Cromwell, Staline, et le danger des comparaisons historiques

La comparaison de Cromwell et Staline par Vladimir Poutine est trop absurde pour mériter une controverse.

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Cromwell, Staline, et le danger des comparaisons historiques

Publié le 27 décembre 2013
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Par Daniel Hannan, depuis Oxford, Royaume-Uni.

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« Vous avez laissé les Niveleurs en vie ? À quoi pensiez-vous ? »

 

Les guerres de Cromwell en Irlande tuèrent des dizaines de milliers de personnes, et en envoyèrent des dizaines de milliers d’autres enchaînées de l’autre côté de l’Atlantique. Staline tua au moins 20 millions de personnes (sans compter les 20 millions de soldats et civils soviétiques morts pendant la Seconde Guerre Mondiale), et en fit déporter 14 millions de plus dans les camps de travail de Sibérie et d’Asie Centrale.

Cromwell fut porté par les événements, et par le caractère incertain de Charles Ier, vers une issue qu’il n’avait jamais cherchée, ni attendue : le régicide et la mise en place d’une république qui termina en dictature militaire. Staline était un sociopathe qui ordonna le massacre de ses amis proches et de sa famille aussi froidement qu’il ordonnait la liquidation des Koulaks.

Cromwell autorisa une ébullition intellectuelle, dans laquelle toutes sortes d’idées, de la fin de la censure au suffrage universel, du pluralisme religieux à l’égalité entre les sexes, furent mises en avant par les pamphlétaires et les radicaux. Staline massacra la liberté de pensée.

La comparaison des deux hommes par Vladimir Poutine est trop absurde pour mériter une controverse, en dehors du fait qu’elle a été répétée par une improbable coalition de conservateurs anglais, nostalgiques de l’URSS et nationalistes irlandais.

Les comparaisons sont toujours bizarres, bien sûr, tout spécialement quand leurs sujets sont séparés par le temps et la distance. Quand vous écrivez « X était pire que Y », vous pouvez être certains qu’un certain nombre liront « Y n’était pas vraiment si mauvais ». Même comparer Staline à Hitler (une comparaison bien plus aisée, étant donné leur proximité chronologique, idéologique, méthodologique et psychologique) risque de lever des accusations de « banalisation ou relativisation de l’Holocauste », comme Denis MacShane l’a dit.

Pour être tout à fait clair, je ne veux pas que l’on oublie les méfaits de Cromwell. Si j’aurais joyeusement soutenu la cause des parlementaires en 1640, les idéaux de cette cause furent oubliés lorsque les Îles britanniques tombèrent sous la loi autoritaire des défenseurs et milices d’Oliver. Mes sympathies, mes lecteurs réguliers le savent, vont aux Niveleurs, et pas à l’homme qui ordonna leur séparation. Comme vous pouvez le deviner avec mon nom, j’ai nombre d’ancêtres irlandais.

Mais gardons la mesure des choses, pour l’amour de Dieu. Le règne de Staline doit être reconnu, en termes algébrique, comme l’un des plus meurtriers dans l’histoire sanguinaire de l’espèce : beaucoup d’historiens disent aujourd’hui que le chiffre de 20 millions de morts est bien trop bas. Seul le Président Mao est en compétition avec le vieux monstre pour cet affreux record. Les faux procès, les nettoyages ethniques et les Goulags de Staline étaient une présence constante et terrifiante pour son peuple effrayé.

Alors que la loi de Cromwell était dictatoriale, elle ne se fondait pas sur l’horreur systématique. Quand il retourna, accompagné d’un groupe de chevaux, dans la ville où il avait passé son enfance, il rencontra le curé local qui l’avait sauvé de la noyade pendant son enfance, en le sortant d’un ruisseau. Il rappela l’incident au vieux prêtre. « Oui », répondit vaillamment le ministre du culte royaliste, « et je vous y aurais remis plutôt que de vous voir venir ici armé contre votre peuple ». Vous ne pouvez pas imaginer quelqu’un parler comme ça à l’Oncle Jo, n’est-ce-pas ?

Une lettre nous est parvenue des années 1650, écrite par l’un des proches d’Oliver. Pourquoi, ce cousin demandait, le Lord Protecteur insiste-t-il sur le nom « Cromwell », qui fut faussement usurpé par un ancêtre ambitieux ? Ses actions en tant que Lord Protecteur faisaient à Cromwell une mauvaise réputation, disait l’écuyer mécontent, et il aurait été son obligé si le vieux cavalier avait adopté le nom qui était réellement le sien : Williams. Maintenant, essayez seulement de vous imaginer un quelconque Djougachvili écrivant les mêmes mots au Secrétaire Général du Parti Communiste pour voir combien le parallèle de Poutine est absurde.

L’invasion de l’Irlande par Cromwell était un sale travail, ce n’est pas une question. La Guerre Civile anglaise fut relativement contenue. Il y eut peu de victimes, de nombreux comtés furent à peine touchés, et la pire chose à craindre pour la plupart des gens, lorsque l’autre côté prenait la ville, était la prison. Son prolongement irlandais était plus vicieux, car plus sectaire. Un nom provoque la colère encore trois siècles et demi plus tard : Drogheda, dont la chute en 1649 fut suivie par un bain de sang généralisé, durant lequel les civils furent tués côte à côte avec les soldats anglais et irlandais qui avaient tenu la ville au nom du Roi.

Les historiens débattent quant à l’étendue du massacre. Tom Reilly, lui-même habitant de Drogheda, affirme qu’il n’y a pas eu de morts civils, et que Cromwell a agi selon les lois de la guerre, qui à l’époque était universellement comprises comme l’absence de quartier pour une garnison qui refuserait de se rendre. Cependant, le consensus est que les civils furent délibérément assassinés, et qu’au moins quelques défenseurs furent exécutés plus tard en prison.

Ce qui est frappant, cependant, est que Drogheda choqua les gens honnêtes en Angleterre, Écosse et Irlande, alors que c’était commun par rapport aux standards européens de l’époque. Pendant la Guerre de Trente Ans, qui s’était achevée l’année précédente, 1500 villes et 18000 villages furent complétement rasés. Les terres allemandes et tchèques perdirent peut-être un tiers de leurs habitants, voire plus dans les zones de guerre les plus intenses. La moitié des habitants du Brandebourg périrent et trois quarts de ceux du Wurtemberg. Ces nombres sont réellement, en termes de proportions, stalinesques.

Ce que le parallèle du Président Poutine montre vraiment est le fossé entre les attentes britanniques et les attentes russes. Drogheda a choqué, et il le fait encore, les sensibilités anglo-saxonnes, mais serait passé inaperçu au milieu des massacres de la Moscovie des Tsars. Même trois cents ans plus tard, la plupart des Russes auraient joyeusement échangé leur système de gouvernement pour celui de Cromwell.

Ce parallèle nous montre que notre génération est plus touchée par le comportement de soldats anglophones au XVIIème siècle que par le comportement autrement plus monstrueux de la Tcheka de Staline et des escadrons de la mort encore dans la mémoire des hommes. Nous nous considérons tenus à des normes plus élevées. Et le Président Poutine nous renvoie le compliment.


Sur le web. Traduction : Bézoukhov/Contrepoints.

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  • Je pense que comparé Cromwell et Staline n’est pas très honnête.
    Mao Staline non plus. Dans le sens ou ce que les gens oublie c’est que la Chine était en guerre civile sous Mao. Un peu comme en France après la libération ou chacun a voulu régler ses comptes, accusant son voisin d’avoir collaboré. Il y avait bien des maniganceurs sous Staline. Mais une bonne partie était des gens qui avaient eux même peur que l’on viennent chercher leurs tête. En Chine il y a eu de nombreux exile forcé puis réadmission. Il est d’ailleurs pas évidant de trouver dans le cercle des héritiers de Mao des personnes n’ayant pas été envoyé en rééducations.
    Je pense que sans ça on peux pas comprendre pourquoi la volonté de réforme est présente même chez une classe dirigeante corrompu, contrairement en Russie.
    Sur Bloomberg asia j’ai vu l’interview d’un milliardaire de Singapour qui expliquait qu’il avait été emprisonné parce qu’il était socialiste. Il expliquait qu’il n’avait pas oublié ses idéaux de jeunesse mais les poursuivait par le capitalisme. C’est un contre exemple évidant que le découpage de tête systématique peux nuire à la croissance mais aussi à la capacité de se réformer. Dans les dictature capitaliste comme dans les dictature socialiste.

    • le seul trait commune entre staline et cromwel, est qu’il sont les avatars d’une des pire maladie de l’humanité: la guerre.
      si ces deux personnage avaient vécu dans un monde en paix, personne n’en aurait jamais entendu parlé.

    • C’est quoi une dictature capitaliste, exactement?

      • L’essentiel des pays non européens non communiste étaient des dictatures capitalistes pendant la guerre froides. Au Chili, Singapour, Corée du Sud, Taiwan, Afrique du Sud… la liste est longue. A priori le capitalisme ne rend pas gentils, il rend juste riche….

  • « Dans le sens ou ce que les gens oublie c’est que la Chine était en guerre civile sous Mao.  »

    Ce n’est pas à cette période que le bilan de Mao est le plus lourd. Ce sont bien des paysans et des civils qui en temps de paix ont fait les frais du plus grand boucher de l’histoire (loin devant Staline).

    • +1; « Le Grand Bond en Avant », « les cents fleurs » et la « révolution culturelle » sont largement postérieures à la Guerre Civile et infiniment plu meurtrières. Sauf à considérer que ce sont aussi des périodes de guerre civile de Maozedong contre son propre peuple.

      •  » le grand bond en avant est infiniment plus meurtrier que la guerre civile  »

        vous connaissez donc les chiffres de la guerre civile ? il doit bien y avoir que vous !

        il faut remettre tous cela dans le contexte chinois: une population extremement importante, et une aversion complète pour les statistiques justes.
        au 19ième siecle, la rebelion des tai ping a fait de 15 à 100 millions de morts, suivant les auteurs ( bonjour la precision ), mais ont ne peut guère parler de génocide, aucun camp n’avait l’intension d’éradiquer la population du camp adverse.

      • Je pense que vous voyez la révolution culturel comme l’ETAT a décidé QUE.. Et les masses on appliqué. Mais en Chine un pays si vaste c’est très difficile de contrôler ce que font les gens. Si j’ai parlé de contexte de guerre civile c’est qu’une grande partie de la mécanique Maoïste tenait dans la dénonciation et les aveux qui font partie de la culture chinoise. Ce qui avait pour résultat de voir des fils dénoncer leurs père! Comme l’a fait le dernier gros bonnet tombé pour corruption Bo Xilai qui a envoyer son père en rééducation. C’est pas aussi simple que pour un état plus petit ou la chaîne de commandement est plus centralisé. L’état chinois n’a jamais contrôlé la Chine.

        • la revolution culturelle, est la tentative pour Mao de retomber sur ses pieds aprés l’echec du grand bon en avant, et sa mise en minorité au sein de l’apareil du parti:
          ce grand tactitien politique, joue les jeunes et les gens de la base pour entraver la politique des  » droitistes  » du parti, comme notament deng xiao ping. déclanchant une anarchie qui fera prendre 15 ans de retard à la chine, qui n’avait deja pas besoin de ça.
          dans les fait, la révolution culturelle achève de débarrasser la société chinoise des vieilles lunes féodales, telles celles que l’on voit dans le film  » epouses et concubines » ou un riche marchand assassine une de ses 4 épouses car elle l’avait trompé avec son médecin…
          à quelque chose le malheur est bon…

    • sauf qu’il n’y avait pas volonté de tuer, mais une grossière erreur économique.

  • « J’ai décidé de refuser tout ce qui de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu’on fasse mourir » – Camus

  • Pour revenir sur Staline. C’est pas très clair à quel point les gens le suivait. Parce que malheuresment ce qui est sur c’est qu’en Allemagne les gens le suivait. Il y a eu une résistance allemande, mais elle était vraiment faible en comparaison des ennemis de Staline. C’est pour ça qu’il me semble que juger Staline c’est plus juger un homme qu’un situation politique donné. Lénine lui faisait un certain consensus il a usé et abusé du goulag. Sauf que son bilan en terme de mort est plus faible.
    Pour moi juger la Russie communiste à l’aune de Staline c’est un peu comme juger l’Irak baasiste à l’aune de Saddam Usein.

    • C’est vrai que l’après Staline a été infiniment moins meurtrier pour le peuple russe mais absolument médiocre comparé au standard des pays libéraux et démocratique.

      Et ce n’est pas un accident, la même chose s’est produite dans tous les pays collectivistes.

  • ce n’est pas juste staline, lénine avant lui était un dictateur responsable de bcp de mort. tous les régimes communistes ont été des dictatures qui ont tué bcp de gens donc c’est bien le commmunisme (il faut etre de mauvaise foi pour dire que c’est juste le stalinisme). quand à cette réecriture de l’histoire, elle esten partie du au fait que les communistes ont eu bcp d’influence en france dans les biblios (ils ont falsifiés des documents apres la seconde guerre monde), l’enseignement, les médias,……la france aujourd’hui est tjs fortement influencé par le marxisme.

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Nicolas Quénel est journaliste indépendant. Il travaille principalement sur le développement des organisations terroristes en Asie du Sud-Est, les questions liées au renseignement et les opérations d’influence. Membre du collectif de journalistes Longshot, il collabore régulièrement avec Les Jours, le magazine Marianne, Libération. Son dernier livre, Allô, Paris ? Ici Moscou: Plongée au cœur de la guerre de l'information, est paru aux éditions Denoël en novembre 2023. Grand entretien pour Contrepoints.

 

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