La démographie, l’inconnue de la croissance

C’est la facilité ou la difficulté d’accès à l’État-providence qui régulent les flux migratoires.

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La démographie, l’inconnue de la croissance

Publié le 4 décembre 2013
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Par Guy Sorman.

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Les statistiques économiques, dit-on, constituent la forme ultime du mensonge. L’observation, évidemment excessive, vaut tout de même pour les taux de croissance ou, plus exactement pour la manière dont ils sont présentés par les médias non spécialisés et par la classe politique. Les taux bruts annoncés, parce qu’ils sont globaux, ne tiennent généralement pas compte de l’augmentation ou non de la population. Ainsi, en Europe occidentale, la croissance des années 60 qui voisinait souvent 5%, s’appliquait à des nations dont la population progressait de 2% : la croissance du revenu par habitant n’était donc que de 3%. De plus, à cette époque, l’exode rural déplaçait des populations entières d’activités agricoles à productivité faible vers des industries à productivité forte. Cette migration intérieure ajoutait un multiplicateur démographique caché à l’augmentation brute de la population. Les migrations massives du Sud vers le Nord, en Italie, en Espagne, du Maghreb vers la France, de la Turquie vers l’Allemagne, contribuaient aussi à embellir les taux de croissance au-delà de la réalité brute.

Ce facteur démographique éclaire donc quelques pseudo miracles contemporains. La croissance chinoise de l’ordre de 10% aurait été impossible sans la migration massive des paysans vers les villes, c’est-à-dire une augmentation quantitative de fait de la population active. Le gouvernement chinois vient d’en prendre acte puisque face au ralentissement économique, il envisage d’accélérer l’exode rural et la dimension autorisée des familles. À l’inverse, la stagnation japonaise de ces vingt dernières années s’est accompagnée d’une prospérité individuelle grandissante tout simplement parce que la population diminuait. En Allemagne aujourd’hui, la croissance du bien-être individuel est plus rapide que ne le laisse paraître le taux de croissance du PIB puisque la population rétrécit. Aux États-Unis actuellement, le taux de croissance par habitant est, en vérité, à peine supérieur à celui de la zone euro en raison d’un dynamisme démographique et d’une immigration plus soutenue qu’en Europe.

Quels enseignements en tirer ? Vaut-il mieux être luxembourgeois ou chinois, riche dans un petit pays ou pauvre dans une grande puissance ? En Asie, les Japonais semblent opter pour la prospérité personnelle et les Chinois – plus exactement le gouvernement chinois – pour la puissance d’abord. En Europe, les peuples aimeraient obtenir les deux : la prospérité personnelle mais aussi le sentiment d’appartenir à une communauté influente. Ce qui suppose une démographie dynamique mais pas trop, et qualitative plutôt que quantitative. Mais le réglage démographique – sans porter atteinte comme en Chine aux droits des parents – est une science balbutiante. Certes, on peut encourager les femmes à travailler – cas scandinave – par la construction de crèches par exemple. Mais peut-on agir sur le nombre d’enfants ? Il est peu d’exemples probants, sauf répressifs. En réalité, en Europe aujourd’hui, la principale variable d’ajustement rapide est l’immigration.

Compte tenu du vieillissement global de la population européenne, seule l’immigration permet d’équilibrer les systèmes de retraite et d’assurance maladie : à condition qu’il s’agisse d’une immigration de travailleurs. Les gouvernements peuvent-ils agir sur les flux ? Peut-on  favoriser une immigration en quantité et en qualité plus aisément qu’on ne le décrit dans les discours enflammés des politiciens ? Il suffit de partir d’un constat : les immigrants sont rationnels. Si un pays offre gratuitement à tout immigré légal ou non, éducation, soins, allocations sociales, l’immigré rationnel choisira ce pays. C’est donc la facilité ou la difficulté d’accès à l’État-providence qui régulent en fait les flux migratoires. L’Union européenne, sans doute parce qu’elle est pétrie de bons sentiments, n’a pas de politique migratoire du tout.

Cette politique devrait en toute logique être définie par le Parlement européen : lui devrait fixer un quota légal puisqu’une fois entré en Europe, le migrant, dans la zone dite Schengen, est libre de se rendre là où il le souhaite. Seule cette politique collective et sélective permettrait à l’Europe entière de retrouver un certain dynamisme économique, d’équilibrer ses comptes sociaux, sans heurter les sentiments nationaux : d’expérience, on sait qu’un immigré qui travaille est perçu positivement dans le pays d’accueil et négativement s’il ne travaille pas.

Une telle politique migratoire supposerait qu’elle soit fondée sur des impératifs économiques et qu’elle échappe aux passions : ce passage à la rationalité est, sans conteste, l’étape la plus raide de ce scénario.


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  • « L’Union européenne, sans doute parce qu’elle est pétrie de bons sentiments, n’a pas de politique migratoire du tout. »
    Nietzsche dit que notre civilisation occidentale est devenue la civilisation de la pitié.

  • Un article bien écrit sur un sujet intéressant, c’est plutôt rare.

    L’auteur connaît évidemment le modèle français en matière d’accueil des enfants en bas âge et le bénéfice que cela procure à la politique familiale mai, comme il fait partie de « l’élite », il préfère évoquer un modèle étranger, danois en l’occurence, comme si vraiment rien n’était exemplaire dans notre pays livré au socialisme étatique tendance soviet, comme les libéraux intégristes le décrivent.

    Prétendre qu’un pays puisse proposer « gratuitement », éducation, soins et allocations sociales est en soi un abus de langage révélateur d’un parti pris puisqu’il ne peut s’agir ici d’ignorance des flux financiers parcourant une nation. La sagesse populaire a raison lorsqu’elle affirme que « rien n’est gratuit ». Lorsque vous vous faites soigner, c’est l’assurance sociale qui rembourse tout ou partie mais c’est bien vous qui financez cette assurance, idem pour la perte d’emploi. L’argent ne tombe pas du ciel.

    Ce ne serait donc « gratuit » que pour l’émigré qui viendrait « en bon agent économique » en profiter sans y participer, c’est à dire sans travailler, un coucou en quelque sorte.

    L’auteur, qui connait bien la société française, titille les instincts communautaires réveillé par calcul politicien et excités par les partis en mal d’électeurs mais pas de démagogie. S’il en prend le risque, en bon libéral, c’est qu’il en attend des bénéfices.

    Dans le domaine des consciences, le nivellement par le haut n’est pas encore pour aujourd’hui.

  • L’UE ne peut avoir une politique d’immigration tout simplement parce que nos modèles sociaux sont trop différents les uns des autres. La France restera pour beaucoup une des meilleures destinations pour sa protection sociale « irrationnelle ».
    Des partis « souverainistes » comme le FN et l’UPR ont du moins raison en voulant réinstaurer de vrais frontières physiques. D’autres mouvements politiques au sein de l’UMP et de l’UDI/Modem seraient aussi favorables à un vrai contrôle migratoire, une immigration choisie pour ses compétences et qualités.

    Il me semble aussi aux derniers chiffres connus que le taux de natalité se maintient au dessus de 2. Mais c’est sous réserve que je le dis.
    L’immigration pourrait et devrait être réguler. Et elle aura les mêmes droits mais bien les mêmes devoirs aussi.

    Je n’ai pas besoin de vous convaincre que cette politique immigratoire de charité et de pitié nous coute bien plus que de l’argent mais aussi crée une véritable d’injustice sociale, au nom de la pseudo-égalité et soi-disante fraternité.

    Pour conclure, je fais le constat amer qu’il ne faut rien attendre à un niveau Européen (je pense au contraire que certains, cyniquement, souhaitent profiter d’eux pour les exploiter…).
    Et que rien ne sera fait jusqu’en 2017 avec un gouvernement Socialiste que certains culpabilisent de ne pas favoriser assez l’immigration.

  • Pas d’accord du tout avec la conclusion de l’article. Je ne crois pas du tout qu’il faille une politique d’immigration au niveau européen, au contraire il faut décentraliser le plus possible pour que s’impose la meilleure politique d’immigration.
    Plus sérieusement, la meilleure politique d’immigration c’est de ne pas en avoir, si on veut une immigration de qualité en quantité, la seule chose à faire est de réduire la redistribution, le niveau de droits acquis et faciliter les opportunités de travail en baissant la fiscalité et la réglementation…bref, réformer notre modèle social.

    Quant à la démographie, l’important c’est la productivité de chaque individu, pas vraiment la quantité de personnes et son effet artificiel sur la croissance.

    • « il faut décentraliser le plus possible » : décentraliser une politique dans plusieurs territoires conduit à la cohabitation de plusieurs monopoles politiques qui ne se concurrencent pas. Rien n’est changé en pratique, ou si peu. Décentraliser ne permet donc pas d’obtenir la « meilleure politique d’immigration ». La preuve de cela, c’est que la France a opté pour la pire politique d’immigration possible au cours des années 70, bien avant que l’Union européenne soit une réalité, et avant même que les socialistes officiels ne prennent le pouvoir. C’est dire !

      Unis, désunis, ce n’est pas le problème. Les conneries des politiciens sont du même tonneau. Cette remarque permet d’entrevoir la solution au problème correctement analysé, à savoir réduire le potentiel de nuisance des politiciens au minimum, d’abord en leur coupant leurs moyens financiers, que ce soit au niveau national ou au niveau européen.

  • Enfin un article sans parti pris sur l’immigration entre autres.
    Mais cela pourra t’il atteindre le cerveau défaillant des soi-disant élites qui nous dirigent (droit dans le mur) ?
    Evidemment qu’il faut la gérer ! Evidemment qu’il faut que ces immigrés puisse accéder à un travail ! C’est une évidence !
    Mais encore faudrait il que nous « élites » sachent ce que c’est qu’un travail !

  • Nous n’en sortons pas.

    La démographie est l’appareil de l’état, c’est sa source de vie, que la démographie baisse et l’état faiblit.

    Et si nous sortions de cette fausse réalité ? en acceptant le vieillissement et l’abaissement démographique de nos pays ? ah oui, c’est vrai, comme le dit l’auteur il faut du monde pour régler la facture du social et des retraites, ce n’est donc que ça, et à aborder le problème de la sorte (qui n’en est pas un) nous n’en sortirons donc jamais.

  • Bonjour
    Voilà un article qui fleure ‘bon’ le constructivisme.
    La bonne politique démographique de l’état, c’est de ne pas en avoir.
    Les gens sont libres d’avoir des enfants ou pas, les gens sont libres de migrer ou pas.

  • C’est article contient une erreur monumental. Il prétend que les immigrés sont mus par les allocations tout en en supposant que l’immigré est un agent économique rationnel. C’est faux!
    Il faut prendre toutes les façons de s’enrichir et donc le travail, la bourse, la loterie…. Sinon pourquoi y aurait il des pays ou villes comme Londres qui attirent les musiciens? En France il sont généreusement subventionnés mais les artistes américains enregistrant des album à Paris ne sont pas légion… Bref si vous avez une probabilité forte de gagner 1 million au loto plutôt que 400 euros de rsa que faites vous?
    Et franchement qui peut croire que c’est les allocations qui ont déplacé les masses vers New York?

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