprimant la condition de détresse a été votée, et l’amendement supprimant le remboursement de l’IVG a été rejeté.

Situation de détresse et non pas condition de détresse

Si on se place, non pas sur un plan religieux ou idéologique, mais sur un plan juridique, leur revendication perd tout son sens. Une « situation de détresse », ce n’est pas une « condition de détresse ». Elle est constatée et invoquée par la femme qui demande de recourir à l’IVG, mais son appréciation ne donne lieu à aucun contrôle extérieur. Autrement dit, la détresse n’est pas un critère de licéité de l’IVG mais plus simplement l’une des circonstances dans lesquelles elle peut être effectuée.

La première de ces circonstances, définie par la loi Veil modifiée par la loi du 4 juillet 2001, prévoit une interruption thérapeutique, « soit que la poursuite de la grossesse met(te) en péril grave la santé de la femme, soit qu’il existe une forte probabilité que l’enfant à naître soit atteint d’une affection d’une particulière gravité reconnue comme incurable au moment du diagnostic ». Cette situation doit être attestée par deux médecins, « membres d’une équipe pluridisciplinaire », après un avis consultatif rendu par l’ensemble de cette équipe (art. L 2213-1 csp).

La seconde de ces circonstances, celle qui a suscité le débat,  est prévue par l’article L 2212-1 csp. qui précise que l’IVG est accessible à la femme enceinte « que son état place dans une situation de détresse« . En 1975, lors du vote de la loi Veil, certains avaient pu penser que cette « détresse » correspondait un véritable état de nécessité au sens juridique du terme, c’est à dire l’hypothèse où une personne se voit contrainte de commettre un acte illicite pour échapper à un péril imminent. Cette interprétation restrictive n’était pas totalement exclue par la décision du Conseil Constitutionnel du 15 janvier 1975 qui affirmait que le législateur n’entendait déroger au principe du respect de tout être humain dès le commencement de la vie qu' »en cas de nécessité ».

Une prérogative exclusive de la femme

La jurisprudence ultérieure n’a pas donné raison aux partisans de cette lecture étroite de la notion de détresse. Le droit positif estime au contraire que la situation de détresse est appréciée par la femme elle-même. Certes, l’article L 162-4 csp précise que « chaque fois que cela est possible, le couple participe à la consultation et à la décision à prendre« , mais il s’agit là d’une simple recommandation, dépourvue de contrainte juridique. Le Conseil d’État, dans un arrêt d’assemblée du 31 octobre 1980, a ainsi été saisi d’un recours en indemnité présenté par un mari dont la femme avait subi dans un hôpital public une IVG sans qu’il en soit informé. Le juge a alors précisé que ce texte « n’a ni pour objet, ni pour effet de priver la femme majeure du droit d’apprécier elle-même si sa situation justifie l’interruption de la grossesse ». À partir de cette date, la seule condition pour recourir à l’IVG est donc le respect du délai légal.

Depuis une jurisprudence vieille de trente-trois ans, l’IVG est un donc une décision prise par la femme, et uniquement par elle. La « situation de détresse » relève de son libre arbitre. Il lui appartient d’apprécier elle même si elle est en situation matérielle et psychologique de mener à bien sa grossesse.

Un nouvel obscurantisme

L’actualisation de la loi Veil par la suppression de la situation de détresse ne modifie donc en rien l’état du droit. M. Guillaume Chevrollier, député de la Mayenne, devait sans doute l’ignorer, lorsqu’il a affirmé, lors du débat parlementaire, qu’« en ôtant la référence à la notion de détresse, vous créez un droit à l’avortement sans condition ». À moins qu’il ait tout simplement profité d’une occasion nouvelle de remettre en cause le droit des femmes à l’IVG. Il a parfaitement le droit de faire connaître ses convictions, de les affirmer haut et clair, y compris dans l’assemblée parlementaire dont il est membre. Mais pourquoi obscurcir le débat en invoquant des arguments juridiques erronés ? Pourquoi ne pas tout simplement s’appuyer sur ses convictions éthiques et religieuses ? Cela aurait le  mérite de la franchise et cela permettrait surtout de développer la prise de conscience de ce nouvel obscurantisme déjà affiché lors des débats sur la loi relative au mariage pour tous.

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  • Merci d’avoir replacé le débat dans son cadre juridique.

  • Douteuse cette lecture de la loi. L’arrêt de l’assemblée pourrait être contesté simplement par une autre assemblée.
    Prenons en parallèle une opération des seins.
    La Sécurité sociale ne rembourse pas les opérations purement esthétiques, seule la pose de prothèses mammaires répondant à un problème médical (chirurgie réparatrice, malformation, asymétrie majeure…) peut-être prise en charge à 100%. Il existe réellement un risque de prise en charge entre un avortement qui serait jugé de « confort » à un de nécessité.
    La sécu est en état de « faillite ». Il est prévoir que la nécessité financière impose demain une taille des opérations dites de confort. Et qu’une assemblée reviennent demain a une logique dépenses/recettes et lui introduise des notions de confort.

  • « Cela aurait le mérite de la franchise et cela permettrait surtout de développer la prise de conscience de ce nouvel obscurantisme déjà affiché lors des débats sur la loi relative au mariage pour tous. »

    On constatera que ce sont à chaque fois les catholiques qui sont derrière ces combats d’arrière-garde. Mais comment ces gens, qui croient en des mythes inventés de toutes pièces par des bergers schizophrènes il y a des millénaires, peuvent essayer de nous imposer leur mode de vie débile ? La France ne pourra connaître véritablement la liberté qu’une fois que le catholicisme sera totalement anéanti en ses terres.

  • Si cet article ne change rien au droit, pourquoi l’adopter ? Une loi inutile est nécessairement une mauvaise loi.

    Le gouvernement se complaît dans cet affrontement inutile avec les mouvements catholiques, mais je ne sais pas si c’est pour donner des gages à la gauche ou simplement par étroitesse d’esprit.

    • « Si cet article ne change rien au droit, pourquoi l’adopter ? »

      Pour mettre le texte en accord avec l’esprit.

      « Une loi inutile est nécessairement une mauvaise loi. »

      Voilà, il s’agit de retirer du texte inutile à la loi.

      « Le gouvernement se complaît dans cet affrontement inutile avec les mouvements catholiques, »

      Les mouvements catholiques sont inutiles, et les affronter ne coûte pas grand chose.

  • Roseline, la terminologie « nouvel obscurantisme » est un peu outrancière.
    Quoique opposé à l’IVG pour des raisons éthiques, je confesse que cet interdit ne s’adresse qu’à moi -ou plus exactement à mon épouse- et à mes enfants. Et -Dieu merci- aucune des personnes de ma famille n’ont eu à transiger avec cette règle.
    Ceci dit, le droit à tuer un être qui m’apporte une gêne se semble odieux (pensez qu’il y a des tas de gêneurs qui empêchent mon épanouissement) et lutter (par les mots) contre un tel droit ne me semble pas pur obscurantisme.

    • René : tout à fait d’accord, le « nouvel obscurantisme » dénoncé par l’auteur n’est ni nouveau, ni un obscurantisme. Les anti-IVG ont d’excellentes raison de penser ce qu’ils pensent, de même que moi (qui suis plutôt « pro-choix », comme on dit), j’ai aussi d’excellentes raisons de penser que l’IVG ne devrait pas être interdit.

      Quoiqu’il en soit, une telle expression ne fait rien pour calmer les esprits, de même qu’elle en dit long sur les préjugés de quiconque l’emploie dans un tel contexte.

  • Il s’agit d’une affaire privée et l’état n’a pas à rembourser cela.Sont exemptées les affaires de viol et les cas concernant les jeunes filles et femmes…

    • @Libre C’est bien souvent le rejet du père qui motive l’IVG ou des pulsions infanticides de mères désorientées.

      Dans ces conditions malsaines, il est souhaitable d’avorter dès les premiers signes de grossesses plutôt que congeler ses nouveaux nés, les secouer comme des pruniers ou les laisser macérer dans leurs excréments, etc.

      Exemple: Un bébé s’est retrouvé à l’hôpital après avoir ingérer de l’eau de Javel. La mère, seule au foyer, l’avait laissé sans surveillance.

      En déremboursant l’IVG, on incite des mères défaillantes à poursuivre la grossesse jusqu’au bout: un véritable cauchemar pour les enfants et ça revient plus cher en allocations familiales.

      • En ce cas, il existe également l’accouchement sous X. Ces jeunes femmes en ont-elles entendu parlé ?

      • Vous me paraissez assez matérialiste.
        Entre ceux qui croient que la vie est la source de toute dignité (je tue ce qui me gêne) et les autres (je réduit l’obstacle à mon épanouissement) le dialogue devient surréaliste

        • Je m’adressais à Exciton.

        • Tout le monde ne considère pas forcément un fœtus comme un humain.

          • Je soumets à votre sagacité, cette citation de Raphael Enhoven philosophe s’exprimant sur l’euthanasie :
            « On ne peut pas sacraliser la vie… on ne doit pas sacraliser la vie.
            Si on sacralisait la vie, on n’aurait jamais autorisé l’interruption volontaire de grossesse.
            Sacraliser la vie est quelque chose, qui, à mon sens en tout cas, peut avoir des répercussions paradoxalement tout à fait mortifères sur l’existence des gens »

            Je pense qu’il veut dire que cela nuit à la liberté !

      • Ce que vous décrivez se passe alors que l’avortement est autorisé. Vous utilisez le même type d’argument que ceux qui prohibent les drogues en disant : » voyez les dégâts » …qui se produisent dans un contexte de prohibition.

      • Ce qui arriverait probablement moins si on laissait au père le droit de ne pas reconnaître son enfant, comme l’a, du reste, la mère. Le principe d’égalité devant la loi va d’ailleurs dans le même sens.

  • Embêtant qu’une juriste par le de « droit à l’IVG ». Ce n’est pas le cas. On s’achemine vers cela avec le remboursement à 100 %, la suppression des limitations, la police de la pensée…

  • Comment se fait-il que Contrepoints accepte encore de publier les âneries de Letteron ?

    • Dans votre esprit « ânerie » signifie « en contradiction avec vos désirs ».
      Comme « cerveaux malades » pour Patrick Cohen !

  • L’emploi du mot « obscurantisme » me paraît très obscurantiste, ici. Des arguments?

    On aimerait autant de finesse que pour distinguer « situation de détresse » et « condition de détresse »…

  • Si je comprends bien : La loi a été bafouée, donc il ne reste plus qu’à l’aligner sur ce que la jurisprudence en a fait.
    Madame Letteron, pourquoi la démocratie ?
    À quoi bon écouter des points de vue non socialistes ?
    Les socialistes tiennent la justice et n’appliqueront aucune loi contraire à leurs principes: Nous sommes en dictature, les débats ne servent qu’à amuser la galerie.

    Par ailleurs, je suis surpris de cette subite exigence d’objectivité, après l’avoir refusée avec le même mépris hautain dans le débat sur le mariage pour tous, où il était question que la loi sanctionne l’amour et promeuve le bonheur à deux, deux notions guère plus objectives que la détresse …

    J’en déduis qu’il n’y a pas le moindre souci d’objectivité chez RL, mais seulement cette adhésion dogmatique et bornée au conformisme socialiste, comme en témoigne son écoeurante suffisance, et qui dans la novlangue socialiste s’appelle objectivité ou esprit critique

    Voici quelques faits avérés :
    – Le foetus est un autre être humain et non un organe ou un parasite de sa mère.
    – L’avortement de masse condamne les sociétés qu’il afflige à disparaître.
    – Il n’y a pas de critère objectif pour le passage du statut de moins qu’un rat de laboratoire (dont il est permis de s’émouvoir du sacrifice, même pour l’avancement de la science) à celui de vie humaine, c’est-à-dire supposément ce qu’il y a de plus sacré
    – En conséquence, la sacralité de la vie humaine ne peut pas résister à l’avortement de masse, comme l’ont suffisamment prouvé quelques figures politiques athées du 20e siècle
    – Si les femmes sont libres d’avorter, elles sont donc responsables de ne pas le faire lorsque le père fuit ses responsabilités, d’où l’avortement de masse (et la dénatalité: 10 millions d’enfants n’ont pas vu le jour depuis la loi Veil), la multiplication des foyers monoparentaux, et une cascade de maux sociaux
    – Le foetus n’est pas coupable des fautes ou crimes de ses parents
    – On ne peut pas affirmer que mieux vaut un pour un foetus la mort qu’une existence mal engagée ET tenir le discours contraire aux personnes suicidaires

    L’humanité n’est pas ce que le socialisme voudrait qu’elle soit, raison pour laquelle il entreprend de la transformer, ce qui nous a donné les pires bains de sang de l’Histoire.
    Ceux qui osent le faire remarquer, libéraux ou chrétiens, sont au mieux agonis d’injures, au pire exterminés, comme responsables de cette réalité intolérable.
    L’avortement de masse est un désastre humain et condamne les sociétés qu’il afflige, tels sont les faits.

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